Antoinette de Bourbon-Vendôme/Hilarion de Coste
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[I,136] ANTOINETTE DE BOURBON (1), DUCHESSE DE GUYSE, et d'AUMALE.
ANTOINETTE DE BOURBON, illustre de vertu comme de sang, nâquit heureusement la veille de Noël l'année 1493. d'autres disent le jour mesme de la Nativité de Notre Seigneur l'année suivante 1494. à Ham en Picardie. François Comte de Vendosme Prince du sang, appellé par nos Historiens l'Escarboucle des Princes de son temps en beauté, en bonté, en sagesse, en douceur, et en benignité, épousa Marie de Luxembourg, grande Princesse, heritiere de plusieurs riches seigneuries, tant en France qu'au pays de Flandre, d'Artois, de Brabant et de Hainaut. De ce mariage sortit Charles I. Duc de Vendosme, Louys Cardinal de Bourbon, François Duc d'Estouteville, et Comte de Saint Paul, et un autre qui mourut jeune, et deux filles: Louyse Abbesse de Font-Eraud, et Antoinette qui estoit l'aisnée, laquelle par le commandement du Roy Louys XII. épousa à Paris Claude de Lorraine Comte et depuis I. Duc de Guyse, frere d'Antoine Duc de Lorraine, et fils du Duc René, que l'on qualifioit Roy de Sicile. Les curieux apprendront que le contract de mariage de Claude de Lorraine Comte d'Aumale et de Guyse avec Antoinette de Bourbon fut contracté à l'Hostel du Roy, appellé l'Hostel des Tour-[137]nelles à Paris (2) en presence de François Duc de Valois et Comte d'Angoulesme (qui depuis a esté le grand Roy François) de Charles Duc de Bourbon, d'Antoine de Luxembourg Comte de Brienne et de Roucy, de Jean Brinon Chancelier d'Alençon, le 9. de Juin 1513. Claude Comte d'Aumale et de Guyse, estant assisté de sa mere Philippe de Gueldre Reyne de Sicile, Duchesse de Lorraine et de Bar d'une part: et de l'autre, Antoinette de Bourbon estant assistée de sa mere Marie de Luxembourg Comtesse de Vendomois, de Saint Paul, de Marle, de Soissons, et Vicomtesse de Meaux, et de ses freres Charles de Bourbon Comte de Vendosme, de Louis de Bourbon Evéque et Duc de Laon Pair de France, et de François de Bourbon Comte de saint Paul (3).
Antoinette de Bourbon Comtesse et depuis Duchesse de Guyse, que quelques Ecrivains appellent Sainte, et nos Historiens les uns tres-sainte Dame, les autres tres-vertueuse Princesse, et les autres, Femme Extraordinaire d'une vertu et d'une pieté incomparable, véquit en grande union et amitié avec le Duc Claude son mary, par l'espace de trente-huict ans, au bout desquels ce genereux Prince deceda en son Chasteau de Joinville, au mois d'Avril de l'an 1550. aprés avoir rendu de grands services à nos Rois Louis XII. François I. et Henry II.
Ce fut dans cette perte, où Antoinette de Bourbon eut besoin de toute sa constance, pour la souffrir sans murmurer: car comme la fortune ne pouvoit avoir prise sur elle, que de ce costé là, la cruelle attainte qu'elle en receut, la blessa jusques à la mort, puis qu'elle en mourut mille fois de douleur; que si elle a passé XXXIII. ans en viduité, le Ciel en permit le miracle, pour faire admirer les nouvelles merveilles que sa vertu promettoit.
Il est vray, qu'à la fin sa Prudence essuya ses larmes, pour faire tarir celles de ses enfans, puisque le seul exemple de sa consolation pouvoit servir de soulagement aux ames les plus affligées, et son amour charitable luy apprit ce pareil artifice de cacher son ennuy dans son coeur, et de porter la joye sur le visage. Ce qu'elle fit de si bonne grace; rendant [138] muette sa douleur pour donner cesse aux plaintes de ses enfans.
