Genres et esthétique des théâtres de société (XVIIIe-XIXe siècles)
Lausanne/Rouen (déc. 2017/mai2018), avant le 30 juin 2017

Université de Lausanne, 7-8 décembre 2017

Université de Rouen / CEREdI, fin mai 2018

 

Dans le cadre du projet Théâtres de société. Entre Lumières et Second Empire (2016-2020) soutenu par le Fonds National de la Recherche Suisse.

Comité scientifique : Valentina Ponzetto (Professeure Boursière FNS/Université de Lausanne) ; Sylvain Ledda (Pr Université de Rouen / CEREdI) ; Jennifer Ruimi (Post-doc FNS/Université de Lausanne)

 

Quels sont les genres mis en scène sur les théâtres de société ? En réalité presque tous, puisque, comme l’a montré Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval[1] le principal type de pièces jouées sur les scènes privées correspondent à un « répertoire mimétique », c’est-à-dire un répertoire qui reproduit assez fidèlement ce qui se joue sur les scènes officielles, que ce soit par « importation » de pièces du répertoire, ou par la création de pièces nouvelles.

Les préférences varient sensiblement selon les goûts et les intentions des différentes sociétés. Il faudra donc dégager des typologies et des tendances, s’interroges sur leur signification, et remettre en question certaines idées reçues. L’une de plus tenaces, répétée sans trop de vérifications depuis des siècles, voudrait que certains genres, en premier lieu la tragédie, soient moins représentés sur les scènes privées, malgré leur prestige sur les scènes publiques. Les raisons de cette mise à l’écart tiendraient à la nature ludique et légère des spectacles de société, à la volonté souvent revendiquée de ne pas entrer en concurrence avec les comédiens professionnels, voire plutôt à l’exigence de ne pas trop demander à des comédiens amateurs peu aguerris, et enfin à une certaine réticence de bon nombre de ces amateurs face à des situations et des personnages jugés trop violents ou sombres. Ces motifs d’exclusion devraient cependant être approfondis, et surtout mis en perspective avec des exceptions notables, comme la pratique des représentations de société par Voltaire, qui essaie ses propres tragédies chez lui avant de les produire sur la scène du Théâtre Français, ou par Germaine de Staël, qui à Coppet comme à Genève accorde une préférence marquée au répertoire tragique de Racine et Voltaire[2].

D’autres genres, par contre, tels la parade l’opéra-comique ou le vaudeville, rencontrent un succès particulier et deviennent des genres privilégiés par les troupes de société. Il existe également des genres qui voient le jour et se développent au sein des théâtres de société et en deviennent une marque distinctive, comme le proverbe dramatique, la charade en action ou les petites pièces de circonstance qui participent à l’esthétique de la fête privée. Pour ces genres, mineurs et longtemps sous-estimés, il n’existe pas de véritable poétique et très peu de théorisation. Leur esthétique et leurs caractères distinctifs sont donc à déduire des corpus eux-mêmes, en particulier des prologues et pièces métatextuelles, endroit privilégié pour la réflexion esthétique chez ces auteurs de société peu théoriciens.

Étudier le système des genres des théâtres de société signifie dès lors s’interroger sur l’esthétique propre à ces théâtres, mais aussi sur l’évolution du goût du public et sur l’émergence de nouvelles tendances dans les échanges entre scènes publiques et scènes privées. Peut-on reconnaître, comme il semblerait à une première approche, une prédominance des genres plus légers et à dénouement heureux sur les scènes de société ? Pour quelles raisons ? Quelle finalité se proposent les auteurs de société en choisissant un genre particulier ? Quels types de personnages sont mis en scène de préférence ? Quels thèmes sont privilégiés ? Peut-on arriver à reconnaître des schémas fixes, des topoï, des recettes applicables à volonté ? Si c’est le cas, sont-ils originaux ou empruntés aux genres à la mode sur les scènes publiques ? Peut-on reconnaître un ton, un style particulier au théâtre de société, du moins sur une période déterminée ? Quel rôle y jouent les genres hybrides, faisant appel à d’autres talents fort appréciés en société comme la musique et la danse ?

Dans certains cas privilégiés, les scènes privées jouent le rôle de laboratoire expérimental où s’élaborent et se testent de nouvelles théories esthétiques, notamment chez les auteurs, comme Voltaire et Sand, pour lesquels la pratique du théâtre de société dialogue continuellement avec une carrière officielle sur les principales scènes parisiennes[3]. Les théâtres de société peuvent dès lors se signaler comme lieu d’expériences dramatiques en marge ou en rupture par rapport à l’esthétique dominante.

