Marie de Bourbon (1605-1627)/Hilarion de Coste

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[II,573] MARIE DE BOURBON, DUCHESSE D'ORLEANS, DE CHARTRES, DE MONTPENSIER, et de Chastelleraud, Comtesse de Blois, Princesse Souveraine de Dombes, et Daufine d'Auvergne (1).
VOICY la premiere des Duchesses du nom de Marie, Princesse de la Royale Maison de France, Marie de Bourbon, fille unique de Henry de Bourbon Duc de Montpensier (2), de Chastelleraud et de saint Fargeau, Prince Souverain de Dombes, Prince de la Roche-sur-Yon, Daufin d'Auvergne, Marquis de Mezieres, et Gouverneur de Daufiné, puis de Normandie, et de Henriette-Caterine, Duchesse de Joyeuse, Comtesse du Bouchage, heritiere de l'ancienne [574] et illustre Maison de Joyeuse, qui a fourny à la France des Ducs et Pairs, des Mareschaux, des Amiraux, et des premiers Officiers de la Couronne.
Ce fut le 27. jour du mois d'Avril l'an 1597. que Henry Duc de Montpensier épousa l'heritiere de Joyeuse. Ayans esté quelques années sans avoir des enfans, poussez d'un desir naturel de recevoir le fruit de leur mariage, ils eurent l'an 1603. recours à Dieu par l'entremise de saint François de Paule, auquel ayans tous deux une singuliere devotion, ils luy adresserent un voeu sous ces conditions (3): Que s'il plaisoit à la divine Bonté leur faire la grace d'avoir un enfant, fils ou fille, (car ce Prince tres-Catholique ne desiroit que d'avoir un heritier de ses grands biens, afin que ses terres ne tombassent pas entre les mains de quelques Princes et de ses proches, qui faisoient profession de la Religion pretendue) qu'ils le feroient instruire en l'amour et crainte de Dieu, en la Foy et en la creance de l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, et feroient plusieurs devotions par l'espace de six années entieres. Les desirs de ce bon Prince furent bien tost exaucez; car le 15. Octobre 1605. il vid naistre au Chasteau de Gaillon en Normandie cette Princesse son unique et seule heritiere, qui peu de jours avant son decés fut promise à Monseigneur le duc d'Orleans, second fils du Roy Henry le Grand, et de la Reyne Marie de Toscane, et frere puisné du Roy Louys XIII. Ce fut le 14. Janvier 1608. (4) que ce mariage fut accordé et traité, où le Roy Henry IV. la Reyne Marie, et la Reyne Marguerite, les Princes du Sang, et autres Princes, et les Officiers de la Couronne assisterent; Mr le Cardinal de Joyeuse confirma la donation faite à la Duchesse sa niece lors de son mariage, en contemplation de l'honneur que sa petite niece recevroit de cette grande alliance. Mais le jeune Prince deceda 4. ans aprés ce traité au mois de Novembre de l'année 1611. sans que le mariage eust esté accomply avec cette jeune Princesse, laquelle estant douée de plusieurs vertus et rares perfections de corps et d'esprit, attira les affections du tres-genereux et tres-illustre Prince Monseigneur Gaston-Jean Baptiste de France Duc d'Orleans et de Chartres, Comte [575] de Blois, dernier des trois fils du Roy Henry le Grand, de glorieuse memoire, et frere unique du Roy Louys le Juste: tellement que leur mariage fut traité à Nantes le 5. jour d'Aoust l'an mil six cens vingt-six, et le lendemain solemnisé dans l'Eglise des Minimes, en presence du Roy, des Reynes, de plusieurs Princes et Princesses, par le Cardinal de Richelieu (5).
Mais comme il n'est rien d'asseuré aux choses de ce monde, qui changent en un moment, aussi est-il advenu que cette alliance a esté de peu de durée: car Madame la Duchesse d'Orleans estant delivrée d'une fille le 29. du mois de May, mourut peu de jours aprés le 4. de Juin 1627. estant en la fleur de son aage, et n'ayant pas encores parachevé la 22. année. Decés arrivé au deuil extréme de tous les ordres du Royaume, particulierement du feu Roy Louys XIII. et de Monseigneur le Duc d'Orleans son mary: aussi c'estoit une Princesse accomplie en toutes sortes de perfections, et riche en grandes Seigneuries, mais encore plus en excellentes vertus.
