Louise Julie Careau

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Louise Julie Careau
Dénomination(s) Julie Soubise, Julie Ségur, Julie Talma, Mlle Jully, Julie Pioch
Biographie
Date de naissance 8 janvier 1756
Date de décès 5 mai 1805
Conjoint(s) François-Joseph Talma
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)



Notice de Chanel de Halleux, 2019

Née à Paris le 8 janvier 1756, Louise Julie Careau apparaît dans les registres de la paroisse Saint-Eustache comme fille de Marie Careau et de père inconnu. L’identité de son père, pourtant, n’est pas secrète : il s’agit de François Pioch, marchand de Pézenas, qui la reconnaîtra comme son héritière par acte notarié du 25 octobre 1794. On ne sait rien des premières années de Louise Julie : fut-elle élevée par sa mère ? fut-elle abandonnée sur un parvis d’église, comme le supposent certains historiens ? Toujours est-il qu’à l’âge de six ans environ, elle croise le chemin de Pierre-Joseph Gueulette, ancien conseiller du Conseil souverain de Pondichéry, qui devient son protecteur (on ignore la nature exacte de leur relation). En 1765, il la fait entrer au Magasin de la rue St-Nicaise, où elle suit une formation de chant et de danse durant quatre ans, tout en étant engagée comme danseuse surnuméraire au corps de ballet de l’Académie royale de Musique. Elle obtient son premier rôle important en janvier 1772 dans Castor et Pollux de Rameau, où elle interprète « une ombre heureuse ». L’Opéra était alors un lieu privilégié pour les rencontres galantes. Comme bien d’autres danseuses, Julie Careau va s’enrichir et monter en société grâce à ses liaisons avec de riches protecteurs. Parmi ses conquêtes, en 1777, François-Antoine de Flandre de Brunville, conseiller du roi, lui donne un fils, prénommé Alexis-Pierre-Louis. Sa grossesse l’oblige à quitter le corps de ballet ; elle n’y reviendra pas.
La jeune femme vit désormais de rentes, fruit des largesses des hommes qu’elle séduit. Grâce à une gestion intelligente, elle parvient à faire fructifier ses biens : entre 1775 et 1780, elle réalise une série d’opérations immobilières et financières lucratives avec une amie, Marie-Catherine Carotte, dite « La Tristan », qui a pu jouer pour elle un rôle d’entremetteuse. La rencontre de Julie Careau avec Joseph-Alexandre, vicomte de Ségur met un terme à la relation entre les deux femmes. Une nouvelle vie, faite de mondanités, commence alors pour l’ancienne danseuse : elle ouvre son premier salon dans son hôtel de la rue Chantereine. De cette union naît Alexandre-Félix, qui voit le jour en 1781. Durant cette période, Julie Careau continue de cultiver les histoires amoureuses. Deux ans après la venue au monde de Félix, tandis qu’elle partage toujours le quotidien du vicomte de Ségur, elle entame une liaison avec le chevalier Maurice de Saint-Léger, dont elle a un fils, Jules, né en 1783.
Quatre ans plus tard, elle s’éprend de François-Joseph Talma, et cette nouvelle passion sonne le glas de sa relation avec Ségur. Talma n’est alors qu’un jeune sociétaire méconnu de la Comédie-Française, mais déjà transparaît chez lui le talent qui annonce sa notoriété future, à la fois comme acteur révolutionnaire et comme comédien favori de Napoléon Ier . Les amants officialisent religieusement leur union en avril 1791, après avoir, non sans mal, trouvé un curé qui accepte de marier un comédien frappé d’excommunication par la pratique de son métier. Les trois enfants nés de ce mariage meurent en bas-âge. Durant la Révolution, Julie Talma tient encore salon. En quelques années, la physionomie de sa société a pourtant bien évolué : les aristocrates amenés par Ségur ont laissé place à de nombreux républicains proches du parti Girondin. La fin de la Terreur annonce sa séparation avec Talma, qui lui préfère la comédienne Charlotte Vanhove. C’est de cette période que date la rencontre de Julie Talma avec Benjamin Constant, dont elle partage les vues politiques. Elle entretient avec lui une amitié profonde jusqu’à la fin de sa vie.
L’année 1801 est une année noire pour Julie Talma, marquée par l’officialisation de son divorce et le décès de son fils Alexis. Elle perd peu de temps après ses deux derniers enfants encore en vie : Jules, en 1804, et Félix, l’année suivante. Inconsolable, elle s’éteint le 5 mai 1805, emportée par une phtisie pulmonaire.
Après sa mort, Rousselin de Saint-Albin, habitué de son salon, projette d’éditer sa correspondance et contacte plusieurs amis pour recueillir les lettres. Parmi eux, Benjamin Constant rédige une « Lettre sur Julie », destinée à figurer en tête du recueil, dans laquelle il rend hommage à l’esprit et à la plume de son amie disparue. Le projet de publication n'aboutira pas, sans doute par crainte de nuire à la réputation des personnes mentionnées dans les missives.
Souvent évoquée dans ses relations à Talma ou à Constant, Julie Careau a été trop peu étudiée en elle-même. Ses lettres donnent à voir une femme sensible, ironique, une mère aimante et une républicaine convaincue, qui pense et écrit en philosophe, portant un regard affûté sur la société, la religion et la politique de son temps. D’une grande qualité littéraire et testimoniale, elles méritent d’être redécouvertes.

