Anne Le Fèvre/Fortunée Briquet
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DACIER, (Anne Le Fèvre, Dame) naquit vers la fin de décembre 1651, à Saumur, où son père était professeur d'humanités. Les services qu'elle a rendus à notre littérature, en faisant passer dans notre langue les chefs-d'oeuvres des anciens, lui ont assuré l'immortalité. La France n'a point eu de femme plus savante et plus érudite. L'esprit d'observation et la solidité du raisonnement égalaient en elle les richesses du savoir; sa réputation occupa toute l'Europe, et les plus grands littérateurs s'empressèrent de rendre hommage à son mérite: Ménage lui dédia, en 1690, son Histoire latine des femmes philosophes; le marquis d'Orsi publia sous ses auspices, en 1703, des Réflexions, écrites en italien, sur la manière de bien penser du Père Bouhours; Baillet l'a placée au rang des plus illustres critiques; Voltaire a dit: «Ses traductions de Térence et d'Homère lui font un honneur immortel»; selon Palissot, c'est peut-être la seule de nos femmes célèbres à qui personne n'a jamais disputé ses ouvrages; La Motte prononça, dans une séance publique de l'Académie française, une Ode à la louange de Madame Dacier. En voici la 4e. strophe:
Ce ministre dont les ouvrages
Égaleront le cours des ans,
Fonda, pour éclairer les âges,
Ce sanctuaire des savans;
A ce sexe qui sur ses traces
Veut moins de Muses que de Grâces,
Il ferma cet auguste lieu;
Mais il t'eût réservé ta place,
Si les oracles du Parnasse
T'avaient prédite à Richelieu.
L'académie des Ricovratide Padoue la reçut parmi ses membres en 1684. Louis XIV lui fit plusieurs gratifications, et en 1685 il lui donna une pension. La célèbre Christine de Suède lui écrivit pour l'attirer à sa cour. Tandis qu'elle se faisait admirer par ses talens, elle se faisait estimer par sa fermeté, son égalité d'ame, sa générosité et sa modestie. Le seul reproche qu'on puisse lui faire, est d'avoir porté trop loin son amour pour les anciens; mais si, dans cette dispute, elle a montré trop de vivacité, on doit faire grace à son zèle pour une aussi bonne cause. On peut même ajouter que les auteurs qu'elle défendit, exigeaient peut-être, de la justesse de son esprit et de la bonté de son goût, toute l'intrépidité qu'elle montra dans cette occasion; cependant sa vénération pour les anciens ne l'empêcha point de voir que Pope avait donné de faux éloges à Homère.
Madame Dacier avait onze ans quand elle se livra à l'étude. Le hasard découvrit à son père les dispositions dont elle était douée. Tannegui Le Fèvre donnait des leçons à son fils, dans la même chambre où elle travaillait en tapisserie. Un jour que le jeune écolier répondit mal aux questions qu'on lui faisait, elle lui suggéra ce qu'il devait dire. Le père l'entendit, et aussi-tôt il lui donna ses soins. Dès qu'elle sut assez de latin pour lire Phèdre et Térence, elle s'appliqua à connaître le grec. L'étude de la langue italienne fut pour elle un délassement. Ces travaux ne l'empêchèrent pas de s'adonner aux occupations ordinaires des femmes. A l'âge de 21 ans, ayant perdu son père, elle alla demeurer à Paris, où sa réputation l'avait devancée. André Dacier étudiait sous Tannegui Le Fèvre, dans le même tems où celui-ci travaillait à l'éducation de sa fille. Les mêmes goûts et les mêmes études réunirent ces deux jeunes élèves. Bientôt ils eurent l'un pour l'autre ces sentimens d'estime et de tendresse, que quarante années de mariage ne purent affaiblir: ils s'épousèrent en 1683. Un fils et deux filles furent le fruit de ces liens. Le fils donnait de belles espérances; ils le perdirent en 1694; une des filles mourut à l'âge de 18 ans, et l'autre prit le voile. Madame Dacier termina sa carrière à Paris, au mois d'août 1720. Parmi les savans et les poëtes qui répandirent des fleurs sur son tombeau, on remarque la Monnoye qui fit son épitaphe, et l'abbé Fraguier, qui adressa à M. Dacier une Élégie latine sur la mort de son épouse. Roger de Piles fit le portrait de cette femme célèbre.
