Catherine de Gonzague/Hilarion de Coste
De SiefarWikiFr
[I,303] CATERINE DE GONZAGUE DE CLEVES, DUCHESSE DE LONGUEVILLE et de Touteville [Estouteville] (1).
NEVERS a veu naistre cette Princesse le 21. de Janvier de l'an 1568. où elle eut aussi l'honneur de recevoir le Sacrement de Baptéme dans l'Eglise Cathedrale de Saint Cyre, et le nom de Caterine que luy donna la Reine Caterine de Medicis sa marraine: elle fut nourrie à la pieté et aux bonnes moeurs par son pere Ludovic de Gonzague Prince de Mantoue, et par sa mere Henriette de Cleves Duchesse de Nivernois, desquels elle estoit la fille aisnée. Ils la marierent à l'âge de 20. ans à ce vaillant et genereux Prince Henry d'Orleans I. du nom Duc de Longueville, et de Touteville, Souverain de Neuf-Chastel, fils aisné de Leonor d'Orleans Duc de Longueville, Prince de Chastelaillon et Marquis de Rothelin, et de Marie de Bourbon Duchesse d'Estouteville ou Touteville et Comtesse de Saint Paul. Ce fut [304] au mois de Fevrier de l'an 1588. que ce mariage fut accompli avec le consentement et le contentement du Roy Henry III. qui permit à Ludovic Duc de Nevers pere de cette Princesse là, de se défaire du Gouvernement de Picardie, d'Artois, de Boulonnois, et du Pays reconquis en faveur du Duc de Longueville son gendre, que ce Monarque là cherissoit, tant pour la consideration de ses ancestres les Ducs de Longueville, les Comtes de Dunois, et les Marquis de Rothelin de la Maison d'Orleans, que pour sa fidelité et son affection au service de sa Majesté, laquelle en ce temps là n'avoit pas beaucoup de fideles serviteurs.
Le 22. Septembre de la méme année 1588. Henry Duc de Longueville et la Duchesse Caterine de Gonzague sa femme firent leur entrée en la ville d'Amiens estans suivis et assistez de plusieurs Seigneurs et Gentils-hommes et méme de Louys Duc de Nivernois qui l'année precedente 1587. y avoit esté receu en qualité de Gouverneur (2).
Marie de Bourbon Duchesse de Touteville et Douairiere de Longueville, François d'Orleans Comte de Saint Paul et Mademoiselle de Longueville estans venus en cette ville capitale de Picardie visiter le Duc et la Duchesse de Longueville, furent contre le droict des gens arrestez prisonniers par quelques habitans qui se declarerent ouvertement partizans de la Ligue, et receurent en suite pour leur Gouverneur de Picardie Charles de Lorraine Duc d'Aumale.
Ce ne fut pas un petit desplaisir à la Duchesse de Longueville d'apprendre la mauvaise nouvelle que la Duchesse douairiere de Longueville sa belle mere, les Princesses ses filles et le Comte de Saint Paul estoient detenus par les Ligueurs à Amiens où le Duc d'Aumale avoit fait son entrée le 2. de Fevrier de l'an 1589. en qualité de Gouverneur de Picardie: mais comme il arrive qu'aprés la pluye vient le beau temps, elle ne receut pas une petite consolation d'apprendre que le Duc son mary vray Gouverneur de cette Province là avoit xobtenu le 17. de May une signalée victoire sur ce Prince Lorrain, et Jean de Monluc Seigneur de Balagny et Gouverneur de Cambray (qui prenoit la qualité de Lieutenant de Picardie sous le Duc d'Aumale) et les Ligueurs. Ce jeune Prince [305] de la Maison d'Orleans ayant secouru Senlis, qui ne dansa pas au son des flutes d'Amiens comme avoient promis Mayneville, Saisseval, Mesieres et Congy (ainsi appelloient-ils les canons de cette ville là) mais demeura tousjours Royale, la Ligue ayant par le bon ordre et la diligence d'Henry Duc de Longueville perdu son temps devant cette ville là, ses armes et son bagage, 10. pieces de batterie, 2. canons et une coulevrine de l'Arsenal de Paris, 6. de Peronne et une d'Amiens: car ceux qui ont leu l'Histoire de ce temps là n'ignorent pas que le Duc de Longueville fit jouer le canon de telle furie qu'il ravala le courage des Ligueurs, leur donna si chaudement l'épouvante qu'elle les mit en fuite, et ne fut pas possible au Duc d'Aumale, ny à Balagny (qui y furent legerement blessez) de les pouvoir rallier: Mayneville de la maison de Roncherolles (3), et Chamois de celle d'Esclavolles y combatans vaillament furent tuez sur la place avec quinze cens autres, sans ceux qui furent assommez par les vilageois poursuivans les fuyars, qui pour sauver le corps quitterent tout, armes, chevaux, bagage et artillerie.
