Marguerite de France (1553-1615)/Hilarion de Coste
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[II,292] LA REYNE MARGUERITE, DUCHESSE DE VALOIS (1).
MARGUERITE de France 3. fille du Roy Henry II. et de la Reyne Caterine sa femme, Princesse qui avoit l'esprit le plus gentil et le plus fort, et qui estoit la plus sçavante de toutes les Dames de son siecle, doit avoir icy son Eloge, pour avoir facilité le repos de la France, pour avoir donné aux Rois Henry IV. et Louys XIII. tout ce qu'elle pouvoit leur donner, et pour avoir grandement aymé et honoré leurs personnes.
Elle nâquit le 14. jour de May de l'an 1552. (2) et eut pour marraine sa tante paternelle, dont nous venons de louer les actions heroïques en l'Eloge precedent. Sa naissance augmenta la joye du retour du Roy son pere de son voyage d'Allemagne, et des victorieux effets de ses entreprises contre l'Empereur Charles V. Elle fut premierement eslevée à Saint Germain en Laye avec ses soeurs Isabelle Reyne d'Espagne, et Claude Duchesse de Lorraine; puis elle vint à la Cour de la Reyne sa mere, où à l'aage de sept ans elle vid mourir le Roy son pere, qui l'aymoit à cause de la gentillesse de son esprit, et de ses belles reparties en ses plus tendres années. Aprés la mort lamentable de ce Prince, tué d'un malheureux éclat de lance, qui priva ce Royaume de repos, et la Maison de France de bon-heur, Marguerite demeura quelques années prés de la Reyne sa mere, ayant pour Gouvernante Madame de Courton, sage et vertueuse Dame, qui a esté Gouvernante de plusieurs Reynes, et grandement affectionnée à la Religion Catholique en cette saison miserable, où la pluspart des Dames et des Seigneurs de la Cour estoient infectées de l'heresie, et plusieurs mesme faisoient profession publique de la Religion Huguenote depuis le decés du bon Roy Henry II. duquel la mort fut la vie de l'heresie de Calvin, et de la rebellion en cet Estat.
François II. frere aisné de Marguerite estant decedé 17. mois aprés le Roy Henry II. son pere, Charles IX. luy succeda. Au commencement de son regne aprés la tenue des Estats d'Orleans, ausquels la Regence du Royaume fut [293] donnée à la Reyne Caterine de Medicis; le Colloque fut celebré à Poissi. Cette Assemblée finie les guerres civiles commencerent pour la diversité des Religions. Durant ces premiers troubles Marguerite de France fut avec son petit frere Hercule Duc d'Alençon, à cause de leur jeunesse envoyée à Amboise, où toutes les Dames de la Touraine, du Poitou, et des païs voisins se retirerent avec ce Prince et sa soeur, laquelle demeura en ce Chasteau jusques à ce que le Roy Charles et la Reyne Caterine sa mere firent ce grand voyage par toutes les Provinces de ce Royaume és années 1564. et 1565. quelques jours avant que partir de Paris, la Reyne sa mere l'ayant fait revenir à la Cour pour ne bouger plus d'auprés d'elle. Durant ce voyage Marguerite de France vid à Bar sa soeur Claude Duchesse de Lorraine, à Roussillon en Daufiné sa tante et sa marraine Marguerite Duchesse de Savoye, à Bayonne sa soeur aisnée Elizabet Reyne d'Espagne. Depuis ce voyage elle suivit tousjours la Reyne sa mere, tant à la Cour qu'à divers voyages qu'il fallut faire à cause des troubles suscitez par les Religionnaires.
Cette grande Princesse, fille et soeur de nos Rois croissant en aage, croissoit aussi en beauté. Ce qui la fit rechercher en mariage par plusieurs Princes de ce Royaume et des païs étrangers. L'Empereur Maximilien II. la voulut avoir pour son fils aisné Rodolfe Roy de Hongrie, qui depuis a esté aussi Empereur. Sebastien Roy de Portugal et des Algarbes envoya des Ambassadeurs au Roy Charles IX. pour la demander; mais ce mariage fut rompu par les pratiques de Philippe II. Roy d'Espagne, qui ne vouloit pas que les siens s'alliassent hors de sa Maison. On parla de la marier à plusieurs autres Princes illustres pour leur noblesse et leur valeur, ce qui ne reussit pas. Elle avoit merité l'alliance du plus genereux Monarque du monde, qui fut Henry le Grand, alors Prince de Viane, et depuis Roy de Navarre, et lequel Dieu appella à la Monarchie Françoise, ayant esté le digne successeur des Rois freres de Marguerite. Leur mariage fut celebré à Paris au mois d'Aoust 1572. avec une grande solemnité, chacun croyant que cette alliance apporteroit le [294] repos de ce Royaume, et establiroit une bonne paix entre les François qui avoient esté grandement divisez à cause de la diversité de Religion, comme declaroit la Medaille d'or (3) qui fut jettée durant les jours des ceremonies de ce Royal Hymen, où d'un costé estoient gravées dans un cordon ou lien bordé, cloué et bouclé, ces deux lettres H, et M, qui signifioient HENRY et MARGUERITE, avec ces mots Latins gravez sur le bord qui estoit d'argent, CONSTRICTA HOC DISCORDIA VINCLO, La discorde reunie et estreinte par ce lien (4). De l'autre costé estoit sur l'or une femme modestement vestue, tenant en ses mains un serpent mordant sa queue sur un Autel couvert d'un brasier, avec ces mots sur l'argent, AETERNA QUAE MUNDA, Les choses nettes sont eternelles, qui declaroient que cette paix dureroit longues années, le serpent mordant sa queue estant le symbole de l'eternité, et le mesme feu que les dissensions seroient esteintes; car les serpens proches du feu jettent leur venin dans cet element. En d'autres il y avoit un Agneau avec une Croix, symbole de nostre Sauveur et de la paix Chrestienne, avec ces mots, VOBIS ANNUNCIO PACEM, Je vous annonce la paix; mais les jugemens de Dieu sont bien differens de ceux des hommes, car cette paix dura peu de jours, et le Ciel ne permit pas que cette Princesse peust par une lignée rendre au Roy son mary les fruits et les contentemens que ses affections luy destinoient, comme je diray cy-aprés, quand je parleray de la dissolution de ce mariage, par laquelle elle ferma la porte à toutes les esperances affamées des mauvais François et des Etrangers, et aux troubles qui en pouvoient arriver.
