Appel à contribution pour le dossier “Métiers d’art itinérants” à paraître dans la revue Diasporas : circulations, migrations histoire.
Ce numéro (n°32, 2018/2) sera publié en version papier et mis en ligne sur le portail Revues.org (https://diasporas.revues.org)
Il s’agit d’étudier, dans un contexte de migration, la nature des dynamiques sociales à l’œuvre avec l’arrivée de populations émigrées d’artisans des métiers d’art, en milieu urbain et/ou rural, du XVIIe au XIXe siècle. Si une partie du dossier portera sur la présence des Italiens en France, d’autres cas peuvent être abordés en Europe et pour diverses spécialités (peintre-décorateur, maître-verrier, stucateur, mosaïste, figuriste, etc.). Une approche par les réseaux et les transferts culturels est souhaitée. Envisager la question des circulations invite également à conduire une réflexion sur l’identification d’une « identité artistique » de ces artisans émigrés.
Argumentaire
La finalité de ce dossier thématique est de comprendre, dans un contexte de migration, la nature des dynamiques sociales à l’œuvre en milieu urbain et rural avec l’arrivée de populations émigrées d’artisans, des Italiens notamment1. La chronologie envisagée englobe l’époque moderne – car si la présence italienne en France à la Renaissance a été très documentée par la bibliographie, les xviie et xviiie siècles le sont beaucoup moins alors que les marbriers, sculpteurs, figuristes, etc., sont très actifs – et la première moitié du xixe siècle, marquée par l’installation de nombreux artisans. Le travail de ces artisans d’art dans les zones rurales est vierge d’études, si ce n’est à l’échelle locale : souvent désignés dans les textes par des termes péjoratifs comme « barbouilleurs », les peintres ont par exemple laissé dans leur sillage d’innombrables décors. Les églises rurales méridionales en témoignent, comme celles d’autres régions (œuvres monumentales, peintures de chevalet, etc.). Si le cas des « peintres décorateurs » est significatif par son ampleur et sa visibilité sur le territoire, il invite toutefois à examiner le phénomène à une échelle beaucoup plus large : cette émigration artistique, documentée au-delà des frontières françaises, rend compte de la grande mobilité des ouvriers, et les peintres ne sont pas les seuls concernés. Cette dynamique est observée au sein d’autres métiers, dont l’historiographie n’a pas toujours fait grand cas : les maîtres-verriers, les stucateurs, les mosaïstes, les figuristes, vendeurs d’images, etc. Il s’agit donc de mettre en lumière la période qui a précédé l’immigration de masse et l’industrialisation progressive des techniques et des savoir-faire artistiques, et de nourrir ces réflexions des approches conceptuelles les plus récentes, opérantes pour comprendre ces migrations : l’analyse structurale des réseaux et l’étude des transferts culturels et artistiques.
Autour des notions de réseaux et de transferts culturels
L’objet d’étude est ouvert à l’analyse interdisciplinaire2. Partant du corpus des objets/images et des parcours individuels d’artistes, nous souhaitons « éprouver » les méthodes d’analyse de l’histoire de l’art, de l’histoire, de la sociologie, de l’anthropologie ou des institutions patrimoniales, en nous appuyant sur les méthodes de travail, les outils et des terminologies de ces disciplines. Nous souhaiterions notamment focaliser l’attention des contributeurs sur deux approches conceptuelles particulièrement fécondes au sein de la recherche : la notion de « réseau » issue des réflexions des sciences sociales (Cf. C. Bidart / A. Degenne / M. Grossetti (dir.), La vie en réseau. Dynamique des relations sociales, Paris, PUR, 2011), et celle de « transfert culturel et artistique » (à la suite des publications de M. Espagne, dans le champ de l’histoire culturelle contemporaine). En effet, l’analyse prosopographique permet d’identifier les réseaux migratoires, familiaux et économiques tissés sur le chemin du voyage, comme les partenaires (pouvoirs laïcs et religieux, franc-maçonnerie, etc.) qui ont constitué localement des communautés d’accueil et préparé un environnement matériel favorable. Les méthodes d’investigation de la sociologie invitent à regarder autrement la « qualité » des liens et des relations qui ont structuré ces réseaux. L’inscription dans le temps long de ce tissu historique donne l’opportunité de situer les phases « d’enclenchement » et les leviers qui ont animé ces circuits dès le xviie siècle.
