Colloque international organisé par Véronique Lochert, Zoé Schweitzer et Enrica Zanin,
« Rituel sacrificiel central, [le viol] est omniprésent dans les arts, depuis l’Antiquité, représenté par les textes, les statues, les peintures, une constante à travers les siècles. […] La condition féminine, son alphabet », écrit Virginie Despentes dans King Kong Théorie1. Les œuvres littéraires de la première modernité semblent confirmer cette observation, tant le viol y est fréquemment représenté, sur les scènes de théâtre comme dans les fictions narratives. Cette omniprésence dans les lettres et les arts contraste avec l’invisibilité du viol dans la société, où il est alors rarement dénoncé, rarement poursuivi et puni2. Doit-on pour autant considérer que la littérature se complaît dans un déploiement esthétisant du viol, qui satisfait les fantasmes du public masculin tout en contribuant à banaliser la violence faite aux femmes ? Doit-on voir dans ces nombreuses scènes un simple effet de la « culture du viol » qui caractériserait ces époques anciennes plus encore que la nôtre ? À travers la diversité et la complexité de ses représentations du viol, la littérature ne manifeste-t-elle pas plutôt une conscience inédite des violences subies par les femmes, auxquelles elle donne une voix pour s’exprimer sur un sujet voué au silence dans la vie sociale3 ?
Ce colloque invite à se saisir de ces questionnements d’actualité pour aller étudier de près ce que les œuvres littéraires du passé ont à dire du viol aux publics d’autrefois comme à ceux d’aujourd’hui. Une telle entreprise implique une circulation temporelle délicate entre la première modernité, où le « viol » n’existe pas au sens que nous lui donnons aujourd’hui, et la période contemporaine, marquée par une sensibilité renouvelée à la violence sexuelle, porteuse d’importants changements dans nos manières de lire4. Invitant à approfondir les différences qui nous séparent des périodes anciennes pour mieux saisir les rapprochements possibles, cette circulation est féconde dans la mesure où elle renouvelle notre regard sur les textes du passé et interroge la transhistoricité des œuvres.
L’analyse des scènes de viol dans les littératures européennes de la Renaissance aux Lumières invite à la comparaison : comparaison entre différents moments historiques, plus ou moins favorables à ce type de représentation ; comparaison entre différentes cultures et sociétés et la place qu’elles réservent aux femmes ; comparaison entre plusieurs genres littéraires, qui usent de moyens différents pour mettre en scène le viol. À travers ces comparaisons pourront être saisis les différents facteurs, d’ordre historique, culturel, social, esthétique, qui influent sur la représentation de la violence sexuelle et façonnent ses significations.
Plusieurs perspectives d’étude pourront être envisagées :
- La première concerne la définition et l’interprétation des scènes de viol. À une époque où la réticence féminine fait partie d’un rituel social préliminaire au mariage et où la notion de consentement, qui va de pair avec celle d’un sujet féminin autonome, n’est guère pensée, comment les œuvres littéraires définissent-elles le viol et pourquoi le représentent-elles ? Il faudra interroger l’abondance des scènes de viol et leurs variations historiques et culturelles en lien avec les pratiques sociales et juridiques de leur époque.
- Les modalités de la représentation du viol contribuent à définir ses significations. Il faudra donc étudier les formes et les procédés de la scène de viol, ses caractéristiques et comparer ses enjeux dans différents genres. Dans quelle mesure le viol constitue-t-il une scène5, doté d’un pouvoir d’autonomisation et de fascination, qui échappe en partie au cadre dramatique ou narratif chargé de lui donner sens ?
- Une autre piste de réflexion concerne la valeur métaphorique et métalittéraire parfois attribuée au viol. On pourra se demander si la violence exercée par le violeur sur sa victime peut constituer un modèle pour réfléchir aux liens qui s’établissent l’auteur ou l’œuvre et le lecteur ou spectateur ou pour décrire les effets de la lecture ou de la représentation sur le public.
- Il importera enfin de se pencher sur la réception des scènes de viol par les publics, anciens et actuels, de lecteurs et lectrices comme de spectateurs et spectatrices. Il s’agira d’étudier les effets visés par la représentation littéraire du viol et de les confronter aux effets produits, éprouvés par les publics, lorsqu’on peut en avoir des témoignages. Propres à susciter une division entre la part féminine et la part masculine du public, les scènes de viol mettent à l’épreuve les différences de genre dans la réception.
Le comité scientifique se compose de Line Cottegnies (Sorbonne Université), Christophe Couderc (Université Paris Nanterre), Véronique Gély (Sorbonne Université), Nathalie Grande (Nantes Université), Françoise Lavocat (Université Sorbonne nouvelle-Paris 3), François Lecercle (Sorbonne Université) et Lise Wajeman (Université Paris Cité).
Les propositions (une page maximum), accompagnées d’une courte bio- bibliographie, sont à envoyer conjointement à Véronique Lochert (Université de Haute-Alsace – ILLE, veronique.lochert[at]uha.fr), Zoé Schweitzer (Université de Saint-Étienne – IHRIM UMR5317, zoe.schweitzer[at]wanadoo.fr) et Enrica Zanin (Université de Strasbourg – UR1337, ezanin[at]unistra.fr) avant le 20 janvier 2023.
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Virginie Despentes, King Kong Théorie, Paris, Grasset, 2006, p. 53.
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Selon Georges Vigarello, Histoire du viol, XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1998.
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Comme le suggère Nathalie Grande dans sa présentation de Viol et littérature XVIe-XIXe siècle, Tangence, n° 114, 2017.
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Voir Lise Wajeman, « Qui jouit ici ? Polémiques contemporaines sur la représentation du viol », in Clotilde Thouret (dir.), Littérature et polémiques, Paris, SFLGC, 2021, p. 203-219.
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Sur la notion de scène, voir Stéphane Lojkine, en particulier dans « Brutalités invisibles, vers une théorie du récit », introduction à Marie-Thérèse Mathet (dir.), Brutalité et représentation, Paris, L’Harmattan, 2006.