Jacqueline Bouette de Blémur

Notice de Nicole Pellegrin, 2014

Née à Paris le 8 janvier 1618 dans une famille de la haute noblesse normande liée aux Montmorency, Jacqueline Bouette de Blémur est envoyée dès l’âge de cinq ans auprès d’une tante religieuse à l’abbaye royale de la Trinité de Caen ou Abbaye des Dames. Elle y fait son éducation et y prend l’habit à 11 ans. Quatre ans plus tard, elle y occupe la fonction de maîtresse des novices avant d’être prieure pendant l’abbatiat de Laurence de Budos dont elle est la secrétaire. Ses relations avec l’abbesse suivante, Marie-Eléonore de Rohan (« La Grande Vestale » de la Clélie de Madeleine de Scudéry), semblent avoir été moins confiantes malgré leurs communs talents littéraires. Elle est encouragée par le savant Pierre-Daniel Huet, futur évêque d’Avranches, à faire imprimer ses écrits sur les plus fameuses moniales de son ordre et publie les six volumes de L’Année bénédictine entre 1667 et 1673, un travail qu’elle poursuit et affine en faisant éditer des biographies collectives ou singulières (les 1300 pages des Eloges contiennent la vie de 36 bénédictines, 2 cisterciennes et 4 religieux). Malgré sa notoriété d’écrivaine érudite, elle se montre très attachée aux devoirs de son état, craignant, dit-on, que «Dieu ne lui reprochât un jour de se voir éloignée de la perfection & de la sainteté de ceux dont elle écrivoit la vie». Sa dévotion au Saint-Sacrement s’exprime dans des ouvrages de piété destinés aux laïcs comme aux religieux et dans une demande de transfert, faite en 1678 à l’âge de 60 ans, dans une observance bénédictine plus étroite fondée en 1654 par son amie Catherine de Bar (en religion Mère Mechtilde du Saint-Sacrement, 1614-1698) : les bénédictines de l’Adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Dans le couvent parisien de celles-ci, elle refait un noviciat pour vivre selon la réforme engagée par le nouvel institut. Devenue professe, elle refuse des propositions d’abbatiat et continue, jusque dans un âge très avancé et malgré de multiples infirmités (cécité), une vie de simple religieuse occupée à des recherches historiques et à la prière. Elle meurt, entourée du respect de ses compagnes, au même monastère parisien de la rue Cassette en 1698 où elle était entrée vingt ans auparavant.
Historienne avertie de son ordre mais hagiographe par vocation, Blémur utilise, pour écrire ses récits, des livres et manuscrits anciens, mais aussi des témoignages recueillis auprès des anciennes religieuses. Néanmoins, comme la plupart des écrivaines en clôture (Chaugy par exemple), elle cherche autant à embellir qu’à préserver le passé afin de mieux (re)construire une tradition et d’édifier les générations futures. Malgré l’anonymat épisodique auquel la contraint son état, elle connut un succès certain de son vivant et reçut l’approbation de savants comme le bénédictin mauriste, dom Mabillon. Auteure de qualité, éprise de références bibliques, de merveilleux chrétien et de détails concrets, elle écrivit des récits informés et pleins de charme qui expliquent que son nom n’est pas oublié aujourd’hui de l’historiographie bénédictine et/ou féministe. Paradoxalement elle apparaît à la fois comme le porte-voix de la réforme bénédictine, comme la conteuse d’expériences mystiques déjà suspectes à la fin du XVIIe siècle et comme une des premières véritables historiennes de langue française.

Oeuvres

NB : une bibliographie complexe, car la plupart des Eloges ont été publiés en recueils, mais certains l’ont été aussi à part (sous cette forme, ils ne sont pas indiqués ici)

• L’Année bénédictine, ou les Vies des saints de l’ordre de Saint Benoist Pour tous les jours de l’année, Paris, Louis Billaine, 1667-1673, 6 vol. in-4°[1]
• Exercice de la mort contenant diverses pratiques de dévotion très-utiles pour se disposer à bien mourir, Paris, Louis Billaine, 1677.
• La Vie du Révérend Père Pierre Fourrier, général des chanoines réguliers de la congrégation de Notre Sauveur et instituteur des religieuses de la Congrégation de Notre-Dame, curé de Mataincour, par soeur J. de B. R. I. [Jacqueline Bouëtte de Blémur, religieuse indigne], Paris, Louis Billaine, 1678.- 2e édition, 1687.
• Éloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’Ordre de S. Benoist pour tous les jours de l’année, 2 tomes, Paris, L. Billaine, 1679.- Rééd. Ligugé, éd. de la Revue Mabillon, 1927. [2]
• Grandeurs de la Mère de Dieu. Dédiées à la Reyne par J. D. B. R. I., Paris, L. Billaine 1681, 2 vol. in-4°.- Rééd. Poitiers, Oudin, 1864.
• Ménologe historique de la Mère de Dieu, par une Religieuse Bénédictine de l'Institut de l'Adoration perpétuelle du très saint Sacrement, Paris, Veuve Louis Billaine, 1682, in-4°.
• Abrégé de la vie de la vénérable Mère Charlotte Le Sergent, dite de S. Jean l’Evangéliste, Religieuse de l’Abbaye Royale de Montmartre, Paris, Florentin Lambert, 1685.[3]
• Vies des Saints tirée des auteurs ecclésiastiques anciens et modernes, divisée en 4 tomes, augmentée de plusieurs Vies qui n’ont point encore paru en notre langue, par S. I. de Blemur, R. D. S. S., Lyon, Pierre Valfray, 1689, 4 vol. in f°.