Identifier les artistes/artisans itinérants : individus, statuts, métiers
Le deuxième objectif est d’élargir l’examen des métiers artistiques exercés par des migrants, en considérant leur intégration en milieu urbain mais surtout rural (moins renseigné). Si par exemple les « barbouilleurs » italiens sont signalés dans les campagnes d’Auvergne, d’Aquitaine ou de la Loire et les menuisiers ébénistes dans les vallées savoyardes, les ouvriers des villes sont à ce jour les plus documentés. Les marbriers et les sculpteurs font commerce de matériaux et d’objets entre les villes de Gênes, de Toulouse et de Bordeaux, les mosaïstes sont sollicités sur les grands chantiers urbains, les ornemanistes sont actifs à Lyon, sans oublier les colporteurs et les figuristes qui vendent leurs objets sur les marchés. A Paris même, la diaspora des peintres italiens peine à trouver sa place au sein des milieux académiques. Il s’agit donc d’établir un premier état des lieux sur l’activité de ces hommes et leurs métiers, dans les villes mais surtout dans les campagnes où ils ne sont quasiment pas répertoriés. Puis, partant de là, de montrer les interactions entre les réseaux identifiés : par exemple les liens tissés entre les peintres-décorateurs d’églises, à la campagne, et les artistes académiques renommés, le plus souvent localisés dans les centres urbains, éclaire les pratiques artistiques (personnes-relais, stratégies, nature des commandes, sous-traitance, etc.)
Repérer les transferts artistiques : circulations, échanges de savoir-faire et objets de mémoire
L’examen des corpus d’objets conservés et de leur iconographie rend compte de l’hétérogénéité des sources artistiques et des références culturelles sollicitées par les exécutants. Les « transferts » de l’Italie, visibles dans la peinture comme sur d’autres supports, sont indissociables du fonctionnement en réseau : ainsi la circulation des modèles répond à des logiques de déplacements individuels et collectifs, de contacts, à des phénomènes de mode et à des développements matériels et techniques. Reste qu’il demeure nécessaire de dissocier nettement ces transferts des « emprunts » faits au vieux fonds culturel et artistique « local » : lequel constituait toujours une source d’inspiration féconde sur le territoire, au xixe siècle. Envisager la question des circulations oblige également à conduire une réflexion sur l’identification d’une « identité artistique », « italienne » ou autre, et de son positionnement au sein des courants stylistiques contemporains – existe-t-elle véritablement, et sous quelle forme ? Il importe aussi de comprendre les ressorts du « métissage culturel » qui s’est opéré au fil du temps, a fortiori en milieu rural où il prend une dimension syncrétique importante. Enfin, ces répertoires iconographiques sont souvent liés à la polarité exercée par des objets ou des lieux de mémoire particuliers : à l’exemple des peintures de la cathédrale d’Albi, qui constituent toujours un parangon de l’art de la Renaissance italienne en France et ont été le point de départ d’un certain nombre de « transferts ». Dans la carte des « réseaux », ces hauts-lieux jouent un rôle essentiel?
Calendrier et informations pratiques
Date limite de réception des propositions d’articles (sous la forme d’un argumentaire synthétique d’une quinzaine de lignes, assorti d’une bibliographie) : 18 Septembre 2017.
Date limite d’envoi des articles rédigés : 10 Janvier 2018.
Tous les articles seront soumis au processus habituel d’évaluation de la revue (coordinatrices du dossier, comité de rédaction, expert extérieur de façon anonyme).
Les normes formelles de la revue sont disponibles en ligne : https://diasporas.revues.org/210
Coordinatrices du numéro thématique
- Sophie DUHEM, maître de conférences en histoire de l’art moderne, UT2J Framespa, sduhem@wanadoo.fr
- Laure TEULIÈRES, maître de conférences en histoire contemporaine, UT2J Framespa, laure.teulieres@univ-tlse2.fr