Mais comme elle prevint de bonne heure la tristesse qu'elle jugea que le trespas de son époux luy apportoit, qui dureroit autant qu'elle, elle se resolut d'en porter ses livrées jusques au tombeau, et de ne faire jamais quitter le deuil à son corps; puisque son ame en estoit toute pleine.
Aprés qu'elle se fut dignement acquittée de tous les devoirs de pieté et d'honneur, dont elle se sentoit redevable, et pour son salut et pour ses funerailles, ayant fait celebrer en diverses Eglises et Monasteres, un grand nombre de Messes, et employé de grands deniers à la pompe funebre de son enterrement qui fut quasi Royale, à laquelle assisterent plusieurs Princes, Seigneurs et Prelats, entre autres Claude Cardinal de Givry de la Maison de Longvy Evesque de Langres, Duc et Pair de France, qui celebra la grand Messe, (comme sçavent ceux qui ont leu le Livre intitulé, Le tres-excellent Enterrement de tres-haut et tres-illustre Prince, Claude de Lorraine Duc de Guyse et d'Aumale, Pair de France, auquel sont toutes les ceremonies de la Chambre d'honneur, du transport du Corps, de l'assiete de l'Eglise, de l'ordre de l'offrande et grand deuil, avec les blasons de toutes les pieces d'honneur, et bannieres armoyées de ses lignes et alliances, Par Edmond du Boullay, Roy d'armes de Lorraine, qui a esté imprimé diverses fois) elle se mit en peine d'executer son testament; comme si elle eut voulu prendre sa memoire à témoin qu'elle luy obeïssoit aprés sa mort, avec le mesme respect qu'elle luy avoit rendu durant sa vie. Et luy fit dresser un superbe Mauzolée, dans l'Eglise de saint Laurent du Chasteau de Joinville, où il avoit receu les honneurs de la sepulture, avec les Princes et les Princesses des Maisons d'Anjou, de Lorraine et de Vaudemont.
Elle avoit eu de ce Prince plusieurs enfans, entre autres sept fils et quatre filles. L'aisnée des filles fut Marie de Lorraine premierement Duchesse de Longueville, et depuis Reine d'Escosse, de laquelle nous écrirons la vie dans ce Livre. Louyse la puisnée fut Princesse de Chimay, qu'Henry VIII. Roy d'Angleterre desira avoir pour femme aussi bien que la [139] Reyne d'Escosse son aisnée: les deux autres Renée et Antoinette ont méprisé les grandeurs du monde pour professer la vie Religieuse dans l'Ordre de saint Benoist, et sont decedées Abbesses de saint Pierre de Reims et de Farmontier. Deux des fils ont esté Ducs et Pairs de France, François Duc de Guyse et Claude Duc d'Aumale, celuy-cy tué au siege de la Rochelle l'an 1573. celuy là au siege d'Orleans l'année 1563. pour le service de Dieu et du Roy Charles IX. lesquels ont merité durant leur vie et aprés leur trépas, pour leur courage et leur valeur justement le titre et le nom de grands et excellens Capitaines: les deux autres ont esté Cardinaux, dont l'un Charles Archevéque et Duc de Reims premier Pair de France, Legat nay du Saint Siege, a esté renommé par tout l'Univers, pour sa doctrine, sa constance, et son zele à la defense de l'Eglise; et l'autre Louis Evéque de Mets et d'Alby pour sa douceur. Philippe mourut en bas âge: François et René qui ont esté les deux derniers ont eu la qualité de Grand Prieur de France, et de Marquis d'Elboeuf: de ce Marquis sont yssus les Ducs d'Elboeuf et le Comte de Harcourt.
