Lucrèce de L'Hospital/Hilarion de Coste

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[II,182] LUCRESSE DE L'HOSPITAL Demoiselle de Vitry (1).

LE Proverbe est veritable, qui dit que l'homme propose, et Dieu dispose. J'avois dessein de presenter l'une des parties de ce livre à cette tres-vertueuse Demoiselle, mais depuis qu'il est sous la presse Nostre Seigneur en a disposé autrement l'ayant retirée à soy, d'autant que luy ayant pleu, et l'ayant bien aymée il l'a ravie de cette terre, de peur que la malice ne changeast son courage, ou que les artifices ne surprissent son ame; car la méchanceté par ces charmes obscurcit le lustre de la vertu, et l'inconstance des desirs pervertit l'esprit qui est sans malice: estant bien morte, elle a accomply beaucoup de temps; son ame estant plaisante à Dieu, qui pour cette occasion s'estoit hasté de la retirer du milieu du vice; de sorte qu'il m'a fallu faire l'Eloge de celle à qui j'eusse desiré presenter cet ouvrage.

Cette tres-noble Demoiselle estoit issue de la Maison de l'Hospital au Duché de Calabre, Province du Royaume de Naples; Maison qui s'est estendue en France aprés que Jean de l'Hospital second fils de Federic de Gallucia Comte de l'Hospital, et de sa femme Marie d'Anjou, dite de Sicile, se retira en ce Royaume au service du Roy Jean II. l'an 1356. qui l'honora de la charge de Grand Maistre des Arbalestriers, et luy fit épouser Jeanne Bracque (2) Dame de Choisy, fille de Nicolas Bracque Seigneur de Saint Maurice, et de Chastillon sur Loin, Conseiller, et Chambellan des Rois Charles V. et VI. et de sa seconde femme Jeanne de Bouthilier de Senlis, qui mourut l'an 1380.

De Jean de l'Hospital sont descendus des Heros les Seigneurs de Choisy, de Sainte Mesme et de Vitry; deux Mareschaux de France (3), quatre Chevaliers du Saint Esprit, trois Capitaines des gardes du corps de nos Rois, qui ont esté [183] alliez aux illustres Maisons de l'Orfevre, de Rouhaut Gamaches, de Poisieux ou du Passage en Daufiné, de Stuart-Albanie, de Cossé, de Beauvau, de la Marc, de la Chastre, de Montmirail, de Brichanteau, et autres. Cette Maison a esté fertile en Heroïnes sçavantes, entre autres de Louyse de l'Hospital, femme de Mr de Simiers Maistre de la Garde-robe de feu François de France Duc d'Anjou et de Valois, frere unique du Roy Henry III. et fille aisnée de François de l'Hospital, sieur de Vitry et de Coubert, et d'Anne de la Chastre, et soeur de Louys de l'Hospital Seigneur de Vitry, Chevalier des deux Ordres du Roy, Capitaine des gardes du corps de nos Rois, Gouverneur de Meaux, et premier Veneur de France: laquelle a composé des Meditations sur la vie de la Magdelaine, et des vers sur la mort de Caterine de Rohan Duchesse des deux Ponts. Sur la fin de ses jours elle a fait une fondation à la Maison de Sorbonne en faveur des pauvres prisonniers, et de ceux qui sont condamnez à la mort: Et aussi en pieuses, entre lesquelles paroistra Lucresse de l'Hospital de Vitry, troisiéme fille de Nicolas de l'Hospital Duc de Vitry, premier Mareschal de France, Gouverneur de Meaux, et Lieutenant general en Brie, Gouverneur pour le Roy en ses pays et armées de Provence, Marquis d'Arc, Comte de Chasteau-villain, et Seigneur de Coubert, et de Lucresse Marie Bohier, Dame du Plessis aux Tournelles, qui avoit épousé en premieres noces Louys de la Tremoille Marquis de Narmoustier.

