Madame de Lunel/Aloïs Delacoux
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[118] LUNEL (madame de), sage-femme jurée à Chartres, en 1750. Alors que l’art des accouchemens n’était entre les mains de la plupart des femmes qu’une pratique routinière, on dut nécessairement remarquer et tenir compte du mérite de celles qui avaient des talens. Madame de Lunel fut de ce nombre, et honora sa carrière autant par sa prudence et son habileté que par la dignité qu’elle mit dans l’exercice de sa profession.
Madame de Lunel a écrit deux observations sur l’extraction de placentas enkystés, qui sont insérées dans le 2me vol. du Journal de médecine et de chirurgie de juillet 1766. Ces deux observations ne sont point seulement remarquables par la précision qu’a mise l’auteur dans l’exposition du fait principal; mais à cette occasion, un mode de manoeuvre fort ingénieux pour connaître le point d’implantation du placenta, sans introduire la main dans la matrice, a été exposé avec un rare bonheur. On nous saura gré sans doute de faire connaître le mode d’agir de madame de Lunel, puisqu’il peut abréger, dans bien des cas différens de ceux qu’elle rapporte, des tentatives de délivrance.
«Je fais coucher la femme sur le dos, je porte ma main dans le vagin, jusqu’à l’orifice interne. Je tiens cette main de manière que la paume soit tournée du côté du coccyx. Je tiens les doigts à moitié fléchis, et entre le premier et le second, je fais passer le cordon du placenta tenu fortement de l’autre main; je tire de cette autre main le plus droit possible (selon l’axe du vagin) et vis-à-vis l’intervalle des deux [119] doigts de la main que je tiens à l’embouchure de la matrice. Je reconnais infailliblement si le placenta est attaché aux parties latérales et dans laquelle des deux, parce que, s’il est dans le côté droit et que ce soit la main gauche que j’aie dans le vagin, je sens que le cordon appuie plus fort sur le doigt du milieu que sur le premier doigt; et au contraire, si c’est la main droite que j’aie dans le vagin, c’est sur le doigt indice que le cordon appuie le plus: réciproquement, si le placenta est dans la région latérale gauche et que j’aie la main gauche dans le vagin, c’est le doigt indice qui ressent la pression du cordon, et, si c’est la droite, c’est le doigt du milieu. Il n’est pas nécessaire de remarquer que je suppose l’orifice interne encore assez dilaté pour ne pas embrasser parfaitement le cordon. Quand ni l’un ni l’autre de mes deux doigts, situés comme je le dis, ne ressent la pression du cordon, j’en conclus que, si le placenta n’est pas adhérent directement au fond de la matrice, il faut qu’il le soit à la face antérieure ou à la face postérieure; et alors je ne fais que retourner ma main de manière que le dedans soit tourné vers une cuisse et le dehors vers l’autre cuisse, tenant toujours le cordon entre les deux premiers doigts, à demi fléchis et postés comme je l’ai dit, assez haut pour que le cordon n’appuie pas sur le pubis; il est certain que quelque soit la main que j’aie dans le vagin, si le placenta est à la face antérieure, je sens que le cordon appuie davantage contre le doigt indice; et au contraire c’est sur le doigt du milieu qu’il s’applique le plus, s’il est à la face postérieure.»
Il faut convenir que cette manoeuvre, toute ingénieuse qu’elle est, demande de l’attention dans la personne qui l’exécute, pour porter un jugement aussi juste qu’il puisse l’être. À l’aide [120] de cette méthode on peut en effet éviter des tentatives infructueuses, par exemple, celle d’introduire la main gauche dans les cas d’implantation du placenta au côté droit, et réciproquement.
La manière dont madame de Lunel parvint à décoller le placenta dans les deux cas qu’elle rapporte mérite d’être connue. «Je pris le cordon, dit-elle: c’était le moyen de ne pas aller ailleurs qu’au placenta, et je procédai comme si j’eusse voulu entrer dans la matrice dont l’orifice interne n’eût pas été assez élargi. J’eus assez de peine, encore j’y parvins; le cordon que je tenais me conduisit à connaître la position du placenta. Je parvins ensuite à passer mes doigts entre les membranes et la matrice, afin de décoller le placenta, en glissant mes doigts entre celui-ci et la matrice, et à en décoller une portion, et ainsi, avec beaucoup de ménagement, je parvins en un quart-d’heure à faire l’extraction de l’arrière-faix.»
C’est moins comme pratique rare que nous avons rapporté cet extrait, que pour faire connaître à nos lectrices la manoeuvre habile et sagement combinée qu’a employée madame de Lunel, laquelle manoeuvre peut trouver son application dans bien des cas où le délivre ne suit pas immédiatement la sortie de l’enfant.