La bonté luy estoit naturelle, marque des Princes et des Princesses de la Royale Maison de Bourbon, particulierement de la branche de Montpensier, en laquelle plusieurs ont par cette vertu acquis le titre et le surnom de Bon. Le Roy Henry le Grand appelloit Henry Duc de Montpensier, pere de cette Princesse, Le bon enfant de la Maison, et à sa mort ce Monarque tres-judicieux luy donna ce bel Eloge: Qu'il avoit tousjours bien aymé Dieu, bien servy son Roy, bien fait à plusieurs, et que jamais il n'avoit fait mal à personne.
Dés ses plus jeunes ans elle s'estoit adonnée aux saints exercices de la devotion et de la pieté, qu'elle avoit appris de Madame henritte-Caterine de Joyeuse Duchesse de Montpensier sa mere, maintenant Duchesse douairiere de Guyse, Princesse fort pieuse et vertueuse; mais parce que la modestie est autant reservée en la louange des vivans, que la verité est liberale en celle des morts, je ne veux pas la louer, mais je diray seulement qu'elle a ce bon-heur d'estre mere d'une bonne fille, et fille d'une bonne mere, Caterine de la Valette Comtesse du Bouchage, dont nous avons [576] écrit les perfections et les merites és Eloges des Illustres Caterines. Les livres de pieté, comme l'Introduction à la vie devotedu grand François de Sales Evéque de Geneve, estoient l'entretien et la lecture ordinaire de cette pieuse Princesse, du sang Royal de saint Louys.
Sa Maison estoit si bien reglée, que ses moindres officiers vivoient en telle retenue, qu'on pouvoit dire de sa Maison, ce que dit l'Histoire Ecclesiastique du jeune Theodose, que son Palais estoit reglé et policé comme un grand Monastere, et comme les serpens venimeux ne peuvent vivre en la terre qu'on appelle la sacra de Toledo, et en la Tour sans venin en Daufiné, et comme les loups, disent les Geographes, ne peuvent subsister en Angleterre, ainsi les vices et les desordres ne pouvoient loger, et moins s'entretenir chez elle.
Marie de Bourbon estant Duchesse de Montpensier, a fait paroistre sa liberalité envers les pauvres par un grand nombre d'aumosnes publiques et privées, mesme à l'endroit de ses sujets, à l'entretien des fondations du feu Duc son pere, et de ses ayeuls, François et Louys Ducs de Montpensier, et L ouys Prince de la Roche-sur-Yon, ayant fait embellir et achever la Sainte Chapelle de son beau Chasteau de Champigny sur Veude, le Monastere des Religieuses de l'Ordre de saint François au mesme lieu, et deux Convents de Minimes, l'un à Champigny, l'autre à Nostre-Dame de Montmerle en sa Principauté de Dombes, auquel feu Monsieur de Montpensier, Princes tres-zelé, ainsi que ses peres, à l'advancement de la Religion Catholique, a fait annexer la Theologale du pays (6).
Les ames vulgaires marchent bellement par les voyes que la nature leur a tracées, les grandes rompant leurs obstacles s'emportent incontinent à la ressemblance de leurs tiges. Cette grande Princesse n'a pas seulement herité de toutes les vertus de ses ancestres paternels et maternels; ceux-cy Princes du sang Royal de la tres-auguste Maison de France; deux-là de l'illustre Maison de Joyeuse, qui a esté aussi alliée à celle de Bourbon, lesquels (comme nous apprenons de l'Histoire) ont fait un nombre infiny d'actions [577] glorieuses pour la Religion Chrestienne, mais mesme elle a tasché de les surpasser, et eust acquis, si Dieu ne l'eust point ostée du monde, plus de gloire que tant de braves Heros qui vivent glorieusement dans les plus memorables monuments des siecles passez: car on voyoit en elle l'heureuse union qui se rencontre en si peu de sujets; une extréme beauté jointe à une extréme sagesse pour son aage.
Elle receut avec une grande ferveur le saint Viatique et l'Extréme-Onction que luy donna Philippe Cospean (7) Evéque de Nantes, maintenant de Lizieux, en presence du feu Roy Louys XIII. Un peu avant que mourir elle consola son époux Monseigneur le Duc d'Orleans, et dit à son Altesse Royale qu'elle n'avoit pas besoin de luy recommander sa fille, d'autant que la connoissance de son bon naturel luy faisoit croire qu'il en auroit assez de soin. Elle prit aussi la main à Madame de Guyse, et luy dit; Ma mere je m'en vay mourir, consolez-vous.