Elle a eu pour freres (4) François-Marie de l'Hospital Marquis de Vitry, Lieutenant general pour le Roy en Brie, Gouverneur de Meaux, Mestre de Camp du Regiment d'Infanterie de la Reyne, fort estimé pour son courage, desja employé en beaucoup d'actions, ayant toutes les qualitez qu'un Seigneur de sa naissance peut avoir. Il n'a pas acquis une petite gloire au passage de la riviere du Lys, ayant esté blessé pour le service du Roy. Louys Comte de l'Hospital qui mourut aagé de 10. ans. Roger-Maurice de l'Hospital Chevalier de Vitry de l'Ordre de Saint Jean de Hierusalem ou de Malte, l'un des beaux esprits du siecle, decedé à Chasteau-villain l'an 1643. estant [184] âgé de 14. ans. Charles de l'Hospital destiné à l'Eglise mourut aagé de 4. ans. Nicolas-Louys Comte de l'Hospital, jeune Seigneur de grande esperance. Et pour soeurs Françoise de l'Hospital decedée en l'aage de cinq ans. Marie, morte aagée de sept ans; et Louyse de l'Hospital Coadjutrice de l'Abbaye de Montevillier.

Dés sa plus tendre jeunesse elle a aymé les choses bonnes et vertueuses, et a eu tousjours une aversion des mauvaises. Elle ne prenoit point de plaisir à la lecture des Romans, et autres livres prophanes, qui causent plus de mal que de bien à celles qui perdent le temps à les lire; et avoit une devotion tres-particuliere à la Vierge; pieté qu'elle avoit apprise de feu Monsieur le Mareschal de Vitry son pere. Les exemples, et entre les exemples les domestiques ont grand pouvoir sur les esprits, et font beaucoup plus que les instructions. Ce Seigneur a laissé en plusieurs Eglises et Monasteres des témoignages de sa devotion et de sa liberalité, particulierement envers la Mere de Dieu: et en diverses occasions il n'a pas moins fait paroistre son zele vers la vraye Religion, que sa valeur en plusieurs combats.

Le feu Roy Louys XIII. se servit de luy pour donner la paix à son Estat, et bannir la guerre civile qui divisoit les François l'an 1617. Ce fut le premier qui donna avis de faire le Fort-Louys, qui a fait voir la foiblesse de la Rochelle, et donna les moyens à sa Majesté de s'en rendre le Maistre. En la prise de Royan sur les Religionnaires rebelles, il fit voir la grandeur de son courage avec l'estonnement d'un chacun. En temps de paix et des troubles, il s'est tousjours monstré inébranlable en ce qui concernoit le service du Roy, s'estant tousjours declaré directement contraire à tous autres interests, quoy que avantageusement sollicité, ayant exposé ses biens, sa vie, et tout ce qu'il avoit de plus cher pour la gloire de son Prince, et chassé tant de ses Gouvernemens que de ceux de ses voisins les factieux, et les avoir reduit en estat de ne respirer que la bonté et la clemence du Roy.

En sa mauvaise fortune causée par l'envie de ceux qui [185] ne pouvoient souffrir sa vertu, il se comporta si Chrestiennement, et avec tant de resolution, que les plus religieux, et les plus grands courages l'ont admiré. La fin de sa vie ne degenera en rien à la grandeur de son courage, ayant fait voir que la pieté et les armes se peuvent trouver en un mesme sujet.

Cette jeune Demoiselle n'a pas seulement imité la pieté de ses ancestres, mais elle a tasché de les surpasser, estant morte saintement au mois de May de l'an 1645. de laquelle plusieurs ont écrit des Eloges, entre autres le Reverend Pere Nicolas le Fevre d'Ormesson (5), Predicateur de l'Ordre des Minimes, et petit neveu de saint François de Paule, en sa Consolation à Madame la Mareschale de Vitry, sur la mort de cette tres-vertueuse Demoiselle sa fille, dans laquelle il la loue pour ses vertus en ces termes:

«Le monde doit cet aveu public, de n'avoir jamais eu d'entrée en l'esprit de cette tres-vertueuse Demoiselle, ny de part en ses affections; s'il a des attraits elle n'en a point esté touchée, elle en a méprisé les plaisirs, negligé les honneurs, et evité le luxe; et s'estant défaite dés ses premieres années des attaches que sa condition et sa naissance luy pouvoient donner, elle est demeurée constante en l'union de celuy qui estoit l'unique objet de son coeur, et animoit les plus nobles sentimens de son ame. Les plus jeunes de ses ans n'ont point esté susceptibles des foiblesses de l'enfance, ayant fait éclater en cet estat la force et formé, les raisonnemens d'un esprit fait, et d'un aage plus avancé.»

