Les marâtres : des mots, des personnes, des familles
Arras (24-25 novembre,), avant le 25 avril 2022

Colloque international marrainé par la SIÉFAR

Université d’Artois, Arras

Colloque organisé par Anne Jusseaume et Laurence Leleu (CREHS, Université d’Artois. Il est le premier du projet “Marâtres. Secondes épouses, fils et filles d’avant”.

Le projet « Marâtres » est un projet d’anthropologie sociale transpériodique, de l’Antiquité à nos jours, ouvert aux approches littéraires et juridiques, qui vise à interroger la construction sociale et mentale de la marâtre, figure stigmatisante et stigmatisée de la seconde épouse du père, en partant des mots, des systèmes de parenté et des pratiques sociales dans lesquelles elle s’inscrit. Plusieurs questions sont à l’origine de ce projet : comment appelle-t-on la seconde épouse du père et qui est-elle ? Quand et pourquoi ce terme disqualifiant de marâtre émerge-t-il dans les sources ? Lui trouve-t-on un équivalent dans d’autres langues que le français ? Quel rôle jouent les contes dans la diffusion de ce mot et de cette figure ? Dans quelles configurations, sociales, culturelles et économiques, relationnelles et affectives, la seconde épouse devient-elle une marâtre ? Comment son arrivée recompose-t-elle la famille et quelles relations entretient-elle avec les enfants du premier lit ? De quel père la marâtre est-elle l’épouse ? Comment cette figure s’articule-t-elle avec celle de la mère et avec celles d’autres femmes incarnant une maternité alternative pour les enfants (nourrices, marraines, tantes etc.) ? Enfin, dans quelle mesure cristallise-t-elle des conflits familiaux et comment sa présence influence-t-elle les trajectoires de ses membres ?

En 2003 a été fondé en France le « Club des marâtres » destiné aux femmes dont « le prince charmant est arrivé avec ses enfants » (Helfter, Caroline. « Focus – Marâtres : une place à inventer », Informations sociales, vol. 149, no. 5, 2008, pp.92-93). Cette association propose des groupes de parole conviviaux et des activités, mais aussi du soutien et de l’aide pour s’intégrer au groupe familial et notamment être acceptées par les enfants. Une telle initiative témoigne des difficultés particulières rencontrées par ces femmes dans leurs relations avec les enfants de leur partenaire, et des tensions, parfois intenses et difficiles à résoudre, que cette nouvelle relation peut créer. Retournement contemporain du stigmate associé à cette figure honnie des contes, révélatrice du poids des représentations négatives persistantes, cette initiative s’inscrit dans les recompositions familiales contemporaines, l’évolution du droit de la famille et participe à l’interrogation sur la beau-parentalité. La montée des divorces et des séparations, les nouveaux types d’union bouleversent les formes de la parentalité et de la fraternité en questionnant la primauté des liens du sang. Pourtant, les recompositions familiales s’inscrivent dans une histoire longue de la mortalité maternelle et du veuvage, des séparations et répudiations, et des relations parents-enfants qui sont contraintes par les normes sociales, culturelles, juridiques et religieuses, et qui contribuent également à les faire évoluer. Elles font l’objet de nombreux travaux en sociologie et en anthropologie de la famille quand l’histoire s’est intéressée aux évolutions des formes de la famille et à la parenté.

Que ce soit par des anthropologues comme Jack Goody, des médiévistes comme Pierre Toubert ou Régine Le Jan, ou par une approche de démographie historique, nombreux sont les travaux qui interrogent le poids de l’alliance, du mariage et donc du couple dans le système de parenté. L’histoire du genre vient quant à elle renouveler l’approche de la conjugalité et du célibat, des maternités et paternités. Si la seconde épouse, celle qui prend place dans un foyer où se trouvent déjà des enfants issus d’une première union, constitue une figure spécifique d’une famille recomposée, elle peut être mise en regard d’autres formes de parentalité (spirituelle, baptismale), d’autres figures alternatives de maternité (nourrices, éducatrices) davantage associées à des représentations valorisées, et plus généralement à l’entourage féminin du père. C’est donc en comparant le rôle social de ces différentes femmes au sein des familles, qui à bien des égards peut-être assimilé à un rôle de care (ensemble de tâches et dispositions émotionnelles et relationnelles assignées aux femmes, perçues comme jouant un rôle central dans l’entretien du lien social) que nous tenterons d’explorer les places et les représentations des figures maternelles au sein des familles.

