Armande Béjart

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Armande Béjart
Conjoint(s) Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1662) ; Isaac-François Guérin d’Estriché (1677)
Dénomination(s) Mlle Molière, Mlle Guérin
Biographie
Date de naissance 1641 ( ?)
Date de décès 30 novembre 1700
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)
Autre(s) dictionnaire(s) en ligne
Dictionnaire CESAR - Calendrier électronique des spectacles sous l'Ancien Régime et sous la Révolution


Notice de Claudine Nédelec, 2022

La filiation d’Armande Grésinde Claire Élisabeth Béjart reste encore aujourd’hui incertaine. Au XVIIe siècle, elle était reconnue (grâce à une sorte de fiction juridique) comme la sœur de Madeleine Béjart, dernière fille de sa mère Marie Hervé (48 ans), qui serait née peu avant ou peu après la mort de son mari (été 1641). Dans un acte du 10 mars 1643, Marie Hervé déclare, «au nom et comme tutrice de Joseph, Madeleine, Geneviève, Louis et une petite non baptisée, mineurs dudit défunt et elle», vouloir renoncer à la succession de leur père. Cette version fut officiellement reçue par les contemporains (prêtres ou hommes de loi), et c’est comme telle qu’elle apparaît sur son contrat de mariage.
Une seconde version se fait jour, dans l’attaque perfide de Montfleury, comédien vedette de l’Hôtel de Bourgogne, caricaturé par Molière dans L’Impromptu de Versailles : il l’accuse d’avoir épousé la fille après avoir été l’amant de la mère (ce qui est condamné par l’Église) – accusation ensuite reformulée (à demi-mot) en celle d’inceste par la rumeur. En 1705, le premier biographe de Molière, Grimarest, atteste qu’elle est la fille de Madeleine et de son premier amant, Esprit de Modène, et on l’assimile plus tard à cette «Françoise» dont on découvre l’acte de baptême au XIXe siècle. On pense aujourd’hui qu’elle serait plutôt une seconde fille du même Esprit de Modène, la liaison avec Madeleine ayant duré au moins jusqu’à la rencontre avec Molière (les anciens amants restent ensuite liés). Les tribulations politiques et financières de Modène expliqueraient qu’il n’ait pu (ou voulu) la légitimer. Sans doute baptisée tardivement, en province, elle a été élevée, peut-être justement en tant que fille d’un grand seigneur, dans des institutions religieuses, et à l’écart de la troupe, qu’elle ne rejoint qu’après son retour à Paris (1658).
Armande fait ses débuts officiels en 1663 avec un rôle flatteur de mondaine intelligente (Élise dans La Critique de l’École des femmes), et en « satirique spirituelle » dans L’Impromptu de Versailles, puis assume le rôle-titre de La Princesse d’Élide. Elle succède alors à Madeleine dans les grands rôles féminins, dont celui de Célimène (Le Misanthrope) et d’Elmire (Le Tartuffe). Il est habituel de dire que le mariage avec Molière qui, selon Grimarest, aurait rencontré la vive opposition de Madeleine, ne fut pas heureux. En réalité, cette idée repose sur les médisances du temps, ou sur les confusions entre le théâtre et la réalité (Molière parlerait trop des cocus pour ne pas en être un...), ou encore sur une conception anachronique de la différence d’âge (loin d’être exceptionnelle au XVIIe siècle). En tout cas, ils ont quatre enfants, deux garçons et deux filles, dont trois meurent en bas âge ; seule survécut Esprit-Madeleine (1665-1723) : ces deux prénoms attesteraient qu’Esprit de Modène et Madeleine étaient bien ses grands-parents.
À la mort de Molière, Armande intervient auprès de l’archevêque de Paris pour obtenir son inhumation en terre sainte ; mais celui-ci n’autorise qu’un enterrement discret, à la nuit. On l’accusa de s’être mal conduite après ce décès ; en effet, elle reprit très vite la scène : mais la troupe, qui connaît une phase difficile, pouvait-elle se passer de son actrice vedette ? Il semble en fait que son action ait été essentielle pour sauver la troupe (qui a perdu son théâtre), en participant à la création de la «Troupe du roi en son hôtel de la rue Guénégaud» (juil. 1673), ce qui la fit perdurer jusqu’à la fondation par Louis XIV de la Comédie-Française (1680), dont elle fut une des premières sociétaires. Elle contribua à l’édition des œuvres complètes de Molière en confiant les manuscrits qu’elle détenait. En 1677, Armande épouse en secondes noces le comédien Isaac-François Guérin d’Estriché, dont elle a un fils. Elle ne semble pas s’être bien entendue avec Esprit-Madeleine, élevée à l’écart de la famille et de la vie théâtrale.
Sa conduite fut vivement attaquée, et, en 1688, elle fut l’objet d’une «biographie» romancée, La Fameuse Comédienne, qui en dresse un portrait fort critique, et même calomnieux, lui attribuant un caractère de coquette et nombre d’amants. Elle se retire du théâtre en 1694.
Sa grande réputation de comédienne, tant dans le tragique que dans le comique, ne fait aucun doute, et elle contribua ainsi activement aux succès de la troupe ; mais sa vie personnelle fut l’objet de vives attaques, contribuant à la création de la figure, aussi décriée qu’admirée, de l’« actrice ».