La douceur, la bonté, et la pieté ont esté les vertus qui ont le plus paru en cette devote et chaste Lucresse. Ce fut la douceur qui la fit aymer et respecter, non seulement de tous les domestiques de Monsieur son pere (comme je remarqueray à la fin de cet Eloge) mais aussi de tous ceux qui avoient le bien de la frequenter. Cette vertu l'accompagnoit en tous ses divertissemens, où elle ne s'engageoit que par complaisance; et lors que sa condition la portoit aux assemblées, elle s'y rendoit avec si peu d'affection et de plaisir, qu'elle souffroit plus en ces rencontres, qu'elle n'y trouvoit de satisfaction; elle y entroit avec repugnance, y [186] demeuroit avec inquietude, dans la crainte que sa pieté n'y fust diminuée, ou que la fidelité qu'elle avoit vouée à Dieu ne fust alterée par quelque leger engagement aux creatures; ce qui luy causoit plus de joye et de contentement à sa sortie, qu'elle n'en avoit ressenty en son entrée.

Elle ne paroissoit jamais plus satisfaite que quand ces compagnies estoient composées de personnes de pieté, dégagées d'affection, et d'attache pour le monde: et lors que les emplois de Monsieur le Mareschal de Vitry son pere l'engageoient dans les voyages, elle n'y prenoit point de plaisir que dans la pensée des lieux saints qu'elle auroit moyen de visiter, et dont la veue contentoit plus ses yeux et son esprit, que tous les honneurs que l'on rendoit à sa personne; ses entretiens avec MM. ses freres, n'estoient que des choses saintes. Dieu estoit si present à son esprit, qu'elle luy faisoit offre de toutes ses pensées avant que de les éclorre: toutes les heures du jour luy estoient autant d'avis d'en faire revivre la presence dans son ame, et par des retraites continuelles qu'elle faisoit au dedans de soy mesme, elle luy consacroit tous les mouvemens; ce qui se passoit en elle avec tant de facilité, et si peu de contention exterieure, que l'ouvrage de ses mains n'en estoit point empesché, travaillant à des fleurs de laine et de soye, avec autant d'adresse, comme si elle n'eust point eu d'autres pensées, faisant cependant plus de progrés en l'amour de Dieu, que son aiguille ne formoit de points, par un agreable mélange qu'elle a fait toute sa vie de la priere et du travail.

La priere ne luy donna jamais de peine, et plus elle advançoit en aage, plus découvroit-elle de charmes dans l'oraison: de sorte qu'il falloit quelquefois user de contrainte pour la divertir de cet heureux employ. Ayant contracté une habitude si louable, elle la voulut perfectionner par la pratique de l'Oraison mentale, dans laquelle son esprit paroissoit occupé avec tant de paix et de tranquillité, qu'elle y donnoit les deux et trois heures, comme elle auroit fait les momens, s'appliquant à Dieu avec tant de contention et d'ardeur, qu'elle luy parloit plus frequemment [187] par ses yeux, et par les mouvemens de son coeur, que par les accens de sa voix; ses filles l'ayant veue plusieurs fois le visage trempé de larmes: Et afin que son corps prist part aux sentimens de son ame, elle l'affligeoit par des penitences, et rejettant les carreaux que l'on presentoit à ses genoux, elle les obligeoit à souffrir l'humidité de la pierre, et la dureté du marbre, les y tenant à nud aux heures de ses oraisons, aprés avoir étendu ses juppes sur les carreaux que l'on luy avoit presentez. Elle n'entroit jamais ny sortoit de l'Eglise que cachée dedans son voile. Elle ne se vid point en la peine des Dames du temps, qui se sentent obligées de se confesser d'avoir esté à la Messe, parce qu'elles y veulent souvent partager avec Dieu les voeux que luy font les hommes, et l'adoration publique qui luy est rendue. Elle avoit un tel respect pour la Mere de Dieu, qu'elle en recitoit tous les jours l'Office et le Chappelet; et si quelque alteration en sa santé, ou quelque occupation l'obligeoient à s'en dispenser, elle le faisoit dire par d'autres, ou le recompensoit par des aumosnes qu'elle faisoit chaque jour aux pauvres. Elle gardoit les mémes regles pour ses exercices de prieres et de pieté, esquels elle estoit fort assidue et ponctuelle.

