Renée-Françoise Le Vacher
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Renée-Françoise Le Vacher | ||
Titre(s) | Damoiselle Françoise-Renée Le Vacher; Madame de Bouillé | |
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Conjoint(s) | René Marie Prosper de Collasseau, chevalier, seigneur de Bouillé | |
Dénomination(s) | Madame de Bouillé | |
Biographie | ||
Date de naissance | 3 octobre 1687 | |
Date de décès | 4 mai 1763 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) |
Sommaire
Notice de Nicole Pellegrin, 2019
Née à Poitiers, paroisse de Saint-Savin, en 1687, Renée-Françoise Le Vacher est la fille d’un conseiller du roi, juge au présidial de Poitiers et maire de cette ville, « messire René Le Vacher, écuyer, seigneur de La Brunetière » (Bruneterie) et de « dame Renée Charet », tous deux capables de signer comme, plus tard, leur fille. Elle épouse en 1704 à Scorbé-Clairvaux, avec dispense de deux bans, René-Marie Prosper de Collasseau, de noblesse plus ancienne, seigneur de Bouillé-Loretz et possessionné près de Saint-Laurent-sur-Sèvre (actuel département de Vendée) dont elle aurait eu au moins deux filles en 1709 et 1712. Avant de devenir veuve, semble-t-il en 1717, elle tombe malade en 1713 et reçoit alors la visite du père Grignion de Montfort qui prie pour elle et assure sa famille de sa guérison prochaine. Remise, elle protège dès lors les membres de la « famille » montfortaine (les pères missionnaires, comme les Filles de la Sagesse) et elle semble avoir eu un rôle décisif dans l’installation de celles-ci à Saint-Laurent-sur-Sèvre en 1720 par l’achat « d’une maison dans le bourg […] auprès des cendres de leur saint Instituteur », aux dires de la sœur Florence*. Cette religieuse, chroniqueuse des premiers développements de son ordre, a fréquenté régulièrement « madame de Bouillé » (sa dénomination usuelle) et a rencontré des témoins de son activisme « turbulent » et parfois impérieux. Comme d’autres chroniqueurs, elle souligne en effet son zèle quelque peu intrusif dans les domaines temporel et spirituel et les limites de sa générosité. Ces traits sont cependant contredits par la notice nécrologique rédigée à sa mort comme Fille de Notre Dame : on y met en avant son humilité, peut-être acquise sur le tard.
Encore laïque, cette femme, puissante et riche, se mêle d’apostolat sur ses terres du Poitou comme au-delà des mers : elle rêve en vain d’établir des Filles de la Sagesse à Québec en 1734, mais sait travailler avec succès à leur établissement dans les îles d’Aix et d’Oléron et dans le faubourg déshérité de Montbernage à Poitiers. Pour cela, elle ne cesse de solliciter, en personne ou par voie épistolaire, prélats, membres du clergé et supérieures de la Sagesse. Cependant c’est sous l’habit – socialement plus respecté ? – de Fille de Notre-Dame que cette femme suractive finit ses jours à Poitiers, sa ville natale, le 4 mai 1763. Longtemps pensionnaire de ce couvent d’enseignantes cloîtrées où sa sœur fut religieuse et où elle aurait peut-être été elle-même éduquée, elle y prend tardivement le voile à 72 ans le 15 mars 1759 et, devenue professe deux ans plus tard le 20 mai 1761, elle y meurt deux ans plus tard âgée de 76 ans.
Les modalités d’action précises et les motivations profondes de cette « fondatrice » mal aimée, sa double allégeance aux idéaux d’une communauté nouvelle d’apostoliques et à ceux d’un ordre d’enseignantes cloîtrées contemplatif, restent jusqu’ici inconnues. Elles mériteraient, tout comme la spécificité de sa spiritualité, d’être mises en lumière, lors même que le XVIIIe siècle n’a guère été étudié du point de vue du militantisme religieux des femmes fortunées. Vivant dans « le Monde », elles ont permis jusqu’après avant la Révolution le développement des ordres religieux féminins. Au sein de la Sagesse (« un cas de vitalité décalée » selon Louis Pérouas), Renée Le Vacher apparaît donc comme une figure caractéristique, bien que tardive, de ces « Dévotes » étudiées par Sarah Rapley et Marcel Bernos, femmes qui ont permis, par leur foi ardente, leur entregent et leurs mises de fonds, la création, le maintien et parfois la survie des établissements religieux voués à la christianisation des femmes et des pauvres.
Principales sources
- [abbé Allaire], Abrégé de la Vie et des vertus de la sœur Marie-Louise de Jésus Supérieure des Filles de la Sagesse, Poitiers, Jean-Félix Faulcon, 1768, ill.
- Charles Besnard, La vie de la sœur Marie-Louise de Jésus, première supérieure des filles de la Sagesse (1750), éd. Marcel Gendrot, Rome, Centre international montfortain, 1985.
- Sœur Florence, « Chronique, 1750-1761 », in Chroniques primitives de Saint-Laurent-sur-Sèvre, éd. Marcel Gendrot, Rome, Centre international Montfortain, 1967, p. 1-145.
Choix bibliographique
- Marcel Bernos, Femmes et gens d’Église dans la France classique, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Le Cerf, 2003.
- Jeanne-Françoise Dervaux, Folie ou sagesse ? Marie-Louise Trichet et les premières filles de M. de Montfort, Paris, Alsatia, 1950, ill.
- René Laurentin, Petite vie de Marie-Louise Trichet, cofondatrice des Filles de la Sagesse, Paris, Desclée de Brouwer, 1993.
- Louis Pérouas, Le diocèse de La Rochelle de 1648 à 1724. Sociologie et pastorale, Paris, S. E. V. P. E. N., 1964.
