Anne de Lenclos

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Anne de Lenclos
Dénomination(s) Ninon de Lenclos, Ninon de L’Enclos, Ninon de Lanclos
Biographie
Date de naissance Vers 1620?
Date de décès 1705
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)
Dictionnaire Pierre-Joseph Boudier de Villemert (1779)
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804)
Dictionnaire Philibert Riballier et Catherine Cosson (1779)


Notice de Nathalie Grande, 2013.

Née à Paris vers 1620, Anne de Lenclos est la fille d’un « suivant de M. d’Elbeuf qui jouait fort bien du luth », pour reprendre les mots de Tallemant des Réaux, et de Marie-Barbe de La Marche. Menant une vie aventureuse, ce père disparaît à la suite d’un duel alors que sa fille, à qui il lègue principalement son talent pour le luth, est encore adolescente. La mère, abandonnée et sans ressources, aurait elle-même organisé, toujours selon Tallemant, les premiers rendez-vous galants et rétribués de sa fille, bientôt entretenue publiquement par différents amants. Mais les témoignages que l’on a sur Ninon de Lenclos laissent entendre qu’elle change de vie dès sa jeunesse, devenant plutôt une femme entretenue qu’une prostituée. Tallemant explique ainsi comment elle choisit ses amants selon son « caprice » : « On a distingué ses amants en trois classes : les payeurs, dont elle ne se souciait guère, et qu’elle n’a soufferts que jusqu’à ce qu’elle ait eu de quoi s’en passer ; les martyrs [ceux qu’elle faisait attendre], et les favoris » (Tallemant, Historiettes, t. II p. 443). Sa maison devient un lieu de rencontre pour les esprits déniaisés, dont la fréquentation l’amène sans doute à formuler de plus en plus clairement des idées libertines. Victime du parti dévot, elle est conduite en mars 1656 sur ordre d’Anne d’Autriche aux « Madelonnettes », institution destinée à enfermer les « femmes de mauvaise vie », ce qui est une manière de la rabaisser au rang de prostituée ; l’enfermement puis le bannissement hors de Paris sont justifiés par des accusations de débauche et d’impiété. De nombreuses voix prennent sa défense contre ce traitement humiliant, et elle est bientôt envoyée quelques temps en retraite dans un couvent de Lagny : c’est là qu’elle reçoit la visite de la reine Christine de Suède, signe de notoriété mais aussi d’une certaine respectabilité, et d’un prestige certain. Et Mme de Motteville, suivante d’Anne d’Autriche, note dans ses Mémoires que « ce fut à elle seule, de toutes les femmes qu’elle vit en France, à qui [cette reine] donna quelque marque d’estime ». Ainsi on constate que « Mademoiselle de Lenclos », même après ce traitement infamant, continue à ne pas être exclue d’une certaine bonne société : Scarron la loue dans ses vers et elle devient une amie intime de son épouse, Françoise d’Aubigné ; la très respectable Madeleine de Scudéry la peint dans la quatrième partie de Clélie (1658) sous les traits de « l’aimable Clarice » ; Somaize lui consacre un article dans son Grand Dictionnaire des Précieuses (1661) sous le nom de « Nidalie ». Sans rien récuser de ce passé, elle vit à sa fantaisie, entourée d’ami(e)s et d’un respect certain, au point que son salon est considéré comme un des lieux majeurs de la mondanité galante du Grand Siècle.

De nombreuses lettres, et même un opuscule satirique La Coquette vengée (1659), lui ont été attribués, constituant une véritable œuvre… essentiellement apocryphe. On attribue en fait à sa main une quarantaine de lettres, datant des dernières décennies de sa longue vie, exemple de correspondance mondaine. Celles échangées avec Saint-Evremond, diffusées dès le XVIIe siècle grâce aux éditions des Œuvres mêlées de ce dernier, font apparaître une complicité d’esprit qui prouve l’amitié et l’estime de celui-là pour celle à qui il dédia, sous le pseudonyme de la « moderne Leontium » -allusion à une célèbre courtisane antique, maîtresse et disciple d’Epicure- ses réflexions Sur la Morale d’Épicure (1684). Ces échanges épistolaires, où les deux correspondants expriment une conception de la vie, de l’usage des plaisirs, de la vieillesse, en accord avec une morale épicurienne, montrent comment le salon de Ninon de Lenclos a contribué à transmettre et à diffuser les idées auxquelles les philosophes et les salons du XVIIIe siècle emprunteront. Elle continue à intéresser au XIXe siècle, comme le montrent diverses éditions de ses textes (ou de ceux qui lui étaient attribuées), ou la « Causerie du lundi » que consacra Sainte-Beuve à « Saint-Evremond et Ninon » (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, Paris, Garnier Frères, 1927, vol. IV p. 170-191).

