Marie-Madeleine Crépé/Henri Lyonnet
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[94] Mademoiselle Théodore, ballerine elle aussi, appartenait à une toute autre catégorie de danseuses. Elle est la «danseuse philosophe», celle qui correspond avec Jean-Jacques Rousseau. De son nom de famille Crepé, Mademoiselle Théodore ne songeait guère à entrer à l'Opéra, et il fallut les instances réitérées de son maître de danse, Lany, pour qu'elle dansât toujours à contre-coeur. Son début offi-[95]ciel eut lieu le 26 décembre 1777 dans le ballet Mytril et Licoris.
Le Journal de Paris et le Mercure louèrent son noble maintien et sa grâce aisée. Elle avait été reçue comme cinquième en remplacement aux appointements de 1.500 livres par an. Elle passa à 2.000 livres en 1779, mais n'obtint jamais davantage. C'était, a dit l' Espion des principaux théâtres, «une sorte de philosophe en chaussons de satin, une libre penseuse en jupons courts». Adolphe Jullien qui, dans l' Opéra secret au XVIIIe siècle, lui a consacré une vingtaine de pages, nous a laissé le récit d'une altercation violente qui s'éleva un jour entre elle et Mademoiselle Beaumesnil, et se termina par un duel au pistolet à la porte Maillot. Rey, le maître de danse, qui avait en vain cherché à arranger l'affaire, déposa comme par mégarde les pistolets sur l'herbe mouillée, et les pistolets firent long feu. Les deux adversaires s'embrassèrent.
Puis, Mademoiselle Théodore s'éprit du beau Dauberval, le danseur à la mode qui avait vécu quelque temps avec la Guimard. Après l'incendie de l'Opéra en 1781, on la vit à Bruxelles, puis à Londres, mais comme elle avait eu l'audace en cette dernière ville de critiquer l'Opéra de Paris, elle se vit arrêtée au Château de Poinchy, chez Dauberval, et incarcérée à la prison de La Force où elle resta quatre jours. Rendue à la liberté elle épousa Dauberval qui prit sa retraite en 1783, et tous deux s'en furent à Bordeaux, lui comme maître de ballets, elle comme première danseuse. Le Journal de Paris qui ne [96] l'avait pas oubliée publiait, le 24 octobre 1786, les vers suivants:
A Madame Théodore Dauberval
Que tu possèdes bien l'art d'attirer les coeurs,
Notre âme est dans nos yeux quand nous suivons tes traces;
Horace te voyait quand il peignait les Grâces
Dénouant leur ceinture et dansant sur les fleurs,
Charmante Dauberval. Orne longtemps la scène!
Enchaîne un peuple gai dont tu fais les beaux jours.
J'accuse le destin qui loin de toi m'entraîne,
Il faut ne te pas voir ou bien te voir toujours.
Par Monsieur Léonard.
Le couple Dauberval resta à Bordeaux au moins jusqu'en 1791. Mademoiselle Théodore mourut en 1798, et son mari lui survécut huit ans.