Aubigné au livre 5. du 3. Tome de son Histoire universelle, dit que le Duc de Longueville ayant gagné la bataille de Senlis, et pressé du Roy Henry III. de demander telle recompense qu'il voudroit, au lieu de courir à l'utile, tourna son coeur vers l'honneur, demandant que la barre des armes de Longueville fust changée en bande, demeurant tousjours les lambeaux d'Orleans pour difference entre les Princes du Sang. Mais cet Ecrivain Religionaire se trompe grandement, car Messieurs les Princes de la Maison d'Orleans-Longueville portent une bande ou un baston pery en bande longtemps devant le regne d'Henry III. et dés celuy de Louis XII. comme j'ay veu en l'Abbaye de Bellozane en Normandie, et en plusieurs autres Eglises et Chappelles, entre autres en celle de saint Louis du Royal College de Navarre, où les armes de Jean d'Orleans (qui depuis fut le Cardinal de Longueville) se voient à la belle crosse de cuivre qui soustient le saint Sacrement, sans barre; mais avec un baston et le lambel d'Orleans. Ce Cavalier qui n'alloit pas aux Eglises et aux Monasteres seroit excusable si l'on ne les voioit [306] pas en plusieurs Chasteaux et maisons des particuliers où j'ay souvent remarqué celles de Louis d'Orleans I. du nom Duc de Longueville, avec un baston, et aussi en celles de sa femme Jeanne de Hochberg (4), Comtesse souveraine de Neuf-Chastel en Suisse.
Cette victoire du Duc de Longueville estonna tellement Paris et les Ligueurs, que leur armée qui estoit en Touraine fut contrainte de retourner vers cette grande ville, et apporta bien de la joye au Roy Henry III. et aux bons François, et particulierement à la Princesse sa femme, qui receut encor une seconde consolation quand ce Prince là fut sur la frontiere recevoir l'armée étrangère, qui venoit au secours de ce Monarque, laquelle il conduisit heureusement au camp de Saint Clou devant Paris, et la joignit à l'armée Royale: mais la mort lamentable d'Henry III. estant survenue en cette saison là, Henry Roy de Navarre, heritier de la Couronne luy succeda, auquel le Duc de Longueville rendit de bons services, particulierement aux journées d'Arques et d'Ivry et en Picardie où il estoit Gouverneur, et accompagna sa Majesté quand elle fit son entrée à Amiens aprés que cette ville capitale de cette Province là eut secoué le joug de la Ligue.
