Imaginer la Révolution française (1830-2024) : faire de l’histoire sans être historien ?
Paris (21-22 novembre 2024), avant le 1er mars 2024

« Je ne suis pas historien : je suis arrivé au 4 août en ne connaissant rien » (Bertrand Guillot) 

« Le fond des cœurs est sans doute ragoût à irriter les historiens » (Joseph Andras)

« L’élan initial, ça a été la pièce de Joël Pommerat, dans laquelle la nuit du 4 août était un des moments les plus spectaculaires » : ainsi Bertrand Guillot, auteur de L’Abolition des privilèges (Les Avrils, 2022), saluait-il, à l’occasion d’un entretien donné au séminaire IMAREV 18-21 (CERILAC, ERP441), sa dette à l’égard de Ça ira (1). Fin de Louis, créé en 2015 et devenu un succès international. B. Guillot soulignait aussi le plaisir d’aller vers les sources factuelles, qu’il comparait à un « voyage » dans un pays éloigné avec lequel éprouver une progressive familiarité.

C’est bien sous le coup d’un effet-Pommerat que s’était ouvert, en 2016, le séminaire proposé, depuis 2017, sur les imaginaires de la Révolution française, même si la décennie précédente, secouée déjà par une turbulente actualité politique et sociale où était revenue la référence révolutionnaire, avait aussi joué son rôle et donné la mesure d’un phénomène de réemploi plus large, à la fois politique, médiatique, esthétique et commercial[1]. Ça ira déployait cependant une capacité inédite à instruire la matière de l’histoire dans un travail de représentation où, le métier de l’historien et la plongée dans les archives avaient trouvé leur place du fait de l’appel à un expert. Cette convocation de l’histoire savante et de ses instruments n’était pas neuve en soi : Ariane Mnouchkine avait sollicité des historiens pour 1789. Mais outre que le rapport à ces derniers a sans doute changé de nature, la période ouverte en 2016 s’est illustrée par une efflorescence de fictions, de 14 Juillet à Pour vous combattre, où Joseph Andras réinvestit la figure de Camille Desmoulins (Actes Sud, 2022), en passant par Un violent désir de bonheur de Clément Schneider (2018), Un peuple et son roi de Pierre Schoeller (2018) ou Saint-Just & des poussières d’Arnaud Maïsetti (L’Arbre vengeur, 2021).

Deux ans après Ça ira, le réalisateur Pierre Schoeller confiait à IMAREV son propre vertige des archives et l’obsession de n’en rien trahir dans un film où l’hommage à La Marseillaise de Renoir (1937) est évident. Dans la foulée, Florent Groazel et Younn Locard publiaient le premier volume de leur splendide somme graphique (Révolution I : Liberté, Actes Sud, 2019) appuyée sur un très impressionnant investissement dans les sources. C’est à ce point de jonction entre la curiosité, voire l’appétit, souvent formulés par les créateurs, pour le savoir historien, et leur construction d’une vision et d’un point de vue sur l’événement, que le colloque souhaite situer ses interrogations. En quoi imaginer la Révolution suppose-t-il un geste d’historien sans être historien ?

En maintenant dans son intitulé le verbe plutôt que le substantif, le colloque entend insister sur la dimension agissante, programmatique, instituante des imaginaires de la Révolution, qui ont besoin d’une relation à la fois conflictuelle et empathique avec les historiens, leurs savoirs, leurs questions, leurs méthodes, leurs prises de parti historiographiques et leur propre rapport aux fictions et aux imaginaires, désormais revendiqué comme un territoire de leur discipline : songeons au colloque international La Révolution en 3D : Textes, images, sons, 1787-2440 (Sorbonne Université, 14-16 mars 2019) organisé par Pierre Serna et Anne Simonin. Côté littéraires, des travaux fondateurs, dans la lignée desquels le colloque s’inscrit pour une part, ont plutôt investi le vaste corpus des fictions littéraires par l’analyse de leurs composantes poétiques en tant qu’efforts pour une écriture de l’histoire : Les Romans de la Révolution, 1792-1912 (Belin, 2014, dir. Jean-Marie Roulin et Aude Déruelle) et Fictions de la Révolution, 1789-1912 (dir. Jean-Marie Roulin et Corinne Saminadayar-Perrin), se penchaient sur les manières dont la Révolution se figure dans des « noyaux fictionnels » sur un long dix-neuvième siècle hanté par la question du sens de l’Histoire. Le présent colloque souhaite déplacer l’enquête du côté du rapport au travail de l’histoire comme discipline. Comment le créateur constitue-t-il et invente-t-il son autonomie depuis une forme de dépendance à l’histoire, laquelle peut être très clairement assumée, parfois au nom même d’une mission de l’artiste ? En 1880, Zola refusait ainsi la médiocrité des mélodrames à la mode pour en appeler à un théâtre dont l’authentique vocation civique et pédagogique demanderait de s’appuyer sérieusement sur l’histoire. Ce questionnement est réactivé par le théâtre de Romain Rolland, La Marseillaise de Renoir dans son rapport au Front populaire, ou le 1789 de Mnouchkine.

