Claude de France (1499-1524)/Hilarion de Coste
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[I,437] CLAUDE DE FRANCE, REYNE DE FRANCE (1).
ENTRE les Illustres et les pieuses Princesses, qui se sont par leur vertu et leur bonne vie rendues recommandables du temps de nos Peres, la Reyne CLAUDE doit avoir ce me semble le premier rang, pour avoir esté la perle des Dames de son siecle, fille, femme, et mere de nos Rois, la gloire de l'Auguste et Royale Maison de France, la joye et la gloire des François, et l'ornement de la Chrestienté.
Elle estoit fille aisnée du Roy Louis XII. appellé pour sa debonnaireté le Pere du peuple, et d'Anne de Bretagne sa 2. femme. Le 13. d'Octobre de l'an 1499. doit estre marqué en lettres d'or dans nos Fastes, pour avoir esté le jour natal de cette bonne Reyne, qui a autant apporté de bon-heur, non [438] seulement à nostre Estat, mais aussi à tout le Christianisme, qu'elle a donné de Princes et de Princesses à la France.
Elle a eu ce bon-heur d'estre nourrie et instruite par une tres-vertueuse et tres-sage mere. Les deux premiers Princes de l'Europe et du Monde, François de Valois ou d'Orleans Comte d'Angoulesme, qui depuis a esté nostre Roy François I. et premier en beaucoup de sortes, et Charles d'Austriche fils aisné de l'Archiduc Philippe, et de Jeanne d'Espagne, depuis Empereur et Roy de plusieurs Royaumes, la demanderent en mariage, tant pour ses vertus et pour sa beauté, que pour ses grands biens, car elle estoit Duchesse heritiere de Bretagne et de Milan, Comtesse de Blois, d'Ast, de Coucy, de Montfort, de Richemont, d'Estampes et de Vertus. Le Roy Louis XII. son pere la vouloit donner à Monsieur d'Angoulesme, qui estoit le premier Prince du Sang, et l'heritier apparent de la Couronne. Anne de Bretagne sa mere desiroit avoir pour gendre Charles d'Austriche, à cause qu'elle avoit esté promise à l'Empereur Maximilien I. ayeul paternel de ce jeune Prince, ou bien pour le peu d'affection qu'elle portoit à Louise de Savoye Comtesse d'Angoulesme mere de François, quoy qu'il fust le plus beau et le plus agreable Prince du Monde.
François et Charles, presomptifs heritiers des deux premiers Royaumes de la Chrestienté, se veirent à la veille de perdre leur maistresse, laquelle sur la fin du mois d'Avril de l'an 1507. tomba malade d'une fievre continue, que les plus experts Medecins croyoient la devoir mettre au tombeau, dont elle fut guerie miraculeusement, ayant esté vouée par la Reyne Anne sa mere à saint François de Paule, trois semaines aprés le decez de ce Bien-heureux Homme (2), suivant le conseil et l'advis que luy en donna Laurens l'Allemand (3) Evéque et Prince de Grenoble, Prelat de sainte vie, oncle maternel du Chevalier Bayard, lequel allant visiter la Reyne, qui estoit lors au Chasteau de Montbano prés de Grenoble, la trouva extrémement affligée, pour la crainte qu'elle avoit de perdre Madame Claude de France. Car lors la Reyne Anne de Bretagne n'avoit que cette fille, et n'accoucha que deux ans aprés de Renée de France sa puisnée, laquelle [439] nasquit le 25. d'Octobre 1509. et fut mariée à Hercule d'Est Duc de Ferrare.
