Marie Anne Victoire Gillain/Aloïs Delacoux

De SiefarWikiFr

[38] BOIVIN (née GILLAIN, veuve), sage-femme en chef de l’hospice de la Maternité de Paris, démissionnaire volon-[39]taire, docteur en médecine de l’université de Marbourg; décorée de la médaille d’or du mérite civil de Prusse, membre correspondant de la société royale de médecine de Bordeaux, membre de la société médicale d’émulation, de la société de médecine pratique, de l’Athénée des sciences et arts de Paris, etc. Personne ne mérita mieux que madame Boivin tous les titres honorables attachés à son nom, personne non plus ne s’en prévalut moins qu’elle; aucun ne fut recherché ni demandé; tous, pour ainsi dire, vinrent se grouper à son insu et retirer de son mérite un nouveau relief. Ne point admettre les femmes à concourir pour les postes les plus élevés de la science est un déni de raison, un véritable anachronisme dans un temps de progrès; aussi espérons qu’une idée préventive qui ne se tire que d’une condition physique, laquelle ne peut exclure que la force mécanique, disparaîtra sans retour comme déjà en ont fait justice les esprits supérieurs. Pour nous, la différence d’éducation explique toutes les différences d’intelligence et de capacité.

La théorie et la pratique des accouchemens étaient insuffisantes à l’activité intelligente de madame Boivin; aussi eut-elle bientôt mesuré et déterminé toute l’étendue de son art, et mit-elle moins de temps à en approfondir toutes les questions qu’il n’en faut ordinairement pour en connaître les généralités. En 1812, en débutant dans la carrière qu’elle a déjà illustrée, elle se présente avec le Mémorial des accouchemens, qui successivement a eu trois éditions.

L’accueil honorable fait au premier ouvrage de madame Boivin dut l’encourager et lui donner la juste mesure de son avenir brillant. Ce fut à l’occasion de ce premier ouvrage qu’un illustre professeur, mal jugé trop souvent, donna à la science [40] par sa jeune disciple une marque de la plus éclatante générosité. Nous regrettons seulement de ne pouvoir transcrire le récit que madame Boivin en fait d’une façon si touchante.

Madame Boivin rapporte qu’ayant commencé, pour sa propre instruction, le recueil de figures et de dessins qui devaient accompagner son ouvrage, elle fut surprise un jour dans cette occupation par le célèbre Chaussier qui, ayant examiné son travail, lui représenta combien il pourrait devenir utile aux personnes qui se destinent à l’art des accouchemens. Indépendamment des objections suggérées par la modestie, elle répondit qu’elle serait toujours détournée de la pensée de publier ces dessins, par le motif qui avait empêché Baudelocque d’ajouter à son ouvrage ce moyen d’utilité, savoir, la crainte d’en élever le prix au point de le mettre hors de la portée des personnes auxquelles il était le plus nécessaire. Confiez-moi, dit Chaussier, ces dessins, je les examinerai à loisir. Madame Boivin lui remit son recueil, et une année après elle reçut les gravures avec la quittance du graveur, et l’invitation pressante de publier ce fruit de ses loisirs. Ce trait peint le coeur d’un homme dont nous honorons la mémoire, et dont les formes étaient si âpres pour ceux qui ne le connaissaient point. En 1819, madame Boivin publia un Mémoire sur les hémorrhagies pendant la grossesse; un Mémoire sur les maladies tuberculeuses des femmes, des enfans et des premiers produits de la conception. En 1827, elle fit paraître un travail du plus grand intérêt sur le part hydatique, ou môle vésiculaire. En 1828, deux autres Mémoires, l’un sur les causes les plus communes de l’avortement, l’autre sur le mensurateur interne du bassin. En 1829, une dissertation sur les cas d’absorption du placenta. Tous ces ouvrages, tra-[41]duits en allemand, n’ont point pour objet l’exposition de faits bien circonstanciés, mais tous dénotent autant de sagacité pour le diagnostic que de connaissances solides et positives en physiologie. Dans divers journaux, madame Boivin a fait paraître trop rarement, il est vrai, des articles du plus haut intérêt. Sous son nom de famille, plusieurs ont été remarqués dans la Gazette de Santé, autant par la pureté de la diction, l’élégance du style, que par l’intérêt du sujet. Le Journal des sciences médicales, le Journal hebdomadaire, le Bulletin de la Société de médecine pratique, ont été souvent enrichis de mémoires et observations fournis par madame Boivin.

