Bourse 2005

Elle a été attribuée le 20 mai à Sabine Arnaud, doctorante travaillant sur une thèse intitulée «Hystérie: Fictions et Politiques du Vrai au 18e siècle» (EHESS/Cuny, New-York), pour son projet de dépouillement des manuscrits médicaux à Montpellier.

Les fruits de ces recherches ont paru dans un article de la Revue 18e Siècle, publiée par les Presses de l’Université Paris-Sorbonne (n°39, 2006).

Suite à l’obtention de sa bourse, le compte rendu de ses recherches en cours a été publié dans Diplômées, Revue de l’AFFDU (Assosciation française des femmes diplômées des universités) no 214, sept. 2005, «Echos de recherches en cours: La catégorie d’Hystérie et la Construction de la différence sexuelle (1750-1810), par Sabine Arnaud».

Compte rendu, Diplômées, sept. 2005


«La Catégorie d’Hystérie et la Construction de la Différence Sexuelle (1750-1810)»
Entre 1750 et 1810, on est frappé de voir apparaître avec intensité la différence sexuelle au premier plan de toute une série de traités de médecine, traités politiques, et romans qui analysent ou mettent en scène une maladie: l’hystérie[1]. La construction de la catégorie d’hystérie n’est pas neutre; elle permet de cerner l’évolution de la pensée du genre dans une de ses périodes inaugurales. Loin d’être un concept strictement médical, l’hystérie a, durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, une fonction morale et politique.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le regard médical se transforme et la perception de l’hystérie change. Les cas de convulsions, multipliés chez les femmes, frappent aussi les hommes. Rien ne permet de justifier physiologiquement qu’il s’agit d’une maladie des femmes; les médecins n’en cherchent pas moins à faire de l’hystérie une maladie féminine. Si l’assimilation de la maladie au genre ne peut plus se faire au nom du corps sexué, elle doit se faire autrement. Ce sera alors à travers toute une série de discours où s’entremêlent le politique, le social et le moral que va être réaffirmée la connexion privilégiée entre le féminin et l’hystérie.
La conceptualisation de l’hystérie permet de voir qu’il n’y a pas eu au premier abord un discours sur la différence des sexes. Le discours sur la femme émerge au XVIIIe siècle, pour montrer qu’elle diffère de l’homme, c’est-à-dire d’une norme. Les textes sur l’hystérie offrent la possibilité d’étudier la construction de l’identité féminine et, respectivement, de l’identité masculine dans leur processus de constante différenciation. Comment s’établissent des aires de compétence propres à ces affirmations’ Comment sont négociées ces catégorisations’ Quand est-ce que la définition devient stigmatisation’ Comment un contexte social et politique motive-t-il ces identifications et réciproquement est-il perçu à travers celles-ci? La description de l’hystérie élabore un imaginaire de la différence sexuelle constamment réactivé. Etudier ces mises en scène contradictoires permet d’analyser combien d’enjeux moraux et politiques participent à l’articulation de la différence sexuelle.

D’autre part, le caractère pathologique de l’hystérie sollicite une problématisation de la simple division binaire des genres. Une grande partie des textes présente l’hystérie des femmes comme le résultat de leur nature féminine, et celle des hommes comme une forme d’anormalité. L’hystérie est articulée tantôt comme le résultat de la différence des sexes tantôt comme la marque symptomatique d’une distinction entre sexe et genre. Le rapport entre sexe et genre semble ainsi avoir été problématique dès sa formation conceptuelle. La distribution des rôles de l’homme et de la femme apparaît à la merci de l’économie de leur sensibilité. A travers ce réseau de textes, et leurs visions multiples du sujet pathologique, surgissent des formes singularisées d’identité du sujet. Il s’agirait alors de montrer comment des pratiques normatives sont à la source de nouvelles formes de perception et de création, à même de les déplacer à leur tour.

Sabine Arnaud

(1) Cette question constitue l’un des volets d’une recherche menée sur la construction et la circulation de la catégorie d’hystérie au sein d’une thèse de doctorat en histoire et civilisations à l’EHESS et d’un Ph.D. en littérature comparée au CUNY Graduate Center. Je voudrais remercier la SIEFAR pour l’attribution d’une bourse qui m’a permis de financer un séjour de recherche à la Bibliotheque de l’Ecole de Medecine de Montpellier.