Cette vertueuse Princesse les éleva tous fort soigneusement à la vertu et à la pieté: la pluspart aussi sont morts ou ont esté tuez pour la querele de Dieu et de la vraie Religion, n'aians eu autre but que de s'immoler pour la defense des Autels et le service de nos Rois. Aussi Henry II. les cherissoit grandement et les employoit volontiers en ses principales affaires soit pour la paix, soit pour la guerre, et estoient tous en haute consideration pour leur valeur et leur vertu, dans l'esprit de ce genereux Monarque des François, ce qui n'apportoit pas un petit contentement à cette tres-vertueuse Princesse leur bonne mere, d'où Ronsard prit sujet de chanter en sa faveur,
Pareil plaisir la Mere Phrygienne,
Reçoit voyant ses fils auprés de soy,
Que tu reçois, ô Mere Guysienne,
Voiant tes fils tout à l'entour du Roy.
Elle a veu sacrer trois de nos Rois Henry et François II. et Charles IX. par son fils Charles Cardinal de Lorraine, et [140] le Roy Henry III. par son autre fils Louis Cardinal de Guyse Evéque de Mets, et Abbé de Saint Victor lez Paris: elle a veu aussi sacrer et couronner la Reyne Elizabeth d'Austriche femme de Charles IX. par son fils le Cardinal de Lorraine, et deux Reynes Eleonor II. femme de François I. et Caterine femme d'Henry II. par son frere Louis Cardinal de Bourbon. Un de nos Historiens dit d'elle qu'il n'y a point eu de nostre temps une femme plus recommandable pour sa pudicité, plus serviable à son mary et plus adonnée à la devotion et à la pieté, que cette sage et belle Princesse digne du sang Roial et sacré de saint Louis.
La bonté vertu naturelle à la Roiale Maison de Bourbon, dont les Princes ont acquis par la voix et l'acclamation publique et universelle des peuples et des nations, les excellens titres et surnoms de Bons, paroissoit en eminence en cette tres-vertueuse et tres-devote Duchesse de Guyse Antoinette de Bourbon. L'on ne parle encore à Joinville et aux villes voisines du Bassigny, du Barois, de la Champagne, et de la Bourgongne, que de la bonté de cette Princesse, que le peuple appelle communément la bonne Dame. Il y a des climats si temperez qui produisent des roses toute l'année, et où l'histoire conte pour un prodige, qu'il fit froid, et qu'il neigea; il se void de mesme de certains visages privilegiez qui sont tousjours dans la serenité, le calme de dedans addoucit et éclaire le dehors; celuy de cette Duchesse de Guyse et d'Aumale estoit de cette qualité, et des passions de son ame, qui luy estoient toutes obeïssantes, il ne s'élevoit ny vent ny nuée, qui fust capable de ternir, ou d'alterer la pureté, et la gayeté de ses yeux. Jamais on ne l'a veue en colere, sinon quand Dieu estoit offensé, ou que les nouveaux Heretiques sectaires de Ludder et Chauvin (plus connus sous les noms de Luther et de Calvin) avoient commis quelque irreverence et sacrilege contre le tres-saint Sacrement, ou exercé quelque cruauté et barbarie envers les Catholiques. Jamais on n'a veu cette bonne Princesse dépitée pour aucune indiscretion, jamais alterée en son esprit, quoy qu'il arriva contre son humeur, jamais aucun fiel contre personne du monde: [141] la pieuse Princesse prenoit d'un visage gay et serain toutes les contrarietez, s'habituant à reconnoistre la Divine Providence, jusques aux moindres choses, elle excusoit tout, et pardonnoit tout, et souffroit tout avec tant de douceur et de patience, qu'à moins de cette haute estime qu'elle s'étoit acquise par un si long exercice de vertu, elle se fust mise au hazard par cet excez de bonté, d'en décheoir, et d'en perdre l'authorité et le respect qui estoit deu à sa condition et à son merite. Ce fut cette bonté qui luy mit en main la clef de tous les coeurs, et qui l'a rendu toute puissante dans la conversation des hommes, car qu'est-ce qu'elle n'y fit point? qu'est-ce qu'elle n'en obtint point? elle fit mille accommodemens, où l'on desesperoit de pouvoir reussir, elle assoupit de longs procez, elle adjusta de grands differends, elle démesla des affaires bien intriguées, comme elle fit voir à François de Cleves I. Duc de Nevers, et à Antoine de Croy Prince de Porcien, et à sa mere la Comtesse de Senigan, qui la choisirent pour juge de leurs procez et differends. Elle reunit des esprits bien divisez, elle ramena mille pauvres creatures perdues, elle reforma avec douceur et sans violence des Monasteres, elle persuada ce qu'elle voulut, et à qui elle voulut, et quand c'est qu'elle avoit parlé il falloit se rendre, et advouer que sa bonté avoit des charmes invincibles, qui triomphoient des plus fortes passions, et ravissoient les coeurs de tout le monde.