Principales sources

• Mabillon, dom Jean, "Lettre circulaire écrite par D.I. Mabillon, au nom de la Mère Prieure du Monastère du S. Sacrement, sur la mort de Madame de Blémur", dans Œuvres posthumes […], Paris, Babuty, Josse et Jombert, 1724, t. I, p. 549-555 (aussi publié anonymement comme Notice nécrologique de la mère Jacqueline Bouette de Blémur, O. S. B. du Saint-Sacrement, Paris, 25 mars 1696) [4]
• Huet, Pierre-Daniel, Mémoires, éd. par Philippe-Joseph Salazar, Paris, Klincksieck, 1993.

Choix bibliogaphique

• Brémond, Henri, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. II : L’invasion mystique, Paris, Bloud et Gay, 1916, p. 394 sq.
• Chaussy, Yves, Les Bénédictines et la réforme catholique en France au XVIIe siècle, Paris, La Source, 1975.
• Henneau, Marie-Elisabeth, « Vivre et écrire son histoire en clôture : de la relecture du passé à l’édification du présent », dans N. Pellegrin (dir.), Histoires d’historiennes, Saint-Etienne, PUSE, 2006, p. 47-66.
• Le Brun, Jacques, « À corps perdu. Les biographies spirituelles féminines du XVIIe siècle », dans Le temps de la réflexion, t. VII/1986, p. 389-408.
• Renoux, Christian, « Les expériences et les phénomènes mystiques dans les Eloges de Mère de Blémur », dans Revue d’histoire de l’Eglise de France, t. 79 n° 202, 1993, p. 13-46.

Jugements

• Cette œuvre « mérite d’être regardée avec d’autant plus de distinction que ce n’est pas une version simple, comme beaucoup d’autres […]. On en sera encore plus surpris, si l’on considère que le travail, quelque grand qu’il soit pour une fille, y est moindre que l’esprit et l’industrie qui règne dans cet ouvrage » (Adrien Baillet, « Discours sur l’histoire de la vie des saints », dans Les Vies des saints […], Nouvelle édition. Paris, Veuve Roulland, 1715, t. I, p. 54).
• « Il y a dans ses ouvrages quelques fables pieuses ; mais ils sont écrits d’ailleurs avec plus d’élégance qu’on n’aurait dû en attendre d’une fille qui avait passé toute sa vie dans les exercices de dévotion » (Louis-Marie Prudhomme, Biographie universelle et historique des femmes célèbres mortes ou vivantes […], Paris, Lebigre, 1830, t. II, p. 415 : notice « BOUETTE DE BLEMUR ». Une seconde notice, plus brève (« BLEMUR », p. 391) en est le doublon)
• « La prieure du Petit-Picpus était mademoiselle de Blemeur qui en religion s’appelait mère Innocente. Elle était de la famille de la Marguerite de Blemeur, auteur de la Vie des saints de l’ordre de Saint-Benoît. […] Mère Innocente tenait de son ascendante Marguerite, la Dacier de l’Ordre. Elle était lettrée, érudite, savante, compétente, curieusement historienne, farcie de latin, bourrée de grec, pleine d’hébreu, et plutôt bénédictin que bénédictine » (Victor Hugo, Les Misérables (1862), Paris, Laffont « Bouquins », 1985, p. 395 (2e partie, livre VII).
• « Les grandes réformatrices françaises de l’Ordre de Saint-Benoît ont en effet rencontré, dès le XVIIe siècle, un historien digne d’elles et que l’on peut hardiment placer tout à côté de la délicieuse artiste à qui nous devons la vie de sainte Chantal et la chronique de la Visitation commençante. Madeleine de Chaugy et Jacqueline Bouëtte de Blémur : le couvent et l’abbaye. La bénédictine a moins de fraîcheur, moins de suavité, moins de grâce que la visitandine. Elle écrit d’une main qui aurait porté dignement la crosse abbatiale, elle raconte, avec une sérénité grave et sans surprise, les plus récentes prouesses d’un ordre vénérable entre tous. Aucune solennité pourtant, mais une majesté simple, souriante et qu’atténue souvent une légère pointe d’humour. […] » (Henri Brémond, Histoire littéraire du sentiment religieux, t. II : L’invasion mystique, Paris, Bloud et Gay, 1921, pp. 396).
• « Âme d’une grande élévation, douée d’un esprit judicieux, d’un ferme bon sens, et de remarquables qualités d’écrivain, elle entreprit une œuvre littéraire dont l’importance et la valeur lui attirèrent l’admiration[…]. L’Année bénédictine, distribuée selon les jours du calendrier […] demeure actuellement encore, malgré des lacunes bien compréhensibles, le recueil le plus complet qui ait été consacré à l’hagiographie monastique après les Acta Sanstorum O. S. B. de Mabillon. […] » (dom G. Charvin, « Avant-propos », Éloges de plusieurs personnes illustres en piété de l’Ordre de S. Benoist décédées en ces derniers siècles, Ligugé, éd. de la Revue Mabillon, 1927, p. IV-V).
• «  Mère de Blémur a-t-elle convaincu ses lecteurs que le bras de Dieu n’est point raccourci en cette seconde moitié du XVIIe siècle ? Les expériences et les phénomènes mystiques des abbesses, importants tant en nombre qu’en qualité dans les récits qu’elle leur propose, sont disposés comme des indices de cette œuvre de Dieu » (Christian Renoux, « Les expériences et les phénomènes mystiques dans les Eloges de Mère de Blémur », dans Revue d’histoire de l’Eglise de France, t. 79 n° 202, 1993, p. 46).