Elle prioit dans une si forte application d'esprit, qu'estant foulée aux pieds par un nombre de passans dans les Eglises (où sa devotion et l'obligation la portoient de faire son oraison en public les Dimanches et les Festes) elle demeuroit immobile, paroissant moins inquietée dans cette presse importune, que si elle eust esté seule dans son Oratoire: de sorte que cette action qui avoit le repos et la tranquillité de l'extase, donnoit de l'admiration à tous ceux qui la voyoient en oraison, et leur faisoit souhaiter que toutes les Dames qui frequentent les Eglises, y voulussent prier avec autant de silence, et de respect.

Ces entretiens continuels et familiers qu'elle avoit avec Dieu, ont esté sans doute la cause des resistances que feu Monsieur le Mareschal de Vitry, et Madame la Mareschale sa mere ont trouvé en elle avec estonnement, lors que leur bonté qui veilloit incessamment à l'establissement de [188] sa fortune, luy faisoit l'ouverture de quelque party advantageux; éloignant avec tant d'adresse le dessein que Messieurs ses parens faisoient de la marier, qu'elle témoignoit mesme quelque sorte de joye quand elle apprenoit la mort ou quelque sinistre succés dans la fortune de ceux que la naissance et les biens sembloient luy preparer pour époux; non pas, comme dit fort bien le Reverend Pere d'Ormesson en son Eloge, qu'elle eust complaisance en leur mal, (la charité n'auroit point permis ce desordre en son ame) mais parce qu'elle se croyoit redevable à ces accidens impreveus du delay qu'elle souhaitoit, et de la conservation de cette pureté incomparable qu'elle a gardée jusques à la mort: ses pensées ayant esté si pures, et ses mouvemens si reglez durant sa vie, qu'elle avoit fait pacte avec ses yeux et le reste de ses sens, de jamais n'approcher les objets qui la pourroient rendre coupable, offenser son integrité, ou alterer son innocence; ayant paru si honneste et si chaste en son corps, qu'elle n'a pas pû se resoudre aux ornemens et aux soins ordinaires des filles de son siecle, ny estudier sur sa personne les charmes, et rechercher les graces, que le luxe et la vanité inventent tous les jours. Et comme elle n'avoit dessein que de plaire à Dieu et d'avancer sa gloire, elle ne vouloit point donner cet avantage aux hommes, de se croire assez considerable en son esprit, pour luy faire naistre le dessein de leur plaire, ny de pratiquer en sa personne des moyens capables de les arrester, ou de les divertir en quelque façon de l'attention et de l'amour dont elle les croyoit tous estre redevables à Dieu: et dans cette pensée elle ne craignoit ny les langueurs, ny l'affoiblissement des jeusnes, ausquels son aage ne l'assujetissoit pas encore, et qu'elle observoit neantmoins si austerement, que pour se défaire de l'importunité de celles qui avoient le soin de sa personne, et se soustraire aux yeux de Madame sa mere qui veilloient à sa conservation, elle se retiroit souvent de sa table pour quelques affaires pretextées, ou pour un dégoust supposé: et bien que le peu d'asseurance qui paroissoit en sa santé l'obligeast à se dispenser de ces abstinences qu'elle faisoit, non seulement les jours de jeusnes commandez de [189] l'Eglise; mais aussi les Vendredis pour la devotion qu'elle avoit à la Passion de JESUS-CHRIST; les Samedis pour le respect qu'elle portoit à la Mere de Dieu, et les veilles des Festes de cette tres-sainte Vierge, et des Saints, ausquels elle avoit une particuliere devotion, et autres rigueurs qu'elle s'estoit secretement imposées; on ne l'y a jamais pû resoudre. Ces jeusnes, et les autres austeritez estoient ses divertissemens, et le seul desir d'apprendre le bien, et de le pratiquer estoit tout ensemble ses delices et ses occupations.