Elle publia: Poésies de Callimaque, avec les Scholies grecques, une Version latine, et ses Notes critiques; Paris, Cramoisy, 1674, 1 vol. in-4. Cet ouvrage est dédié à Huet. L'épître dédicatoire, la préface et les notes sur ce poète grec, ont été réimprimées en 1697, à Utrecht, dans le Callimaque de Grévius. Ce coup d'essai donna une haute idée des talens de Madame Dacier. -- Florus, 1674, réimprimé en Angleterre, 1692, in-8. -- Aurelius Victor, 1681. Pitiscus a inséré dans son édition d'Aurélius Victor, faite à Utrecht en 1696, in-8., tout ce que Madame Dacier avait donné dans la sienne sur cet historien. -- Eutrope, 1683, réimprimé en Angleterre, 1705, in 8. -- Dictys Cretensis, 1684. L'épître dédicatoire, la préface et les notes, furent réimprimées en 1702, dans l'édition d'Amsterdam, in-4. et in-8. Elle ajouta à chacun de ces ouvrages un savant commentaire. C'est à la demande du duc de Montausier qu'elle traduisit les auteurs latins, pour l'usage du dauphin, dont il était gouverneur. Bayle a dit, dans ses Nouvelles de la république des lettres (octobre 1684): «La plupart de ceux qui avaient été chargés de donner ces commentaires n'ont fourni leur tâche, que lorsqu'il n'a été plus tems de l'employer à ce à quoi on la destinait; mais Mademoiselle Le Fèvre surpassa tous les autres en diligence, et gagna le pas à je ne sais combien d'hommes qui tendaient au même but.» -- Poésies d'Anacréon et de Sapho, traduites en français, et enrichies de remarques sur le texte de ces deux poëtes, Paris, Barbin, 1681, in-8.; Paris, Thierry, 1681, in-12; Hollande, in-12. On joignit, à la fin de cette dernière édition, des notes latines de Le Fèvre. Cette traduction, dédiée au duc de Montausier, eut le plus grand succès: La Motte la regarde comme un «ouvrage tout fait par l'Amour»: il fit à ce sujet une ode très-ingénieuse, qu'il adressa à Mme. Dacier. On lit dans un journal de 1682: «Comme la Grèce n'a jamais rien eu de plus galant ni de plus poli que les poésies de Sapho et d'Anacréon, nous pouvons dire que la France n'a guères vu rien de plus juste que cette traduction, tant par la délicatesse avec laquelle Mademoiselle Le Fèvre a imité dans cette copie la naïveté presque inimitable de l'original, que par le secret qu'elle a su trouver, la première, de faire passer dans une prose fidelle toutes les grâces que l'on trouve dans les vers grecs.» Boileau disait que personne ne devait entreprendre de traduire le Chantre de Théos, pas même en vers, après Madame Dacier. -- L'Amphytrion, le Rudens, ou l'Heureux naufrage, et l'Épidicus, comédies de Plaute, trad. en français, Paris, Denis Thierry et Claude Barbin, 1683, 3 vol. in-12, réimprimées à Amsterdam en 1719, avec les dix-sept autres pièces de Plaute, traduites par Limiers. Madame Dacier ajouta à son ouvrage une préface intéressante, des remarques et un examen de chaque pièce. Elle le dédia à Colbert, l'un de ses protecteurs. On trouve dans cette traduction le caractère du poëte latin. -- Le Plutus et les Nuées, comédies d'Aristophane, trad. en français, avec des remarques; Paris, Denis Thierry et Claude Barbin, 1684, 1 vol. in-12. Madame Dacier est la première qui ait transmis quelques pièces d'Aristophane dans notre langue. -- Les six comédies de Térence, traduites en français, avec une préface; la Vie de Térence, et des Remarques; Paris, Denis Thierry et Claude Barbin, 1688, 3 vol. in-12. On en a fait, en Hollande, deux