Marie-Catherine Biheron/Aloïs Delacoux
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[34] BIHERON (mademoiselle), fille d’un habitant de Paris, naquit vers 1730; elle mourut en 1785. Dès ses plus jeunes ans elle sentit un penchant irrésistible pour l’étude de l’anatomie humaine; mais la position peu aisée de ses parens ne lui permit pas de suivre son goût. Elle eut beaucoup de peine à se procurer quelques livres, et l’occasion d’assister à des dissections ne s’offrit que rarement à ses désirs. Sa passion pour cette étude fut telle qu’elle paya des personnes peu scrupuleuses pour voler et lui porter des cadavres à disséquer. Ordinairement ces cadavres étaient en putréfaction quand on les lui livrait; et pour attendre que l’occasion de les examiner anatomiquement se présentât, elle fut souvent obligée de les cacher dans sa chambre pendant plusieurs jours.
Après avoir acquis les connaissances anatomiques qu’elle cherchait, mademoiselle Biheron s’appliqua à imiter en cire, [35] avec une ressemblance parfaite, les différentes parties du corps humain, et elle fut l’unique et la première en ce genre de talent. Elle travailla pendant trente années à perfectionner cet art. Joseph de Jussieu, membre de l’Académie des sciences, et Villoison, médecin à Paris, furent les seuls qui apprécièrent loyalement le mérite de mademoiselle Biheron, qui l’encouragèrent et lui donnèrent des secours. Les autres médecins et chirurgiens, au contraire, la persécutèrent et provoquèrent contre elle la défense de faire des cours publics et de se livrer à l’enseignement des élèves. Le despotisme médical força mademoiselle Biheron à quitter deux fois Paris: elle se rendit à Londres où elle ne trouva pas plus d’encouragement que dans son pays; toutefois Hunter et Guillaume Hewson son élève l’accueillirent comme elle le méritait et lui ouvrirent leurs bourses. C’est après avoir connu mademoiselle Biheron que Hunter publia son beau travail sur l’anatomie de l’utérus. Nul doute que la protégée, qui avait fait une étude spéciale de l’utérus et de ses annexes dans l’état de gestation, n’ait été le premier maître du protecteur; car en rapprochant les ouvages [sic] de l’une et de l’autre nous trouvons une analogie parfaite, et en comparant les dates nous reconnaissons que le travail de l’auteur anglais est postérieur de sept années à un utérus moulé en cire par mademoiselle Biheron, qui orne le musée anatomique de Goettingue.
Malgré et contre tout, mademoiselle Biheron réussit à composer un grand nombre de pièces anatomiques, et à se former un cabinet que tous les voyageurs éclairés allaient visiter. Cependant elle n’eut point le bonheur de présenter ses ouvrages au roi de France Louis XVI ou à quelque autre [36] prince. Une circonstance imprévue fut cause encore que l’empereur Joseph II, d’heureuse mémoire, lors de son séjour à Paris, ne vit point son cabinet anatomique. Ayant toujours vécu retirée, elle ne reçut aucun prix d’encouragement, aucune récompense; elle chercha plutôt à acquérir des connaissances que des richesses. Tous les mercredis son cabinet était ouvert au public, et après avoir payé trois francs on avait la faculté d’y rester à volonté. L’ambassadeur de Catherine II acheta ce cabinet pour le compte de sa souveraine.
Mademoiselle Biheron est réellement la première qui ait créé l’art de mouler en cire les pièces anatomiques, art qui depuis a acquis tant de perfectionnement entre les mains des Lemonnier et des Lesueur, et de nos jours entre celles du docteur Auzoux. C’est encore à mademoiselle Biheron qu’on doit le perfectionnement du mannequin propre à l’étude et à la manoeuvre des accouchemens.