Marie Jeanne Chastenet de la Brunetière
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Marie Jeanne Chastenet de la Brunetière | ||
Conjoint(s) | Henri Salomon de Monbielle d’Hus, seigneur du Vautour | |
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Dénomination(s) | Madame Chastenet de Monbielle d’Hus | |
Biographie | ||
Date de naissance | 4 mai 1725 | |
Date de décès | 1806 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) |
Sommaire
Notice de Nicole Pellegrin, 2019
Marie Chastenet de la Brunetière est née en Poitou à Thouars (nord des Deux-Sèvres) le 4 mai 1725 de l’union prolifique (elle est septième de 12 enfants) de Jean-Baptiste Chastenet de la Brunetière et de Marie-Gabrielle Girard. Son père, noble mais impécunieux, est trésorier puis président trésorier de France au bureau des finances de Poitiers, enfin sénéchal de la duché-pairie de Thouars. Elle épouse le 1er août 1747 Henri Salomon de Monbielle d’Hus, seigneur du Vautour près de Bressuire ; de vieille noblesse béarnaise désargentée et possessionnée en Bas-Poitou, il meurt le 14 septembre 1789 après avoir servi comme page, puis officier dans le régiment des dragons de Condé. Ils ont une fille unique, Henriette, future marquise de Ferrières, qui évoque longuement sa mère dans ses souvenirs, lui reprochant son inculture, ses emportements et son avarice.
Une source exceptionnelle, le livre de comptes tenu par Madame de Monbielle de 1786 à 1799, permet de nuancer cette opinion et d’imaginer les talents - au moins comptables - de cette industrieuse femme de la noblesse, dont la vie semble avoir tourné autour de la mise en valeur de ses propriétés et de l’accroissement des biens matériels de sa famille. Négligeant souvent sa fille en la confiant à des mains mercenaires (jeune servante, école paroissiale, couvent huppé, maîtres d’agrément), elle oscille à son égard entre idolâtrie et « grande rigueur » (la fouettant elle-même avec des orties). Finalement elle lui arrange un « beau mariage » qui s’avèrera plus heureux que prévu et la dote généreusement. Aussi continue-t-elle, tout au long de sa longue vie et sans apparemment en référer à son mari, à naviguer d’un domaine à l’autre et à tirer le meilleur prix possible de ses vins et de ses bois, et cela pour fournir, entre autres, aux dépenses – qu’elle juge toujours exorbitantes – du ménage Ferrières et de ses petites-filles.
Document hybride de 115 pages écrites, le registre tenu par Marie de Chastenet est couvert d’indications chiffrées (sommes reçues et dues, rémunérations des domestiques, bilans divers) auxquelles s’ajoutent quelques réflexions personnelles à la première personne : « j’ai fait au Coudray », etc. Des feuillets libres sont éparpillés dans ce même registre et fournissent, par exemple, un tableau synoptique des terres, surfaces et tenanciers ; un état de biens en 1799 pour mettre « sa fille au fait de ses affaires après sa mort » (il comporte notamment une liste de tout le linge, neuf et usagé) ; enfin un descriptif précis de la maison du Coudray, qu’elle préfère à toutes ses autres possessions immobilières. L’orthographe semble quasi phonétique et l’écriture (forme comme contenu) tend à devenir de plus en plus irrégulière après 1789. Vue altérée, pertes familiales ou soucis du moment ? La dernière page du registre est désabusée : « Les enfants tâchent toujours d’arracher aux père et mère. On a beau leur avoir donné, l’année d’après, ils ne s’en souviennent plus, à moins qu’on ne continue. Je ne suis plus en état de faire comme autrefois. Mon cœur en souffre, peut-être que le leur en murmure ».
Marie Jeanne Chastenet a eu la chance et la malchance de trouver dans une parentèle faiseuse d’écrits mémoriaux, puis dans deux générations successives d’érudits locaux, les observateurs diversement malveillants de ses activités. Sa dernière historienne a cependant su déceler une remarquable gestionnaire seigneuriale et a pu détruire une réputation malencontreuse forgée par ses propres enfants. Notre regard contemporain est, plus encore, intrigué par « le ravage » (Lacan) qui caractérise souvent les relations d’une mère avec sa fille et dont la correspondance de madame de Sévigné offre peut-être le paradigme. Ces relations familiales, tout comme l’origine des capacités scripturaires et comptables de cette Poitevine peu instruite, restent, quant à elles, à approfondir.
Principales sources
- Poitiers, Arch. dép. de la Vienne, Dépôt 97/12.14: Livre de comptes de Mme Chastenet de Monbielle, 1786-1799.
- Ferrières, Charles-Elie de, Correspondance inédite, Paris, Colin, 1932.
