Femmes et théâtre à l’époque moderne entre France et Italie (1750-1850)
Clermont-Ferrand (19-20 octobre 2023), avant le 15 juillet 2023

Colloque International organisé par le CELIS (Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique) – UCA (Université Clermont-Auvergne)

Lieu : Maison des Sciences de l’homme – Clermont-Ferrand

Responsabilité scientifique : Paola ROMAN (Départ. D’Etudes Italiennes – UCA)

Propositions de communication à envoyer à : paola.roman@uca.fr avec un résumé de 10 lignes.

 « Les compétences des femmes en matière de théâtre, roman, poésie, essais et lettres, brochures pamphlets, articles de journaux ainsi que dans le domaine de la traduction ont notoirement contribué à la culture et à la société du temps, et en ont infléchi le cours », ainsi s’exprime, dans un ouvrage de synthèse récent sur l’écriture féminine au XVIIIe siècle en France, Christie Mc Donald (Femmes et Littératures : une histoire culturelle, 1, p. 721) en évoquant une réalité qu’un nombre croissant de travaux, en France comme en Italie, ne cesse d’explorer depuis des décennies. 

Ce colloque entend apporter une contribution aux recherches qui visent à donner une visibilité et une évaluation critique aux « compétences » intellectuelles des femmes de l’époque moderne, en ciblant particulièrement le domaine théâtral (théâtre et opéra). La période que nous interrogerons va de la deuxième moitié du XVIIIe à la première moitié du XIXe, soit le moment où se développent de grands projets théâtraux d’ordre esthétique et idéologique dont la dynamique est nourrie par des événements culturels et historiques majeures (Lumières, Révolution, époque napoléonienne, Restauration). L’aire géographique choisie, l’Italie et la France, nous permet d’envisager la confrontation, au féminin, de deux cultures théâtrales fortement caractérisées par des échanges interculturels. 

Nous partons de l’idée que l’identité sexuée de ces auteures, plus ou moins revendiquée par elles-mêmes, et ses différentes implications culturelles au sens large (anthropologiques, sociologiques, philosophiques, littéraires, juridiques ecc.) en constitue un fondement structurel. Celui-ci ne peut en aucune manière être ignoré ou méconnu à l’intérieur d’une société et d’un champ littéraire fortement hiérarchisés « au masculin », qui éloigne les femmes des lieux et des modalités du savoir traditionnel. 

Entre 1750 et 1850, le théâtre semble occuper une place intermédiaire, pour ce qui est de l’accessibilité des femmes à la création intellectuelle et artistique, entre la poésie, le roman, le journalisme, l’écriture épistolaire – des genres qu’elles pratiquent de plus en plus, donc étudiés et objets de la recherche contemporaine –  et l’essai érudit ou scientifique, la prose historique, le poème épique entre autres, considérés par la société intellectuelle du temps comme plus élevés, fréquentés dans une proportion bien moindre par les femmes. 

Cet espace « intermédiaire » pourra être interrogé, à partir d’une acception ample du phénomène théâtral, selon trois axes principaux, quoique non exclusifs. 

1.      L’étude des œuvres des dramaturges et librettistes qui écrivent pour la scène (nombreuses) et qui arrivent à se faire représenter ou à mettre en scène elles-mêmes leurs pièces (beaucoup moins nombreuses).  Parmi celles-ci, émergent des figures-phares comme Olympe de Gouge, ou des personnalités d’envergure comme Anne-Marie du Bocage, célébrée en Italie, ou Françoise de Graffigny, Félicité de Genlis, Justine Favart pour la France, ou Luisa Bergalli Gozzi, Francesca Manzoni, Maria Teresa Agnesi pour l’Italie, tandis que la plupart se dispersent dans une nébuleuse indistincte. Dans l’espoir de nouvelles découvertes, on pourra toutefois s’interroger sur les contextes de production des pièces et des livrets, sur la stratégie de réussite de leurs auteures, les genres choisis, les thématiques privilégiées, les rapports de « filiation », l’« adoption » autonome ou l’« opposition » au mécanisme du théâtre masculin, les voies suivies, par la critique postérieure, pour les marginaliser ou les exclure du canon littéraire officiel. 

2.      L’étude de l’activité des traductrices de théâtre et des journalistes femmes qui écrivent des comptes-rendus critiques des spectacles ou du théâtre imprimé. Il est notoire que la traduction, pratiquée à grande échelle et pour tous les domaines, par les femmes, est un moyen puissant, au cours du XVIIIet XIXe siècle, de mettre en évidence leurs talents littéraires. Il suffit juste de nommer, parmi beaucoup de nombreux exemples possibles, Mme Riccoboni (traductrice du théâtre anglais) en France ou Elisabetta Caminer (traductrice du théâtre français) parmi les plus connues au XVIIIème siècle.  La double action de lecture et de transposition des œuvres théâtrales, impliquant une intervention très active de la traductrice, crée un espace de liberté dont les femmes profitent, sous couvert de l’altérité auctoriale, très souvent masculine, du texte original. Les contours de cette « liberté » méritent, dans de nombreux cas, à être mieux connus. Dans ce sens, le travail d’Elisabetta Caminer, figure-phare des Lumières italiennes en tant que journaliste, est emblématique. Son activité traductive, imposante (à peu près une quarantaine de pièces, majoritairement françaises) reste encore en grande partie inexplorée. En même temps, les journaux, dirigés par des femmes ou consacrés aux femmes, laissent percevoir leur regard critique vis-à-vis du théâtre représenté ou imprimé, tout en orientant les goûts de leurs lectrices.

3.      L’étude de la participation des salonnières, à travers leurs réseaux cosmopolites et leurs pratiques concrètes du spectacle privé, leur participation aux discussions esthétiques et théoriques sur le théâtre et à la promotion et circulation des pièces. En effet, lorsque Vittorio Alfieri déclare l’utilité de la lecture de ses tragédies dans les salons (parmi lesquelles celui de Maria Cuccovilla Pizzelli à Rome, en 1782), il rend hommage aux «excellents conseils » reçus par « les hommes de lettres » et « les hommes du monde » présents, mais surtout, « pour ce qui est des sentiments, par plusieurs femmes » (Vita, ed. M. Cerruti, p. 225). Tout en décrivant l’espace d’interaction intellectuelle des pratiques de la sociabilité des salons, en France comme en Italie, il fait émerger une compétence féminine spécifique, à ses yeux, la « sensibilité », qui est aussi un concept-clés de la modernité du temps. On peut se demander s’il est alors possible de retrouver quelques échos de ces voix de femmes, particulièrement difficile à repérer à cause de leur statut oral, dans les correspondances ou les journaux intimes, pouvant témoigner de leur « compétence » en matière théâtrale ? 

Propositions de communication à envoyer à : paola.roman@uca.fr avec un résumé de 10 lignes.