éditions, dont la meilleure, pour la beauté des caractères, du papier et des figures, est celle de 1717; Roterdam, Gaspard Fritsch, 3 vol. in-12. «Il me semble, dit l'abbé Goujet, que tout le monde s'accorde à louer la pureté, l'exactitude et la fidélité de cette traduction.» Le Térence de Port-Royal avait eu beaucoup de succès; les amis de Madame Dacier cherchèrent vainement à la détourner de ce travail. Quelques mois après que son ouvrage fut achevé, elle le relut et n'en fut pas satisfaite. Elle eut le courage de le jeter au feu et de recommencer. Enfin sa traduction parut, et le Térence de Port-Royal fut oublié. Ménage eut une contestation avec l'abbé d'Aubignac, au sujet de Térence. Il apprit que Madame Dacier, après avoir examiné tous les écrits concernant cette dispute, n'était pas de son avis. Pour la mettre dans son parti, il fit réimprimer son Discours sur Térence, avec des corrections, des additions, et le dédia à cette savante. Les complimens flatteurs qu'il lui prodigua n'ébranlèrent même pas son opinion. -- Réflexions morales de l'empereur Marc-Antonin, traduites en français, avec des remarques; Paris, Barbin, 1691, 2 vol. in-12; Amsterdam, 1710. Cette traduction est dédiée au président de Harlay. Elle est précédée d'une Vie de Marc-Antonin, recueillie de divers auteurs de l'antiquité. Madame Dacier composa cet ouvrage avec son mari. -- OEdipe et Électre, tragédies de Sophocle, traduites en français, avec des remarques et deux préfaces; Paris, Claude Barbin, 1692, in-12. -- Six Vies des Hommes illustres, de Plutarque, traduites en français, avec des commentaires, Paris, Barbin, 1694, un vol. in-4. Deux seulement ont été traduites par Madame Dacier, et les quatre autres par son époux; mais il est difficile de le reconnaître d'après le style. C'est ainsi qu'il est arrivé de confondre les ouvrages de Benoît Caliari avec ceux de Paul Véronèse, son frère, dont la manière de peindre était la même. -- Iliade d'Homère, traduite en français avec des remarques; Paris, Rigaud, 1711, 3 vol. in-12; 1719, 1756. La préface qu'elle a mise en tête est une dissertation très-savante et très-curieuse. On y trouve le mausolée superbe qu'elle consacra à la mémoire de sa fille. «J'ai cru, dit Fraguier dans l'approbation, que cette traduction, où l'on retrouve si parfaitement les beautés de l'original, ferait honneur à notre nation et à notre siècle» -- Des Causes de la corruption du goût, Paris, Rigaud, 1714, 1 vol. in-12. Cet écrit fut reçu avec un applaudissement général. Il est rempli d'analyses exactes, de vues saines, de réflexions fines et de sages critiques. Un ouvrage où l'on démêle si bien les cause de la corruption du goût, serait très-capable de le rétablir: sa dispute avec La Motte donna naissance à cette production. --Odyssée d'Homère, trad. en français, avec des remarques et une préface; Paris, Rigaud, 1716, 3 vol. in-12; Paris, 1756, 4 vol. in-12. -- Homère défendu contre l'apologie du R.P. Hardouin, ou Suite des causes de la corruption du goût; Paris, Coignard, 1716, un vol. in-12.
On demandait de toutes parts à Madame Dacier la traduction de Virgile, et elle-même avait le dessein de la donner; mais les infirmités qui l'accablèrent, pendant les deux dernières années de sa vie, l'empêchèrent d'exécuter son projet... Elle avait fait des Remarques sur l'Écriture Sainte; on la sollicita souvent de les mettre au jour: elle s'y refusa constamment.