Oeuvres

  • Lettres de Julie Talma à Benjamin Constant, publiées avec une introduction biographique et des notes par la Baronne Constant de Rebecque, Paris, Librairie Plon, [1933]. (Pour une édition scientifique fiable de ces lettres, voir Benjamin Constant, Œuvres complètes, série Correspondance générale, éd. dirigée par C. P. Courtney, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, vol. 3-5).

Principales sources

  • Bibliothèque nationale de France (Richelieu), Fonds Rondel, Dossier Gustave Bord, Archives Julie Talma, fol-mrt-1-reserve, microfilm 116231.

Choix bibliographique

  • Bord, Gustave, « L’hôtel de la rue Chantereine et ses habitants (1777-1857) : Les hôtels des demoiselles Careau-Carotte », Le carnet: revue mensuelle illustrée, 6, avril 1903, p.44-70.
  • Boudet, Micheline, Julie Talma : l’ombre heureuse, Paris, Robert Laffont, 1989.
  • Charpentier, Jacques, « Une amie de Benjamin Constant : Julie Talma », Revue des deux mondes, nov.-déc. 1958, p. 639-656.
  • Constant de Rebecque, baronne de, « Notes biographiques sur Julie Talma », dans Lettres de Julie Talma à Benjamin Constant, Paris, Librairie Plon, [1933], p. xvii-lxviii.
  • Henriot, Émile, « Julie Talma », dans Portraits de femmes : d’Héloïse à Catherine Mansfield, Paris, Albin Michel, [ca 1950], p. 147-156.

Choix iconographique

  • ca 1775 : "Portrait" présumé de Julie Careau, par Léon-Pascal Glain. Reproduit au frontispice de Lettres de Julie Talma (voir supra, Œuvres).
  • 1775 : Portrait non retrouvé de Julie Careau par Elisabeth Vigée Le Brun (mentionné dans les Souvenirs de l’artiste)

Jugements

  • Extrait d'un article de nécrologie: « Chez elle se rassemblait une société choisie parmi les hommes de la cour et les hommes de lettres. J’ai remarqué que l’on était plus aimable dans le petit salon de Julie que dans l’hôtel d’une grande dame. Venir souper chez une danseuse, c’était déjà sacrifier la vanité à l’espérance du plaisir ; les gens de la cour y cessaient d’être grands seigneurs ; les gens de lettres y oubliaient d’être savants : tout le monde y gagnait. L’esprit de Julie se faisait remarquer plutôt par une conversation facile et agréable que par les saillies et les bons mots. Un peu de lecture, un goût général pour les arts, sans prétention à aucun talent particulier, de la grâce et de la décence, en avaient fait une femme dont les hommes bien nés pouvaient avouer la connaissance. On ne craignait pas de dire en bonne compagnie que l’on avait soupé chez Julie » (Peltier, Jean-Gabriel, L’Ambigu ou variétés littéraires et politiques, 1805, vol. 9, p. 336).
  • « Julie fut une amie passionnée de la révolution, ou, pour parler plus exactement, de ce que la révolution promettait. La justesse de son esprit en fesait une ennemie implacable des préjugés de toute espèce […] » (Benjamin Constant, « Lettre sur Julie » [1806], dans Œuvres complètes, série Œuvres : Écrits littéraires (1800-1813), éd. Paul Delbouille et Martine de Rougemont, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1995, vol. 1, p. 213).
  • « Les êtres profondément sensibles se font voir dans toutes leurs dimensions. Ils forment la plus belle comme la plus pure des nudités. La véracité a donc fait la partie distinctive de la moralité de Jully ; aussi il ne lui est jamais arrivé de se cacher un seul instant. Elle voulait n’être absolument qu’elle, et certes ce n’était point coquetterie ; car elle ne soupçonnait pas tout ce qu’elle avait a gagner dans cette scrupuleuse représentation d’elle-même. […] Personne n’a eu des idées plus libérales. Tout ce qui était grand dans la littérature et dans les beaux arts la saisissait, et comme son cœur traduisait les impressions que son esprit avait reçues, elle semblait embellir les belles choses dont elle rendait compte. Son langage était pur, ses expressions vives ; et ses idées aussi justes qu’elles étaient gracieuses » (Anonyme, notice sur Julie, [1806], dans dossier Gustave Bord, feuillets 94-95. Voir supra, principales sources).
  • « Peu de femmes possédaient à un aussi haut degré que madame Talma, un style aimable et exempt de prétention. Elle donnait du charme au plus petit billet. L’on aurait pu la comparer à madame de Sévigné, écrivant dans notre siècle. Mais une de ses qualités les plus précieuses, c’était son âme ardente pour ses amis. Elle s’exposait, pour eux, dans un temps où les vertus étaient des crimes. Combien de fois ne l’a-t-on pas vue, elle si indolente pour son propre compte, courir tout Paris pour servir les proscrits ? Elle était souvent fort mal accueillie dans les bureaux, car les amis d’hier n’étaient quelquefois plus ceux d’aujourd’hui; mais elle ne se rebutait pas, et sa persévérance finissait par obtenir ce qu’elle avait sollicité. Enfin, c’était un de ces êtres trop rares sur la terre, dont il faut honorer la mémoire, lorsqu’on a eu le bonheur de les y rencontrer » (Louise Fusil, Souvenirs d’une actrice [1841], éd. Valérie André, Paris, Honoré Champion, 2006, pp. 62-63).
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