Aprés son decés on luy fit de magnifiques pompes funebres au Louvre et à Saint Denys; on la vid tout le jour du Vendredy 4. Juin 1627. en son lit avec des brassieres de satin blanc, coiffée en accouchée, et avoit des gants blancs en ses mains; une infinité de peuple de toutes qualitez la furent voir, tous pleuroient et regretoient la mort d'une si sage et si vertueuse Princesse. Le Lundy 21. Juin on commença à servir son effigie, et fut veue du peuple trois jours entiers aux Thuilleries. Le Mardy 22. les Ambassadeurs qui lors residoeint à la Cour, luy furent jetter de l'eau beniste. Le Mercredy au matin le Roy et la Reyne y furent avec les Princesses, accompagnées de grandes Dames; la feue Reyne mere n'y fut point, n'estant pas la coustume.
Dés le mesme jour au soir on osta son effigie, et la nuit du 24. au 25. du mesme mois on porta son corps à Saint Denys dedans un chariot tiré de six chevaux, couvert d'un grand drap de veloux noir, avec une grande Croix de satin blanc, estant accompagné de plusieurs Gentils-hommes et de Seigneurs de qualité, et d'une quantité de Pages qui tenoient des flambeaux allumez. Le dernier du mesme mois de l'an 1627. les Cours Souveraines, avec le Prevost des [578] Marchans, et les Eschevins de Paris, le Recteur et l'Université assisterent à ses obseques, dont leu feu Roy Louis XIII. donna la charge des ceremonies à Jaques Comte de Clinchamp, Seigneur de Rouville (8) et de Chavigny, Chevalier d'honneur de cette Princesse. Feu Monsieur Pierre Habert Evéque et Comte de Cahors, grand Aumosnier de son Altesse Royale estant accompagné de plusieurs Aumosniers et Religieux celebra la Messe, en laquelle le Roy d'armes accompagné de cinq autres Herauts (qui avoient fait l'entrée de la ceremonie) presenta de grands cierges blancs entourez de pieces d'or à Messieurs les Princes et à Mesdames les Princesses. Madame la Princesse alla la premiere à l'Offrande, aprés elle Madame la Princesse de Conty, puis Madame la Comtesse de Soissons; et aussi tost Monsieur le Duc de Guyse beau-pere de Madame. Feu Monsieur le Prince de Joinville son frere uterin, et le Duc de Chevreuse Grand Chambellan de France; suivis de Gentils-hommes qui portoient leurs longues queues de deuil.
Aprés l'Offrande Monsieur l'Evéque de Nantes prononça l'Oraison funebre, qui fut louée des Princes, des Evéques, de toute la Cour, et admirée des Doctes.
La Messe estant achevée, Monsieur l'Evesque de Cahors (9) ayant fait les prieres autour du corps avec quatre autres Evesques, sçavoir, Messieurs de Troyes, de Langres, de Dardanie à present de Marseille, et de Boulongne vestus pontificalement, les Musiciens de la Chapelle et de la Chambre du Roy (qui avoient chanté et répondu tout le long de la Messe) chanterent le Pseaume De profundis avec les Religieux de cette Royale Abbaye, qui estant fini on transporta le corps dans la cave, où reposent à present ceux des Roys Henry IV. et Louis XIII. de la Reyne Marie de Toscane, et de feu Monsieur le Duc d'Orleans, deuxiéme fils du Roy Henry le Grand, où il fut posé en presence des Princes et des Princesses et de tous ceux qui assisterent à cette pompe funebre, où plusieurs Pages et Gentilshommes portoient des flambeaux lors que l'on luy rendit les honneurs de la sepulture.
