Catherine Fradonnet/Hilarion de Coste
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[II, 232] MAGDELAINE NEVEU, ET CATERINE FRANTONET ou Frandonet sa fille, Dame des Roches à Poitiers.
CEs deux belles et fertiles Provinces l'Auvergne et le Poitou, sont renommées non seulement dans nostre France, mais aussi par toute l'Europe, à cause que ces contrées sont les vrayes sources et les fontaines des bons esprits, et les pepinieres des sçavans personnages recommandables à la posterité pour leur sçavoir et leurs perfections. J'ay remarqué dans l'Histoire Catholique és Eloges de Messieurs Genebrard et Liset (dont celuy-cy fut élevé à la charge de premier President de la Cour de Parlement par le grand Roy François, qui reconnut et recompensa sa probité et sa doctrine: et celuy-là fut appellé pour son sçavoir le grand Maistre des langues, lequel a esté pour ses merites creé Archevéque d'Aix par le Pape Gregoire XIV.) que les doctes et illustres de l'Auvergne ont esté en ces derniers temps, les Cardinaux Bohier et de la Saussiere, les Chan-[233]celiers du Prat, du Bourg, de l'Hospital, et le Garde des Seaux de Marillac.
Si l'Auvergne se vante de ces sçavants Heros, le Poitou celebre ces doctes hommes, Messieurs le President Brisson, Tiraqueau, Viette, Mangot, Sainte-Marthe, Imbert, Rapin, et autres en grand nombre. Je ne veux pas passer sous silence ceux de la noble et illustre Maison d'Abin ou de la Rocheposay, qui pleins de vertus se sont fait paroistre dans Rome, le plus eminent et le plus relevé Theatre de l'Univers: c'est de cette Maison qu'est issu le digne successeur, non seulement de la Chaire, mais aussi de la doctrine et de la pieté de saint Hilaire (1) Prelat qui ne cesse d'employer sa docte plume pour l'exaltation de l'Espouse de JESUS-CHRIST, comme sçavent ceux qui font profession de manier les bons livres, entre lesquels ses beaux Commentaires sur la sainte Escriture ne peuvent estre assez estimez.
Le Poitou n'a pas seulement donné à nostre France des Hommes Illustres en sçavoir et doctrine, mais aussi des Femmes, sçavoir Mesdames des Roches de Poitiers, mere et fille, qui pour leurs perfections, leurs poesies, et leur capacité ont eu pour Paranimphes Messieurs les Presidens de Harlay (2), Brisson, et de Soulfour; les sieurs Mangot, Pelgey, Loisel, Chopin, Rapin, Turnebe, Pasquier, Binet, la Coudraye, et autres chers nourrissons des Muses. Le docte et judicieux Scevole de Sainte-Marthe, President en la Generalité de Poitiers, en son oeuvre des Hommes Illustres aux lettres, qui ont fleury en ce Royaume pendant le siecle dernier, a dressé un Eloge particulier en l'honneur de ces deux Heroïnes, et leur a donné la place et le rang merité parmy les doctes, entre lesquels ces deux sçavantes Dames ont paru, et ont honoré par leur naissance et leur sejour la ville capitale de Poitou.
C'est à bon droit que l'on peut croire
Que Poitiers est le vray sejour
Des doctes filles de memoire.
Si quelqu'un ne le croit, qu'il voye
Ces deux ROCHES qui jusqu'aux Cieux (3)
[234] Elevent leur chef sourcilleux
Qui comme deux astres flamboye.
Qu'il oye l'armonieux chant
De leurs poesies divines,
Et il connoistra à l'instant
Que les Muses sont Poitevines.
Il verra que les vers chantez
Des Muses qui Poitiers habitent
Plus que ceux-là des Grecs meritent
Estre par dessus tous vantez.
Il cognoistra que cette troupe
De deux Muses vaut beaucoup mieux,
Que celle qui loge en la croupe
De ce mont qui se fend en deux.
Que donques plus on ne s'estonne
Si l'on te chante volontiers,
Puis que dans les murs de Poitiers,
Les Muses logent en personne.
