Isabelle TREMBLAY
Thèse en Philosophie – Dir. Pierre Berthiaume, co-dir. Lucie Joubert, Université d’Ottawa, le 26 septembre 2008
En représentant le parcours de la destinée féminine, avec tous les détours, les obstacles et les enjeux qu’il peut comporter, les romancières des Lumières s’interrogent sur les conditions de réalisation du bonheur au féminin. Le genre romanesque, qui est le lieu de l’émergence d’une réflexion nouvelle sur la condition féminine, constitue pour les femmes auteurs un moyen privilégié pour afficher leurs positions sur la question du bonheur et sur les moyens d’accéder à celui-ci. Si les réseaux de signification à l’œuvre dans les romans à l’étude révèlent des stratégies en rupture avec les diktats propres à la morale chrétienne – le renoncement et le sacrifice –, c’est que la quête du bonheur est étroitement liée à une conception de l’identité féminine qui cesse d’être définie uniquement par les règles et les codes de la société patriarcale. Le souci de faire reconnaître à leurs personnages féminins une valeur propre, c’est-à-dire non limitée à la capacité reproductrice des femmes, s’inscrit dans une revendication en faveur de «l’accomplissement de son moi[1]» intrinsèque au bonheur. Une étude sociologique du personnel romanesque féminin montre que trois paradigmes ordonnent la représentation du bonheur: les institutions de l’époque – telles que le mariage, la famille et l’éducation – qui conditionnent la trajectoire des héroïnes ; la réflexion préromantique qui place l’estime de soi au-dessus des principes émis par l’ordre moral chrétien et social; la sensibilité ouvre sur un espace de conciliation où l’amour et l’amitié créent une forme d’indépendance sentimentale qui évacue le rapport de force inhérent à la passion, telle qu’elle s’élabore au XVIIIe siècle. Riche de stratégies «libératrices», la production romanesque féminine des Lumières pousse les limites du bonheur au-delà de l’horizon esquissé par les romanciers.