Cette rupture se traduit volontiers par des pièces parodiques et/ou métathéâtrales, qui peuvent être lues comme autant d’expériences de critique en action et de remise en question du théâtre officiel. Toute parodie, en effet, ou plutôt toute « relation parodique », selon la définition de Daniel Sangsue, « implique fondamentalement une relation critique à l’objet parodié[4] ». Elle implique également un rapport particulier, de complicité, connivence et références partagées, entre auteurs et lecteurs des œuvres parodiques, ce qui contribue à renforcer le caractère communautaire, de sociabilité partagée, des théâtres de société. De plus, « la parodie est d’abord […] un mode de relation des auteurs et des œuvres au sein de la vie littéraire, de l’actualité littéraire, une façon critique de dialoguer dans la République des Lettres[5] ». À travers les textes parodiques ou métatextuels qui discutent de l’esthétique des genres, le théâtre de société se pose donc en position de décalage, mais aussi de dialogue constant et critique avec le théâtre officiel et avec le goût du temps. Ce rapport est d’autant plus intéressant dans une perspective d’esthétique des genres que les pièces parodiques sur les scènes privées, comme l’a souligné Marie-Emmanuelle Plagnol, « ne portent pas sur une pièce précise, mais sur le genre lui-même », dont les ficelles et les topoï habituels sont mis en avant pour mieux être détournés et déconstruits. Ainsi, la tragédie sera la première cible parodique, par exemple sous la plume de Carmontelle et Collé, mais ce denier s’attaque aussi à la comédie larmoyante. Les vaudevilles tournent en ridicule et en chanson les comédies à la mode ou l’actualité politique, tandis que les parades se moquent à leur tour des vaudevilles et de leur manie de tout mettre en chanson. Au XIXe siècle, les comédies et proverbes de Musset sont autant imités que parodiés, témoignage de leur immense succès sur les scènes de société.

On s’interrogera enfin sur le jeu des acteurs de société et sur les rapports qu’on peut établir entre styles de jeu, genres littéraires et théories esthétiques. Certains débats majeurs de l’esthétique théâtrale entre XVIIIe et XIXe siècle, comme les oppositions entre l’improvisation et la mémorisation, entre le naturel et l’art, entre le « sens froid » et l’expression la plus immédiate des passions, trouvent une chambre d’échos particulière sur les scènes de société, où les amateurs éclairés se mêlent aux dilettantes désœuvrés et parfois aux acteurs professionnels et où d’autres logiques, de plaisir personnel ou de recherche, remplacent l’empire de la tradition et le besoin de faire recette. Dans quelle mesure la pratique du théâtre de société joue-t-elle donc un rôle dans l’évolution des théories de l’acteur ? Le jeu s’adapte-t-il en fonction de l’effet souhaité ? Et d’ailleurs, quel effet cherche-t-on à produire chez le spectateur ? La formule du théâtre de société, qui implique un plus haut degré de proximité et de complicité avec le public, serait-il plus propice qu’une autre forme de théâtre à obtenir certains de ces effets ?

 

Les propositions de contribution pourront s’inscrire dans les axes suivants :

  • Esthétique et poétique : définition et traits distinctifs d’un genre importé, privilégié ou créé sur les théâtres de société, transformations, hybridations, genres mêlés de musique, de danse, de mime, questions de style.
  • Sérialité dans les pièces de société : thèmes, situations dramatiques, types de personnages récurrents, mimétisme et décalages par rapport aux emplois du théâtre officiel.
  • Rapport mimétique ou critique avec l’esthétique dominante, notamment à travers les œuvres parodiques et métathéâtrales.
  • Jeu et techniques d’acteurs selon les genres, lien entre le choix d’un style de jeu et une esthétique théâtrale.

 

Les propositions de communication de 3000 signes maximum, accompagnées d’une courte bio-bibliographie, seront à envoyer conjointement à valentina.ponzetto@unil.ch; sylvain.ledda@free.fr; jennifer.ruimi@unil.ch avant le 30 juin 2017.

 

[1] Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, Le Théâtre de société : un autre théâtre ?, Paris, Champion, 2003.

[2] Martine de Rougemont, « Pour un répertoire des rôles et des représentations de Mme de Staël », Cahiers staëliens, n° 19, 1974, p. 79-92 ; Martine de Rougemont, « L’activité théâtrale dans le Groupe de Coppet : la dramaturgie et le jeu », dans Simone Balayé et Jean-Daniel Candaux (dir.), Le Groupe de Coppet, Actes et documents du deuxième Colloque de Coppet, 10-13 juillet 1974, Paris, Honoré Champion, 1977, p. 263-283.

[3] Olivier Bara, Le Sanctuaire des illusions, George Sand et le théâtre, Paris, PUPS, 2010 ; Olivier Bara, « Les théâtres de George Sand, dans le texte et au-delà », Revue d’Histoire du Théâtre, n. 245, 2010-1, p. 119-130.

[4] Daniel Sangsue, La Relation parodique, Paris, Corti, 2007.

[5] Sylvain Menant, et Dominique Quéro (dir.), Séries parodiques au siècle des Lumières, Paris, P.U.P.S., 2005.