Principales sources

  • Acte de naissance de Françoise (11 juillet 1638): « Onzième de juillet, fut baptisée Françoise, née du samedi troisième de ce présent mois, fille de messire Esprit Raymond, chevalier, seigneur de Modène et autres lieux, chambellan des affaires de Monseigneur, frère unique du roi, et de damoiselle Madeleine Béjard, la mère, demeurant rue Saint-Honoré ; le parrain, Jean-Baptiste de L’Hermite, écuyer, seigneur de Vauselle, tenant pour messire Gaston-Jean-Baptiste de Raymond, aussi chevalier, seigneur de Modène ; la marraine, damoiselle Marie Hervé, femme de Joseph Béjard, écuyer » (publié par Louis-François Beffara, Dissertation sur J. B. Poquelin-Molière, sur ses ancêtres, l’époque de sa naissance qui avait été inconnue jusqu’à présent, Paris, Vente, 1821, p. 13-14).
  • Acte du 10 mars 1643, dans Eudore Soulié, Recherches sur Molière et sur sa famille, Paris, Hachette, 1863, p. 172-173.
  • Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller expliquent ainsi ses prénoms, rares pour l’époque : «Il est un moment où deux personnes se trouvent réunies, qui auraient pu donner à la plus jeune des Béjart ses deux premiers prénoms : c’est en 1653 à Montpellier, lors des États du Languedoc qui furent convoqués par Scipion Grimoard de Beauvoir, comte du Roure, époux de Grésinde de Baudan, et présidés par Armand de Bourbon, prince de Conti, alors protecteur des comédiens» (Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe, Paris, SEVPEN, 1963, p. 131).
  • Lettre de Chapelle à Molière (printemps 1659), Recueil des plus belles pieces des poëtes françois tant anciens que modernes, Paris, Barbin, 1692, t. V, p. 40-45.
  • « Du lundy vingtiesme [février 1662]. « Jean-Baptiste Poquelin, fils de sieur Jean Poquelin et de feue Marie Cresé, d’une part, et Armande Gresinde Bejard, fille de feu Joseph Bejard et de Marie Hervé, d’aultre part, tous deux de ceste parroisse, vis à vis le Palais royal, fiancés et mariés tout ensemble, par permission de Monsieur de Comtes, doyen de Nostre-Dame et grand-vicaire de Monseigneur le cardinal de Retz, archevesque de Paris, en presence dudit Jean Poquelin, pere du marié, et de André Boudet, beau-frere du marié, et de ladite Marie Hervé, mere de la mariée et Louis Bejard et Magdeleine Bejard, frere et soeure de ladite mariée et d’autres avec dispense de deux bans. » (Madeleine Jurgens et Élizabeth Maxfield-Miller, Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe, op. cit., p. 369-370).
  • Lettre de Racine à l’abbé Le Vasseur (23 novembre 1663) : « Montfleury a fait une requête contre Molière, et l’a donnée au roi. Il l’accuse d’avoir épousé la fille et d’avoir autrefois couché avec la mère. Mais Montfleury n’est point écouté à la cour » (Œuvres de Jean Racine, Paris, Hachette, 1865, t.VI, p. 506).
  • Lettre du comte de Limoges à Bussy-Rabutin : « La perte de Molière est irréparable ; je pense que personne n’en sera moins affligé que sa femme : elle a joué la comédie hier » (Correspondance de Roger de Rabutin, comte de Bussy, avec sa famille et ses amis, t. II, Paris, Charpentier, 1858, p. 226).
  • La Fameuse Comédienne ou Histoire de la Guérin, auparavant femme et veuve de Molière, Francfort, F. Rottenberg, 1688.
  • Jean-Léonor Le Gallois de Grimarest, La Vie de M. de Moliere, Paris, Jacques Le Febvre, 1705.