Cette grande Princesse a par cette action monstré comme elle ne respiroit que la grandeur de la Maison Royale, dont tous les jours de sa vie elle a fait paroistre des effets. Sous le regne du Roy Charles IX. elle rendit de bons services à ce Monarque pour la conservation de sa Majesté et de sa Couronne, luy ayant découvert les pernicieux desseins de ceux qui mal affectionnez à la Maison de France, vouloient pour mieux faire leurs affaires mettre la division entre les Princes.
[297 sic; rétablissement de la pagination, erronée depuis 221] Aprés la mort du Roy Charles IX. son support et son appuy, le retour du Roy Henry III. de Pologne luy fit voir que les amitiez des freres ne sont pas égales; neantmoins pour bannir la discorde que quelques esprits malins fomentoient en ce Royaume, elle persuada à ce Monarque et à la Reyne mere, que pour l'honneur et l'accroissement de la France, ils envoyassent en Flandre son jeune frere le Duc d'Alençon, qui avoit osté aux Huguenots rebelles, avec tant de gloire et d'honneur les fortes villes d'Issoire et de la Charité. Leur ayant fait voir que c'estoit l'unique et seul moyen d'oster la guerre civile de ce Royaume: car les remuans et desireux de nouveauté, qui ne souhaitent que la guerre, ainsi que les pyraustes les flames, ayans le moyen et la commodité d'aller en Flandre passer leur fumée, et se saouler des exercices de Mars et de Bellonne, ils ne troubleroient pas cet Estat. De plus, que cette entreprise serviroit aussi comme jadis le Piémont (sous les regnes des Rois son pere et son ayeul) d'escole à la Noblesse de France pour s'exercer aux armes, et y faire revivre des Brissacs et des Monlucs, des Termes et des Bellegardes (5), tels que ces grands Mareschaux, qui s'estans façonnez aux guerres de Piémont, ont depuis si glorieusement et si heureusement servy la France et nos Rois leurs maistres, tant contre les Estrangers, que les Religionnaires rebelles.
Cette courageuse Princesse fit elle mesme le voyage de Flandre, accompagnée de Philippe de Montespedon (6) Princesse de la Roche-sur-Yon, veuve de Charles de Bourbon frere puisné de Louys Duc de Montpensier, et de Claude de la Tour Dame de Tournon, dont nous avons écrit l'Eloge en ce livre.
En ce voyage allant à Liege boire des eaux de Spa, elle passa par le Cambresis, où l'Archevéque qui estoit de la Maison de Barlemont, la receut avec les honneurs deus à une si grande Reyne, fille et soeur de nos Rois. De Cambray elle fut à Valenciennes, terre de Flandre, où le Comte de Lalain (7) et le Seigneur de Montigny son frere, suivis de deux ou trois cens Gentils-hommes, vindrent au devant de sa Majesté. Le Comte de Lalain, l'un des premiers Sei-[298]gneurs du Pays-bas traita à Valenciennes (cette ville estant de son Gouvernement) les Seigneurs et Gentils-hommes de la troupe de la Reyne; remettant à Monts, ville principale de la Comté de Hainaut, dont il estoit Gouverneur, à faire le festin aux Dames, où sa femme, sa belle-soeur Madame d'Aurec, et toutes les plus apparentes et galantes Dames l'attendoient pour la recevoir. Elle logea à Monts à la maison du Comte de Lalain, où la Comtesse sa femme, accompagnée de quatre-vingts ou cent Dames du païs ou de la ville la receut, non comme une Princesse estrangere, mais comme si elle eust esté leur Souveraine, et la Dame naturelle de ces Provinces là.
Le Comte et la Comtesse luy firent tant de caresses et tant d'honneur, tant à Monts que par le Hainaut, qu'elle fut contrainte d'y sejourner plus de huit jours.
De Monts elle alla à Namur, où Dom Jean d'Austriche, fils naturel de l'Empereur Charles V. Gouverneur et Lieutenant general des Pays-bas pour son frere le Roy d'Espagne, luy fut au devant, accompagné du Duc d'Ascot, du Seigneur d'Aurec, du Marquis de Varambon, du jeune Balençon Gouverneur du Comté de Bourgongne pour l'Espagnol, qui galants et honnestes hommes estoient venus en poste pour se trouver là à son passage. A Namur Dom Jean, ce tres-renommé Capitaine, la terreur des Turcs, dont le nom ne mourra jamais pour sa valeur et son courage, estant suivy de Ludovic de Gonzague de la Maison de Mantoue, témoigna plusieurs fois à cette grande Princesse qu'il recevoit un extréme plaisir et contentement, tant pour l'honneur qu'il luy devoit pour ses merites, que pour l'obligation qu'il avoit à la feue Reyne Isabelle de la Paix sa bonne maistresse, soeur aisnée de la Reyne Marguerite: il l'accompagna et par eau et par terre jusques sur les frontieres de l'Evéché de Liege. Là l'Evéque, Seigneur Spirituel et Temporel la receut avec tout l'honneur et la demonstration de bonne volonté qu'une personne courtoise et bien affectionnée peut témoigner. C'estoit Gerard de Grosbeth (8), Prelat, qui pour ses vertus a esté creé Cardinal par le Pape Gregoire XIII. Plusieurs Seigneurs et Dames [299] d'Allemagne arriverent en mesme temps à Liege pour la saluer; entre autres la Comtesse d'Aremberg, (femme qui estoit pour ses merites tenue en grande estime de l'Imperatrice Marie d'Austriche ou d'Espagne, et de tous les Princes Chrestiens) sa soeur la Landgrave, M. d'Aremberg sa fille, et le Comte d'Aremberg son fils.