La marâtre est évoquée dans les études sur la famille, comme figure d’une parenté redoutée, elle est abordée par le biais des itinéraires féminins sous l’Ancien Régime (S. Perrier) et abondamment dans l’étude des contes au prisme de sa représentation négative ; elle a aussi fait l’objet de travaux en sociologie et en anthropologie (S. Cadolle, A. Martial). Pour autant, la seconde épouse n’a pour l’instant pas fait l’objet d’une étude approfondie sur un temps long. Dans une démarche d’anthropologie historique attentive tant aux représentations qu’aux pratiques sociales, au croisement de l’histoire de la famille et de la parenté, et en mobilisant les outils de l’histoire du genre et du care, ce projet vise à comprendre l’émergence de cette figure au sein d’un système de parenté et de conditions historiques qui le produisent, et à saisir son rôle social dans le quotidien des familles et ses effets dans les trajectoires des individus. Dans quelles circonstances contribue-t-elle à faire tenir ou à diviser les familles ? Dans un premier temps, nous voudrions mesurer l’ampleur du remariage masculin et l’articuler aux représentations qui lui sont associées. Union légitime et légitimée, pourquoi devient-elle le lieu de la construction d’une figure repoussoir ? La marâtre serait-elle le stigmate de la famille recomposée ? Comment expliquer l’importance de cette figure négative, alors que celle du parâtre reste fantomatique et que d’autres formes de maternité sont valorisées ?

Ce premier colloque du projet « Marâtres » a pour objectif d’articuler l’étude des mots et des représentations associés à la seconde épouse avec celle des formes familiales et du système de parenté dans lesquels elles s’inscrivent. Pour ce faire, il importe de repérer les termes utilisés pour désigner cette femme au sein d’une famille, de saisir les normes sociales, culturelles et religieuses qui contribuent à la légitimer ou à la discriminer. Appréhender cette question sur un temps long interroge le continuum de sources et les nouvelles archives mobilisables pour faire l’histoire de cette figure. Nous souhaiterions aussi, autant que faire se peut selon les périodes, saisir l’évolution de l’ampleur sociale de ce phénomène. A l’issue de ce premier temps, nous espérons mettre à jour des configurations de parenté et repérer l’émergence de ce mot, qu’il faudra, lors d’un deuxième colloque, confronter aux conditions de vie des familles à marâtre et aux trajectoires des individus.

Axes du colloque

Ce premier colloque s’organisera autour des trois axes suivants dans lesquels peuvent s’inscrire les propositions de communication :

1) Belle-mère ou marâtre : nommer et décrire la seconde épouse

Noverca, belle-mère, marâtre, step-mother…, les termes utilisés pour désigner la seconde épouse varient selon les langues, mais le suffixe “-âtre” utilisé dans le terme français connote une dimension immédiatement perçue comme péjorative. Ce mot stigmatisant est-il propre au français ? Quand le terme de marâtre apparaît-il ?Ce premier temps a pour objectif d’étudier les manières de nommer qui qualifient ou disqualifient cette femme et la relation qu’elle entretient avec les enfants issus d’une précédente union. Pour ce faire, il convient d’analyser la présence (ou l’absence) non seulement du mot dans les sources pour la désigner, mais aussi les adjectifs qui viennent qualifier la relation entre cette femme et les enfants du premier lit. A cet égard, les émotions associées à cette figure constituent une voie à explorer pour saisir la nature de la relation et donc la construction en négatif de cette femme qui intègre une famille déjà constituée. Comment est-elle décrite et en mobilisant quels imaginaires ? Plusieurs pistes, à la croisée de la sémantique historique et de la littérature, peuvent être explorées pour saisir l’articulation entre les mots employés et les représentations que ceux-ci véhiculent, mobilisant des figures archétypales issues des contes ou des romans. Etudier ces mots utilisés pour désigner la seconde épouse et leurs usages peut permettre d’interroger la figure du parâtre et les figures maternelles alternatives.