La Reine Anne aymoit uniquement Claude sa fille aisnée, mais estant decedée au Chasteau de Blois, le 9. de Janvier 1513. au grand regret de tous les François et des Bretons, mais particulierement de la Noblesse, le Roy Louys XII. au mois de May ensuivant, fit celebrer à Saint Germain en Laye les noces de Claude avec François Duc de Valois et Comte d'Angoulesme: lesquelles Anne avoit tousjours retardées durant sa vie, pour les raisons que nous avons deduites cy-dessus, et remarquées ailleurs (4), quoy qu'elle eust donné son consentement aux fiançailles, qui avoient esté faites à Tours, huict ans auparavant, avec le contentement general des François, qui en firent des feux de joye par toutes les villes du Royaume. Le contract (5) de mariage de François et de Claude fut passé au Montils lés Tours le 22.de May de l'an 1506. avec le consentement du Roy Louys XII. de la Reine Anne, et de Louyse Comtesse d'Angoulesme, qui le signerent en presence du Cardinal d'Amboise Legat en France: des Evéques de Paris et de Nantes: des Seigneurs de Rohan, de Rieux et de Sens Chancelier de Bretagne: de Jean de Gannay, premier President au Parlement de Paris: de Jean François General des Finances, et de plusieurs autres Seigneurs.
Louys ayant marié Claude sa fille aisnée, il se remaria pour la troisiéme fois avec Marie d'Iorc ou d'Angleterre, soeur puisnée du Roy Henry VIII. qui estoit une Princesse jeune et belle par excellence: Mais le mariage estoit si mal assorty pour l'aage, et la partie si mal faite, qu'en moins de trois mois elle l'envoya en l'autre monde. Ce bon Roy estant decedé en sa Royale Maison des Tournelles à Paris, le 1. de Janvier de l'an 1515. François d'Orleans son gendre mary de Claude de France (surnommé de Valois, comme aussi ses successeurs par ceux qui n'ont pas la vraye et parfaite cognoissance de nostre Histoire) recueille la Couronne France, non comme gendre, mais comme Chef de la tres-illustre Maison d'Orleans ou d'Angoulesme, puisnée de celle-là, et par consequent premier Prince du sang Royal, et se fit sacrer à Reims, [440] et couronner avec les ceremonies et les magnificences accoustumées. Claude de Duchesse qu'elle estoit se vit Reine à l'aage de 16. ans, mais pour estre eslevée à la dignité Royale, et avoir receu les honneurs du Couronnement et du Sacre à 18. ans, elle ne changea ny de moeurs, ny d'humeurs, et demeura tousjours dans sa premiere innocence, douceur et modestie, comme je vous feray voir plus bas.
Elle fut sacrée et couronnée Reine de France à Saint Denys, le Dimanche 10. de May de l'an 1517. Le 9. elle fut ouir Vespres à cette Royale Eglise, où elle fut receue avec beaucoup d'honneur à l'entrée du Choeur par le Roy son mary, et Louyse de Savoye Duchesse d'Angoulesme, de Valois, d'Anjou et du Maine, mere de sa Majesté, et plusieurs autres Princes et Princesses. Elle retourna sur le soir faire ses prieres, et donner des larmes sur le tombeau du Roy Louys XII. son pere, et de la Reine sa mere, et là elle se confessa pour se preparer dignement à recevoir le Corps de Nostre Seigneur.
Le lendemain la ville de Saint Denys fut pleine d'une innombrable quantité de peuples venus de divers endroits de la France, pour voir aller cette belle et bonne Reine à l'Eglise, où elle fut conduite par l'Archevéque de Tolose, et l'Evéque de Laon (6) issus du sang Royal: celuy-cy estoit de la Maison de Vendosme, et celuy-là de la Maison de Longueville et de Dunois.
Tout le monde estoit ravy de voir marcher cette belle Princesse, non tant pour estre vestue d'un manteau Royal de velous bleu fourré d'hermines, la queue trainant fort long, dont les deux costez estoient portez par les Duchesses d'Alençon et de Vendosme, et le bout par la Dame de Ravestain de la Maison de saint Paul, que pour sa beauté et sa bonne grace, ayant (comme rapportent ceux qui ont écrit la ceremonie de son Sacre) le visage digne de la Royauté et de l'Empire.