La Reyne Marguerite parmy tous les honneurs et les caresses qu'elle receut à Liege et par les chemins, n'oublia pas de gagner tous ceux qu'elle jugea capables de servir la France, et assister le Duc d'Anjou et d'Alençon son frere en son entreprise de Flandre. A Cambray elle pratiqua le Seigneur d'Ainsi, qui avoit charge de la Citadelle, et le rendit affectionné à la France et à Monsieur d'Alençon. Le Comte et la Comtesse de Lalain qui avoient tout le Hainaut à leur devotion, luy découvrirent franchement l'estat auquel estoient les affaires de ces Provinces là, et l'affection qu'ils avoient à la Maison de France. Elle ne les quitta qu'aprés les avoir confirmez et fortifiez en leur bonne volonté. Quand il fallut revenir en France, elle fit paroistre la bonté de son esprit, ayant par son adresse évité les embusches qu'avoient preparées ses ennemis, tant les partisans de l'Espagnol que ceux des Huguenots, qui avoient les uns et les autres dessein de la surprendre. Ceux-là afin que feu Monsieur n'entreprist pas son voyage de Flandre; ceux-cy pour se vanger de ce Grand Duc, fils et frere de nos Rois.
Par qui la Charité, les champs où fut Issoire, Et ceux qui refusoient de son Prince les Loix, Ont senty la fureur du foudre de Valois (9).
Elle se vid obligée aprés ce voyage de se retirer l'an 1578. par le commandement du Roy Henry III. auprés du Roy de Navarre son mary à Nerac, où la Reyne sa mere la mena comme en son nouveau mesnage; de Nerac elle alla à Pau et en Bearn, où ses humeurs et ses affections passerent avec elle, son coeur regardant tousjours l'Astre qui l'animoit. Sa Majesté a écrit dans ses Memoires une partie des intrigues de cette Cour là, et l'oppression que l'on faisoit aux Catholiques, qui alloient entendre la Messe dans sa Chapelle; et quelques déplaisirs qu'elle receut en son mariage, auquel [300] le Roy Charles IX. et la Reyne sa mere avoient plus consideré l'avancement de leurs desseins, que son propre contentement, ayant esté forcée par la puissance de leur authorité, la violence de leurs commandemens, et la rigueur de leurs menaces d'y consentir; mais sa volonté demeura libre pour y contredire et confirmer cette verité, Que les noces forcées sont peu heureuses. Sa Religion ne pouvoit aymer un Prince qui l'avoit combatue par ses armes, et que ceux de la religion pretendue reformée avoient lors pour leur Chef. Son affection se détournoit de l'alliance de celuy dont l'ayeul avoit épousé sa grande tante, comme ont declaré les témoins qui furent ouys sur la dissolution du mariage; sans que je parle des jalousies, et d'autres intrigues qui causerent de grands differens entre les Princes, qui réveillerent la guerre civile de l'an 1581. qui rouvrit les playes de la France que la Paix avoit consolidées: le Roy de Navarre n'y profita point, ny ceux qui l'avoient conseillé d'armer; ses partisans en ressentirent les ruines en Guyenne et en Daufiné. Le Roy Henry III. s'offensa contre elle, et creut qu'elle avoit soufflé ce feu de toute la force de ses poulmons, pour se vanger d'un avis qu'il avoit donné contre elle à son mary: les flames s'en fussent estendues plus loin, si la Reyne Caterine et le Duc d'Alençon ne les eussent estouffées. Henry III. confirma la paix à toute la France. Cette Princesse sa soeur unique n'en jouit point, donnant sujet au Navarrois de se plaindre d'elle, et à elle de separer tousjours ses affections de luy, le coeur de l'un ne se tournant jamais dans celuy de l'autre (10). Enfin sa patience consommée elle s'en separa, quittant Pau et le Bearn, pour demeurer quelque temps à Nerac, où elle faillit d'estre surprise par le Mareschal de Matignon (qu'elle haïssoit, et qu'elle fait passer dans ses Memoires pour un Normand tres-raffiné) qui avoit receu commandement d'employer pour cela ou la ruse ou la force: Elle se garentit courageusement de l'un et de l'autre; mais considerant qu'elle ne pouvoit durer long temps en un lieu où le dedans ne luy donnoit pas moins d'apprehension que le dehors, et advertie par un fidelle serviteur du dessein de Henry III. pour la faire prendre, elle se retira en [301] sa ville d'Agen, où elle éprouva que la France n'a point de retraite asseurée contre le courroux du Roy, et que ses commandemens penetrent par tout.
La mort du Duc d'Alençon luy ravit la derniere anchre de ses esperances, car luy seul eust presenté sa teste pour couvrir celle de cette Reyne, contre l'orage dont elle estoit menacée. Et voyant qu'une de ses filles estoit crevée d'un bouillon qu'on luy avoit presenté, elle resolut de sortir de là, et s'enfermer en un lieu où elle y pûst dormir en seureté, et s'enterrer dedans ses ruines, plustost que d'en sortir. La France estoit lors divisée en trois partis, celuy du Roy Henry III. le plus juste, mais le moins suivy; celuy de Henry Roy de Navarre le plus asseuré, mais le plus foible; celuy de Henry Duc de Guyse le plus grand, mais le plus perilleux: Elle avoit aydé à le concevoir et à l'élever; il parut incontinent aprés la mort du Duc d'Alençon, donna au Roy de la crainte, au Roy de Navarre de la défiance, aux Etrangers de l'estonnement. Elle fia son salut à celuy à qui elle avoit donné son coeur, et par son assistance se mit en seureté: Elle sortit d'Agen en habit de simple Bourgeoise, fut portée en trousse par Lignerac, à qui elle donna le nom de Chevalier de la belle-fleur, et gagna païs toute la nuit, avec un travail qui éprouva son courage au peril de sa santé. De Marses la vint trouver sur la frontiere avec cent Gentils-hommes, qui la logea en sa maison de Carlat; retourna à Agen pour sauver ses pierreries, et recueillir le débris de sa suite: sa mort l'en fit sortir au bout de 18. mois, et voulant fonder une nouvelle station à Yboi, Maison de la Reyne sa mere, elle y fut arrestée. La foudre du courroux du Roy la menaçant par tout, respecta les Lys sacrez qui environnoient sa teste, et accabla l'un de ses serviteurs à Aigueperse par une fin tres-funeste.