- Sarah Rapley, The Dévotes. Women and Church in Seventeenth-Century France, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1990.
Jugements
- « Madame de Bouillé était malade chez Mr. Son père. […] En entrant dans la maison, il [Grignion de Montfort] se mit à genoux et se prosterna, à son ordinaire, devant un crucifix qu’il portait partout ; et, après l’avoir adoré, il s’approcha du lit de la malade qui était à l’extrémité et en délire. Après l’avoir regardée, à loisir, d’un air riant et tranquille, il se mit à genoux, au pied de son lit, où il demeura quelque temps en oraison. Alors la malade ouvrit les yeux et le vit, pour la première et la dernière fois, prier pour elle. Ses prières ne furent pas vaines, non plus que la prédiction qu’il fit à Mr. son père, à qui il dit, en sortant : « Ne vous affligez point, Monsieur, Madame votre fille ne mourra pas ». L’effet suivit ; la dame revint en santé, en peu de temps. Et la mort de Mr. son époux […] la laissa en liberté de se donner pleinement à Dieu et de ne mettre aucune borne à sa perfection : c’est tout ce qu’on peut dire d’une personne vivante » (Jean-Baptiste Blain chanoine, Abrégé de la vie de Louis-Marie Grignion de Montfort (vers 1724), éd. L. Pérouas, Rome, Centre international montfortain, 1973, p. 197-198.
- « Mme de Bouillé joignait à un degré de vertu peu commun dans les personnes de son rang, un courage à ne [se] rebuter d’aucunes difficultés et c’était la personne qu’il fallait alors pour lever tous les obstacles qui semblaient naître, à chaque instant, contre l’érection du nouvel institut. Elle part et se rend à Poitiers, où elle était connue et où elle avait des rapports avec tout ce qu’il y avait de plus considérable dans la ville. […] Mme de Bouillé qui avait reçu à St-Laurent la Sr M. de Jésus [Marie-Louise Trichet] et ses compagnes avec toutes les marques de la plus tendre amitié, était témoin de l’état d’indigence où elles étaient ; mais elle ne pouvait faire davantage ayant des enfants à entretenir et à élever […]. Elle demeura dans la maison achetée pour les filles de la Sagesse, elle s’y regardait comme maîtresse et supérieure. J’ai déjà dit qu’elle était d’un zèle le plus ardent et le plus étendu. Elle eût voulu donner tout aux pauvres, et se donner elle-même. Le zèle de la Sr M. de Jésus était aussi ardent, mais il était mieux réglé […]. Quand elle [Mme de Bouillé] envoyait quelque chose aux filles de la Sagesse, deux de ses filles, qu’elle y emmenait avec elle, ne laissaient pas que d’épuiser en peu de temps ce qu’elle avait apporté à la communauté [dont un « pauvre ameublement » difficile « à remmancher »], […]. Si, d’un côté, elle était un modèle de religion et de zèle aus filles de la Sagesse, elle ne l’était pas de la régularité et de l’ordre qu’il convenait d’introduire dans les commencements et de garder dans une semblable maison. Son trop grand zèle et son activité trop bouillante dérangeaient l’économie d’un sage et prudent gouvernement. Son goût était d’embrasser sans discernement toutes les bonnes œuvres qui se présentaient ; elle voulait loger des pauvres dans la maison et elle en fit venir effectivement trois ; elle voulait que les filles de la Sagesse prissent de l’ouvrage au-dehors, comme lingères et couturières, pour gagner de quoi vivre, ce qui était opposé à leur état. C’était elle qui se mêlait de tout le temporel et comme la bonne et prudente administration des biens temporels ne fut jamais une des qualités de Mme de Bouillé, elle y réussissait fort mal ; elle allait en faire ses plaintes […]. Comme Mme de Bouillé mangeait avec ses filles à une table séparée de celle des sœurs, qui étaient comme ses servantes, elles avaient beaucoup à souffrir. La Sr du Calvaire, fille de condition elle-même, et qui était d’une humilité profonde, servait comme femme de chambre à ces demoiselles. […]. Elle voulait introduire des pratiques de dévotion que M. de Montfort n’avait jamais insinuées à la Sr Marie de Jésus. […]. C’était là l’état [de grande indigence] où était la maison des filles de la sagesse quand Mme de Bouillé s’en retira, n’y laissant que six francs pour toute rente et pour tout revenu » (Charles Besnard, La vie de la sœur Marie-Louise de Jésus, première supérieure des filles de la Sagesse (1750), éd. par Marcel Gendrot, Rome, Centre international montfortain, 1985, p. 106-107, 119, 125, 131, 147, 153).
- « […] dans les communautés, même les plus ferventes et les plus saintes, il y a des esprits qui ne semblent faits que pour exercer les autres, de ce nombre était Madame de Bouillé. Je dirai ici, en passant, qu’après Dieu, c’est à elle et à monsieur le marquis de Magnanne [autre bienfaiteur] que ces deux maisons [les Montfortains et les Filles de la Sagesse] doivent leur existence. On n’ignore pas quel a toujours été son zèle pour leur soutien et leur accroissement. On sait jusqu’à quel point elle a poussé la vertu. Néanmoins son zèle turbulent et impétueux ne s’accordait pas avec la modération et la prudence du Frère Joseau [l’homme de confiance des religieuses], et il lui est arrivé plus d’une fois d’exercer sa patience, sans pourtant la pousser à bout, et s’il y a quelquefois parlé de sa peine à son sujet, c’est moins pour s’en plaindre que pour demander des avis sur la manière dont il devait se comporter à son égard » (Sœur Florence, « Chronique, 1750-1761 », in Chroniques primitives de Saint-Laurent-sur-Sèvre, éd. M. Gendrot, Rome, Centre international Montfortain, 1967, p. 108).