Appel à contributions pour la revue Féeries 18/2021
sous la direction de Aurélia Gaillard (Université Bordeaux Montaigne/IUF)
Si les « impressions » couleur et l’illustration en couleur se développent au 18e siècle, il n’est pas ici question de cela — ou pas seulement, ou pas directement. Le titre « Contes en couleur » désigne le fait que le conte fait couleur, que la narration féerique ou merveilleuse impose un univers mental de la couleur. Comme il existe des rêves en noir et blanc et des rêves en couleur, des visions polychromiques, dys- ou achromatopsiques, il existe sans doute des littératures incolores – les fictions narratives par exemple de Madame de La Fayette, Marivaux ou Prévost, où le monde extérieur s’exprime d’abord au travers d’une rhétorique, d’une langue et non d’une vision – et des littératures de la couleur, en couleur.
Le dossier « Contes en couleur » de la revue Féeries s’inscrit dans le prolongement de la perspective ouverte par les récents travaux sur la couleur au 18e siècle, notamment par le dernier numéro de Dix-huitième siècle, (« La couleur des Lumières », A. Gaillard et C. Lanoë dir., 51/2019) qui met en lumière, de Newton (Opticks, 1704) à Goethe (Traité des couleurs, 1808), l’installation durable de la couleur dans l’univers matériel et mental de la société, tout en soulignant la complexité des approches concernées ressortissant à des savoirs multiples (pour l’époque) et désormais à des disciplines distinctes, historiennes, scientifiques (physique et chimie), philosophiques, esthétiques et littéraires. L’enjeu de ce champ de recherche ouvert sur la couleur des Lumières est de caractériser, à l’intersection de ces savoirs (et par là de « nos » disciplines), la façon dont la couleur recompose le cadre conceptuel dans lequel se pense et donc se représente le monde à l’époque. Autrement dit, comment la couleur intervient dans le changement épistémologique qui succède à l’âge classique, généralement analysé comme le passage d’un modèle mathématique à un modèle sensoriel et empirique, ou encore d’un modèle symbolique à un modèle sémiotique : « un modèle linguistique de connexion arbitraire et de signification par suggestion est venu se substituer ici au modèle mathématique de la connexion nécessaire et de la géométrie naturelle » (Hamou, Voir et connaître à l’âge classique, Paris, PUF, 2002, p. 126). Plus précisément encore, il s’agit de cerner quelle place occupe la couleur dans cette nouvelle épistémologie sensorielle et visuelle (E. Dueck et N. Vuillemin, Entre l’œil et le monde, Épistémocritique, 2017). Y-a-t-il alors, dans ce 18e siècle « coloré » (Brusatin, Pastoureau) voire coloriste, si l’on pense aux peintres, un modèle « coloré » de la connaissance, quelque chose comme la mutation d’un monde visible (rattaché à un invisible, à une extériorité de l’expérience perceptive) en un monde visuel (fait de taches colorées) ? Comment pense-t-on au 18e siècle les couleurs et comment les couleurs, ainsi pensées, façonnent-elles la connaissance du monde ?
La question, plus précise, de l’univers et de l’exploration sensoriels des contes a récemment et dans cette revue, été explorée par Christelle Bahier-Porte et Emmanuelle Sempère (Féeries, 15/2018). La couleur y était déjà un peu présente mais surtout au travers de la question des synesthésies, à l’exception d’un article de Jean-Paul Sermain centré, quant à lui, plus nettement sur la couleur associée à la matérialité et corporéité des robes chez ou à partir de Perrault. Néanmoins, s’agissant d’étudier la place particulière qu’occupe la couleur dans les contes des 17e et 18e siècles et la façon dont ceux-ci contribuent à une nouvelle épistémologie visuelle, la perspective et le champ de recherche sont sensiblement différents. Il ne s’agit pas tant d’examiner la couleur comme une sensation que comme une catégorie mentale : le conte fait couleur, mais qu’est-ce qui fait couleur dans le conte ? Comment le conte fait-il couleur, comment impose-t-il un univers (mental) coloré ?