Le Marquis de Canillac la mena et enferma à Usson, mais tost aprés ce Seigneur d'une Maison tres-illustre se vid le captif de sa prisonniere; il pensoit avoir triomphé d'elle, et la seule veue de l'yvoire de son bras triompha de luy, et deslors il ne véquit que de la faveur des yeux victorieux de sa belle Captive: Mais les menaces du Roy, la [302] crainte de la mort, l'apprehension de la perte de sa fortune, et de la ruine de sa Maison, entrerent plus profondément en son ame que toute autre consideration, et le forcerent aux serveres et rigoureux commandemens contre elle. Dieu par sa protection, elle par sa prudence et son adresse, le Duc de Guyse par son secours à propos tirerent sa vie des ombres de la mort, et si heureusement, qu'au mesme instant qu'elle pensoit mourir captive, elle se vid asseurée de regner libre en cette forte place, d'où elle deslogea ceux qui l'avoient logée, et leur fit connoistre que la vertu et la valeur ne distingue point les sexes.
Là son ame fut exercée en toutes sortes d'accidens, et apprit que les jours qui semblent les plus clairs, ont leurs tonnerres et leurs orages. De là comme d'un Phare asseuré elle vit les nuées et les vents s'assembler pour faire la tempeste, qui faillit d'abismer la France: Elle vit les uns en tourmente, les autres en naufrage, et ces grands et prodigieux accidens qui effrayerent l'Europe, et furent autant de preuves de la vanité du monde; la mort de quelques Princes du Sang, illustres pour leur valeur et leur generosité; la teste d'une Reyne veuve du Roy François son aisné entre les mains d'un bourreau; deux Princes Lorrains tuez; la Reyne sa mere precipitée par la douleur dans le tombeau; quasi toutes les villes en sedition et revolte; et enfin le Roy son frere miserablement assassiné, auquel le Roy de Navarre son mary succeda à cette Couronne. Du haut de la terrasse de ce Chasteau là, elle vid ses amis taillez en pieces, et le Comte de Randan leur Chef, Seigneur de la Maison de la Rochefoucaud tué au mesme jour que le Roy son mary triompha de ses ennemis à Yvry: Et bien que cette place ne craigne que la cheute du Ciel; que rien que le Soleil n'y puisse entrer par force, et que sa triple enceinte méprise les efforts des assaillans, comme un roch élevé les flots et les vagues; la necessité toutesfois y entra, et l'obligea, pour en éviter les outrages, d'engager ses pierreries à Venise, fondre sa vaisselle d'argent, et à n'avoir rien de libre que l'air, esperant peu, craignant tout; car tout estoit en feu et en desordre autour d'elle.
[303] Aprés que le Grand Henry eut abjuré le Calvinisme, reconnu la verité, et que par ses armes victorieuses il eut donné à son Royaume le repos, la paix à ses ennemis, le contentement à soy-mesme, et à elle ses bonnes graces; elle luy rendit aussi sa liberté, recherchant et consentant à la nullité de son mariage, par les formes les plus saintes et les plus religieuses de l'Eglise; car se voyant mal propre à la generation, elle se monstra, non seulement Princesse de la Royale Maison de France, mais aussi la mere du peuple, aymant la paix, le repos, et le bien de ce Royaume, ayant dépouillé toutes les affections particulieres de sa personne pour la commodité de la France, dont elle a tousjours fait plus d'estat que de soy-mesme. Et pour témoigner son affection au bien de cet Estat, elle fit supplier le Roy Henry le Grand (11) d'aviser à se procurer par la dispense du Chef de l'Eglise, qui estoit lors le Pape Clement VIII. une femme dont il peust laisser une heureuse posterité pour la gloire et l'honneur de la France, et de toute la Chrestienté. Leur mariage fut dissous l'an 1599. par l'authorité du Saint Siege pour de tres-grandes considerations, et des empeschemens legitimes, comme celuy du Roy Louys XII. et de la Reyne Jeanne de France, qui fut dissous l'an 1498. du temps du Pape Alexandre VI. Ceux qui desireront sçavoir toutes les particularitez de cette affaire tres-importante, ne doivent pas s'arrester aux Historiens modernes qui n'ont pas leu tous les actes et les traitez qui ont esté faits sur ce sujet; sçavoir, le Traité de la dissolution du mariage d'entre Henry IV. Roy de France et de Navarre, et Marguerite de France Reyne et Duchesse de Valois, dans lequel se remarquent quatre principales nullitez, sçavoir, de parenté, d'affinité spirituelle, de crime d'heresie, et de violence, avec quelques autres moindres. Le Conseil du Cardinal d'Ossat en Latin. Les raisons principales proposées l'an 1599. au Pape Clement VIII. par Monsieur de Sillery Ambassadeur pour le Roy prés de sa Sainteté pour la dissolution du mariage du Roy Henry IV. avec la Reyne Marguerite de Valois. La Remonstrance envoyée à ce grand Roy en la mesme année 1599. en laquelle Monsieur de la Guesle son Procureur ge-[304]neral luy fit entendre qu'il estoit necessaire pour le bien de son Estat, que son premier mariage avec la Reyne Marguerite Duchesse de Valois fust dissous, et qu'il en contractast un autre avec une Princesse de Maison Souveraine et Principale. Diverses Lettres du Cardinal d'Ossat écrites au Roy Henry le Grand et à Monsieur de Villeroy, sur le sujet des poursuites faites à Rome pour la dissolution de ce mariage. Le Rescript en Latin du Pape Clement VIII. du 24. Septembre 1599. par lequel il delegua le Cardinal de Joyeuse, l'Archevéque d'Arles, et son Nonce pour juger la dissolution. Ce Rescript a esté mis en François par Charles Faye Abbé de Saint Fuscien, Conseiller de la Cour de Parlement, et Promoteur en cette affaire si importante. L'Acte du quinziéme Octobre 1599. de l'ouverture faite de ladite Bulle par le Cardinal de Joyeuse, et les autres Deputez en la presence du sieur de la Guesle Procureur general du Roy, et des sieurs l'Anglois et Molé Procureurs de la Reyne Marguerite. La Procuration passée à Fontaine-bleau le 11. Octobre 1599. par le Roy Henry IV. au sieur Procureur general de la Guesle, pour ester en droit par luy en execution de la Bulle. L'Acte du 19. Octobre 1599. par lequel les Juges deleguez ont creé des Officiers pour servir en ladite Cause. Les seize faits et articles pour faire interroger le Roy. L'Apointement à mettre dans trois jours, fait par les Procureurs des parties du 19. Octobre 1599. La Sentence interlocutoire du 29. Octobre 1599. par laquelle il est ordonné que tant le Roy, que la Reyne Marguerite seront ouis et interrogez, et qu'il sera informé sur des faits. Vingt Faits et Articles pour interroger la Reyne Marguerite.
