“Nommer, dénoncer, représenter, mettre en image ou en musique.”
Colloque Projet AVISA. 9-10 Décembre 2021.
Ce colloque entre dans le projet AVISA co-dirigé par Armel Dubois-Nayt de l’université de Versailles-Saint-Quentin (DYPAC) et Réjane Vallée de l’université d’Évry Val d’Essonne (Centre Pierre Naville en collaboration avec le SLAM) avec le soutien de la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Saclay et le parrainage de la SIEFAR et de la SAGEF. Ce projet entend ouvrir le chantier de l’historicisation sur la longue période du phénomène social qualifié aujourd’hui de harcèlement sexuel en mobilisant la littérature, l’histoire, le cinéma, les arts. Pour une présentation générale, voir le site : https://avisa.huma-num.fr/s/avisa/page/accueil
Françoise Héritier s’interrogeait quelque temps avant sa mort sur le moment historique que l’Occident vit sous l’effet de l’affaire Harvey Weinstein, un moment qui semble marquer une rupture de sensibilité sur la question du harcèlement sexuel et qui correspondrait à une libération de la parole des femmes devant les violences qu’elles subissent.
Pour établir la singularité de l’ère post-Weinstein, il apparaît cependant nécessaire de considérer le harcèlement sexuel comme un phénomène historique ayant connu des occurrences antérieures à la post-modernité, une position déjà défendue en 1994 par Carol Bacchi et Jim Jose, qui mettaient en garde contre la tendance à représenter le harcèlement sexuel comme une « découverte » des mouvements féministes actuels (Bacchi & Jose 263). Telle est la dynamique générale du projet AVISA.
Le harcèlement sexuel est ici entendu, hors d’une définition juridique précise en raison d’une recherche sur la longue période et dans plusieurs espaces géographiques, dans un cadre conceptuel qui englobe sa version française et sa version anglophone. Dans ce cadre, le harcèlement sexuel est ici entendu comme le fait d’incommoder quelqu’un :
en tenant de manière répétée des propos à caractère sexuel ou en effectuant des gestes à caractère sexuel (lorgnades, sifflements, cris, etc…)
en imposant des contacts physiques non désirés (baisers, attouchements, pincements, etc…) constituant une agression.
en faisant des avances sexuelles non désirées.
Le harcèlement sexuel peut précéder dans le temps et précède dans la hiérarchie des violences sexuelles la coercition sexuelle ou le viol. Il consiste en des micro-agressions assimilables selon la formule de Mary Bularzik à un « petit viol » puisqu’elles constituent une invasion de la personne par suggestion ou par intimidation en confrontant la victime, de manière plus ou moins frontale, à sa vulnérabilité (Bularzik 118). Le harcèlement sexuel est donc une forme de pression qui vise à déstabiliser une personne pour qu’elle cède et s’abandonne à l’acte sexuel. Il s’agit d’un outil d’emprise mentale qui annihile toute forme possible de consentement et dont l’invisibilité est nourrie par le soupçon récurrent de la fausseté de la résistance féminine.
L’histoire du harcèlement sous l’angle des représentations implique dans un premier temps de retrouver son existence sémiotique. Il s’agira donc pour nous de reconstituer le lexique du harcèlement sexuel à travers les siècles car les catégorisations contemporaines dans les différents espaces linguistiques couverts sont impropres à saisir la compréhension des actes qui relèvent de ces formes de violence à d’autres époques (Myriam Soria 58). Alain Boureau a souligné la difficulté à trouver un nom à ce délit, à la fois neuf et ancien, entré dans le code pénal en France en 1992 sous le terme de « harcèlement sexuel », une expression qui selon lui ne convient pas car elle est la traduction du sexual harassment anglais et « renvoie à un système métaphorique de l’assaut et de la guerre propre à la version américaine de la common law » (Boureau 9). Il réfute également l’usage métaphorique par la presse à la même époque du terme « droit de cuissage » appliqué au monde de l’entreprise puisque ce droit seigneurial relève de la mythographie en tant que norme juridique de la France médiévale (Boureau 251-253). Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille renoncer à reconstituer le lexique sous lequel « le problème diffus, difficile à étiqueter, de l’utilisation masculine du pouvoir social à des fins sexuelles » (Boureau 18) a été signalé et dénoncé. D’autant que les termes « harceler » et « harasser » sont usités pour renvoyer à ce type de violence sexuelle dès le 16ème siècle comme en atteste une idillie de Jean Vauquelin de La Fresnaye dans laquelle une bergère reproche expressément à un chasseur de la « harceler » et de la « harasser » ( Travers 586). La difficulté de dénomination rencontrée par Alain Boureau tient au fait qu’il n’envisage le harcèlement sexuel que dans un contexte de relations sociales de travail, ce qui n’est pas notre cas.