Pour mesurer ce rapport à l’histoire et aux historiens, le colloque propose de remonter jusqu’au « moment 1830 », point de départ d’une longue série d’histoires de la Révolution et de débats historiographiques, idéologiques et politiques inséparables de la fondation scientifique de la discipline, qui commence à s’arracher au temps des mémorialistes. C’est aussi un tournant dans la construction des fictions de l’événement. En 1872, un certain Charles Vatel, avocat, notait au détour d’un ouvrage pionnier d’historiographie théâtrale que les « romans de Ducray-Duminil » et les drames de Pixérécourt relevaient, dans la représentation de la Révolution et de ses figures, d’un « système encore régnant en 1829 », année de la publication d’un roman qui fit en effet rupture : Les Chouans de Balzac. Des Trois Glorieuses à nos jours, comment l’artiste et l’écrivain ont-ils négocié leur rapport aux historiens de la Révolution ?

Parmi les questions qu’on souhaite voir aborder :

–       Les rapports des auteur.e.s à la discipline historique. Quel(s) savoir(s) la représentation artistique et littéraire, dans la diversité de ses mediums, pense-t-elle, ou non, produire ? Comment envisage-t-elle de faire histoire ? En vue de suggérer quel type de rapport au(x) passé(s), mais aussi au présent ? Quel est le poids des débats idéologiques qui ont traversé ou qui traversent l’historiographie de la Révolution française ?

–       Publics visés, horizons d’attente. Pour la plupart des auteur.e.s, aujourd’hui, le geste créateur est à cet égard indissociable d’un geste critique. Peut-on parler d’une ambition pédagogique ? Comment contribuer à la recomposition d’un imaginaire collectif susceptible de faire pièce aux lieux communs figés de « l’imagerie » ? Comment se faire entendre ? Comment se faire comprendre ?

–      Pratiques de création. Comment faire de l’histoire (mode de sollicitation d’experts, changements d’échelle et de point de vue, effets de montage, détournements de l’archive…) ?  Comment se confronter à la masse documentaire, à la complexité événementielle et à une historiographie océanique ? Quelles ressources propres à la création artistique sont-elles mobilisées ?

Les propositions de contribution en une page précisant l’axe de la communication et son corpus sont à adresser pour le 1er mars 2024 au plus tard (impératif) à : olivier.ritz@u-paris.frflorence.lotterie@u-paris.fr et sphlucet@gmail.com 

Comité scientifique :

Antoine De Baecque (ENS-PSL), Quentin Deluermoz (Université Paris Cité), Jean-Clément Martin (Paris I-Panthéon Sorbonne), Paule Petitier (Université Paris Cité), Allan Potofsky (Université Paris Cité), Jean-Marie Roulin (Université Jean Monnet-Saint-Étienne), Pierre Serna (Paris I-Panthéon Sorbonne), Armelle Talbot (Université Paris Cité).[1] Ce phénomène fait l’objet des contributions de l’important collectif, issues de trois colloques organisés en 2011 et 2012, dirigé et présenté par Martial Poirson : La Révolution française et le monde d’aujourd’hui. Mythologies contemporaines, Paris, Classiques Garnier, 2014.