L'Interrogatoire du Roy du Vendredy 12. Novembre 1599. Interrogatoire faite à la Reyne Marguerite à Usson, par le sieur Berthier, le Mercredy 17. Novembre 1599. Faits et Ecritures pour le Roy, signez de la Guesle. Faits et Ecritures pour la Reyne Marguerite, signez l'Anglois et Molé. Faits et Articles sur lesquels le Promoteur demanda qu'Enqueste fust faite d'office, et témoins ouis et interrogez, signé C. Faye. Dix-sept Faits sur lesquels les témoins furent ouis en l'Enqueste. L'Enqueste faite d'office, en laquelle [305] furent examinez les 9. témoins le Lundy 8. le Vendredy 12. le Mecredy 17. Novembre, et le Vendredy 3. Decembre 1599. Ces neuf témoins estoient MM. le Cardinal de Gondy, le Duc de Raiz son frere: Hierôme de Gondy, Gentil-homme de la Chambre du Roy: Estiene le Roy, Abbé de Saint Martin de Nevers: Claude Pinart Conseiller d'Estat: Nicolas Bruslard sieur de Crosne, aussi Conseiller d'Estat; et Estiene Pean sieur de Sauger, Secretaire de la Reyne mere Caterine: Charlote de Beaune Marquise de Narmonstier, et Françoise Miquetat Demoiselle de la Reyne Caterine. Le procés verbal de l'Enqueste. La Commission du Vendredy 3. Decembre 1599. delivrée par les Juges deputez aux sieurs Louet et Rossignol, pour faire perquisition au Greffe de l'Officialité de la dispense de consanguinité entre Henry IV. et la Reyne Marguerite. Apointement de reception de l'Enqueste et Reglement à produire du Jeudy 9. Decembre 1599. Apointement à ouir droit du Lundy 13. Decembre 1599. La dispense du Pape Gregoire XIII. sur l'empeschement de consanguinité pour le present mariage, datée du 26. Octobre 1572. L'Inventaire des pieces produites par le sieur de Saint Fuscien Promoteur de cette affaire. Inventaire du Sac du Roy, signé de la Guesle. Inventaire du Sac de la Reyne Marguerite, signé l'Anglois et Molé. Conclusions du Promoteur, signées C. Faye. Sentence definitive rendue et prononcée le 17. Decembre 1599. qui fut delivrée le 22. du mesme mois à Monsieur de la Guesle Procureur general [du] Roy, et special en cette affaire, à MM. Martin l'Anglois Maistre des Requestes, et Edouard Molé Conseiller en la Cour de Parlement (qui depuis a esté President) Procureurs de la Reyne Marguerite de France Duchesse de Valois, en presence de François Pericart Evéque d'Avranches, et de Henry de Nourdon Chanoine et Archidiacre de Narbonne, et de plusieurs autres témoins.
Aprés ce solemnel Jugement le Roy Henry IV. épousa l'an 1600. la Princesse de Toscane Marie de Medicis, duquel mariage sont sortis six enfans (comme nous verrons en l'Eloge de cette grande Reyne dans les Vies des Illustres Maries) dont l'aisné à esté le feu Roy Louys XIII. que [306] Marguerite (à laquelle ne laissa de demeurer le nom de Reyne et de Duchesse de Valois) cherit, et l'honora autant que s'il eust esté son propre enfant. Et n'estant encor que Daufin l'institua son heritier aux Comtez de Clermont et d'Auvergne, et en la Baronnie de la Tour, qui luy furent adjugez par Arrest de la Cour de Parlement, en vertu du contract de mariage de la Reyne Caterine de Medicis sa mere: ce qu'elle fit, aprés estre arrivée en la Cour du Roy Henry le Grand, és années 1605. et 1606.
Elle receut une consolation incroyable, que cet incomparable Monarque avoit choisi pour tenir sa place une Princesse en la puissante et auguste Maison de Medicis, d'où elle estoit sortie; et que ce changement ne luy avoit fait perdre le nom de Reyne, que la fortune ne pouvoit pas oster à la grandeur de sa naissance: mais afin que sa consolation fust parfaite, elle desira voir la Cour de Henry le Grand et de la Reyne Marie, et leur Louvre commencé par son ayeul, continué par son pere et par sa mere, où trois de ses freres avoient regné, et nul d'eux n'y estoit mort, et quitter son cher Usson qui l'avoit gardée 20. ans, durant lesquels ce fort Chasteau de l'Auvergne fut un Thabor pour sa devotion, un Liban pour sa solitude, un Olimpe pour ses exercices, un Parnasse pour ses Muses, et un Caucase pour ses afflictions. Le Roy l'envoya recevoir à Madrid (12) par le Duc de Vendosme, accompagné du Duc de Montbazon, avec les principaux de la Noblesse; et quand elle vint au Louvre, il la fut recevoir jusques au milieu de la court, et la Reyne jusques au pied du grand escalier.