Dans le cadre de ce premier colloque, il s’agira d’interroger les sources historiques, littéraires, filmiques et artistiques pour :
retrouver des victimes passées de ce marqueur de la domination masculine et les rendre à nouveau visibles en s’interrogeant notamment sur la relation de pouvoir – qu’elle soit économique, politique, matérielle ou symbolique – entre l’auteur et la victime ou à l’aune sociale des catégories féminines (vierge, femme mariée, veuve, nonne, femme célibataire).
reconstruire le lexique juridique, littéraire ou ordinaire utilisé selon les époques et selon les lieux, pour qualifier des actes dont il faudra déterminer s’ils étaient licites ou illicites à travers l’analyse des normes littéraires ou sociales et les règles théoriques de la période. Les évolutions lexicales vers des usages linguistiques communs seront des preuves éventuelles que le harcèlement sexuel a pu, à d’autres époques que la période contemporaine, participer à la construction d’une identité de genre dans la mesure où il était imposé à une catégorie sociale qui se reconnaissait implicitement comme telle.
Les analogies animales et les bestiaires formés pour dénoncer ces agissements, à l’instar de la campagne lancée contre le harcèlement dans les transports franciliens – IDF en 2018 qui représentait les auteurs d’agression par des animaux, pourront également faire l’objet de propositions de communication.
De la même manière, les communications confrontant les mots des victimes à ceux de leurs harceleurs se retranchant par exemple derrière l’amour, l’humour, la plaisanterie ou la familiarité, permettront de mieux cerner les raisons éventuelles de l’absence de réaction face à ce type de violences faites aux femmes dans un lieu donné à un moment donné. Les communications faisant entendre les voix de femmes qui ont dénoncé ces actes dans leurs témoignages, leurs correspondances ou leurs œuvres sont également les bienvenues.
Nous invitons les communications analysant de scènes de harcèlement sexuel au cinéma ou dans les séries télévisées. On pourra ainsi étudier comment le harcèlement sexuel est représenté, avec quelles images et quels sons.
Si au cinéma, les viols et agressions sexuelles semblent de prime abord plus spectaculaires et présents, un rapide examen de corpus montre qu’au contraire, le harcèlement sexuel est particulièrement présent, mais particulièrement banalisé, au détour d’une phrase, d’une situation, d’une scène, en étant rarement au cœur du film en question. La fonction comique ou dramatique dans une intrigue ainsi que le parti pris du metteur en scène ou de l’artiste et la réception par le public ou la critique, pourront être des axes d’analyse complémentaires. Il sera aussi possible de se demander si le genre du film, la nationalité, la période, l’équipe de réalisation… ont eu un impact sur la nature de cette représentation, ainsi que le support. Ainsi, le temps long de la série télévisée permet-il de représenter autrement le harcèlement sexuel ?
Enfin, les contributions en histoire de l’art pourront analyser le système de signification qui structure la composition des œuvres. On pourra s’interroger sur :
la nature de la figuration de ce type de violence sexuelle (érotique, moralisante, misogyne,…) dans la peinture ou le dessin,
le rapport de sexe dans ces tableaux ou dessins,
la fonction idéologique du décor susceptible de naturaliser ou au contraire d’urbaniser le harcèlement sexuel mais également de le rattacher à une classe sociale (classes luxueuses et luxurieuses, ou au contraire classes inférieures et immorales … ),
les identifications possibles ou attendues du spectateur au voyeur, au harceleur ou à la victime.
Il s’agira par le biais de ces interventions d’envisager sur le long terme de l’histoire du cinéma, de la télévision et des arts, les croyances et les perceptions autour du harcèlement sexuel qu’ils ont véhiculées ainsi que la manière dont ils ont relayé les idées reçues sur les profils de harceleurs et des victimes.
