Marie de la Troche de Savonnières
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Marie de la Troche de Savonnières | ||
Dénomination(s) | Soeur Marie de Saint-Bernard, puis de Saint-Joseph Marie-Joseph ou la "sainte fille" (pour les Amérindiens de Québec) | |
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Biographie | ||
Date de naissance | 7 septembre 1616 | |
Date de décès | 4 avril 1652 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) |
Sommaire
Notice de Nicole Pellegrin, 2020
Marie de La Troche est née en 1616 dans une famille angevine, noble et catholique. Le père, Simon de Savonnières, seigneur de La Troche et de Saint-Germain, s’est battu dans les armées d’Henri IV et Louis XIII et deux de ses parentes (une sœur et une tante) sont fontevristes. Il se marie avant 1610 avec Jeanne Raoul, fille d’un conseiller au parlement de Bretagne et parente du premier évêque de La Rochelle. Leur foyer compte cinq enfants : un fils qui épouse, en 1641, Marie Goddes de Varennes, une des amies intimes de madame de Sévigné («la Trochanire») et quatre filles, dont les trois aînées se font religieuses. La première (1612-1678) entre au Calvaire d’Angers où elle est remarquée par le père Joseph. Les deux autres deviennent ursulines à Tours : Renée (1620-1688) vers 1635, précédée dans cet ordre contemplatif voué à l’instruction des filles par Marie.
Celle-ci, d’abord « enseignée » par sa mère, est mise en pension à 9 ans dans ce couvent. Elle y tombe malade, mais y fait vite retour comme postulante, puis novice, en dépit de son très jeune âge : elle a 12 ou 13 ans quand elle prend le voile, malgré les réticences de ses parents, et elle est âgée d’à peine 16 ans lorsqu’elle prononce ses vœux sous le nom de sœur Marie de Saint-Bernard. Bouleversée par le passage à Tours en 1637 de la mère Jeanne des Anges, prieure ursuline de Loudun dont la chemise a été miraculeusement ointe par « saint Joseph », la jeune religieuse déclare celui-ci « son père et son protecteur spécial ». Elle change d’ailleurs son nom de religion en celui de Marie de Saint-Joseph quand, suite à un vœu, elle obtient de partir pour le Canada, ce Canaan des terres froides.
Lectrice de «la vie de François-Xavier» et des «relations de ce qui se passait dans la Nouvelle-France» que rédigent annuellement des missionnaires jésuites, elle rêve –au propre et au figuré– de se «sacrifier pour le salut des filles sauvages», à l’instar de sa consœur tourangelle et future biographe, Marie Guyart dite de l’Incarnation. Elle embarque finalement avec celle-ci et deux religieuses hospitalières, pour un voyage océanique périlleux de trois mois vers la ville de Québec. Dès le lendemain de leur arrivée le premier août 1639, elle se met à apprendre les langues huronne et algonquine pour mieux instruire religieusement des habitants qui sont alors, autochtones comme Français, sans cesse menacés par les Iroquois et les difficultés issues d’une colonisation de type théocratique. L’inconfort relatif d’une vie de pionnière menée en clôture est redoublé par des épreuves intérieures nombreuses, nourries de visions extatiques et de souffrances corporelles ardemment désirées et soigneusement consignées. Les unes et les autres sont exacerbées par la maladie qui fait mourir la moniale, âgée de 36 ans, le 4 avril 1652. Son inhumation, précédée et suivie de faits jugés miraculeux, est d’une « solennité tout extraordinaire » et, quand son corps, devenu une onctueuse « pâte blanche », est transféré dans un nouveau cimetière en 1662, il répand une «odeur de bénédiction».
