Notice sur Louise Labé
La vie de Louise Labé, comme celle de tant d’auteurs de la Renaissance, est assez mal connue. Fille de marchands cordiers lyonnais fortunés, elle est née vers 1520 de Pierre Charly, surnommé Labé, et d’Étiennette Roybet, qui devait décéder peu après sa naissance. Vers 1544, elle épousa un cordier, Ennemond Perrin, également installé à Lyon. De sa beauté, chantée par différents poètes, on a quelque idée grâce au seul portrait réalisé de son vivant par Pierre Woëriot vers 1555 et reproduit dans la plupart des éditions modernes. De son éducation (son initiation à la musique, sa familiarité avec les armes), on ne sait que ce qu’elle a bien voulu dire (ou qu’elle s’est amusée à dire) dans ses propres écrits. Il en est de même de ses amours, à propos desquelles elle ne prononce aucun nom. Quant à ce «savoir», ce «parler suave», ce «doux style» que vanta de son temps Jacques Pelletier du Mans, on ignore auprès de quels maîtres elle les a acquis; mais les professeurs n’étaient pas rares dans le Lyon des années 1530, et les riches marchands aux idées «avancées» n’hésitaient pas à les engager comme précepteurs de leurs filles, afin qu’elles soient, comme celles des nobles, solidement instruites.
Liée à des cercles lettrés fort influencés par l’humanisme italien et la culture de cour, évoluant dans un milieu libéral et mixte (des femmes tenaient salon à Lyon dès les années 1540), Louise Labé a longuement mûri ses écrits avant de les publier ensemble, en 1555, dans un volume intitulé Euvres de Louize Labé Lyonnoise. Ce recueil très pensé, et assurément pensé collectivement, présente tout d’abord quatre textes d’elle: un manifeste féministe en forme d’épître dédicatoire à une jeune noble lyonnaise, où elle exhorte les femmes à lâcher leurs quenouilles pour s’adonner aux joies impérissables de la création littéraire; le texte satirique en prose qui fait l’objet de cette édition; trois courtes élégies d’aspect autobiographique, et vingt-quatre sonnets d’un lyrisme à la fois sensuel, violent et contenu. Dans chacune de ces œuvres, Louise Labé explore les conceptions de l’amour et des relations entre les sexes, toutes choses alors en débat parmi les lettrés. Dans une seconde partie, viennent vingt-quatre poèmes de ses amis, témoignage de leur affection ou de leur admiration et preuve de leur volonté de soutenir l’émergence des femmes de lettres, à une époque où l’enseignement supérieur était réservé aux hommes, et où leur arrivée sur la scène littéraire, grâce à la toute nouvelle imprimerie, suscitait bien des irritations.
L’ensemble présente ainsi une très forte unité thématique et politique, que viennent renforcer, par-delà les différents genres où Louise Labé a choisi de s’illustrer, l’unité stylistique profonde de ses propres écrits, la ferveur de son ton, la force de ses convictions. Cette unité figure au premier rang des arguments qui permettent de repousser la récente tentative d’attribution de ses écrits à quelques-uns des poètes de son entourage plutôt qu’à elle-même -petit jeu dont tant d’autrices ont déjà fait les frais, mais auquel elle avait jusqu’ici échappé. Bâtie sur une série de suppositions non probantes, et sur l’idée reçue qu’une femme de moyenne extraction ne pouvait ni acquérir une telle maestria ni être admirée de poètes réputés, cette tentative prouve au moins une chose: que l’hostilité envers cette féministe épicurienne et savante n’est toujours pas morte. Le succès immédiat de ses œuvres, republiées quatre fois en 1556 (à Lyon, Paris et Rouen), semble en effet avoir beaucoup agacé. En témoigne, dès 1560, l’insulte de Calvin: plebeia meretrix, «vulgaire putain», qu’on retrouve sous sa forme euphémisée de «courtisane» chez d’autres commentateurs, dès la fin du XVIe siècle.
Peut-être déstabilisée par ces attaques, ou chagrinée par la fin de la douce période que les premières guerres de religion étaient en train de clore, Louise Labé s’est retirée dans la campagne lyonnaise. Elle y est morte en 1566, après avoir généreusement doté par testament un certain nombre de femmes et de jeunes filles dans le besoin. Ses œuvres quant à elles ne sont jamais tombées dans l’oubli. Traduites en de très nombreuses langues, abondamment rééditées, elles ont suscité l’admiration constante des gens de théâtre et des amoureux de poésie, des commentaires vibrant d’enthousiasme, ainsi que de longues supputations sur ses mœurs. Longtemps tenue à l’écart du panthéon littéraire masculiniste que la France s’est constitué au XIXe siècle, Louise Labé s’est récemment vu ouvrir toute grande la porte des «grands hommes»: en 2005, pour la première fois, ses œuvres ont été mises au programme de l’Agrégation de Lettres. Ce qui explique peut-être que la «courtisane» ait ressurgi peu après, et, cette fois-ci, délestée de ses œuvres…
Eliane Viennot (Théâtre de femmes de l’Ancien Régime, vol. 1 XVIe siècle, Saint-Etienne, Publications de l’Université, décembre 2006, p. 377-379)