Les Chevaliers de l'Ordre, et les Princes du Sang marchoient devant sa Majesté, et aprés elle Louyse Duchesse d'Angoumois mere du Roy: puis Madame sa fille, Duchesse d'Alençon, soeur du Roy et femme de Monsieur: la Duchesse douairiere d'Alençon de la Maison de Lorraine: la [441] Duchesse de Nemours de la Maison de Savoye, et soeur de Madame mere du Roy: Puis les Duchesses de Vendosme, de la Maison d'Alençon, et soeur de Monsieur: et la douairiere de Vendosme, qui estoit fille et heritiere principale de la Maison de saint Paul ou de Luxembourg. Elles estoient suivies de cinq Comtesses (7), et d'un grand nombre de Seigneurs et de Dames. Les Duchesses et Princesses du Sang portoient un cercle d'or ou chappeau Ducal sur leurs testes, pour les distinguer d'avec les Comtesses.
Le Cardinal de Luxembourg Evéque du Mans, et Legat en France, la fut recevoir à la porte de l'Eglise, estant accompagné des Cardinaux de Boisy et de Bourges (8), et de 14. Evéques, et d'autres Prelats et Abbez, qui chanterent le Cantique que l'Eglise chante dans ses resjouissances publiques, menant la Reine au grand Autel, où s'estant prosternée en terre avec un grand respect, et donné le Sceptre et la main de Justice aux deux Prelats qui l'avoient conduite, elle fut sacrée et couronnée par le Cardinal Legat. Durant les ceremonies du Sacre, les Duchesses d'Angoulesme, et d'Alençon faisoient l'ouverture de ses habillemens, le Duc d'Alençon (que l'on appelloit lors Monsieur, estant le premier Prince du Sang) le Duc de Bourbon Connestable de France, et le Duc de Vendomois soustenoient sa Couronne, qui la menerent de l'Autel à son siege Royal. Aprés eux venoient pour aydes Louys Prince de la Roche-sur-Yon, les Comtes de Geneve et de Guyse; celuy-là de la Maison de Savoye, et celuy-cy de celle de Lorraine. Estant assise dans son Trosne, elle donna le Sceptre au Prince de la Roche-sur-Yon, et au Comte de Guyse la main de Justice, qui demeurerent à genoux les testes nues, aux pieds de sa Majesté.
Les Duchesses furent assises à sa main droite, et les Comtesses à sa gauche avec leurs Couronnes et leurs cercles: Celles qui estoient mariées avoient des robes de drap d'or enrichies de pierreries, et les veuves de velous noir: et la Vicomtesse d'Assigné, Vicomtesse de Couatmen, et Dame d'honneur de sa Majesté aussi vestue de drap d'or, fut assise vis à vis de la Reine.
[442] Les Duchesses et les Comtesses ayans pris leur seance, le Legat commença la Messe qui fut respondue par les Chantres de la Chapelle du Roy. Aprés l'Evangile le Cardinal de Boisy porta le Livre à baiser à la Reine, qui fut conduite à l'offrande par les Princes, et suivie des Princesses. La Duchesse d'Alençon luy presenta le pain d'or et d'argent: la douairiere d'Alençon, le vin dans un pot d'or: et la douairiere de Vendosme les treize pieces d'or monnoyé; aprés que la Dame d'honneur eut receu le pain d'or de Mademoiselle de Porcien; le vin de Madame de la Chambre de Savoye; et l'or de Mademoiselle de Lestrac. La Reyne ayant esté à l'offrande s'en retourna en son siege Royal, duquel elle descendit quand la Messe fut dite, pour aller recevoir le Corps de JESUS-CHRIST avec un grand respect et humilité au méme lieu où elle avoit esté sacrée.
Plusieurs grands Seigneurs de ce Royaume, et des pays Etrangers, entre autres le Prince d'Orenge: Maximilien (qui depuis fut Duc de Milan) le Marquis de Saluces: le Nonce du Pape: les Ambassadeurs des Rois d'Espagne et de Portugal, des Seigneuries de Venise et de Florence, assisterent à ce Sacre et Couronnement avec beaucoup de satisfaction et de contentement: aussi René legitimé de Savoye Grand Maistre de France; l'Amiral de Bonnivet; les Mareschaux de Chabannes et de Chastillon, y servirent de Maistres de Ceremonies.