L’autobiographie spirituelle – rédigée par l’Ursuline sur ordre de ses supérieurs – a disparu lors de l’incendie de 1650 qui détruisit entièrement son monastère. De sa trajectoire, quelques témoins d’exception (dont Marie de l’Incarnation et un père jésuite, un temps son directeur de conscience à Québec, Paul Le Jeune) ont cependant su narrer, post mortem et sur un mode édifiant, les aspects les plus saillants : vertus natives, milieu familial aimant, élans mystiques, attachement – parfois conflictuel – à une supérieure dont elle fut la « fille » et « l’assistante » pendant plus de vingt ans avant d’en devenir finalement la patiente dans l’infirmerie du couvent nouvellement réédifié. Dans sa longue lettre nécrologique, d’ailleurs plus proche du mémoire que du panégyrique mortuaire, Marie de l’Incarnation a surtout souligné des qualités communes à toutes les « bonnes religieuses » françaises de ce temps (respect de la Règle, don d’oraison, amour de la douleur, humilité, pauvreté, mépris du monde, belle humeur, obéissance, pureté, modestie, patience), tout en restituant - sur un mode mineur - et le contexte héroïque d’une vocation transocéanique hors normes, et la ténacité qui l’a rendue possible.
Redécouverte lors de la réédition des très riches correspondances qui ont promu, dès le XVIIe siècle, le versant féminin et religieux de la conquête française du Canada, Marie de La Troche fait désormais partie des héroïnes les plus célèbres des débuts de «la Belle Province».
Oeuvres
- une autobiographie spirituelle disparue
- des lettres, elles aussi perdues, mentionnées ici ou là en 1677 par dom Claude Martin, le fils de Marie de l’Incarnation dans la biographie de sa mère
Principales sources
- Marie de l'Incarnation (Marie Guyart), « Lettres » [récit de la vie et des vertus de la Mère Marie de Saint-Joseph, née La Troche de Saint-Germain, 1652], in Écrits spirituels et historiques, publiés par dom Claude Martin, éd. Albert Jamet, Paris, Desclée-de-Brouwer et Québec, Action Sociale, 1939, t. IV, p. 343-417.
- Le Jeune, Paul (Père), « De la vie et de la mort de la Mère Marie de Saint-Joseph, décédée au séminaire des Ursulines de Québec », in Relations de Nouvelle France, t. , chapitre X, p. (1652).
- [Martin, Claude, dom], La Vie de la vénérable Mère Marie de l’Incarnation première supérieure des Ursulines de la Nouvelle France. Tirée de ses Lettres & de ses Ecrits, Paris, Louis Billaine, 1677.
Choix bibliographique
- Cheyrou, Christine, Les Ursulines de Québec. Espaces et mémoires, Montréal, Fides, 2015, ill.
- Deslandres, Dominique, Croire et faire croire. Les missions françaises au XVIIe siècle (1600-1650), Paris, Fayard, 2003.
- Grégoire, Vincent, « La mainmise des jésuites sur la Nouvelle-France de 1632 à 1658 : l’établissement d’un régime théocratique ? », SE 17. Portail du 17e siècle/ Portal for 17th century studies [1]
- Ouellet, Réal (dir.), Rhétorique et conquête missionnaire : le jésuite Paul Lejeune, Québec, septentrion, 1993.
- Oury, Guy (dom), Marie de l’Incarnation (1599-1672), Québec et Sablé-sur-Sarthe, Presses de l’Université Laval et Abbaye de Solesmes, 1973, 2 vol.
Choix iconographique
- XVIIe s.: un portrait présumé (huile sur toile anonyme, copie de la fin du XVIIe d’un original perdu ; Québec, musée des Ursulines) (Reproduit dans Marie de l’Incarnation, Écrits spirituels et historiques, voir supra Principales sources, t. IV, face p. 1 et dans Cheyrou, Christine, voir supra, Choix bibliographique, p. 33).
Jugements
- 1642, Marie de l’Incarnation, supérieure des Ursulines de Québec : « Deux Hurons, aiant demeuré en ces quartiers pour se faire instruire et baptiser, étoient souvent chez nous pour être enseignez et pour entendre les bons discours, tant de notre néophite (Thérèse, une Huronne) que de la Mère Marie de Saint-Joseph qui sçait la langue Huronne » (Lettre de Marie de l’Incarnation, citée par Dominique Deslandres, « Femmes missionnaires en Nouvelle-France. Les débuts des ursulines et des hospitalières à Québec », in Jean Delumeau (dir.), La religion de ma mère. Les femmes et la transmission de la foi, Paris, Cerf, 1992, p. 209-224., p. 222).
- Vers 1645, une compagne ursuline, la mère Anne de Ste-Claire : « La Mère de St-Joseph est de fort bonne humeur. Au temps de la récréation, elle nous fait souvent pleurer à force de rire ; il serait bien difficile d’engendrer la mélancolie avec elle ; c’est une fille qui a beaucoup de belles parties. » (Marie de l’Incarnation, Écrits, voir supra Principales sources, p. 383 n. 144).