Leur Maison estoit l'escole du sçavoir, l'Academie d'honneur, et la demeure des Muses. Là ces doctes et ces chastes pucelles avoient estably leur Parnasse et leur Helicon, où les Sçavants avoient ce contentement d'admirer l'eloquence, la bonne grace, et la gentillesse d'esprit des plus doctes Dames, non seulement du Poitou, mais de la France, qui ne cedoient aux Nogaroles de Veronne, aux Martinengues de Bresce, aux Seymers et Morus d'Angleterre, à la de Bins d'Anvers, et aux Morelles de Paris. Ceux qui aymoient les lettres en la Grande Bretagne alloient à l'Hostel de Seymer à Londres, ou à celuy du Chancelier Morus en la mesme ville, visiter en celuy-cy les trois tres-sçavantes soeurs Marguerite, Elizabet, et Cecile Morus, filles de cet homme incomparable en pieté, en sçavoir, et en integrité; en celuy-là ces trois autres soeurs et Charites Angloises les Princesses Anne, Marguerite, et Jeanne de Seymer. Et comme Messieurs de Ronsard, du Bellay, Dorat, et tous les autres plus chers favoris de Phebus, et des neuf Soeurs qui demeuroient en cette ville, ou qui passoient par la [235] France, alloient au logis de Jean de Morel Seigneur de Grygny et du Plessis le Comte, Maistre d'Hostel de la feue Reyne mere de nos Rois, Gouverneur de Henry Monsieur d'Angoulesme Grand Prieur de France, fils naturel du Roy Henry II. pour admirer les merites, les perfections, et sur tout le sçavoir de ces trois Demoiselles Parisiennes, Camille, Lucresse, et Diane de Morel, filles de ce docte Gentil-homme Daufinois, et de Demoiselle Antoinette Deloïne sa femme; toutes trois si bien instruites és bonnes lettres, et és langues Grecque, Latine, Françoise, Italienne, Espagnole, et autres étrangeres, que les plus sçavans et les plus polis Ecrivains de leur aage les ont louées dans leurs oeuvres, particulierement Camille, de laquelle j'eusse fait l'Eloge en ce livre, si cette Demoiselle ne fust morte hors de la vraye Eglise. De mesme les doctes et les sçavans alloient à Poitiers au logis de la Dame des Roches et de sa fille, pour apprendre de ces deux Bourgeoises: car si la mere tres-docte et tres-sçavante parloit avec une tres-belle grace, et une tres-grande facilité de toutes les sciences (4), la fille qui n'estoit pas moins docte, l'escoutoit, et recitoit les vers de sa mere et les siens avec une telle douceur et gravité, que tous ceux qui avoient ce bon-heur de l'ouir discourir, estoient saisis d'estonnement, et ravis en admiration. Tous les jours les Professeurs des lettres et du bien dire alloient en grand nombre les visiter en leur Hostel comme en une Academie des Sciences, et ils en revenoient plus polis. On remarquoit en la mere les restes d'une beauté nompareille; la fille estoit avantagée singulierement du Ciel des beautez du corps, mais incomparablement rehaussée des dons de l'esprit: la mere avoit cultivé sa fille dés ses plus tendres années, la rendant fort capable en la Philosophie, en la Rhetorique, et sur tout en la Poesie, et autres arts qu'on a accoustumé d'enseigner à ceux qui sont liberalement nourris; la fille vivoit de science, comme l'Abeille de thin, la Cigale de rosée, et le Cigne du Meandre de lys, de roses, et de violettes; tout son plaisir estoit d'estudier, y estant invitée par trois puissans aiguillons: le premier estoit l'exemple de sa mere, le second l'ardeur de son esprit brillant comme une [236] roue enflammée; et le troisiéme, l'ambition du sexe qui luy donnoit une complaisance de reussir si avantageusement au mestier des lettres. Ce que les Poetes ont feint de Minerve ou Pallas est une fable, mais qui voyoit Caterine de Frandonet voyoit une vraye Pallas: il sembloit que ce fust quelque Intelligence qui eust quitté ses globes celestes, pour se venir enchasser dans ce beau corps, et converser avec les hommes: c'estoit la perle des Dames Poitevines, et une des accortes filles de son temps. La mere et la fille estoient de mesmes moeurs et humeurs; ce qui plaisoit à l'une estoit agreable à l'autre; elles avoient toutes deux un esprit fort, et doux, une prudence éveillée, une grace incomparable pour gagner les coeurs: Il y avoit une telle amitié entre elles, qu'on pouvoit dire avec verité de Magdelaine Neveu et de sa fille Caterine de Frandonet, qu'elles n'avoient qu'un coeur et qu'une ame: aussi elles se vantoient que la mort (quoy que cruelle et inexorable, qui separe les plus grands amis et les plus parfaits amans) ne les pourroit jamais desunir et separer. Plusieurs grands hommes ravis de la beauté, du sçavoir, et des perfections de la fille, l'ayant demandée en mariage, jamais elle n'y voulut donner son consentement, voulant tousjours demeurer avec sa chere mere, tant pour l'affection qu'elle luy portoit, que par une pure inclination qu'elle avoit à la chasteté. Il y a plusieurs hommes illustres qui ont escrit des livres entiers en l'honneur de Caterine de Frandonet (5) qu'ils recherchoient en mariage, outre un grand nombre d'Autheurs qui ont chanté en diverses Poesies les perfections de la mere et de la fille. Lors que la France estoit affligée de peste l'an mil cinq cens quatre-vingts sept, et le pays de Poitou entre les autres Provinces de ce Royaume, la ville de Poitiers fut aussi grandement affligée de ce mal contagieux (6). Ces deux tres-sçavantes Dames ayans esté frappées de la maladie en cette triste saison, Poitiers perdit en peu d'heures son lustre, sa gloire, et son ornement, ces deux lumieres ayans esté esteintes en un mesme jour, non seulement au grand regret des Sçavants de son Université, mais aussi de toute la France. On ne doit pas s'estonner si ces deux Dames, [237] mere et fille, ont durant leur vie gagné la bien-veillance des hommes, puisque la mort mesme a satisfait à leurs souhaits, et à leurs desirs, les ostant toutes deux de ce monde en un mesme jour un Dimanche onziéme d'Octobre 1587. Elles receurent les honneurs de la sepulture dans une Chapelle de l'Eglise des Peres Carmes de Poitiers, comme j'ay appris d'une lettre de Monsieur l'Evéque de Poitiers au Pere Louys Jacob, dit de Saint Charles, Religieux Carme, qui a fait l'Eloge de ces Dames dans sa Bibliotheque des Femmes Illustres par leurs écrits: qui remarque comme Magdelaine Neveu avoit épousé en premieres noces André Frandonet, originaire de Montmorillon, dont elle eut deux enfans, sçavoir Caterine et Jaques qui mourut jeune; et qu'en secondes noces elle épousa François Eboissard sieur de la Villé, Gentil-homme Breton, dont elle n'eut point d'enfans.
(1) Monsieur l'Evéque de Poitiers.
(2) Harlay, d'argent, à deux pals de sable.
(3) Odet Turnebe.
(4) Scaevola Sammarthanus in Elogiis Gallorum doctrina illustrium.
(5) La Croix du Maine en sa Bibliotheque.
(6) S. Sammarthanus.