Durant ce temps là (5) Caterine Duchesse de Longueville eut le contentement de voir sortir des mains des Ligueurs Madame la Duchesse de Touteville sa belle mere et mes Demoiselles de Longueville ses belles soeurs, qui furent eschangées avec Henry de Lorraine Comte de Chaligny qui avoit esté pris prisonnier au combat d'Aumale. Depuis le grand Henry ayant fait profession de la Religion Catholique, toutes les villes de son Royaume luy ouvrirent leurs portes: en la seule Province de Picardie, Peronne, Amiens, Beauvais, et Dourlens se mirent en moins de quinze jours en leur devoir. Le Duc et la Duchesse de Longueville arriverent à Paris en cette saison là (6) pour saluer sa Majesté, où ce grand Monarque associa ce Prince à l'Ordre des Chevaliers du Saint Esprit au commencement de l'année 1595. durant laquelle il declara la guerre à l'Espagnol et envoya ce Prince visiter et munir les places de son Gouvernement (7), lequel faisant son entrée en armes le 5. d'Avril dans la ville de Dourlens, et par-[307]lant au Capitaine Ramelle, par malheur un soldat, en faisant une scoppeterie avec les autres gens de guerre de la garnison, luy tira une arquebuzade dans la teste, duquel coup il fut si griefvement blessé, qu'il en mourut le 27. du méme mois, dans la ville d'Amiens, où il avoit esté transporté (8): mais il eut ce bonheur en cette infortune, de se voir renaistre deux jours devant son decés: la Princesse Caterine de Gonzague sa femme estant heureusement acouchée le 25. d'Avril 1595. de son seul et unique fils Henry d'Orleans à present Duc de Longueville: laquelle aprés avoir fait rendre les derniers devoirs dans l'Eglise de nostre Dame d'Amiens au Duc de Longueville son mary où son coeur fut inhumé au costé droit de celuy du Cardinal de Crequy et son corps porté dans la Sainte Chapelle de Chasteaudun, elle mit tout son soin et son amour à bien nourrir et élever son fils unique, auquel le Roy Henry IV. (qui luy donna son nom au baptéme) reserva le Gouvernement de Picardie par ses Lettres patentes données à Fontaine bleau le 8. les autres disent le 16. de May de la mesme année, dans lesquelles sa Majesté declare que ce Gouvernement sera administré par François Comte de Saint Paul, oncle paternel de ce jeune Prince jusques à ce qu'il eut atteint l'âge de 18. ans.
Quand Henry II. Duc de Longueville fut plus avancé en âge, la Duchesse Caterine sa mere luy donna un Gouverneur et un Precepteur: ce dernier estoit Philippe Dinet sieur de Saint Romain (9), Gentil-homme de la Chambre du Roy, qui a mis en lumiere plusieurs bons livres et donné au public l'Histoire de François de Beaucaire de Peguillon, Evéque de Mets. Elle l'envoya aussi avec la permission d'Henry le Grand à Saint Germain en Laye pour estre nourry prés du Roy Louis XIII. (lors qu'il estoit encore Daufin) auprés duquel estoient élevez en méme temps Alexandre de Vendosme, Grand Prieur de France, fils naturel de cet incomparable Monarque; et les trois enfans du Duc d'Espernon, Henry de Foix Duc de Candale, Bernard de Nogaret (à present Duc d'Espernon et de la Valete) et Louis Cardinal de la Valete. Elle a eu ce contentement de voir marier ce Prince à une Princesse du Sang.
[308] Elle a fait paroistre sa magnificence en plusieurs occasions: quand les 40. Ambassadeurs des Ligues des Suisses arriverent à Paris au mois d'Octobre de l'an 1602. pour renouveller l'alliance entre le Roy Henry IV. et Messieurs des Ligues et leurs alliez, la Duchesse de Longueville, comme Comtesse de Neuf-chastel, ayant combourgeoisie avec plusieurs cantons, les traita splendidement.
Ceux qui ont veu en l'an 1612. les gentillesses du Carouzel, n'ignorent pas la despense qu'elle fit à cette pompe Royale pour les alliances de France et d'Espagne: Car si les Escadrilles et Compagnies des autres Princes et Seigneurs parurent dans le camp de la Place Royale les plus belles qui se soient jamais veues en France, sans doute celle de ce Prince qui parut sous le nom du Chevalier du Phoenix, éclata par dessus toutes les autres.