Le Roy Henry le Grand et la Reyne sa femme l'ayant receue selon la grandeur et la majesté d'une fille de France, elle fut logée premierement au Chasteau de Boulongne, dit Madrid, et puis à l'Hostel de Sens, qu'elle quitta pour aller demeurer au faux-bourg de Saint Germain, où elle fit bastir un Hostel répondant à la majesté des Rois dont elle estoit issue; là elle fut honorée des Grands, admirée des beaux esprits, servie et suivie de tous. Ses Royales vertus ravirent les jugemens, et sa liberalité fut l'aymant qui attira et emporta les coeurs, autant contente en donnant, que [307] les autres en recevant, estimant la journée pour perdue, si elle s'estoit passée sans exercer sa liberalité. Les troubles de la France retrancherent un grand nombre de ses serviteurs, mais l'ordre et la splendeur parurent tousjours en sa Cour, où les Muses furent tousjours caressées; car à son Hostel, les dernieres années du regne du grand Henry, et les premieres de Louys XIII. elle s'adonna à une maniere de vivre si serieuse et Royale, qu'en toutes ses actions, et jusques à sa table, elle estoit environnée de gens accomplis en toutes sortes de sciences; car bien que les disners et les soupers soient principalement dediez à la nourriture des corps; toutesfois elle faisant plus d'estat de la nourriture de l'esprit, avoit ordinairement quatre hommes prés de sa Majesté, comme le Pere des lettres le Roy François son ayeul, ausquels d'entrée elle faisoit telle proposition qu'il luy plaisoit, pour l'examiner; chacun desquels ayant deduit des raisons, ou pour, ou contre, et estans de fois à autre contredits par cette sçavante Princesse, elle leur faisoit souvent perdre pied, et n'estoit pas marrie qu'ils la contredissent, pourveu que ce fust avec de bonnes et de solides raisons. Nourrissant ainsi son esprit, elle nourrissoit par mesme moyen son corps avec sobrieté; et aprés que ces doctes hommes avoient finy leur discours, pour ne rabatre rien de sa grandeur Royale, elle faisoit venir une bande de violons, puis une belle musique de voix, et finalement de luths, qui tous jouoient l'un aprés l'autre à qui mieux mieux, afin de donner contentement à toute l'assistance.
La Reyne Marguerite Duchesse de Valois s'estant acquise, à l'exemple de ses tantes Marguerite Reyne de Navarre, et Marguerite Duchesse de Savoye, outre la doctrine, une grace particuliere de bien dire: plusieurs sçavans hommes luy ont dedié et consacré leurs ouvrages. Elle fit mettre en nostre Langue la Somme de saint Thomas, le Docteur des Docteurs de la Theologie Scholastique, par le Reverend Pere Nicolas Coëffeteau, Religieux du mesme Ordre que cet Ange de l'Escole; et depuis pour les services rendus à l'Eglise contre les errans (desquels il estoit le fleau, aprés le grand Cardinal du Perron) nommé par le Roy à l'Evéché de Marseille. [308] Sa Majesté qui a fait tant estat de ceux qui donnoient leurs ouvrages au public, a elle mesme mis la main à la plume pour écrire l'Histoire de sa vie, outre plusieurs belles Poesies, Discours et Lettres; entre autres une au Pere François Loriot Jesuite, dans laquelle elle s'essaye de prouver que la femme est plus excellente que l'homme: c'est pourquoy le Pere Louys Jacob Carme, luy donne place dans sa Bibliotheque des Femmes Illustres par leurs écrits; comme aussi à ses deux tantes, sur lesquelles cette Reyne a cet avantage d'avoir laissé à la posterité de plus beaux ouvrages, et dignes d'une Princesse qui avoit pour ancestres paternels et maternels les Restaurateurs et les Peres des arts et des sciences: Car il ne faut pas estre du monde, pour ignorer que la resurrection des lettres a esté operée par la vertu et les miracles des Princes de Valois et de Medicis.
Cette Princesse n'a pas esté seulement la mere et la protectrice des Doctes et des Sçavans, mais aussi des pauvres, ayant employé charitablement la pluspart de son revenu à leur nourriture et entretenement; aussi la regretterent-ils grandement aprés son trespas: car lors que cette tres-liberale Princesse sçavoit que quelque personne par malheur estoit devenue souffreteuse, elle n'épargnoit en aucune façon ses biens pour luy subvenir. Aux quatre Festes plus solemnelles, et le jour de sa naissance, elle donnoit de sa main cent escus d'or, et autant de pains à cent pauvres. Elle en entretenoit cent onze par an, et quarante Prestres Anglois, Escossois et Hibernois, outre les aumosnes qu'elle faisoit tous les jours en son Hostel, et à l'issue de la Messe, soit aux passans étrangers, soit aux pauvres honteux (13). Elle départit aussi plusieurs sommes de deniers à la construction de diverses Eglises, et de plusieurs Monasteres. Elle bastit et fonda le College de la Compagnie de JESUS à Agen, et le Convent des Augustins Reformez prés son Hostel au faux-bourg de Saint Germain des Prez à Paris. Il n'y a point de Religion des Mendians qui ne se soit ressentie de ses liberalitez annuelles; entre autres les Carmes, les Augustins, les Cordeliers, les Jacobins, les Jesuites de saint Louys, les Filles de l'Ave Maria, les Feuillans, les Capucins, les Recolez, et [309] les Minimes de Nigeon. Les dernieres années de sa vie, mettant toutes ses esperances en Dieu, elle oyoit tous les jours trois Messes, une haute, et deux basses; communioit trois fois la semaine, le Jeudy, Vendredy, et Dimanche; visitoit tous les Samedis la basse Chapelle de Nostre-Dame en l'Eglise de saint Victor; et la Semaine sainte les Hospitaux, et n'y donnoit jamais moins de trois à quatre mille couvertures; et souvent elle donnoit une somme notable pour marier des pauvres filles.
