Philosophie et genres littéraires au dix-huitième siècle
En revue, avant le 30 sept. 2021

Giornale Critico di Storia delle Idee : Rivista internazionale di filosofia

Pourrait-on écrire une histoire des formes d’expression de la philosophie qui serait, en même temps, une histoire sociale et culturelle du rôle du philosophe ? Il n’est pas surprenant qu’une telle question n’ait trouvé, jusqu’à présent, que peu de réponses. S’il est vrai que le projet de s’interroger sur les frontières entre philosophie et littérature, explicitement ou implicitement, a été proposé par certaines des figures philosophiques les plus importantes des deux derniers siècles (de Nietzsche et Heidegger à Derrida, Rorty et Cavell), il est vrai également que cette idée a été formulée principalement dans des cadres conceptuels qui n’auraient guère été le point de départ d’une étude historique organique. Par conséquent, reprenant l’utile  sollicitation de Paolo D’Angelo (2012), nous proposons ici de nous intéresser aux genres littéraires. Le concept de genre littéraire, qui a été bien établi par tout un héritage théorique et méthodologique, constitue une prémisse de rigueur, mais en plus permettra d’approcher la question, non seulement par l’interprétation des auteurs et des œuvres individuelles, mais aussi à travers l’étude des tendances et des contextes forgés par les conventions, les attentes du public, les changements technologiques, économiques et institutionnels.

À cet effet, il semble utile d’identifier une période qui peut servir de laboratoire à cette réflexion : le XVIIIe siècle s’y prête tout naturellement. Dans ce siècle, parallèlement à l’évolution de la philosophie et de son rôle, les choix stylistiques et formels font l’objet de nombreuses expérimentations, d’une façon qui n’a probablement pas d’égale dans l’histoire de la philosophie. Au siècle des Lumières, rendre la philosophie « populaire » pour qu’elle s’adresse à un large public devient un objectif programmatique fondamental pour le renouvellement des connaissances. Les périodiques se multiplient et se répandent, la littérature clandestine circule largement malgré les interdictions. On commente abondamment les œuvres dans les salons et ce sont souvent les auteurs eux-mêmes qui en lisent certaines parties avant publication, favorisant le commentaire critique des textes : diffusion, réfutation, etc. La diffusion du livre change grâce aux nouveaux formats disponibles. De façon générale, tout le champ des choix stylistiques – relations entre philosophie et rhétorique, entre philosophie et genres littéraires – a changé au XVIIIe siècle. Ce changement doit encore être approfondi, bien que plusieurs études récentes, comme les travaux de Colas Duflo ou bien les recherches sur la littérature clandestine, montrent la fécondité de ce type de recherche.

En identifiant des seuils temporels significatifs pour chacun, comme Guido Mazzoni (2011) les a repérés pour le roman. Certains font leur apparition puis s’imposent jusqu’à l’époque contemporaine, c’est le cas du conte et du roman philosophique, tandis que d’autres émergent (ou émergent de nouveau) et deviennent bientôt marginaux, comme le roman épistolaire ou le dialogue philosophique. Le succès de l’empirisme modifie profondément un genre comme l’essai, qui remonte à Montaigne ; l’utopie trouve une nouvelle forme avec la publication du premier roman d’anticipation de Mercier. Même le genre encyclopédique change radicalement de visage sous l’impulsion du projet de Diderot et d’Alembert avec le vaste succès qu’on lui connaît. Les genres aux racines plus lointaines sont considérablement transformés, comme le dialogue et les recueils d’aphorismes, l’épître, la satire et le traité lui-même, le genre littéraire philosophique par excellence, dont l’évolution doit être analysée à la lumière de l’esprit systématique qui, au XVIIIe siècle, s’oppose à l’abstraction métaphysique typique de l’esprit de système. Il serait intéressant d’examiner la production philosophique féminine, dont le poids atteint son apogée vers la fin du siècle avec Olympe de Gouges et Mary Wollstonecraft, pour comprendre si et pour quelles raisons il y avait une préférence pour des genres spécifiques de la part des philosophes femmes. Il serait également important d’étudier ces lieux moins formels ou conventionnels où la pensée philosophique est élaborée, de la littérature clandestine, aux épistolaires, des biographies et les autobiographies de portée philosophique, jusqu’aux articles pour périodiques et revues, comme le célèbre article de Kant : Beantwortung der Frage: Was ist Aufklärung?. Encore faudra-t-il examiner des formes littéraires telles que la poésie et le théâtre qui, de Diderot à Goethe, ont été sciemment choisies pour transmettre les idées des Lumières d’émancipation et de renouveau social.

Une telle histoire aurait-elle finalement à nous apprendre sur le présent de la profession (et de la vocation) philosophique ? À une époque telle que la nôtre, où la philosophie semble entretenir des liens plus étroits avec l’institution universitaire – dominée par l’exercice-roi de l’article scientifique – qu’avec la culture dans son ensemble, le XVIIIe siècle offre un rappel plus que salutaire des possibilités ouvertes par la variété et la complexité du champ des genres philosophiques.

Les contributeurs potentiels peuvent soumettre leurs articles, accompagnés d’un résumé et des détails d’affiliation complets, à l’adresse e-mail suivante: philgenres18@gmail.com

REMARQUES: Il n’y a pas de frais de publication d’articles pour les manuscrits acceptés. ùLes manuscrits ne doivent pas être soumis à l’examen d’une autre publication au moment de leur soumission à la revue.