La vanité n'a jamais erigé ses trophées dans le coeur d'Antoinette de Bourbon; aiant tout le cours de sa vie tant durant le temps de son mariage que de sa viduité, méprisé la pompe des habits, et la parure de son corps, comme on voit aux tableaux et images où elle est depeinte, et comme peuvent encore sçavoir ceux qui l'ont cogneue et pratiquée. Elle vivoit en un grand mépris de sa personne, bien éloignée de plusieurs de son sexe, qui tirent de la gloire des traits de leur visage, et où elles se défient de pouvoir paroistre belles, tâchent du moins de paroistre braves. Ses habits estoient de simple sarge soit qu'elle fût en Cour, soit en sa maison de Joinville, où elle faisoit sa plus ordinaire demeure aprés le decés de son mary. Encore qu'elle ait vécu du temps de [142] nos peres, et que plusieurs sont encor pleins de vie qui l'ont peu voir et luy parler: elle seroit necessaire en nos jours que la bonté de Dieu veut amender; mais la vanité s'y oppose. Ce n'est pas maintenant un deluge d'eau ou de feu, qui menace l'Univers de sa ruine prochaine, un ver à soye (qui le croira) ronge et consomme les meilleures familles. Une Princesse de la Royale Maison de Bourbon, Douairiere de Guyse, mere et aieule de grands Princes et de Cardinaux, et mesme de Reines et de Rois, qui possedoit pour elle et pour les siens, tant de mille livres de rente, s'interdit l'usage de la soye, où maintenant de petites creatures qui n'en ont pas cinq cens, se voudroient couvrir d'or.
La modestie et la bonté n'ont pas esté les seules vertus qui ont rendu cette sage Princesse recommandable, toutes les autres l'ont grandement fait estimer, particulierement la chasteté, aiant tousjours gardé au Duc son époux une perpetuelle et louable fidelité.