Des peines si continuelles, des austeritez si frequentes, et des fatigues si assidues ayant alteré avec excés son temperament, et affoibly les forces de son corps, elles le preparerent à la maladie dont elle se sentit atteinte; aprés s'estre heureusement acquitée des devoirs du Jubilé (qui fut celebré à Paris depuis le 2. d'Avril de l'an 1645. jusques au 16. du méme mois, qu'écheoit la feste de Pasques inclusivement) dans des pratiques de vertu extraordinaires, des charitez sans nombre, et des sentimens de Dieu si grands et si élevez, que l'on a jugé par les suites et les consequences, que Dieu achevoit en ces jours de grace et de misericorde, l'ouvrage qu'il avoit commencé depuis vingt ans en la personne de cette tres-pieuse Demoiselle; luy donnant pour lors le dernier accomplissement necessaire à son bon-heur: Ses prieres ne furent plus mesurées par les heures, mais par les journées entieres; elle ne faisoit plus de visites dans les Eglises, mais des demeures, et l'attention qu'elle donna à Dieu, n'estant plus interrompue par les necessitez de son corps, qu'elle traitoit ce semble comme un esclave; elle ne forma plus de pensées que pour le Ciel, et ses entretiens de la gloire des Bien-heureux furent si frequens, que les personnes mesme les plus devotes en estoient comme surprises: faisant reconnoistre sensiblement en ses actions et en ses moeurs, le renouvellement d'une creature qui se forme en JESUS-CHRIST.

Le 25. d'Avril 1645. elle se sentit travaillée d'un accés de fiévre qui passa en continue avec redoublement. Dans les approches de sa fin elle demanda les Sacremens necessai-[190]res à ce dernier moment, et les ayant receus avec toutes les dispositions d'une ame veritablement Chrestienne, qui dans les ardeurs de son amour, n'avoit point d'autre passion que de se détacher d'un corps qu'elle n'avoit aymé, qu'autant qu'elle l'avoit jugé capable de contribuer à la pieté de ses desseins, elle entra dans une paix si profonde, que dés ce moment elle ne regarda plus la mort comme le terrible des terribles, qui luy vouloit faire violence; mais comme une aymable Loy qui l'unissoit à son Autheur, et une main charitable qui se preparoit à la division qu'elle souhaitoit depuis tant d'années: elle ne fit point de reproches ny de plaintes pour cette impitoyable qui l'enleva en la fleur de son aage, dans la naissance de ses esperances, et des grandeurs qu'elle se pouvoit raisonnablement promettre sur terre: la seule pensée qui l'affligea fut la separation de Madame la Mareschale sa mere, qui aprés le decés de feu Monsieur le Mareschal de Vitry son mary, ne trouvoit plus de consolation ny de soulagement que dans la presence de cette fille si vertueuse, et qui ne découvroit plus de douceur que sur son visage, et dans son entretien: mais ayant en ce moment appris la conformité de Madame sa mere aux volontez de Dieu, son agitation cessa, et cette inquietude fut suivie d'un calme qui accompagna son esprit jusques au dernier periode de sa vie.

Ses pensées estant toutes dégagées de la terre, elle ne s'occupa qu'aux louanges de Dieu, et aux actions de graces qu'elle rendit à sa Bonté infinie, de l'avoir conservée dés sa naissance dans la pureté d'esprit et de corps; conjurant le Ciel d'en recevoir de nouveau les offres et les voeux, dans une protestation solemnelle qu'elle fit de vivre et de mourir en cette sainte resolution: esperant de sa misericorde qu'elle luy continueroit cette grace, si elle augmentoit le nombre de ses jours; mais si elle luy prescrivoit des bornes aussi resserrées, comme le mal qui la pressoit luy donnoit à juger, qu'elle luy feroit la faveur de la recevoir dans le Ciel au nombre de ses Vierges.

Des pensées si pures et si saintes ayant eslevé cette ame jusques dans le sein de Dieu, la charité fraternelle l'invita [191] à les abaisser encore pour un moment dans le discours qu'elle fit à Messieurs ses freres les Marquis de Noirmonstier et de Vitry, et le Comte de l'Hospital, des motifs qui les devoient consoler sur sa perte: et les envisageant d'un oeil sec, qui n'avoit plus de regards ny de larmes pour la terre, leur parlant d'une voix plus animée de l'amour de Dieu, que formée par les forces de la nature, elle les convia au mépris des plaisirs du monde, et de ses grandeurs; elle les exhorta à se donner si parfaitement à Dieu, que le desordre des passions, la corruption du siecle, et le nombre des libertins ne les en pût jamais divertir, ny par le déreglement de leurs moeurs, ny par la licence de leurs entretiens: elle les conjura d'estudier sur son visage abbatu, les miseres de leur condition, et de reconnoistre en sa personne à demy morte, le peu d'asseurance qu'il y a dans la vie; et comme les armes du Roy, et la fidelité qu'ils ont vouée à son service les ont plusieurs fois exposez aux hazards de la perdre, de faire souvent reflexion sur cet instant, qui dans son peu d'estendue enferme de grandes suites, qui portent une eternité, ou dans les peines, ou dans les recompenses: Enfin elle les pria d'aymer le monde et les biens qu'il promet avec tant d'indifference, qu'ils n'eussent point plus de peine un jour à les quitter, qu'elle en ressentoit en ce dernier passage.