2) De quelle configuration familiale la marâtre est-elle le produit ?

Le second axe portera sur les « familles à marâtre » au sein des systèmes de parenté en mettant en lumière les différences de genre dans les secondes noces. Le premier aspect à étudier est celui du remariage des hommes et femmes qui se retrouvent seul.es par veuvage ou séparation afin de saisir le caractère impératif de la seconde épouse/du second époux au sein de la famille. Comment s’articule-t-il à l’idéal conjugal et aux injonctions sociales, morales et religieuses ? L’enjeu serait d’identifier les facteurs qui font que le remariage du père apparaît ou non comme nécessaire dans une société donnée, et ce qui potentiellement transforme la seconde épouse en “marâtre”. Plusieurs pistes peuvent être explorées : les aspects démographiques (mortalité maternelle, présence d’enfants en bas âge ou de filles aînées qui peuvent prendre en charge le soin de la famille),les dispositions juridiques (la possibilité de la séparation et du remariage, les règles d’héritage), les représentations genrées associées au veuvage et au célibat, le rôle attendu des femmes dans les familles.

3) Portraits de marâtres

Le troisième axe se recentrera sur les secondes épouses elles-mêmes et essaiera de dresser différents portraits de ces femmes, qui pourront être comparés avec d’autres figures de maternité alternative. D’oùviennent-elles et avec quoi arrivent-elles au sein d’une nouvelle famille ? Plusieurs aspects peuvent être explorés pour comprendre leur marge d’autonomie au moment de leur mariage et de leur insertion dans une famille nucléaire privée de l’épouse et mère. Le capital physique,social, économique et culturel de ces femmes peut être interrogé. La question de leur âge – et des écartsd’âge avec le père ou les enfants – est une piste à explorer pour la situer dans la famille. Cette union est-elle celle de deux familles avec enfants et conduit-elle à des naissances issues de ces secondes noces ? Le statut social et le capital culturel des secondes épouses, est une autre voie à analyser : ce mariage est-il pour elles l’occasion d’une ascension sociale ?

Modalités de soumission

Le colloque se tiendra à l’Université d’Artois, à Arras, les 24 et 25 novembre 2022.

Il est organisé par le CREHS (EA 4027), avec le soutien de l’IEFR, du LAMOP, de la Société de Démographie historique et de la SIEFAR.

Les propositions de communication (environ 3500 signes) doivent, outre un titre, préciser l’approche, la méthodologie et les sources mobilisées et/ou le terrain d’enquête.

Elles peuvent s’inscrire dans un ouplusieurs des trois axes proposés.

Elles doivent être accompagnées d’une courte biographie académique de l’auteur, et peuvent être rédigées en français ou en anglais.

Le comité valorisera les travaux de jeunes chercheurs et les recherches inédites, ainsi que l’exploration de nouveaux terrains ou de nouvelles archives, afin d’encourager la discussion sur des recherches en cours. Les communications dureront 20 minutes, et un temps important sera laissé à la discussion.

Les propositions sont à envoyer conjointement à anne.jusseaume@univ-artois.fr et laurence.leleu@univ-artois.fr pour le 25 avril 2022.

Elles seront ensuite examinées par le comité scientifique et une réponse sera données aux participant-e-s courant juin 2022.

Comité d’organisation

  • Anne Jusseaume (Université d’Artois, CREHS)
  • Laurence Leleu (Université d’Artois, CREHS)

Comité scientifique

  • Sabine Armani (Université Sorbonne Paris Nord, Pléiade UR7338),
  • Marianne Closson (Université d’Artois, Textes et Cultures UR 4028),
  • Aurélie Damet (Paris I Panthéon-Sorbonne, ANHIMA UMR 8210),
  • Agnès Fine (EHESS, LISST UMR 5193-CAS),
  • Vincent Gourdon (CNRS, Centre Roland Mousnier UMR 8596),
  • Régine Le Jan (Paris I Panthéon-Sorbonne, LAMOP UMR8589),
  • Didier Lett (Université de Paris, ICT EA 337),
  • Nicole Pellegrin (CNRS, IHMC UMR 8066).