Sa liberalité a paru en la fondation de diverses Eglises et Monasteres qu'elle a fait bastir en ses terres, et reedifier plusieurs autres Maisons de devotion et pieté, qui avoient esté demolies et abatues par la rage des Huguenots qui la haïssoient de mort, et l'appelloient en leurs presches la Mere des Tyrans et des ennemis de l'Evangile, à cause que le Roy Charles IX. et la Reine Caterine sa mere se servoient du courage martial de ses enfans, pour la defense de la vraie et ancienne Religion, entre autres François Duc de Guyse son aisné, lequel fut la terreur de ces Infideles qui eussent inondé la France, si leurs Majestez ne l'eussent (avec Antoine de Bourbon Roy de Navarre et Duc de Vendosme, et Louis de Bourbon Duc de Montpensier) opposé comme une forte digue à leurs mauvais desseins, qui n'ont cessé jusques à ce qu'ils en aient eu la dépouille, mais par un assassinat plein de trahison et de poltronnerie fait au siege d'Orleans. Ce fut le saint zele de la Foy et Religion Catholique, qui anima cette digne petite fille du plus saint Monarque des François et de tous les autres Rois de la terre, de ne pouvoir pas souffrir les Ministres de Calvin à Vassy, et és autres lieux voisins de son Chasteau, de sa ville et principau-[143]té de Joinville, car elle et sa soeur Louyse de Bourbon, Abbesse et Chef de l'Ordre de Fontevraud, et leur cousin Louis de Bourbon Duc de Montpensier, avoient une grande aversion de tous les nouveaux sectaires. Le Pere Honorat Nicquet Jesuite, rapporte au chapitre 30. du livre 4. de l'Histoire de l'Ordre de Fontevraud, un traict du zele de Louyse de Bourbon, Abbesse de ce Royal Monastere et Chef de tout ce devot Ordre contre les Heretiques. L'on peut dire sans flaterie de ces deux Princesses et de ce Prince de la Tres-Chrestienne Maison de France, qu'ils estoient si affectionnez vers la vraye Religion, et si passionnez contre ceux qui sentoient mal de la Foy, qu'ils ne les pouvoient pas voir ny méme souffrir en leur presence, disans veritablement les paroles d'un saint Monarque en son Pseaume 138. O Seigneur n'ay-je pas hay ceux qui vous hayssoient. Cette tres-Catholique Princesse donna mille bons exemples à ses enfans, à ses domestiques et à tous ceux qui hantoient en sa maison. Car on la voyoit tousjours la premiere à bien faire, à se lever, à prier, à mediter, à ouyr la Messe, à faire assister les affligez, visiter les pauvres, les Hospitaux et à faire mille autres oeuvres pieuses et charitables. Elle se levoit de fort bon matin, elle éveilloit ses filles, et ses Demoiselles suivant le conseil de Platon, qui ordonne en ses loix que la mere de famille éveille ses servantes, et qu'elle ne se leve pas aprés elles, qu'elle fasse l'office du coq, qui est le réveil domestique.
Entre toutes les vertus d'Antoinette de Bourbon, celle qui brilloit davantage en elle fut sa pieté et misericorde, telle que nous pouvons dire avec le Prophete Royal, que sa misericorde excelloit toutes ses autres oeuvres, ainsi que l'huile surmonte les autres liqueurs. A l'imitation de Notre Seigneur, cette Duchesse de Guyse, encore qu'elle parust forte en toute sorte de vertu, elle se surpassoit en celle-là: elle aymoit les pauvres, conversoit parmy eux, les secouroit et pensoit quelque fois elle mesme, les consoloit de paroles et d'effets, les appellant ses enfans, et eux leur mere, dont tout le monde estoit bien edifié: Et sur tout elle taschoit à une chose dont elle vint à bout, qui fut de planter és coeurs de ses fil-[144]les et petites filles l'affection de la misericorde. Et comme le Lyon instruit ses petits à la chasse, ou la Cicogne ses poussins à voler, ou l'Aigle ses aiglons à regarder fixement le Soleil: Ainsi cette Princesse apprenoit ses enfans et ses domestiques à regarder cette excellente vertu.