De fait, les contes constituent sans doute un ou des corpus à part entière, marqués par la force des représentations mentales : les contes font couleur parce qu’ils suscitent des images, ont partie liée avec des imaginaires archétypaux, puissants et persistants, une fantasmatique. Ils combinent sans cesse les paradigmes anthropologique, symbolique et esthétique. Par ailleurs, l’invention du genre littéraire du conte à la fin du 17e siècle et dans le premier 18e siècle coïncide avec la décoration rocaille, le moment rococo et la défense du coloris en peinture. Or, la critique n’a commencé que depuis peu à s’intéresser à la façon dont la littérature accueille mais aussi transcrit voire pense la couleur (pour le 18e siècle français : Élodie Ripoll, Penser la couleur en littérature. Explorations romanesques des Lumières au réalisme, Classiques Garnier, 2018) et l’enquête reste presque tout entière à mener pour le conte, même si ici ou là existent des études ponctuelles et très récentes (Nathalie Prince, Féeries, 9 | 2012, 85-106 ; DHS 51/2019) ou, le plus souvent, des éléments de développement dans des études d’ensemble : par exemple sur le rouge du chaperon (B. Bettelheim, Y. Verdier, M. Pastoureau), le bleu de la barbe (C. Velay-Vallantin), la transparence du verre des pantoufles de Cendrillon, les couleurs des robes de Peau d’Âne, le blanc de Blanche-Neige (N. Prince), de l’oiseau blanc de Diderot (A. Defrance). Mais quid de tous les autres nombreux oiseaux blancs, bleus, jaunes, multicolores (Aulnoy, Saint-Hyacinthe, Diderot etc.), des minets bleus (Fagnan), des chattes blanches, des nains jaunes et des serpentins verts (Aulnoy), des cheveux d’or, de la couleur des peaux et des objets magiques, des palais de verre et de cristal, des princesses Transparente, Étincelante, Lumineuse, de la triade omniprésente noir/blanc/rouge, des illuminations ? Par « couleur », nous entendons toute la gamme des couleurs et des lumières (le transparent, le multicolore, le chatoyant, le bigarré, le moiré, le noir et le blanc etc.) et tout le « parachromatique » (Ripoll) : c’est-à-dire à la fois le ton ou chrome, avec ses attributs indiquant la saturation ou la clarté (pâle, clair, foncé, vif etc.), mais aussi la luminosité (brillant, obscur), la densité (transparent, opaque), la texture (moiré, velouté, satiné). Il s’agit donc de mettre à l’épreuve ce corpus : est-il légitime d’y voir l’un des lieux privilégiés de l’émergence d’une nouvelle culture visuelle colorée ? Quels liens entretiennent le merveilleux et la couleur ? Certains sous-corpus de contes sont-ils plus « colorés » que les autres ? Le conte oriental ? fantastique, romantique ? On pourra notamment interroger l’admirable, l’admiration, l’étonnement, la surprise dans sa relation avec la couleur. La couleur est-elle par définition admirable, merveilleuse?
Les contributions pourront alors aborder, sans exclusive, les axes suivants :
1. Couleur et merveille.
2. Les fées coloristes : dimension métadiscursive des fées créatrices d’univers colorés.
3. Certaines couleurs spécifiques : le bleu (le conte bleu, le bleu comme indice métadiscursif ?), le jaune, le doré, l’or (à dimension alchimique ? On peut penser à la transformation de la paille en or dans Rumpelstilzchen – Nain Tracassin – des Grimm) ; la triade blanc/noir/rouge.
4. Contes rococos (Funestine de Beauchamps avec son génie Clair-Obscur et son palais de « marbre vert campan »).
5. Les contes et la couleur des bestiaires (particulièrement les oiseaux, perroquets, paons) et lapidaires (pierres précieuses).
6. La couleur des objets magiques.
7. La mise en fiction des savoirs scientifiques sur la couleur, la circulation des savoirs entre optique et conte : les débats autour du newtonisme, le clavecin oculaire dans les Bijoux indiscrets de Diderot, le conte de Deslandes (L’Optique des mœurs opposée à l’optique des couleurs).
8. Des œuvres ou auteurs spécifiques qui imposent un univers particulièrement coloré : Lubert, Aulnoy, Diderot, Mouhy, Le Prince Arc-en-ciel (conte anonyme, 1731).
9. L’univers coloré de certains sous-corpus (conte oriental, voyages imaginaires ou interplanétaires dans les contes, conte romantique, fantastique) : quelles couleurs ? Pour quels effets, quelle poétique ?
10. Réécritures et évolution des notations colorées.
11. Les illustrations couleurs de certains contes ou corpus (des dessins coloriés à la gouache du manuscrit des contes en prose de Perrault aux Contes choisis de l’Imagerie d’Épinal).
Les propositions d’articles ainsi qu’une courte notice bio-bibliographique sont à envoyer à Aurélia Gaillard (aurelia.gaillard@gmail.com) avant le 1er octobre 2020, les articles (30 000 signes environ) seront à rendre pour le 1er mars 2021.