Le Mardy 12. du méme mois la Reine Claude fit son entrée à Paris, qui fut fort belle et magnifique. Sa Majesté estant à la Chapelle Saint Denys, fut saluée par tous les Ecclesiastiques et toutes les Compagnies Souveraines, et autres qui marcherent selon leur rang, et estoient suivies des premiers Seigneurs de la Cour, et des Rois d'armes et Herauts. Aprés venoient le Cheval de crouppe, harnassé fort richement, sur lequel estoit monté l'un des enfans d'honneur de sa Majesté, vestu d'une robbe de drap d'argent, et le grand bord d'or à cordelieres d'argent, ayant la teste nue. Et la haquenée Royale couverte de caparassons pendans jusques à terre suivoit.
Puis marchoient les Chevaliers de l'Ordre devant la li-[443]tiere de la Reine, et les Princes du Sang auprés de sa Majesté, qui estoit au milieu de sa litiere, sur un carreau de drap d'or frizé. Elle estoit vestue d'une robbe d'argent traict fort riche, et avoit un surcot d'hermines sur son corset, qui estoit tout chargé de pierreries et de grosses perles. Autour de son col un rang de pierreries, et son manteau Royal de velous cramoisy semé d'hermines, et la Couronne couverte de diamans d'un prix inestimable. Au devant de la Reine assise dans la litiere Royale, qui estoit couverte de drap d'argent traict, enrichy de cordelieres d'or enlevées par dehors et par dedans, marchoit Louys de Jehanliz sieur de Montmor, et grand Escuyer de Bretagne, vestu d'une robbe de satin violet brochée d'or, et monté sur une belle haquenée: et autour de sa Majesté estoient 4. Escuyers (9) de l'Escurie de sa Maison à pié, testes nues, vestus comme le Grand Maistre de Bretagne.
Les Mareschaux de Chastillon et de Chabannes, le Grand Maistre, et l'Amiral, le Grand Escuyer, et autres grands Seigneurs n'estoient pas fort esloignez de la litiere de la Reine. Le Duc d'Alençon estoit à la main droite: le Duc de Bourbon Connestable, à la gauche: et le Duc de Vendosme un peu au devant de sa Majesté avec le Prince d'Orenge. Ils estoient precedez par les Cardinaux de Boisy et de Bourges, et le Legat qui alloit le dernier le plus proche de la Reine. Le Chancelier du Prat estoit à la main droite de la Reine, derriere le Duc d'Alençon. La litiere de sa Majesté, pour parler au terme du Ceremonial de ce temps là, estoit portée par deux beaux et gros roussins bayars, couverts de riches estoffes, comme le cheval de crouppe, et la haquenée Royale, et montez par deux enfans d'honneur ayans les testes nues, et vestus comme les autres.
Aprés venoit et marchoit la Duchesse d'Angoulesme, mere du Roy François I. estant en une litiere couverte de velous noir, les chevaux couverts de mesme, et y avoit deux enfans d'honneur qui estoient sur les chevaux de la litiere.
Puis venoient toutes les Duchesses et les Comtesses qui avoient assisté au Sacre et Couronnement de sa Majesté, et [444] aprés ces Princesses, la Vicomtesse d'Assigné sa Dame d'honneur, qui estoit suivie de trois chariots dorez et ornez des armes de sa Majesté comme Reine, femme de Roy, fille de Roy, et Duchesse heritiere de Bretagne, esquels estoient plusieurs grandes Dames et Demoiselles de haute naissance. Plusieurs Capitaines et leurs Lieutenans, avec les Archers de la Garde, vestus de hoquetons d'orfeverie, portans la Salemandre, terminoient la ceremonie, qui passa en cet ordre là depuis la Chapelle jusqu'à l'Eglise de Nostre-Dame, où François de Poncher (10), Evéque de Paris, accompagné de plusieurs autres Prelats receut sa Majesté, qui fit sa priere devant le grand Autel, tandis que l'on chantoit en musique le Te-Deum, lequel achevé, la Reine fut relevée par l'Evéque de Paris assisté d'un autre Prelat, qui donna la benediction à sa Majesté, et à toute la Noblesse qui la suivoit. La Reine estant remontée dans sa litiere, alla depuis Nostre-Dame jusques au Palais où estoit preparé le souper au méme ordre; tout le peuple criant de joye à haute voix, Noël, Noël, soyez la bien venue (11).
