Marie de Luxembourg (Vers 1470-1546)/Hilarion de Coste

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[II,582] MARIE DE LUXEMBOURG COMTESSE DE VENDOSME et de Marle, Grande ayeule du Roy. L'IMPERIALE Maison de Luxembourg (1), l'une des plus nobles et des plus illustres familles du Christianisme a esté une pepiniere de braves et de genereux Princes, dont le courage et la valeur a esté cogneue par l'univers, et de chastes et de vertueuses Princesses, qui pour leurs perfections et leurs merites ont acquis un renom immortel: entre lesquelles on ne sçauroit assez louer Madame Marie de Luxembourg Comtesse de Vendosme, Trisayeule du Roy Louys le Juste, le plus heureux, le plus vaillant et fortuné Monarque que la pieuse Chrestienté ait couronné de Lys, Prince qui s'est rendu autant recommandable par sa bonté comme par sa valeur.
[583] Cette sage et vertueuse Princesse estoit fille de Pierre de Luxembourg second du nom, Comte de Saint Paul, de Marle, de Soissons, Seigneur d'Enghien, Chevalier de l'Ordre de la Toison, et de Marie de Savoye sa femme, fille de Louys Duc de Savoye, et d'Anne de Chipre, soeur de la Reine Charlote, espouse du Roy Louys XI. et de Marie de Savoye, seconde femme de Louys de Luxembourg Comte de Saint Paul, et belle-mere de Pierre.
Marie de Luxembourg eut pour freres Louys, Claude et Antoine de Luxembourg, qui moururent jeunes, et pour soeur Françoise de Luxembourg, femme de Philippe de Cleves Seigneur de Ravestein, qui deceda sans enfans l'an mil cinq cens: de sorte qu'elle fut heritiere universelle de son pere Pierre Comte de Saint Paul, qui passa de cette vie à l'autre l'an 1462. Marie estant âgée de treize ans. Du depuis estant en âge elle luy fit construire une magnifique sepulture en l'Abbaye de Cercamp sur la frontiere d'Artois pour marque de la pieté filiale de cette vertueuse Princesse, qui épousa en premieres noces Jaques de Savoye son oncle maternel et parain, Comte de Romond Seigneur de Vaux, de Leuze et de Condé, fils de Louis Duc de Savoye. Elle eut de ce Prince de la serenissime Maison de Savoye, (qui acquit pour sa valeur beaucoup d'honneur et de gloire à la journée de Guynegatte) une seule fille, Marie de Savoye, femme de Henry Comte de Nassau et de Vianen qui mourut sans lignée.
Marie de Luxembourg estant veuve de Jaques Comte de Romond, se remaria avec François de Bourbon Comte de Vendosme, Prince de la Royale Maison de France, duquel elle eut six enfans, IV. fils et deux filles, tous Princes et Princesses eminentes en vertus, qui sont bien-heureux dans le Ciel. Les mariages faits par la vertu peuplent d'ordinaire le Paradis de leurs fruits, comme ceux qui se font par amourettes bien souvent ne produisent que des espines qui deviennent allumettes d'Enfer. L'aisné des fils fut Charles de Bourbon premier Duc de Vendosme, Prince qui a rendu de bons services à la Monarchie Françoise, et qui a esté le pere d'Antoine de Bourbon Roy de Navarre, l'ayeul de Hen-[584]ry le Grand Roy de France, le bisayeul du Roy Louys XIII. et le trisayeul du Roy Louys XIV. le second fut un Ange, car en l'âge d'innocence il vola dans le Ciel: le 3. fut Louys Cardinal de bourbon Archevéque de Sens, duquel nous avons écrit l'Eloge (2): le 4. fut François Comte de Saint Paul. Nous avons desja parlé en ce livre des perfections et des merites de sa fille Antoinette de Bourbon Duchesse de Guyse et d'Aumale; l'autre fille fut Louise Abbesse de Font-Evraud.
Marie Comtesse de Vendosme les esleva tous si soigneusement, qu'on ne sçauroit luy donner assez de louanges: car le Comte François son mary estant decedé à Verceil en Piémont l'an 1495. au retour de la glorieuse conqueste du Royaume de Naples (en laquelle il servit si fidelement le Roy Charles VIII. que ce grand Monarque l'aimoit comme son propre frere) elle demeura veuve de ce genereux Prince à l'âge de 24. ans, et quoy qu'elle fust jeune, neantmoins sa prudence, sa douveur, sa modestie, et ses autres vertus la firent tant estimer des Roys Charles VIII. et Louys XII. que non seulement elle eut la garde de ses enfans, mais mesme on la luy donna avec avantage qu'on n'avoit point accoustumé de donner en ce temps là, ny auparavant aux Douairieres.