[579] Dés le 8. de Juin le coeur et les entrailles de cette Duchesse avoient esté portées en l'Eglise des Filles de la Passion ou des Capucines de la rue neuve Sainct Honoré, pour estre mises dans le Choeur de ces Religieuses; (prés de celuy du Reverend Pere Ange de Joyeuse son ayeul laternel) où Madame la Duchesse de Guyse Douairiere de Montpensier a fait dresser un Epitaphe de marbre, avec cette Inscription:

Cy gist le coeur de tres-haute, tres-puissante et tres-vertueuse Princesse Marie de Bourbon, fille de tres-haut Prince Henry de Bourbon Duc de Montpensier, et de tres-haute Princesse Henriette Catherine de Joyeuse, jadis Duchesse de Montpensier à present de Guyse: laquelle Marie épousa tres-haut, tres-puissant et tres-magnanime Prince Gaston, frere unique du Roy, fils de Henry le Grand et de Marie Auguste de Medicis, et deceda le 4. de Juin de l'an 1627. en l'âge de 21. an 7. mois et 18. jours, dix mois aprés son mariage et 7. jours aprés son accouchement. Priez Dieu qu'il reçoive son ame et console sa mere, qui laisse ce marbre à la memoire de son amour et de sa douleur.

Plusieurs Muses Latines et Françoises ont pleuré par leurs vers la mort de cette Princesse. La coustume louable de plusieurs peuples, est qu'en la mort des petits enfans on couvre leur cercueil des plus belles fleurs que la saison porte. Ce n'est pas que ces petits Anges et ces corps innocens, ayent besoin de cet honneur, mais c'est par là que l'on témoigne leur gloire, et que l'on dit en silence, que l'on croit que quittant l'hyver de cette miserable vie, ils vivent au printemps agreable de l'immortalité. Les bons François peuvent à pleines mains verser sur la sepulture de cette bonne Princesse des lys et des roses; que les narcisses, les oeillets, les violettes, et toutes les autres fleurs jonchent sa sepulture, et qu'on éleve la voix, le coeur et la priere vers le Ciel, à ce que la terre soit legere à ses os, et que son ame jouisse de la vraye gloire, et que Monseigneur son époux par le moyen de son second Hymen avec Madame Marguerite de Lorraine, donne à la tres-Auguste Maison de France des Princes heritiers de la valeur et de la pieté de leurs Ancestres, qui fassent trembler les [580] rives Mores de la Barbarie, et refleurir la Religion Chrestienne dans la Palestine et en tant d'autres Royaumes et Provinces qui gemissent sous la domination, ou pour mieux dire, sous la cruelle servitude et tyrannie des Ottomans.
Cette pieuse et vertueuse Princesse avoit pour devise une Fleur de Lys d'argent avec ses feuilles vertes, qui élevoit sa tige en haut, sur laquelle des rayons celestes épandoient leur lumiere, avec ces paroles Latines qui l'animoient, In manibus tuis sortes meae, c'est à dire mon sort est entre vos mains. Elle declaroit par ce symbole qu'elle remettoit toutes ses esperances dans le soin de la Providence divine. Mais cette fleur exquise ne parut icy bas que pour laisser aux siens et à la France un regret extreme de sa perte, estant plus digne du Ciel que de la terre. Que si en cet accident il y a quelque consolation, elle reste en la jeune et en la belle Princesse sa fille Madamoiselle Anne Marie Louise d'Orleans, fille aisnée de son Altesse Royale, Daufine d'Auvergne, Princesse souveraine de Dombes et Duchesse de Montpensier, unique heritiere autant des eminentes vertus de feu M. la Duchesse d'Orleans sa mere, que de plusieurs riches Seigneuries de la Maison de Bourbon-Montpensier qu'elle luy a laissées.

(1) Orleans, d'azur, à 3. fleurs de lys d'or, l'escu brisé d'un lambel d'argent de 3. pieces.
(2) Bourbon-Montpensier, d'azur, à trois fleurs de lys d'or, au baston de gueules pery en bande, brisé au chef d'un croissant d'argent.
(3) Chappot et Victon en la Vie de saint François de Paule. Dattichy. Tristan. Montoia. La Novius in Chronico Ord. Minim.
(4) Sainte-Marthe.
(5) Plessis-Richelieu, d'argent, au chevron de 3. pieces de gueules.
(6) Le Pere Humblot Minime en l'Oraison funebre de ce Prince.
(7) Cospean d'or, à la Croix alisée de gueules, écartelé d'azur à trois pointes d'espée d'argent, 2. en chef et I. en pointe.
(8) Rouville, d'azur à deux gougeons adossez d'or, l'Escu semé de billetes de mesme.
(9) Habert de Montmort, d'azur, au chevron d'or, accompagné de trois fers de moulin d'azur, 2. en chef et I. en pointe.

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