L'on admira les magnificences du festin royal, où la Reine fut assise à la table de marbre en son siege Royal, ayant la Couronne sur sa teste, sur laquelle estoient écrites ces paroles Latines, Claudia Britanniae et Mediolani Ducissa, Ludovici XII. Regis Franciae, et Annae bis Reginae, Ducissae Britanniae primogenita, ac Francisco hujus nominis primo Franciae Regi matrimonio juncta; c'est à dire, Claude Duchesse de Bretagne et de Milan, fille aisnée de Louys XII. Roy de France, et d'Anne deux fois Reine, et Duchesse de Bretagne, mariée à François I. du nom Roy de France.
Quelques jours aprés cette entrée Royale, se fit un Tournoy de Princes et de Seigneurs, faisans armes à pié et à cheval en lice, qui estoient divisez en deux bandes, sçavoir la blanche et la noire, symbole du jour et de la nuit, ou des armes de Bretagne. Le Roy François estoit le Chef de la bande blanche, et François de Bourbon Comte de Saint Paul, frere de Charles I. Duc de Vendosme, estoit le Chef de la bande noire. Les Chevaliers de l'Escadrille du Roy estoient vestus de velous, et de damas blanc: Ceux de la [445] Compagnie du Comte de Saint Paul de velous noir. Ces deux bandes rompirent en lice par compte fait six cens lances. Puis combatirent à la barriere aux armes, à coups de piques et combats d'espées. Ce qui donna bien du plaisir et du divertissement à tout le monde.
La Reine Claude à l'exemple de la Reine Anne de Bretagne sa mere, s'occupoit avec ses Dames et Demoiselles à travailler à l'éguille, et à faire divers ouvrages pour la decoration des Autels de celuy qui donne les Sceptres et les Couronnes aux Rois et aux Princes de la terre. Nostre grande Princesse enrichie de toutes les vertus, et perfections dignes d'une Reine tres-Chrestienne et tres-Catholique, employoit une partie de chaque jour à filer ou à travailler en tapisserie, et nous voyons maintenant un nombre infiny de jeunes Demoiselles et Bourgeoises, passer les jours entiers dans la faineantise et l'oisiveté, comme si le travail estoit chose indigne d'une Dame d'honneur et de consideration, et qu'avoir en main une esguille ou une quenouille cela fust indecent et de mauvaise grace, puisque les plus sages et les plus grandes Reines n'ont point eu de honte de vaquer à ces exercices manuels qu'ils ont estimé bien-seans à leur profession, et que les plus puissans Monarques (entre autres l'Empereur Auguste Roy de la plus grande partie de la terre) ont jugé ces emplois dignes de leurs femmes et de leurs filles. Ce que je dis icy en passant, et fais cette digression en l'Eloge de cette grande Reine, laquelle durant sa vie a esté aussi bien que sa mere ennemie de la paresse et de l'oisiveté la nourrice de tous les vices, pour monstrer l'impertinence d'une infinité de coquettes qui vivent dans le monde comme creatures superflues qui ne sçavent pas, mais qui devroient sçavoir, que vivre et travailler c'est une mesme chose, et que ce que la nourriture qu'on prend fait pour le vivre, le travail le fait pour la bien-seance de la vie. Aussi on a veu, et on voit encore tous les jours que la passion qu'ont les Dames pour un bon ouvrage, divertit toutes les autres passions qui peuvent brouiller l'esprit; et que celles qui ne se veulent occuper, si elles ne sont pas perdues, au moins elles sont inutiles, et en-[446]nuyeuses à la vie civile: ce qui leur arrive de cette oisiveté.