Ceux qui auront la curiosité de voir la magnificence de cette Princesse, n'ont qu'à jetter les yeux sur le Chasteau de Colommiers en Brie (qui est l'un des plus beaux bastimens de France) qu'elle a fait faire avec une despense digne d'une Princesse des tres-illustres et tres-liberales Maisons de Mantoue et de Cleves; auprés duquel elle a aussi edifié une Maison au Roy des Roys, où elle l'a fait servir par les Peres Capucins. Elle a encor fondé plusieurs Eglises et Monasteres; entre autres celuy de la Mere de Dieu, ou des Carmelites de la rue Chapon à Paris (10), pour la devotion qu'elle avoit à la Vierge, et à l'Ordre du Carmel ou de sainte Terese, qui est redevable de son establissement en France, à la pieté de la vertueuse Princesse Caterine d'Orleans sa belle soeur (11).
Elle a donné liberalement plusieurs ornemens, tableaux, vases et reliquaires pour la decoration des Autels, comme l'on peut voir en diverses Eglises, tant de Paris que des autres de ce Royaume. Cette Princesse a aussi assisté de ses aumosnes et liberalitez plusieurs personnes qui ont eu recours à elle durant leurs disgraces et necessitez. Quelques Autheurs luy ont dedié leurs livres, qui est un témoignage de son affection envers les hommes sçavans. Cette Princesse estant aagée de 61. an, est decedée à Paris en l'Hostel [309] de Gonzague qu'elle avoit fait bastir, aprés avoir receu avec ferveur et devotion tous les Sacremens (12), le deuxiesme jour de Decembre de l'an 1629. Elle a éleu sa sepulture dans le Cloistre du Monastere des Carmelites qu'elle avoit fondé, où elle s'estoit avancée en la perfection, frequentant les Religieuses de ce devot Monastere, entre autres la Reverende Mere Magdeleine du Bois ou de Fontaines, dite de Saint Joseph, la premiere Prieure de cette Maison et des Carmelites Françoises. L'on voit dans le Cloistre du Convent l'Epitaphe qui a esté gravé sur sa tombe.
Cy gist tres-haute, tres-puissante Princesse Madame Caterine de Gonzagues et de Cleves, Duchesse Douairiere de Longueville, veufve de feu tres-haut et tres-puissant Prince Messire Henry d'Orleans, Duc de Longueville et de Touteville, Pair de France, Prince Souverain de Neuf-chastel et Valengin en Suisse, Comte de Dunois et de Tancarville, Gouverneur et Lieutenant general pour le Roy en Picardie, Boulonnois, Arthois et pays reconquis, fondatrice de cette Maison, avec tres-haut et tres-puissant Prince Messire Henry d'Orleans leur fils unique, Gouverneur et Lieutenant general pour sa Majesté en ses pays et Duché de Normandie: laquelle deceda en son Hostel à Paris, le deuxiéme jour de Decembre l'an mil six cens vingt neuf. Priez Dieu pour son ame.
(1) Elle portoit de Gonzague, Nevers, et Cleves. Au I. quartier de Mantoue blazonné en l'eloge de Caterine Duchesse de Nevers. Au II. quartier escartelé de Cleves: au II. de la Marc: au III. d'Artois: au IV. de Brabant. Au III. quartier du Nivernois: party de Retel: soustenu d'Albret Orval. Au IV. grand quartier és six escus de l'Empire d'Orient, de Hierusalem: Tiercé d'Arragon, soustenu de Saxe moderne de Bar; et de Constantinople. Sur le tout de ce grand quartier de Montferrat, et sur le tout de IV. grands d'Alençon.
(2) Thuanus.
(3) Roncherolles, d'argent à deux fasces de gueules.
(4) Hochberg écartelé au I. et IV. d'or à la bande de gueules: au II. et III. d'or au pal de gueules, chargé d'un chevron de trois pieces d'argent.
(5) Thuanus. Mathieu.
(6) Favin.
(7) Thuanus. Les freres de sainte Marthe.
(8) P. Mathieu. A. de la Morliere en ses antiquitez d'Amiens.
(9) Dinet, de gueules à la Croix d'or, ancrée, couppée, et retraite au coeur, et cinq roses d'argent en sautoir.
(10) Du Val.
(11) A. Miraeus. Du Breuil. C. Henriquez.
(12) Elle avoit pour Confesseur le sieur des Champs, Prestre fort devot.