François de Bourbon son époux en fit tant d'estime, qu'il la nomma par son testament executrice de ses dernieres volontez (3), et l'an expiré le Roy Charles la continua par ses patentes de l'année mil quatre cens quatre vingts seize, avec pouvoir de nommer aux offices Royaux du Duché de Vendosme. Elle a esté l'une des plus sages, des plus devotes, et vertueuses Princesses de son siecle, ayant esté appellée pour sa pieté et sa charité, La mere et la nourrice des pauvres et des gens d'Eglise. Sa chasteté l'a rendue recommandable, non seulement parmy les François, mais aussi parmy les Estrangers, ayant demeuré l'espace de cinquante et un an dans une chaste et sainte viduité, depuis la mort du Comte son mary, jusques à son decez, qui fut le premier jour d'Avril 1646. [sic] en son Chasteau de la Fere en Picardie, aprés avoir receu avec ferveur et avec une pieté vrayement Chrestienne, [585] tous les Sacremens de l'Eglise, ayant vécu, et estant decedée avec opinion de Sainteté: car sa foy estoit vive, son esperance ferme, sa charité ardente, sa devotion solide et sans superstition, laquelle saisit bien souvent les personnes de son âge et de son sexe; son oraison estoit humble et fervente: lors qu'elle prioit son visage témoignoit une grande attention interieure, et il estoit aisé de lire dans ses yeux les affections de son ame. Outre la sainte Messe qu'elle entendoit tous les jours, elle s'employoit le matin et le soir à la priere, sa bouche s'ouvroit, et se fermoit par la louange de Dieu; et comme dans le temple de Hierusalem on allumoit le matin les lampes, et que l'on les esteignoit le soir en jettant une poignée d'encens sur l'Autel des parfums, afin qu'il fumast jour et nuit, ainsi cette Princesse allumant le matin les lampes de ses yeux, et les esteignant le soir, mettoit sur l'autel de son coeur les bonnes pensées, afin qu'en tout temps il envoyast au Ciel les agreables odeurs des saintes affections. Ce furent ces vertus qui la firent aimer universellement de tout le monde, et particulierement de ses domestiques, dont elle procura non seulement l'avancement temporel, mais qui plus est le spirituel, ayant soin du bien de leur ame, donnant ordre à l'instruction des plus rudes, et prenant garde à la façon de vivre de tous: Son Hostel estoit interdit aux vicieux, qui n'y entroient non plus que les chiens dans le Temple d'Hercule, ou les mousches dans celuy de Hierusalem; devenir libertin et déreglé en ses paroles (ce qui n'est maintenant que trop commun et ordinaire) ou en ses actions, estoit poursuivre son congé; rien ne pouvoit retenir à son service, ny les hommes, ny les filles, que la vertu: ceux qui se sont arrestez sur ce cube y sont demeurez de pere en fils; aussi le changement des serviteurs est en une maison (particulierement en celle des Grands) comme en un grand corps est le changement de regime et de viandes qui apportent tousjours quelque alteration, et la volonté d'un maistre ou d'une maistresse n'y doit jamais estre portée que par la necessité et par la force. On peut dire de cette grande Princesse ce que Platon disoit de Charmides, qu'elle avoit une [586] belle et bonne ame dans un beau et bon corps; et qui eust veu la beauté de l'ame eust méprisé celle du corps. Je n'ignore pas que sa taille estoit un peu petite, mais cela n'empéchoit pas qu'elle ne fust tres-belle et tres agreable, d'où vient que la pluspart de tous les Princes de la Maison de Bourbon qui descendent d'elle ont esté petits de corps, mais tres-genereux et tres-magnanimes.
Aprés sa mort son coeur fut porté à l'Abbaye de Cercamp, ou selon les autres dans la grande Eglise de Laon, et son corps à Saint George de Vendosme, où se voit son epitatphe.
En ce lieu gist tres-sage, tres-vertueuse et excellente Princesse Madame MARIE DE LUXEMBOURG, Comtesse de Saint Paul, et de Marle, femme et espouse du Comte de Vendosme François de Bourbon: laquelle trespassa en son Chasteau de la Fere en Picardie le premier jour d'Avril mil cinq cens quarante-six.

(1) Luxembourg d'argent au lyon de gueules à la queue fourchue et retroussée en sautoir, armé et lampassé, et couronné d'or. L'Escu du Duché de Luxembourg est burelé d'argent et d'azur, au lyon de gueulles, brochant sur le tout, à la queue nouée et passée en sautoir, couronné et armé d'or, lampassé d'azur.
(2) En l'Hist. Catholique.
(3) Sainctes Marthes.

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