- 1652 : « […] Voilà, mes Révérendes Mères, […] ce que je vous dis pour vous consoler ne m’est pas un petit sujet de honte et de confusion, quand je pense que l’ayant notablement devancée en âge, elle m’a infiniment surpassée en vertus et en mérites. Je vous supplie de prier Notre-Seigneur qu’il me fasse la grâce que, comme elle a été ma compagne dans mes petits travaux, je mérite d’être la sienne dans le repos de sa gloire et de son bonheur. De Québec, le … 1652 » (Marie de l’Incarnation, Écrits, voir supra Principales sources, p. 413).
- 1653, le père Le Jeune, son confesseur jésuite : « Le Saint-Esprit la prévint dès sa plus tendre enfance de mille grâces et de mille bénédictions qu’elle attribuait toutes à la sainte Vierge, disant que Madame sa mère l’avait dédiée et consacrée à cette reine des vierges dès le moment de sa naissance, et que c’était pour ce sujet qu’elle lui fit donner le beau nom de Marie, qui lui était si agréable que jamais elle ne s’était ouï appeler de ce nom qu’elle n’en est ressenti de la douceur. […] [ Petite fille, « touchée à nu » par hasard ou autrement », par un homme de qualité], je dirais volontiers que c’est là le plus grand péché qu’elle ait jamais commis contre la pureté. M’ayant rendu en la Nouvelle-France un compte fort exact de toutes les actions de sa vie, […] elle [en] pleurait encore à chaudes larmes, non pas qu’elle crût y avoir commis aucune offense, mais par une sainte jalousie pour la pureté, se plaignant avec douleur de ce qu’étant si particulièrement dédiée et attachée à la sainte Vierge, elle eût fait ce misérable rencontre injurieux à sa pureté. […] J’étais ravie d’étonnement, [me] dit la Mère de l’Incarnation, de voir en une fille de quatorze ans non seulement la maturité de celles qui en ont plus de vingt-cinq, mais encore la vertu d’une religieuse déjà bien avancée. […] La Mère de St-Joseph avait l’esprit vif et net et beaucoup éclairé. Sa conversation était aimable, son industrie à gagner le cœur de ceux qui tenaient le timon était ravissante. » (le père Le Jeune, extraits de « De la vie et de la mort de la Mère Marie de Saint-Joseph, décédée au séminaire des Ursulines de Québec », in Marie de l’Incarnation, Écrits, voir supra Principales sources, p. 348 n. 7 et 8, 369 n. 79).
- 1677, dom Claude Martin, mauriste et biographe de sa mère, Marie Guyart de l’Incarnation : « Mais, celle à qui la Mere de l’Incarnation s’est le plus communiquée, & qui a le plus participé à son esprit est la Mere Marie de saint Bernard, autrement de saint Joseph, qui a été la fidèle compagne de ses travaux, & qui ne s’est séparée d’elle qu’à la mort. Elle a donné des marques de sa prédestination presque dès le berceau […]. Cette Jeune religieuse, qui pourtant n’avoit rien de la jeunesse, que le défaut des années brûloit de zele dans son silence ne se pouvant imaginer qu’une chose si extraordinaire lui pût jamais arriver. […]. Or depuis cette vision, elle ressentit toûjours un amour secret pour le salut des ames, & surtout de celles des Sauvages ses libérateurs. […] » ([Dom Claude Martin], La Vie de la vénérable Mère Marie de l’Incarnation, voir supra Principales sources, p. 298, 368-369).
- 2003, l’historienne Dominique Deslandres : « Les hagiographes sont désormais à la recherche de nouvelles Thérèse d’Avila, […] à la fois mystiques et activement impliquées dans le monde réel. […] Aux côtés de Marie de l’Incarnation, nous découvrons une sainte religieuse plus traditionnelle, Marie de Saint-Joseph (1616-1652), dont la destinée correspond exactement au modèle médiéval de sainteté féminine. » (Dominique Deslandres, Croire et faire croire. Les missions françaises au XVIIe siècle (1600-1650), Paris, Fayard, 2003, p. 383).