Elisabeth-Sophie Chéron/Louis-Abel Abbé de Fontenai
De SiefarWikiFr
[I,366] CHERON, (Elisabeth-Sophie) ou Madame LE HAY, du nom de son mari, née à Paris en 1648, de Henri Cheron, peintre en émail de la ville de Meaux, [367] morte en 1711, et enterrée à Saint-Sulpice. Cette dame, l'honneur de son sexe, a réuni dans un degré supérieur plusieurs talents, dont un seul auroit pu l'immortaliser: elle réussissoit dans la poésie, au point qu'elle a mérité l'estime du grand Rousseau. Elle excelloit aussi, dit-on, dans la musique; mais elle s'est encore plus distinguée dans la peinture et dans la gravure. Son mérite se fit connoître par des portraits qu'elle fit presque dès son enfance, et dont la parfaite ressemblance étoit la moindre qualité. Dans la suite elle fit beaucoup de tableaux d'histoire, qui peuvent la mettre au rang des plus célebres peintres. Ses ouvrages ont un bon ton de couleur, un dessin correct et de bon goût, une entente de l'harmonie, des draperies bien jettées, jointes à une grande facilité de pinceau. On rapporte qu'elle faisoit de mémoire des portraits qui n'étoient pas moins remarquables par la ressemblance que par la perfection du travail. Son goût la portoit à dessiner d'après l'antique, et sur-tout d'après les pierres gravées; peu de personnes y ont aussi-bien réussi. On a encore d'elle une suite de cornalines gravées sur ses dessins, dont trois sont de sa main. Elle a de même gravé une descente de croix d'après un morceau de sculpture en cire coloriée, exécuté par un Sicilien nommé l'abbé Zumbo, et un livre à dessiner en trente-six feuilles.
Tant de talents réunis lui acquirent des distinctions qu'elle méritoit autant que les hommes les plus célebres. Elle fut reçue à l'académie de peinture en 1676. Son portrait, peint de sa main, fut son tableau de réception, présenté par l'illustre le Brun. L'académie des Ricovrati de Padoue l'admit dans son sein en 1699, sous le nom de la Muse Erato. Louis XIV lui donna une pension de cinq cents livres. Elevée par son pere dans le Calvinisme, elle se convertit à la religion Catholique; elle en pratiqua les devoirs d'une maniere exemplaire. Ses vertus n'étoient pas moins admirables que ses talents. Sa modestie paroissoit jusques dans ses habits, et sa charité étoit sur-tout sans bor-[368] nes. M. d'Argenville, qui l'avoit connue, dit, en parlant d'elle et de madame Dacier, qu'on voyoit pour ainsi dire dans ces deux illustres femmes, les traits de deux grands hommes. Elle se maria à l'âge de soixante ans au sieur le Hay, ingénieur du roi, qui n'étoit guere plus jeune qu'elle. Ce mariage philosophique n'avoit d'autre but que d'avantager son mari qu'elle estimoit depuis long-temps. Ses deux nieces de la Croix ont été ses éleves.