Madeleine de France/Hilarion de Coste

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[II,201] MAGDELAINE DE FRANCE, PRINCESSE DE VIANE (1). MAGDELAINE de France estoit la 5. fille de nostre Roy Charles VII. dit le Victorieux, et de la Reyne Marie d'Anjou sa femme. Elle fut nourrie et eslevée par la Reyne sa mere avec ses autres soeurs Radegonde de France, qui mourut aprés avoir esté fiancée à Sigismond d'Austriche, fils de Federic Duc d'Austriche, de Stirie, et de Carinthie: Ioland femme du Bienheureux Amedée, Princesse grandement courageuse: Caterine Duchesse de Bourgongne, et Jeanne Duchesse de Bourbonnois (2).
Magdelaine, quoy que plus jeune que ses soeurs, les devança en perfections, en vertus, et en merites; et les dons de grace et de nature dont elle estoit enrichie, meritoient le droit d'aisnesse, ayant dés ses jeunes ans acquis la reputation d'estre l'une des plus belles, des plus sages, et des plus vertueuses Princesses de l'Europe et de l'Univers. La renommée de la beauté et des vertus de Magdelaine qui se respandoit autant dans les Royaumes voisins, que dans la France, estant venue jusques aux oreilles de ce tres-beau et tres-vaillant Prince Ladislas Roy de Hongrie et de Boheme, fils d'Albert d'Austriche II. Empereur (aprés avoir esté receu et couronné Roy de Boheme dans sa ville de Pra-[202]gue malgré les efforts des Hussites, qui suivant la coustume des heretiques, vouloient le priver de son Royaume, et de sa Couronne) estoit sur les termes d'épouser une femme, pour le bien de ses Estats et de ses sujets Catholiques. L'amour qui prend quelquefois par les oreilles comme par les yeux, l'enflamma tellement au recit qu'on luy fit de nostre sage et chaste Princesse Magdelaine de France, qu'il n'avoit plus de coeur ny de pensées que pour elle. Ne pouvant demeurer en repos, il l'envoya demander au Roy Charles son pere par une solemnelle Ambassade. Ce fut à Tours que les Ambassadeurs de Ladislas Roy de Hongrie et de Boheme furent receus de Charles VII. avec tous les honneurs qu'on pouvoit recevoir. Un Historien estranger (3) a remarqué que celuy qui fit la harangue, dit entre autres choses à sa Majesté: Tu es la colomne de la Chrestienté, et mon souverain Seigneur est l'escu. Tu es la Chrestienne maison, et mon souverain Seigneur en est la muraille. Le Roy Tres-Chrestien promit et accorda sa fille Magdelaine à celuy de Hongrie, qui s'estima bien-heureux d'avoir cette Princesse pour femme, ayant preferé, au fidele rapport de l'Historien de Boheme (4) (qui depuis fut eslevé au souverain Pontificat, et prit le nom de Pie II.) cette alliance à toute autre, tant pour la beauté et les bonnes moeurs de Magdelaine, que pour sa noblesse, estant issue de la Maison de France, la premiere et principale de la Chrestienté. Mais ce jeune Prince bien né, grand zelateur de la Religion de ses peres, ne jouit point du bien et du contentement qu'il avoit tant desiré, estant decedé au grand regret de ses sujets Catholiques la mesme année qu'il avoit esté fiancé, par une mort inesperée, qu'on luy avança par poison. Le malheureux Rokissana, l'un des principaux Predicants des Hussites, fut l'autheur et le ministre de ce crime abominable; lequel aprés la mort de ce jeune Roy fut creé, par les Sectaires de Jean Hus, Archevéque de Prague. D'autres disent qu'une Dame qu'il aymoit luy avança ses jours.
Magdelaine de France, aprés le decés inopiné de Ladislas Roy de Hongrie et de Boheme, fut recherchée par plusieurs autres Princes tres-illustres, tant pour leurs vertus, [203] que pour leur noblesse. Ce fut Gaston de Foix, Prince de Viane, fils aisné de Gaston IV. du nom, Prince de Navarre, et Comte de Foix, et d'Eleonor d'Arragon, heritiere du Royaume de Navarre, qui eut l'honneur d'estre le gendre de nostre Roy Charles VII. renommé par l'Univers pour avoir chassé de la France les anciens ennemis de ce Royaume. Le traité du mariage de Magdelaine de France et de Gaston de Foix se fit à Tours l'an 1458. et ne fut consommé que trois ans aprés, sçavoir l'année 1462. un an aprés le decés du Roy Charles VII.
Ce saint Hymen de Gaston et de Magdelaine fut un des plus heureux que l'on ait veu. Ce genereux Prince, et cette vertueuse Princesse passerent prés de 9. années, qui sembloient des momens à nostre Magdelaine durant leur cours, mais qui depuis luy semblerent des neans quand elles furent passées. O cruelle mort! est-ce ainsi que tu separes ceux qu'un sacré lien rendoit indivisibles, et dont la bien-veillance faisoit plustost l'unité que l'union. Le monde est semblable au cristal, qui se brise lors qu'il brille le plus; ordinairement les plus douces fortunes y sont les plustost flestries, et les plus grandes les plus traversées: l'envie, comme la foudre, ne bat que les hautes tours. Ce ravissement (car c'est ainsi qu'il faut appeller la precipitation du jeune Gaston Prince de Viane) arriva lors qu'elle y pensoit le moins. Les edifices se fendent avant que de tomber; le tonnerre esclaire avant que frapper: mais souvent la mort comme un terre-tremble vient inopinément, et comme un larron elle nous surprend la nuit.