- [Monbielle d’Hus, Henriette, marquise de Ferrières], Mémoires de la marquise de Ferrières née en 1748, recueillis par Henri Frotier de la Messelière et présentés par Hélène Mathurin, Bonnes, Les Gorgones, 1998.
Choix bibliographique
- Carré, Henri, La noblesse en France et l’opinion publique au XVIIIe siècle, Paris, 1920.
- Lessana, Marie-Magdeleine, Entre mère et fille : un ravage, Paris, Fayard, 2000 et Hachette, « Pluriel /Psychanalyse », 2002
- Mathurin, Hélène, « Une noble gestionnaire thouarsaise : Marie-Jeanne Chastenet de Monbielle (1725-1806) », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 5e série, t. IX / 1er trim. 1995, p. 3-23.
- Pellgrin, Nicole, « Châteaux d’Harlowe et de Grandisson, je vous connais comme la maison de mon père. Conventions littéraires et convenances sociales : l’amour conjugal selon les Ferrières en Poitou au XVIIIe siècle », in A.-M. Cocula et M. Combet dir., L’Amour au château, Bordeaux, Ausonius, 2013, pp. 165-180.
Jugements
- « Ma mère n’était pas jolie, mais elle avait de l’esprit, de l’amabilité, annonçant cependant un caractère tranchant […]. Elle s’aperçut bien vite qu’il y avait un grand désordre dans les affaires de son mari. Il […] avait fait des dettes. Ma mère, aussitôt son mariage, voulut rétablir l’ordre, se brouilla avec sa belle-mère […] ; comme elle était fort habile et économe, tout prit une tournure différente. […] Comme l’arrangement de leurs affaires exigeait de fréquents voyages, il fut décidé que je resterais chez mes grands-parents […] Elle avait toujours vécu ans une maison où le grand nombre des enfants exigeait le plus grand ordre, son éducation avait été tout à fait négligée, n’ayant été occupée pendant sa jeunesse qu’à travailler et veiller sur ses frères et sœurs ; elle n’avait donc que beaucoup d’esprit naturel , sans aucun talent ni instruction quelconque […] ma mère avait de l’esprit et aurait été très aimable si elle avait été mieux élevée et que de bonnes lectures eussent formé son goût et son esprit[…] mon père étant très doux et ne la contrariant jamais, elle avait pris l’habitude de céder sans contrainte à ses premiers mouvements […] il fallut parler fortune, dot, et savoir les espérances mutuelles. Voilà l’esprit de ma mère qui fermente […], ma mère voulait être présente à cette visite, qui demandait, selon elle, toute sa pénétration. […]
[Les noces consommées], nous étions charmés de nous revoir. Mais, les premiers jours passés, je me trouvai tant étonnée du ton de ma mère qui, bien loin de me trouver changée en bien, crut que je faisais l’importante et que je ne jasais plus aussi agréablement avec elle, je paraissais trop charmée des marques d’amitié de mon mari, et que je ne lui disais pas tout ce qui se passait entre nous, et surtout mon beau-père. Elle trouvait que je laissais trop mon mari décider de tout, ils avaient souvent des petites disputes ensemble, ce qui me faisait quelque peine. […]. À la fin de septembre [1767], ma mère vint pour mes couches et être marraine. […] Ma mère vint me voir dès qu’elle sut mon accouchement [février 1769]. Elle ne nous avait pas vus depuis plus d’un an et désapprouvait tellement la dépense que nous faisions, malgré qu’elle fut très raisonnable, que souvent les lettres qu’elle nous écrivait étaient très vives et que nous étions moins tendrement ensemble. Elle avait désapprouvé que l’on ait vendu une portion de ma dot et avait aussi appris que nous avions emprunté trois mille livres : tout cela était pour elle un grand sujet de plainte. […] » (Mémoires de la marquise de Ferrières née en 1748, recueillis par Henri Frotier de la Messelière et présentés par Hélène Mathurin, Bonnes, Les Gorgones, 1998, p. 1-3, 9, 15, 17, 40).
- « Au château du Coudray, non loin de Thouars, en Poitou, les de Monbielle d’Hus passaient pour couper un liard en quatre » (Henri Carré, La noblesse en France et l’opinion publique au XVIIIe siècle, Paris, 1920, p. 112).
- « Le langage [du livre de comptes] est celui d’une paysanne poitevine. […] il atteste d’un esprit de synthèse aigu, malgré l’inculture apparente […] ; les pages du livre révèlent le souci permanent de la gestionnaire qui compte et recompte les boisselées et leur rapport » (Hélène Mathurin, « Une noble gestionnaire thouarsaise : Marie-Jeanne Chastenet de Monbielle (1725-1806) », Bulletin de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 5e série, t. IX / 1er trim. 1995, p. 6).