Cette chere et vertueuse soeur ayant heureusement rencontré dans l'esprit de Messieurs ses freres, les dispositions qu'elle pouvoit souhaiter pour recevoir et agreer ses bons avis: elle fit dire à Madame sa mere qu'elle s'estoit consacrée à Dieu, et qu'elle luy avoit demandé de vivre et de mourir vierge du corps et de l'esprit: qu'elle s'estimoit heureuse de ce que dans diverses propositions de mariage, il n'y avoit rien eu d'achevé au prejudice de son dessein et de son offrande: Qu'elle la supplioit humblement de la tant favoriser, qu'aprés sa mort son corps ne fust ny ouvert, ny embaûmé, ny mesme ensevely d'autres mains que de celles de ses suivantes: Qu'elle luy permist de choisir pour le lieu de sa sepulture celuy de son ayeul paternel Louys de l'Hospital Seigneur de Vitry et de Coubert, Chevalier des Or-[192]dres du Roy, et Capitaine de ses gardes, (qui estoit mort si Chrestiennement l'an 1611. en Angleterre, où il estoit Ambassadeur extraordinaire du feu Roy Louys XIII. prés de Jaques Roy de la Grande Bretagne, auquel il avoit l'honneur d'appartenir) et de son ayeule paternelle Françoise de Brichanteau (6), de la Maison de Beauvais Nangis, Dame d'une grande vertu, en leur Chapelle de l'Eglise des Minimes de la Place-Royale; que c'estoit de là d'où elle avoit envoyé au Ciel la pluspart de ses voeux et de ses prieres, et qu'elle avoit eu plus d'inclination et de respect pour cet Ordre, que pour les autres: Et aussi de donner mille escus aux pauvres. Aprés avoir dit adieu à Messieurs ses freres, et fait ces demandes à Madame sa mere, elle éleva une derniere fois son esprit à Dieu, pour ne l'en plus separer; et l'ardeur de la fiévre jointe à la violence du mal qui s'augmentoit, luy ayant osté l'usage de la langue, les mouvemens de son coeur suppleerent au defaut de sa voix, son esprit anticipant l'heureuse façon de parler, qu'il desiroit continuer dans l'Eternité; son ame se transporta dans ses yeux pour s'attacher à la Croix qui luy fut presentée, elle s'appliqua aux souffrances de JESUS mourant, et s'unit à ses playes; ses actes de foy redoublerent, son esperance s'augmenta, et sa charité se consomma dans la remise qu'elle fit de son ame entre les mains de Dieu, sur les onze heures du soir, le 7. de May 1645. en presence de Jaques Pradier Abbé de Nostre Dame la Blanche dans l'Isle de Narmoustier, et Prieur de Saint Philebert, des Peres Jesuites, Recolets, et Minimes, et de plus de quarante domestiques qui fondoient en larmes, pour la perte d'une si bonne Maistresse: (à laquelle le Pere Denys Maupeou (7) Religieux Minime ferma les yeux) qui durant sa vie n'avoit jamais pû souffrir les divisions que la foule des Officiers fait ordinairement naistre dans les grandes Maisons, l'ombre mesme de l'animosité et de l'aigreur luy faisoit peine; et dans l'instant qu'elle en voyoit naistre les nuages, elle travailloit à les dissiper; la paix qui regnoit en son ame reposoit sur ses levres, et couloit dans ses paroles; la douceur de son visage, et la complaisance de son esprit estoient un remede tres-present aux saillies de la [193] colere. Et lors qu'auparavant on luy donnoit sujet de se fascher, elle preferoit le silence à une réponse qui auroit pû approcher de l'aigreur, aymant beaucoup mieux estre jugée capable en se taisant, que de faire voir son innocence, en s'excusant par quelque sorte de plainte. C'estoit la consolation dans toutes les disgraces de la famille, l'azile de ceux qui y estoient les plus foibles: où elle trouvoit plus de foiblesse, elle faisoit plus paroistre sa bonté: il n'y avoit point de differend entre les domestiques qu'elle ne sceust composer avec adresse.