Il était réservé à madame Boivin de remplir une lacune dans la science et d’offrir aux praticiens un guide sûr dans l’étude d’un ordre de maladies dont le diagnostic avait été si mal établi jusqu’à ce jour. En associant ses lumières à celles d’un jeune professeur M. Dugès, elle ne pouvait doter plus richement la littérature médicale en lui donnant le Traité des maladies de l’utérus et de ses annexes, deux vol. in-8, 1833, avec un atlas de 41 planches gravées et coloriées. Cet ouvrage tout monumental ne peut rester inaperçu par tous ceux que dominent l’amour de l’art et le désir de s’instruire. Deux auteurs aussi expérimentés et éclairés que madame Boivin et M. Dugès ne pouvaient mieux faire que d’associer leurs noms à un travail d’un si grand intérêt. Quand deux autorités en médecine sont d’accord sur un point pathologique, la conclusion préventive à en tirer est qu’après eux il ne reste plus rien à éclaircir.

Familière avec les principales langues étrangères, madame Boivin a enrichi notre littérature de plusieurs traductions. [42] Nous lui en devons une de l’anglais, du Traité des hémorrhagies utérines de Rigby et Duneau, avec des annotations; laquelle traduction donnée en 1812, a été mise en langue russe; en 1825 elle a fait paraître une autre traduction de l’anglais de l’ouvrage de Baron, intitulé: Recherches sur le développement naturel et artificiel, des tubercules, du scrophule, et du cancer. Plusieurs autres Mémoires ont été traduits de l’italien par madame Boivin, notamment deux de F. Ferrario, l’un sur l’accouchement artificiel, l’autre sur des cas d’opération césariennne [sic]; tous les deux ont été insérés dans le Journal des sciences médicales, nos 137 et 141.

Si nous nous étions imposé la tâche de signaler tous les genres de mérite de madame Boivin, il faudrait agrandir de beaucoup le cadre que nous nous sommes tracé. Les travaux aussi importans que ceux auxquels son nom est attaché lui ont fait une réputation européenne. C’est à ces mêmes travaux, mieux appréciés peut être [sic] encore en pays étranger que dans le sien propre, qu’elle doit les titres honorables qui lui ont été décernés par l’université de Marbourg et celle de Berlin. Le premier de ses ouvrages est devenu classique dans une partie de l’Allemagne et a été adopté pour l’instruction des élèves sages-femmes de l’école de la Maternité à Berlin. Ce sont les connaissances variées que possède madame Boivin, soit dans les sciences, soit dans les langues anciennes ou vivantes qui lui ont mérité la haute considération de tous les savans, et d’être recherchée par les corps illustres des villes du nord. C’est son mérite scientifique qui lui valut d’être surnommée l’Agnodice française, nom que lui a légué l’illustre Wittembach, professeur de littérature grecque à [43] l’université de Leyde. C’est uniquement par le désir de voir, de connaître l’Agnodice française, que la veuve du savant helléniste, dont nous aurons occasion de parler, fit le voyage de Paris; c’est d’après ce rapprochement qu’il s’établit entre ces deux femmes célèbres la correspondance la plus aimable et la plus intéressante, rapports que le destin a trop tôt interrompus en appelant à l’éternité madame Wittembach. (Voy. ce nom.)

Il faut toute la modestie dont est douée madame Boivin pour n’avoir jamais tiré vanité des hommages laudatifs que lui doivent et que s’empressent de lui adresser toutes les personnes qui sont assez heureuses pour cultiver sa société. Qu’elle nous pardonne d’avoir voulu faire partager au lecteur l’enthousiasme dont nous sommes pénétré à l’idée d’un assemblage aussi parfait de connaissances et de qualités morales; qu’elle nous pardonne enfin de n’avoir réservé ici à son nom qu’une si petite place, mais il en occupe déjà une trop belle dans nos Annales médicales pour qu’elle doive se montrer jalouse de notre faible encens.

Outils personnels