Conclusions à l’article «L’art de la feinte à la Renaissance»
Si, conformément à l’épistémè, les mêmes principes existent chez Labé et Magny, leur mise en application, en revanche, diverge assez radicalement:
– la subtile progression par symétrie d’une formule de sonnet à l’autre, mise au jour chez Labé, fait défaut chez Magny dont l’écriture est plus homogène, par cycles ou ensembles, mais ne relève pas d’une organisation aussi miniutieuse;
– variantes de rimes très nombreuses et complexes, contre-propagation et chaînons, typiques de Magny, sont bien moins représentés chez Labé.
Au terme de cette brève enquêt, il apparaît que Labé et Magny sont suffisamment différents dans leurs conceptions respectives de la rime pour qu’on ne les réduise pas à une seule et même personne. Ce constat laisse cependant toujours ouverte la possibilité que Labé ne soit qu’un prête-nom – mais un prête-nom cachant un auteur unique: l’autre hypothèse (1) selon laquelle les Sonnets, en raison de leur «hétérogénéité» thématique et épigrammatique, impliqueraient une rédaction collective (Magny et d’autres) ne tient pas compte de leurs caractéristiques homogènes (2) (agencement minutieux par le principe de progression, profonde unité rimique dans l’utilisation des formes de correspondances…), dont on voit mal comment elles pourraient relever d’un collage de pièces de différents auteur (3).
(1) Mireille Huchon, p. 238
(2) Argument stylistique avancé par tous ceux qui réfutent la thèse de Huchon – cf. la caractérisation des sonnets par M. Lazard: «la netteté, la fermeté, la limpidité et l’élan d’un seul jet qui porte (les sonnets)» (M. Lazard, «Droit de réponse», inédit 2006, site de la SIEFAR. C’est moi qui souligne).
(3) Comme le dit F. Charpentier (citée par Edouard Launet, «Louise Labé, femme trompeuse», in Libération du 16 juin 2006, site de la SIEFAR): on a «du mal à croire que (cet ensemble cohérent, avec des particularités de style et de pensée que l’on retrouve d’un texte à l’autre) soit le fruit d’un travail à plusieurs mains».
Philippe Selosse (Seizième siècle, 2007, 3, p. 169)