Pour revenir à nostre Reine Claude. Cette devote et Religieuse Princesse, que le Ciel avoit ornée de toutes sortes de graces, d'esprit et de corps, quoy que tant soit peu boiteuse, receut ces faveurs de Dieu d'estre mere d'un bon nombre d'enfans, sçavoir de trois fils, et de quatre filles. Elle eut premierement deux filles, qui furent nommées au Baptéme Louyse et Charlote, qui decederent en bas aage, aprés avoir esté accordées à l'Empereur Charles V.
La Reine Claude desiroit pour le bien de la France un Daufin. C'est pourquoy ayant sceu que Louyse de Savoye Duchesse d'Angoulesme sa belle mere, avoit obtenu le Roy François I. son mary, par les prieres de saint François de Paule, lors qu'il estoit encore vivant sur terre; elle fit un voeu à son imitation, et promit en presence du Reverend Pere François Binet (12), General de l'Ordre des Minimes, et de plusieurs autres personnes de qualité, que s'il plaisoit à Dieu luy donner un fils, qu'elle luy feroit donner le nom de François, et feroit canonizer ce Bien-heureux homme par le Vicaire et Lieutenant de Dieu en terre, qui avoit desja esté Beatifié par le Pape Leon X. dés le 7. de Juillet de l'an 1513. à l'instance du Roy Louys XII. et de la Reine Anne de Bretagne.
Cela luy fut octroyé comme elle le desiroit, estant quelques années aprés accouchée d'un beau fils au Chasteau d'Amboise, le dernier de Fevrier de l'an 1517. qui fut baptisé le 27. Avril de la mesme année, et nommé François par ses Parrains, le Pape Leon X. Antoine Duc de Lorraine, et Marguerite d'Angoulesme ou de Valois, Duchesse d'Alençon sa Marraine. Il fut Daufin de Viennois, et Duc de Bretagne. Cette heureuse naissance du Daufin fut suivie de celles de deux autres fils, Henry Duc d'Orleans, depuis Daufin et Roy de France II. du nom, et de Charles Duc d'Angoulesme, et de Chastelleraud, depuis d'Orleans; et deux filles, Magdelaine Reine d'Escosse, et l'incomparable Marguerite Duchesse de Savoye, desquelles nous décrirons les Eloges en ce livre des Illustres Heroïnes.
Le grand Roy François, et la Reine son épouse, pour ne [447] paroistre pas ingrats de tant de faveurs du Ciel, écrivirent plusieurs fois au Pape Leon, et au sacré College des Cardinaux, pour la canonisation de l'Instituteur et premier Fondateur de l'Ordre des Minimes. Ils envoyerent à Rome Denys Brissonnet (13) Evéque de Saint Malo: Jaques Luc ou Lucas, Doyen d'Orleans: et Antoine Raffin (14), dit Poton, Seigneur de Pecalvary, Seneschal d'Agenois (qui depuis a esté Capitaine des Gardes du corps du Roy) pour en faire les poursuites: laquelle fut mise à sa perfection le I. jour de May de l'an 1519. (15) au grand contentement de leurs Majestez, qui firent tous les frais et les despenses, avec une magnificence vraiment Royale, digne de la pieuse liberalité de nos Rois.
La devote et vertueuse Reine Claude mourut à l'aage de 24. ans, au Chasteau de Blois, le 26. de Juillet 1524. au grand regret du Roy son mary, et de tous les François. Son corps ayant reposé quelque temps en la Chapelle de cette maison Royale, devant qu'estre porté à Saint Denys, plusieurs personnes malades, pour l'opinion qu'ils avoient de sa sainteté (car ses Confesseurs ont asseuré qu'elle n'avoit jamais commis aucune offense ou peché mortel, ainsi que son grand ayeul nostre saint Louys IX.) furent visiter son tombeau, et ont depuis asseuré avoir esté par l'intercession de leur bonne Reine et Princesse, gueris de leurs maladies et de leurs infirmitez.