Souvent on a veu cette tres-vertueuse Princesse estant en son Chasteau de Joinville, durant le temps de la famine et de la guerre, distribuer aux pauvres manoeuvres et artisans le pain, le vin, la viande, et le salaire de leur travail. Faisant ces pieuses liberalitez elle vouloit tousjours que ses petites filles (entre lesquelles estoit Marie de Lorraine d'Aumale Abbesse de Chelles, de qui je l'ay appris) fussent toutes presentes, afin qu'un jour estans grandes elles fussent soigneuses d'aider et assister les pauvres. Elle visitoit les malades aux Hospitaux, les servoit durant leurs maladies et infirmitez, nourrissoit les pauvres honteux et estropiez par ses aumosnes et charitez, faisoit apprendre quelque honneste mestier aux enfans orfelins qui estoient en ses terres, tant pour leur faire gagner leur vie qu'à fuir la paresse et l'oisiveté mere de tout vice. Jamais cette pieuse et liberale Princesse ne conserva aucuns deniers, sinon quand elle prit dessein de bastir ou d'orner quelque lieu de devotion. Il est vray que les Dames de sa qualité recherchent avec beaucoup de soin pour les ornemens de leurs chambres, de leurs cabinets, et de leurs galleries, une quantité de rares peintures, les marbres, et le porphyre, le cristal, et l'ambre, les diamants, les rubis, et autres telles choses qui sont les objets de leurs plus ordinaires plaisirs. Mais cette bonne Duchesse n'avoit qu'une sainte curiosité d'embellir les Eglises et les Oratoires, de fonder des Maisons Religieuses et des Hospitaux, et d'avancer la gloire et le service de Dieu: tellement que qui veut voir ses thresors, ses tapisseries, et ses plus riches meubles, il les doit chercher és fondemens, et és murailles des Eglises et Convens qu'elle a bastis aux faux-bourgs et environs de Joinville: principalement au Monastere des Religieuses de Nostre Dame de Pitié, et aux Peres Cordeliers de saint Amé, (car ce sont ces saints lieux qui ont la dépouille de sa chambre [145] et de son cabinet) et à la sainte Chapelle de Dijon. J'ay appris de Claude Robert en sa Gaule ou France Chrestienne, qu'elle a donné à cette saincte Chapelle le cofre d'argent dans lequel repose l'Hostie miraculeuse, à laquelle le Roy Louis XII. tres-devot au saint Sacrement, a offert le Roial diadéme dont il fut couronné. Cette Princesse quoy qu'elle fut liberale ne distribuoit pas ses aumosnes à toutes sortes de personnes, mais elle desiroit sçavoir si les seculiers qui s'adressoient à elle pour estre soulagez en leurs necessitez, estoient bons Chrestiens et Catholiques, et si les Reguliers qui avoient aussi recours à elle, gardoient exactement l'observance et les constitutions de leurs Ordres. C'est pourquoy son Confesseur a remarqué que quelques Religieux luy ayans demandé un jour l'aumosne pour leur Maison, elle leur fit cette réponse: Edifiez vos moeurs, et je ne manqueray pas d'edifier vos murs.
Elle passoit une bonne partie du jour à prier Dieu dans son Oratoire, ou en la lecture de la Vie des Saints, et autres livres de devotion et de pieté qu'elle faisoit composer par le Pere Pierre Doré, Religieux de l'Ordre de Sainct Dominique, duquel la memoire est venerable pour son sçavoir, joint à une insigne probité. Cette magnanime et pieuse Princesse a fait paroistre sa constance et son affection envers la vraye Religion, comme j'ay desja remarqué cy-dessus. Car ayant vécu plusieurs années et survécu à ses enfans et à la pluspart de ses petits enfans contre l'ordre commun de la nature et le voeu des meres; elle ne s'attristoit point quand on luy apportoit ces mauvaises nouvelles, mais elle louoit Dieu, et luy rendoit des actions de graces de ce qu'ils estoient morts pour sa querelle, le service de nos Rois et de cet Estat. C'est pourquoy je l'ay comparée ailleurs aux meres des Saints Simphorien et Meliton.
Telle qu'a esté nostre vie, tel est pour l'ordinaire nostre depart de ce monde. Antoinette de Bourbon Duchesse de Guyse et d'Aumale, Marquise de Mayenne et d'Elboeuf, ayant tousjours mené une vie digne d'une Princesse Chrestienne, issue du sang adorable de Saint Louis, finit ses jours par une mort heureuse, aprés avoir receu avec une vraye [146] devotion tous les Sacremens de l'Eglise, et exhorté ses petits enfans à se maintenir et conserver dans la vraye Eglise, hors laquelle il n'y a que confusion et misere. Ce fut le XXII. de Janvier de l'année 1583. qu'elle passa de cette vie à l'autre. Un peu devant que mourir ses petits enfans l'ayant priée de leur faire cette grace et faveur, qu'ils peussent luy baiser les mains devant qu'elle rendist son ame à celuy qu'elle avoit si fidelement servy tous les jours de sa vie: elle leur dit avec une grande et profonde humilité: Helas mes chers enfans, ne baisez point cette cendre et cette terre: car que suis-je, sinon une terre seche et aride? Elle fut enterrée en l'Eglise de Saint Laurens au Chasteau de Joinville au sepulchre de Claude de Lorraine Duc de Guyse son mary, qu'elle luy avoit fait superbement bastir, et à son fils aisné François Duc de Guyse.