Madame la Mareschale de Vitry, bien que la tristesse l'eust grandement affoiblie, pour la perte d'une fille qu'elle cherissoit uniquement, témoigna qu'elle n'avoit pas épuisé toutes ses forces avec ses larmes: Elle prit le soin de faire executer les derniers desirs de feu Mademoiselle sa fille: et l'ayant vouée pendant sa maladie à saint François de Paule, elle la fit revestir de l'habit Religieux des Filles ou Soeurs Minimes du 2. Ordre de ce saint Patriarche: Elle fut exposée dans une salle une partie de la journée qui devoit finir par son enterrement, qui fut solemnel depuis l'Hostel de Vitry, jusques à l'Eglise Parroissiale de Saint Paul. Six Minimes porterent le corps, dont le visage estant découvert, fut veu aussi vermeil comme si elle eust esté en vie. La pureté a cet avantage de rendre les corps incorruptibles; celuy de cette tres-chaste Demoiselle a paru ennobly de cette grace, et avoit anticipé dés l'instant de sa mort les qualitez excellentes qui esclateront à la resurrection generale des corps qui auront esté purs et innocens; et bien que l'air eschauffé de la saison, et la chaleur excessive causée par une foule de personnes de toutes conditions, qui se transporterent l'espace de deux jours dans la salle de l'Hostel de Vitry, dans l'Eglise de saint Paul, et dans la Chapelle de Vitry de l'Eglise des Minimes; bien que tous ces accidens fussent autant de causes qui disposoient un corps mort à la corruption; sa constitution neantmoins n'en parut aucunement alterée; mais plustost un nouvel éclat, qu'elle n'avoit point eu durant sa vie, ayant rehaussé la [194] couleur de son visage, et l'incarnat de ses levres, fit voir en sa personne un changement si extraordinairement beau, que tous les yeux en furent surpris: La nouveauté de ce spectacle ayant sollicité la curiosité des indifferens, et porté mesme le respect dans le coeur des incredules. Ce corps estendu, qui ne causoit ny horreur aux yeux, ny peine à l'odorat, ny espouvante aux sens, ordinaires ennemis des morts, a fait naistre l'admiration, et porté l'estonnement dans les esprits des plus sçavans, et des plus entendus en ces rencontres, ignorans la cause de ces effets rares et extraordinaires, et ne sçachans s'ils devoient attribuer cette heureuse metamorphose, ou à des causes occultes de la nature, ou aux dispositions miraculeuses de la Grace, ils se sont sentis pressez de remonter à l'Autheur, et de la Nature, et de la Grace, et d'adorer avec respect les secrets de sa Providence dans la conduite de ses oeuvres, et l'oeconomie de ses creatures.

On rendit les derniers honneurs à cette vertueuse Demoiselle le 18. de May 1645. dans l'Eglise des Minimes de la Place-Royale par des pompes funebres, ausquelles Monsieur Estiene Puget Evéque de Marseille dit la Messe, où assisterent Monsieur le Duc d'Elbeuf, plusieurs Chevaliers de l'Ordre, et un grand nombre de Seigneurs et de Dames.

(1) L'Hospital, de gueules, à un coq d'argent, membré, becqué, crété, et barbé d'or. Le coq aux armes de Messieurs de l'Hospital-Vitry, depuis la reduction de Meaux en l'obeyssance du Roy Henry IV. soustient du pied droit un petit escusson d'azur, à une fleur de lys d'or.
(2) Bracque, d'azur, à la gerbe de blé d'or.
(3) Les Mareschaux de Vitry et de l'Hospital du Hallier.
(4) Elle a eu pour freres uterins Mr le Marquis de Narmoustier, et François de la Tremoille, Baron de Chasteauneuf.
(5) Le Fevre Deaubonne d'Ormesson et Lezeau, d'azur, à trois lys de jardin d'argent, tigez de sinople, 2. et 1.
(6) Brichanteau, d'azur, à six besans d'argent, 3. 2. 1.
(7) Maupeou, d'argent, à un porc-espic de sable, miraillé d'argent.

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