Ces actions de charité et de pieté ont rendu cette Reyne plus illustre, que tous les honneurs qu'elle a receus à la Cour des Rois Charles IX. Henry IV. et Louys XIII. Elle assista à Bayonne à l'entreveue du Roy Charles, de la Reyne Caterine, et d'Elizabet Reyne d'Espagne, où elle vid ces pompes Royales, dont elle parle dans ses Memoires, et où François de Bourbon Daufin d'Auvergne (qui depuis a esté Duc de Montpensier) sous le nom de Charion d'Eumene, le 9. et dernier Chevalier de la troupe des Chevaliers amoureux luy presenta une medaille, dans laquelle il y avoit un Cupidon qui tenoit de la main droite un nid plein de trois oiseaux, à chacun desquels la mere donnoit une égale becquée; et de la gauche un arc, portant sur le dos son carquois plein de fléches; et ce mot Latin, Aequus amor, qui veut dire, l'Amour égal ou équitable, animoit la devise. Elle assista aux noces du Roy Charles et d'Elizabet d'Austriche, et aussi au Sacre et Couronnement de cette Reyne, comme j'ay rapporté dans les Vies des illustres Isabelles.
Sous Henry IV. elle assista au Sacre et Couronnement de la Reyne Marie de Toscane le 13. May 1610. où ceux qui furent presens à ce Sacre virent Madame fille aisnée de Henry le Grand (qui depuis a esté Reyne d'Espagne) et la Reyne Marguerite habillées d'un corset de toile d'argent, et d'un surcot d'hermines enrichy de pierreries, et d'un manteau Royal de veloux violet fourré d'hermines, et bordé de deux rangs de fleurs de Lys d'or en broderie, et les Couronnes sur leurs testes. La queue du manteau Royal de la Reyne Marguerite estoit portée par MM. les Comtes de Curson et de la Rochefoucaud. Monsieur le Comte de [310] Saint Paul et le Seigneur de Rhodes l'appellerent pour servir au Sacre de la Reyne Marie, comme je rapporteray plus au long au 1. des Eloges des Illustres Maries. Quelques Historiens ont écrit que la Reyne Marguerite assista à ce Sacre avec murmure, mais plusieurs de ses domestiques m'ont asseuré du contraire, et la veille du Couronnement de la Reyne elle dit tous les biens du monde du Roy Henry le Grand, et loua sa bonté, aussi estoit-elle tres-obligée à cet incomparable Monarque, qui ne la pouvant tenir plus pour sa femme, l'a honorée comme Reyne, l'a aymée comme sa soeur, et luy a donné de grandes pensions, et fait des dons immenses. Au mois d'Octobre de la mesme année elle alla à Reims voir le Sacre et le Couronnement du Roy Louys XIII. où la veille du Sacre elle eut l'honneur de le presenter avec Monseigneur le Prince pour recevoir le Sacrement de Confirmation, par les mains du Cardinal de Joyeuse. L'an 1612. elle honora de sa presence les magnificences Royales du Carouzel dans la Place-Royale, où cette auguste Reyne parut sur un theatre du costé de Midy, accompagnée de plusieurs Dames, d'où sa Majesté voyoit les courses, estant au dernier bout de la lice. Au mois d'Aoust de la mesme année, elle donna le bal, la musique, et la collation en son Hostel au Roy Louys XIII. à la Reyne sa mere, à Madame Elizabet de France, depuis Reyne d'Espagne, et au Duc de Pastrane Ambassadeur extraordinaire du Roy d'Espagne, et aux Seigneurs de sa suite. Le Prince de Joinville, maintenant Duc de Chevreuse fut prier cet Ambassadeur de la part de la Reyne Marguerite d'aller prendre la Collation qui estoit preparée à la salle prochaine de celle où s'estoit donné le bal. Le Roy, la Reyne, Madame, et tous les Seigneurs et les Dames furent à cette collation, en laquelle l'appareil, les raretez, et les somptuositez furent estimées de ceux qui y assisterent estre vrayement Royales et dignes de Sa Majesté. Elle estoit vestue d'une robe de drap d'argent, avec la manche ouverte en arcade, toute parsemée de roses de diamans, comme le devant du corps de sa robe. L'an 1614. la Reyne Marie Regente en France luy fit l'honneur de la prier d'estre la marraine de Monseigneur le Duc d'Anjou frere uni-[311]que du Roy Louys XIII. maintenant Duc d'Orleans, et oncle de nostre Roy Louys XIV. La ceremonie se fit le 15. Juin (14) dans le Louvre par le Cardinal de Bonzy Grand Aumosnier de la Reyne Marie de Toscane. Elle le nomma Gaston-Jean Baptiste avec le Cardinal de Joyeuse qui estoit le parrain, suivant le desir du Roy Henry le Grand, qui avoit dit plusieurs fois qu'il vouloit que ce Prince portast le nom d'un des plus vaillans et des plus illustres de ses ancestres de la Maison de Navarre. Le 2. d'Octobre de la mesme année, elle voulut voir declarer Majeur le RoyLouys XIII. Elle fit faire un eschaffaut dans la Cour du Palais, afin de saluer sa Majesté à la descente des grands degrez, où elle arriva dés les dix heures du matin, à mesme temps que la Reyne Regente, Mesdames de France, et les autres Princesses. Puis elle eut le contentement, estant montée en la grand' Chambre, et dans la loge du costé senestre, de voir tenir au Roy son Lit de Justice, et faire le premier acte de sa Majorité. Le 26. du mesme mois elle assista à la Messe de la Procession generale qui se fit à l'ouverture des Estats, et le lendemain elle assista à cette ouverture dans la salle de Bourbon.