Il ne faut pas s'estonner si Dieu a honoré cette sainte Reine aprés sa mort, qui avoit vécu si saintement. J'ay rapporté ailleurs les authoritez de Nicole Gilles, et de J. Bouchet (16) qui ont fait les Eloges de cette Heroïne, dans lesquels ils ont remarqué, sur le fidele rapport de témoins dignes de creance pour leur eminente probité, quelques miracles que Dieu a faits par l'intercession de cette sainte Princesse, qui n'a jamais mortellement offensé la Divine Majesté. La pluspart de ses domestiques ont fait une vie sainte et digne du Ciel, entre autres Frere Yves Mahieuc Evéque de Rennes son Confesseur, et Michel Boudet (17) Evéque et Duc de Langres son Aumosnier.
[448] La Reine Claude avoit pour devise une Lune en son plein, qui estoit le symbole de sa grandeur Royale, laquelle n'estoit seconde qu'au Soleil des Rois et des Grands, et ces mots qui estoient autour, CANDIDA CANDIDIS, signifioient que l'influence de ce benin Astre suivoit la qualité de sa nature, et ne se communiquoit qu'aux sujets qui se trouvoient en pareille disposition.
D'autres disent que par ces beaux mots Latins CANDIDA CANDIDIS, Candide aux Candides, elle vouloit faire connoistre son doux et Royal naturel, et la candeur ou la sincerité de ses actions pour laquelle elle a esté cherie, aimée, et honorée de tous les François, ayant acquis et merité le titre et le beau surnom de Bonne Reine, aussi les bons Princes font les bons sujets, et les peuples doux et traitables les bons et justes Rois.
(1) La Reyne Claude de France, Duchesse de Bretagne, écarteloit au 1. et 4. de France, d'azur à trois fleurs de lys d'or, au 2. et 3. de Bretagne, qui est d'hermines.
(2) Ex Epistola Episcopi Gratianopolitani ad Leonem X. pro canonisatione S. Francisci Paulani. In Processibus canonisationis.
(3) Allemand, de gueules, semé de fleurs de lys d'or, à la bande d'argent.
(4) En l'Hist. Catholique.
(5) Le Contract est signé de Robertet et Gedoin, et scellé de double queue de soye jaune et rouge.
(6) L'Evéque de Laon étoit Louys de Bourbon, qui depuis a esté Cardinal. L'Archevéque de Tolose estoit Jean d'Orleans, depuis Cardinal de Longueville.
(7) Mesdames de Martigues, de la Tremoille, de Chasteaubriant, de Boulongne, et du Pont en Bretagne.
(8) Le Cardinal de Boisy de la Maison de Gouffier: Celuy de Bourges, de celle de Bohier, et neveu du Chancelier du Prat.
(9) Raoul de Tournemines, sieur de la Guierche: Jean de Miraumont Sr de Harmabile, Gouverneur de Montfort: Pierre de Saint Gille, Sr de Beton: et Bernard de la Viéville, sieur de Boubiers.
(10) Poncher, d'or, au chevron de gueules, accompagné de trois coquilles de sable, 2. en chef, et 1. en pointe.
(11) Noël estoit l'ancien cry des François aux resjouissances publiques.
(12) Binet Montiffray, de gueules, au chef d'or, chargé de trois Croix recroisetées au pié fiché d'azur.
(13) Brissonnet, d'azur à la bande componée d'or et de gueules de cinq pieces, brisée d'une estoille d'or sur le 1. compon de gueules, accompagnée d'une autre estoille d'or en chef.
(14) Leo X. in bulla Canonizat.
(15) Raffin, d'azur, à la fasce d'argent, accompagnée de trois estoilles d'or en chef.
(16) Nicole Gilles en ses Annales de France. J. Bouchet és Annales d'Aquitaine. En l'Histoire Catholique.
(17) Mahieuc, d'hermines au chef cousu d'or, chargé de 3. couronnes d'espines de sinople. Boudet, d'azur, à une fasce d'or, accompagnée de trois roses d'argent en chef, et d'un porc espic d'or en pointe.