Gaston de Foix accompagnant Charles de France Duc de Guyenne, frere puisné de Magdelaine son épouse, à la prise de possession de ce Duché là, s'estant trouvé à Liborne prés de Bordeaux, aux joustes et aux tournois qui s'y faisoient, fut blessé d'un esclat de lance si griefvement, qu'il en mourut incontinent, le 23. jour de Novembre l'an 1470. laissant nostre Princesse sa veuve fort triste et affligée, par la perte incomparable de ce Prince genereux: duquel elle eut deux bons gages de son amitié, un fils unique nommé François Phoebus, qui aprés la mort d'Eleonor d'Arragon [204] son ayeule paternelle fut Roy de Navarre; et une fille appellée Caterine.
Magdelaine de France Princesse de Viane, aprés avoir rendu les honneurs funebres au Prince son mary, qu'elle fit inhumer avec une Royale magnificence dans la grande Eglise de Saint André de Bordeaux, s'adonna entierement aux exercices de devotion et de pieté. Elle ne regardoit que le Ciel, et par les prieres qu'elle faisoit ou faisoit faire pour le repos de son ame, elle soulageoit sa tristesse et sa douleur. Elle se retira dans ses maisons avec ses enfans, dont la veue adoucissoit un peu le regret de sa perte; parce qu'elle le voyoit revivre en eux. Magdelaine sera à jamais louée par tous les peuples de la terre, pour le soin qu'elle a pris à eslever ses enfans. Les Ecrivains de l'Histoire de France et de Navarre ne luy sçauroient donner d'assez beaux Eloges, tant pour la bonne nourriture et instruction qu'elle donna à son fils le Roy François Phoebus, que pour l'avoir maintenu et conservé en son Estat contre les mauvais desseins de ses voisins, et de quelques Navarrois. Ce jeune Prince ayant appaisé par Edit les seditions du Royaume de Navarre, pour les factions des Maisons de Beaumont et de Grandmont, s'en revint à Pau en Bearn, laissant nostre Magdelaine sa mere Regente au Royaume de Navarre, laquelle portoit ce titre: Magdelaine fille et soeur des Rois de France, Princesse de Viane, tutrice et gouvernante de nostre tres-cher et tres-amé fils François Phoebus, par la grace de Dieu Roy de Navarre, Souverain de Bearn, Duc de Pegnafiel, Comte de Foix, de Bigorre, etc. (5) Ce petit Prince estant bien né et bien instruit par Magdelaine sa mere, et adonné à toute sorte de gentillesse, se delectoit principalement à la Musique, et aux instrumens, dont il jouoit parfaitement bien. Le 29. Janvier 1483. ayant aprés disner pris une flute pour s'esbatre, aussi tost qu'il l'eut approchée de sa bouche, il se sentit frappé d'un poison si violent, que tout le secours de sa mere tres-affligée, et de ses Medecins et serviteurs ne peurent empescher qu'il ne mourust dans deux heures aprés, n'ayant encore que seize ans, quinze mois aprés son Couronnement à Pampelune: com-[205]me on l'eut jetté sur son lit, il dit à sa mere et aux assistans ces belles paroles de Nostre Seigneur, Mon Royaume n'est pas de ce monde, ne vous affligez point de ma mort, car je m'en vay à mon Pere (6).
Ce qui monstre que François Phoebus Roy de Navarre avoit une tres-bonne ame. Magdelaine aprés le decés de son fils unique, fit porter son corps de Pau à l'Escar, et le fit inhumer en l'Eglise de Nostre-Dame, qui est la Cathedrale.
A François Phoebus succeda au Royaume de Navarre Caterine de Foix sa soeur, laquelle porta le Royaume de Navarre, et les Principauté de Bearn, et Comté de Foix à Jean d'Albret, fils d'Alain Sire d'Albret, et de Françoise de Bretagne, qui fut Roy de ces païs là à cause d'elle. Magdelaine de France accompagna en Navarre la Reyne Caterine sa fille, et son gendre Jean d'Albret, pour assister à la solemnité de leur Sacre et Couronnement qui se fit à Pampelune l'an 1486. où elle mourut la mesme année. Elle gist en la Chapelle des Rois, dite la Grande Chapelle, en l'Eglise Cathedrale de la mesme ville. Magdelaine de France perdant son cher fils François Phoebus Roy de Navarre, eut cette consolation en sa perte que sa fille Caterine de Foix, Reyne, et heritiere du mesme Royaume, Princesse de Bearn, et Comtesse de Foix luy succeda à ce Royaume, et à ces Principautez là, qui a eu une heureuse posterité, laquelle ne commande pas seulement au Royaume de Navarre, et à la Principauté de Bearn; mais à la premiere Couronne de la Chrestienté. La Reyne Caterine ayant eu plusieurs enfans de Jean d'Albret son mary, entre autres Henry d'Albret Roy de Navarre, marié à Marguerite de France ou de Valois, soeur du Roy François I. de laquelle il eut sa fille et heritiere Jeanne d'Albret Reyne de Navarre, femme d'Antoine de Bourbon Duc de Vendosme de son chef, et Roy de Navarre à cause de cette Princesse sa femme: de cet heureux mariage est issu Henry le Grand Roy de France et de Navarre, pere de Louys le Juste, et ayeul de Louys Dieu-donné, aussi Rois des mémes Royaumes.

(1) Foix, escartelé au premier et 4. d'or, à trois pals de gueules, le 2. et 3. d'or, à deux vaches passantes de gueules, accornées, et clarinées d'azur, qui est de Bearn.
(2) Sainte-Marthe.
(3) Monstrelet.
(4) Aeneas Silvius.
(5) And. Favyn en l'Histoire de Navarre.
(6) Regnum meum non est de hoc mundo: non turbetur cor vestrum, noque formidet quia vado ad patrem.

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