Choix bibliographique

  • Gustave Larroumet, « La femme de Molière – Armande Béjart », Revue des Deux Mondes, 3e période, t. 69, 1885, p. 873-908[1]
  • Henry Lyonnet, Mademoiselle Molière, Paris, librairie Félix Alcan, 1925 [2]
  • Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller, Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe, Paris, SEVPEN, 1963, [3]
  • Georges Forestier, Molière, Paris, NRF Gallimard, 2018.

Jugements

  • « O justes dieux, qu’elle a d’appas! / Et qui pourrait ne l’aimer pas ? / Sans rien toucher de sa coiffure / Et de sa belle chevelure, / Sans rien toucher de ses habits / Semés de perles, de rubis, / Et de toute la pierrerie / Dont l’Inde brillante est fleurie, / Rien n’est si beau ni si mignon, / Et je puis dire tout de bon / Qu’ensemble Amour et la Nature / D’elle ont fait une miniature / Des appas, des grâces et des ris / Qu’on attribuait à Cypris » (Charles Robinet, Lettre en vers à Madame, 27 décembre 1665).
  • Long éloge de la manière dont Armande et La Grange interprètent le « petit opéra impromptu » (Le Malade imaginaire, 1673, II, 5) : « Cette belle scène n’a-t-elle pas toujours eu, sur le théâtre de Guénégaud, un agrément qu’elle n’aurait jamais sur celui de l’Opéra. La Molière et La Grange, qui la chantent, n’ont pas cependant la voix du monde la plus belle. Je doute même qu’ils entendent finement la musique, et quoiqu’ils chantent par les règles, ce n’est point par leur chant qu’ils s’attirent une si générale approbation ; mais ils savent toucher le cœur, ils peignent les passions. La peinture qu’ils en font est si vraisemblable et leur jeu se cache si bien dans la nature que l’on ne pense pas à distinguer la vérité de la seule apparence. En un mot, ils entendent admirablement bien le théâtre, et leurs rôles ne réussissent jamais bien lorsqu’ils ne les jouent pas eux-mêmes. […] Mais ils ne doivent pas leurs plus grands succès à la manière délicate dont ils récitent. Leur extérieur a déjà quelque chose qui impose. Leur maintien a quelque chose de touchant. Leur jeu imite si bien la nature qu’ils font quelquefois des scènes muettes qui sont d’un grand goût pour tout le monde. […] Leur jeu continue lors même que leur rôle est fini. Ils ne sont jamais inutiles sur le théâtre : ils jouent presque aussi bien quand ils écoutent que quand ils parlent. Leurs regards ne sont pas dissipés ; leurs yeux ne parcourent pas les loges. Ils savent que leur salle est remplie, mais ils parlent et ils agissent comme s’ils ne voyaient que ceux qui ont part à leur action. Ils sont propres et magnifiques sans rien faire paraître affecté. Ils ont soin de leur parure avant que de se faire voir, et ils n’y pensent plus dès qu’ils sont sur la scène. Et si la Molière retouche parfois à ses cheveux, si elle raccommode ses nœuds et ses pierreries, ses petites façons cachent une satire judicieuse et naturelle. Elle entre par-là dans le ridicule des femmes qu’elle veut jouer ; mais enfin, avec tous ses avantages, elle ne plairait pas tant si sa voix était moins touchante ; elle en est si persuadée elle-même que l’on voit bien qu’elle prend autant de divers tons qu’elle a de rôles différents » (Entretiens galans, Paris, 1681)
  • « [Le Parisien de Champmeslé] a cela de nouveau qu'il y a un personnage de femme tout italien. Mademoiselle Guérin, à qui cette langue est familière, soutient ce rôle admirablement et y fait paraître avec beaucoup d'avantage cette finesse d'esprit dont elle accompagne tout ce qu'elle joue » (Donneau de Visé, Le Mercure galant, février 1682, p. 240)
  • L’auteur anonyme d’une « Lettre sur la vie et les ouvrages de Molière et sur les comédiens de sa troupe », publiée en mai 1740 dans le Mercure de France, la dépeint en ces termes : « Elle avait la taille médiocre, mais un air engageant, quoiqu’avec de très petits yeux, une bouche fort grande et fort plate, mais faisant tout avec grâce, jusqu’aux plus petites choses, quoiqu’elle se mît extraordinairement et d’une manière presque toujours opposée à la mode du temps ».
  • « Autant elle s’était montrée frivole et coquette du vivant de son mari, autant après le décès de celui-ci elle se révéla femme de tête et d’affaires faisant face avec énergie et rapidité à tous les problèmes privés et professionnels que posait la disparition inattendue du chef de famille et du chef de troupe » (Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller, Cent ans de recherches sur Molière, op. cit., p. 190).
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