Je rapporteray en l'Eloge de Marguerite Duchesse de Savoye, qu'Epictete disoit fort bien dans son Paganisme, que la mort surprend le laboureur en labourant, mais qu'il prioit Dieu qu'elle le surprist en travaillant à embellir son ame, à l'orner des vertus et estre dans l'étude et le chemin d'une bonne vie, et entierement resigné à la volonté de sa divine Majesté. Ce fut justement le point auquel la mort surprit Antoinette de Bourbon, bien instruite en la philosophie Chrestienne, d'autant plus parfaite en ses moeurs, que ne fut jamais Epictete, que son entendement estoit illuminé d'une verité plus certaine. Car outre que son principal exercice estoit la lecture des bons Livres spirituels, et la conference avec plusieurs grands serviteurs de Dieu, entre autres de Pierre Doré natif de Sainct Paul en Artois (duquel j'ay parlé cy-dessus) de François le Picart Doyen de Sainct Germain de l'Auxerrois et Docteur en Theologie de la Faculté de Paris de la Maison de Navarre, homme Apostolique, il y avoit plus de 33. ans qu'elle meditoit aussi souvent que tous les jours, son yssue et sa sortie de cette vie: Tous les ans elle faisoit son testament, et le dernier mois de l'année elle le mettoit en execution. Elle voioit tous les jours sa bierre et les autres meubles destinez pour son convoy et enterrement; et mesme [147] l'on tient qu'elle visitoit tous les jours son tombeau et sa fosse, dont elle méme prenoit la peine d'en oster la terre avec une pelle.
Durant sa vie elle prit pour devise les trois vertus Theologales, avec ces mots, FOY MONTRE, ESPERANCE MONTE, CHARITÉ SURMONTE, qui peuvent servir d'un excellent témoignage de la pieté de cette devote Princesse. Car par là elle vouloit faire connoistre quelle estoit la conduite de sa vie, dont la Foy luy avoit fait l'entrée par la demonstration des choses necessaires à son salut: l'Esperance la faisoit avancer, s'élever et aspirer continuellement aux biens de son eternité, que la foy luy avoit découvert. La Charité luy en donnoit le sentiment dés cette vie, et luy en reservoit la jouissance pour la future en la consommation des Saints, comme parle le grand Apostre: Aussi cette Princesse ne vouloit point davantage de jouissance de sa Foy, ny de son Esperance, ny de sa Charité, que de pouvoir dire sincerement, quoy que sans goust et sans ressentiment, qu'elle mourroit plustost que de quitter sa Foy, son Esperance et sa Charité; adjoustant que la Foy luy découvroit des veritez plus élevées que les sens, que l'Esperance la faisoit aspirer à des biens invisibles, et que sa Charité l'obligeoit d'aymer Dieu plus que soy-méme, d'un amour non sensuel, non naturel, et non interessé; mais d'un amour pur, solide et invariable, qui a son fondement dans le Ciel.
(1) Bourbon, blasonné en l'eloge d'Anne de France, Duchesse de Bourbonnois.
(2) La Place Royale est bastie ou estoit cét Hostel-là.
(3) Ce contract a esté passé par-devant Pierre Pichon l'aisné, et Pierre Pichon le jeune, Notaires du Roy au Chastelet de Paris.