Sur la fin de la tenue des Estats elle tomba malade; Estiene Gros le Maingre, dit Boucicault, Evéque de Grasse en Provence, et Grand Aumosnier de cette Reyne, luy donna le premier avis, qu'elle feroit le devoir d'une Princesse Chrestienne et Catholique de penser plus à son ame qu'à son corps, et que les Medecins n'avoient pas bonne opinion de l'issue de sa maladie; elle l'en remercia, et pria que l'on luy donnast une partie de sa vaisselle d'argent. Le 25. de Mars, feste de l'Annonciation de la Vierge, elle fit un codicille en faveur des Peres Augustins, et passa de cette vie à l'immortelle le 27. du mesme mois à Paris à son Hostel du faux-bourg Saint Germain, aprés avoir receu les Sacremens, estant aagée de 63. ans, en presence de plusieurs Princes et Princesses; entre autres de Monseigneur le Prince, de la Duchesse de Nevers, de la Comtesse d'Auvergne, du Comte de Fonteine Chalandray son Chevalier d'honneur, de l'Evéque de Grasse son grand Aumosnier, et autres.
[312] Son corps fut quelque temps en depost en la grande Chapelle de l'Eglise des Peres Augustins, voisine de son Hostel; d'où il a esté porté à la Royale Eglise de Saint Denys, au Tombeau des Rois son pere et ses freres, en la superbe Chapelle que la Reyne sa mere a fait bastir; et son coeur fut inhumé en la mesme Eglise des Augustins, où feu Monsieur Servin Avocat du Roy en la Cour de Parlement a mis une inscription Latine sur une grande pierre de marbre, en l'honneur et memoire de cette Princesse, fille et soeur de nos Rois, la derniere de l'ancienne branche de l'Arbre de France, dont les racines sont au Ciel, et les fruits ont embelly toute la terre, qui a produit tant de Rois et de Princes à cet Empire des Lys; et donné tant de Rois et de Reynes, de Princes et de Princesses à la Chrestienté des Maisons de Valois, d'Orleans, d'Angoulesme, d'Anjour, 1. et 2. de Bourgongne, 1. et 2. d'Alençon, d'Evreux, d'Artois, de Bretagne, et d'autres branches tres-illustres de la tres-auguste et tres-Chrestienne Maison de France. Comme le Roy Henry III. son frere avoit esté le dernier des Rois des branches Royales de Valois ou d'Angoulesme: cette Reyne en a esté la derniere des Princesses. La branche des Valois de la Royale Maison de France a regné 261. an, sçavoir, depuis Philippe VI. surnommé le vray Catholique, qui n'estant que Comte de Valois succeda à son cousin Charles IV. dit le Bel à la Couronne de France l'an 1328. jusques au Roy Henry III. dit le Liberal, qui deceda le 2. Aoust de l'an 1589. Celle d'Angoulesme, puisnée de celle d'Orleans, a regné 75. ans, sçavoir, depuis François I. qui fut Roy le 1. jour de l'an 1515. jusques au mesme Henry III. qui mourut en 1589. Voicy des vers qui furent faits en sa faveur aprés son decés, et en forme de tombeau.
Margaris alma, soror, consors et filia Regum, Omnibus his moriens (proh dolor) orba fuit: Pars ferro occubuit, pars altera caesa veneno, Tutior est solio parvula sella gravi: Praevisis obiit mater vexata procellis, Par Natae moeror praestitit inferias. [313] Marguerite des Rois épouse, fille et soeur, De tous avant sa mort déplora la misere, Le fer, et le poison les mirent dans la biere, Le Trosne est dangereux, un bas siege est plus seur: Des troubles fourmillans le redouté malheur, Sur la fin des Estats à Blois perdit sa mere, Des genereux Valois sa fille la derniere, Vint mourir à Paris d'une mesme douleur.
(1) France, blazonné à la page 107. Valois ancien, de France, à la bordure de gueules.
(2) Du Tillet.
(3) Au Cabinet des Medailles de la Bibliotheque des Minimes de la Place Royale.
(4) Sylloge Numismatum J. J. Luckii.
(5) Brissac ou Cossé, de sable, à trois feuilles de sie, autrement dites, trois fasces d'or danchées par le bas. Monluc, d'or, à un tourteau de gueules. Termes, d'azur, à trois demy-pals flamboyans d'argent, partans du pié de l'escu. Bellegarde, d'azur, à la cloche d'argent, bataillée de sable.
(6) Montespedon, de sable, au lyon d'argent, armé et lampassé de gueules.
(7) Lalain, de gueules, à dix lozanges d'argent, 3. 3. 3. 1.
(8) Grosbeth, d'argent, à la fasce vivrée de gueules.
(9) Sc. de Sainte-Marthe.
(10) Quelques-uns disent qu'elle fit un voyage en Cour l'an 1583. où elle demeura peu de temps.
(11) Dés l'an 1598. elle en fit prier le Roy Henry IV. avant méme que l'on parlast du mariage de la Princesse de Florence.
(12) Céte Maison Royale s'appelle aussi Boulongne; mais les Courtisans du temps du Roy François (qui se retiroit souvent en particulier) pour témoigner que là on n'y voyoit point le Roy, disoient qu'il estoit à Madrid, à cause dequoy plusieurs depuis l'ont appellé Madrid.
(13) C. Robertus in Gallia Christ. J. Doublet és Antiquitez de saint Denys. Les Freres Sainte-Marthe. E. Pasquier en sa lettre à Monsieur Mangot, Maistre des Requestes, depuis Garde des Seaux.
(14) Le mesme jour la Reyne de la Grande Bretagne fut baptisée, comme j'ay remarqué en l'Eloge d'Elizabet II. Reyne d'Espagne, au 1. Tome.