Ninon reste aujourd’hui surtout célèbre pour un certain nombre de bons mots, qui ont traversé le temps grâce aux anecdotes de Tallemant des Réaux ou à la correspondance de Mme de Sévigné. Sa légende galante fait régulièrement le bonheur de biographes largement romanciers et de magazines historiques ; mais elle est aussi perçue comme une figure de « femme libérée » avant l’heure, comme en témoigne la notice biographique que lui a consacrée le centre féministe bruxellois Rosa, où elle a été retenue pour figurer parmi les « femmes remarquables ».

Oeuvres

  • 1659: Correspondance authentique […] suivie de La Coquette vengée, éd. E. Colombey, Paris, E. Dentu, 1886 [réimpr. Genève, Slatkine, 1968].

Choix bibliographique

PRINCIPALES SOURCES

  • Tallemant des Réaux, Historiettes, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, t. II, p. 440-449.
  • Saint-Simon, Mémoires, Paris, Gallimard, « Folio », 1990, t. I, p. 98-101.
  • Scudéry, Madeleine de, Clélie, histoire romaine quatrième partie, Paris, Champion, 2004, p. 142-143.

PRINCIPALES ETUDES

  • Roger Duchêne, Ninon de Lenclos, la courtisane du Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984 [rééd. en 2000 sous le titre : Ninon de Lenclos, ou la manière jolie de faire l’amour].
  • Sophie Houdard, « Ninon de Lenclos, esprit fort dans la compagnie des hommes ou de la difficulté de concevoir la maître de philosophie ». Les Dossiers du Grihl, 2010-01 [1].
  • Marie-Gabrielle Lallemand, « Saint-Evremond et Ninon de Lenclos : correspondance », dans Saint-Evremond (1514-1703). Entre baroque et lumières, sous la dir. de S. Guellouz, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2000, p. 113-126.

Choix iconographique

  • [XVIIe s.]: Portrait anonyme de Ninon de Lenclos (huile sur toile), 338 x 450 cm -- Musée national des châteaux de Versailles et du Trianon [2]

Choix de liens électroniques

  • Correspondance entre Saint-Evremond et Ninon de Lenclos : [3]
  • Site de Roger Duchêne consacré à Ninon de Lenclos : [4]

Jugements

  • « Elle dit qu’il n’y a point de mal à faire ce qu’elle fait, fait profession de ne rien croire, se vante d’avoir été fort ferme en une maladie où elle se vit à l’extrémité, et de n’avoir que par bienséance reçu tous les sacrements » (Tallemant des Réaux, Historiettes, op. cit., t. II, p. 443).
  • « Pour de l’esprit, Clarice en a sans doute beaucoup, et elle en a même d’une certaine manière dont il y a peu de personnes qui soient capables, car elle l’a enjoué, divertissant, et commode […]. Elle parle volontiers, elle rit aisément, elle se fait un grand plaisir d’une bagatelle, elle aime à faire une innocente guerre à ses amis, sa raillerie n’a pourtant jamais rien de fâcheux, elle aime toutes les jolies choses, elle écrit fort galamment, elle ne se fâche jamais sans sujet, et elle est bonne et complaisante » (Madeleine de Scudéry, Clélie, histoire romaine quatrième partie, voir Supra Choix bibliographique, p. 143).
  • « Ninon, courtisane fameuse, et, depuis que l’âge lui eut fait quitter le métier, connue sous le nom de Mlle de Lenclos, fut un exemple nouveau du triomphe du vice conduit avec esprit, et réparé de quelque vertu » (Saint-Simon, Mémoires, voir Supra Choix bibliographique, t. I p. 98).
  • « Son salon rassemblait une bien plus grande variété que l’hôtel de Rambouillet, et il unissait bien des genres. Il unissait au ton du grand monde celui de la bonne bourgeoisie parisienne » (Sainte-Beuve, "Causeries du lundi", Paris, Garnier Frères, 1927, vol. IV, p. 188).
  • « La femme à l’esprit fort est, au XVIIe siècle, une courtisane, ce qui n’a rien d’étonnant si l’on pense à la pression des modèles sociaux alors en vigueur. C’est bien sûr cette vie de débauche et de scandale qui amène Ninon de Lenclos à être incarcérée entre 1656 et 1657 aux Madelonnettes où Christine de Suède vient lui rendre visite : enfermée sur ordre de la reine dévote, la courtisane scelle avec la reine sans couronne et sans mari la rencontre de deux trajectoires sociales réelles, mais rares, l’épisode de l’enfermement montrant s’il en était besoin qu’on ne crée pas impunément le scandale sans prendre de gros risques. Ninon de Lenclos enfermée avec les femmes publiques montre une féminité rappelée à l’ordre de l’honnêteté qu’elle renverse scandaleusement. Jamais positive, la féminité se montre dans ce retournement spectaculaire de la liberté d’esprit et de vie qu’elle entendait mener » (Sophie Houdard, « Ninon de Lenclos, esprit fort dans la compagnie des hommes ou de la difficulté de concevoir la maître de philosophie », voir Supra Choix bibliographique, §33).
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