Les propositions de communication (environ 250 mots) devront être envoyées, accompagnées d’une courte notice bio-bibliographique, pour le 15 juin 2021 aux adresses suivantes : armel.dubois-nayt@uvsq.fr et rejane.vallee@univ-evry.fr.
Si les conditions sanitaires l’exigent, le colloque se tiendra les 9 et 10 décembre 2021 dans un format hybridé en présentiel à Versailles et à Évry et en distanciel afin de pouvoir accueillir tous les participant·es.
Comité scientifique : Mathilde Bombart (Université de Versailles-Saint-Quentin), Susan Baddeley (Université de Versailles-Saint-Quentin) , Line Cottegnies (Sorbonne Université), Brigitte Gauthier (Université d’Évry Val d’Essonne), Marie-Elisabeth Henneau (Université de Liège), Didier Lett (Université de Paris), Caroline Muller (Université de Rennes 2), Guillaume Peureux (Université Paris Nanterre), Anne Rochebouet (Université de Versailles-Saint-Quentin), Sarah Sepulchre (Université catholique de Louvain), Sylvie Steinberg (Ecole des hautes études en sciences sociales).
Comité d’organisation : Armel Dubois-Nayt (Université de Versailles-Saint-Quentin), Louise Piguet (Université Sorbonne Nouvelle), Chloé Tardivel (Université de Paris), Réjane Vallée (Université d’Évry Val d’Essonne).
Bibliographie indicative :
– Carol Bacchi et Jim Jose, « Historicising Sexual Harassment », Women’s History Review, 3.2, 1994, 263-270.
– Carrie N. Baker, The Women’s Movement against Sexual Harassment, Cambridge, CUP, 2008.
– Julie Berebitsky, Sex and the Office: a History of Gender, Power, and Desire, New Haven : Yale University Press, 2012.
– Alain Boureau, Le droit de cuissage : la fabrication d’un mythe : (XIIIe-XXe siècle), Paris, Albin Michel, 1995.
– Mary Bularzik, « Sexual harassment in the workplace : Historical notes », 12 Radical America, 25, 28-38 , 1978.
– Aubrey Dillon- Malone, Hollywood’s Second Sex: the Treatment of Women in the Film Industry, 1900-1999, Jefferson, North Carolina : McFarland & Company, Inc., Publishers, 2015.
– Faye E. Dudden, “Serving Women : Household Service in Nineteenth Century America”, 213-219 (1983).
– Stéphanie Gaudillat Cautela, « Questions de mot. Le Viol au XVIe siècle, un crime contre les femmes », Clio HFS, 24, 2006, p. 57-74.
– Annette Lévy-Willard, Chroniques d’une onde de choc= #MeToo secoue la planète, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2018.
– Marie-Victoire Louis, Le droit de cuissage : France, 1860-1930, Paris : Éditions de l’Atelier, 1994.
– Catharine A. MacKinnon, Butterfly Politics, Cambridge, Massachusetts : The Belknap Press of Harvard University Press, 2017.
– Hélène Merlin-Kajman, La littérature à l’heure de #Metoo, Paris, les éditions d’Ithaque, 2020.
– Stephen J. Morewitz, Sexual harassment & social change in American society, San Francisco & London, Austin & Winfield, 1996.
– Ruth Roser, The Lost Sisterhood : Prostitution in America, 1900-1918, p. 152-155 (1982).
Kerry Segrave, The sexual harassment of women in the workplace, 1600 to 1993, Jefferson, N.C. ; London : McFarland, c1994.
Id, Beware the Masher : Sexual Harassment in American Public Places, 1880-1930, Jefferson, North Carolina : McFarland & Company, Inc., Publishers, 2014.
– Laura W. Stein, Sexual Harassment in America : a Documentary History, Westport, Conn. ; London ; Greenwood Press, 1999.
– Fed Strebeigh, Equal : Women Reshape American Law, New York, London, W.W. Norton, 2009.
– Julien Travers (ed.), Les diverses poésies de Jean Vauquelin Sieur de la Fresnaie, Caen, F. Le Blanc-Hardel, 1870, Tome 2.
– Judith R. Walkowitz, « Shopping, Street Harassment, and Streetwalking in Late Victorian London », Representations, 62, 1998, p. 1-30.