Jeanne de Belcier

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Jeanne de Belcier
Dénomination(s) Jeanne de Belciel
Jeanne de Cose ou Cozes
sœur, puis Mère Jeanne des Anges
Biographie
Date de naissance 2 février 1602
Date de décès 29 janvier 1665
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)



Notice de Nicole Pellegrin, 2014

Jeanne de Belcier naît le 2 février 1602 à Cozes en Saintonge, lieu dont son père, marié depuis 1590 à Charlotte Goumard, est baron. À cinq ans, elle est envoyée auprès d’une tante maternelle, bénédictine à l’abbaye royale Notre-Dame de Saintes, lieu trop austère qu’elle quitte après 1611. À demi bossue et entourée d’une vaste fratrie, la fillette est mal aimée par sa mère. En 1622 elle entre aux Ursulines de Poitiers, un ordre récent dont la vocation est à la fois enseignante et contemplative, et y fait profession. En 1627, au bout de trois ans de foi vacillante et à force de persuasion, elle obtient de participer à la fondation du couvent de Loudun, ville divisée entre deux confessions et plusieurs clans politiques, touchée de plus par la peste et en passe d’être privée par Richelieu de ses fortifications.
Elue prieure (supérieure) en 1632 d’une communauté de dix-sept religieuses, Jeanne ne peut obtenir que le séduisant et très controversé curé d’une des paroisses de la ville, Urbain Grandier, devienne leur confesseur. Dès la fin septembre, elle dit recevoir la visite nocturne de «fantômes» masculins ; il en est de même pour plusieurs compagnes. Les premiers exorcismes (début octobre-fin décembre) ont lieu et peu à peu la quasi totalité des religieuses, suivies de quelques laïques, se déclarent « possédées » ou « obsédées » par différents « diables ». Les plus nombreux (7) et les plus tenaces s’en prennent à la prieure, fière d’être plus « travaillée » que les autres, tout en s’avouant complice autant que victime d’une « diablerie » dont le responsable serait le « sorcier » Grandier (ou elle-même, selon ses dires). Avec l’arrivée de Laubardemont, commis par Richelieu pour clore juridiquement «l’affaire», la possession reprend de plus belle ; les exorcismes (ils dureront jusqu’en février 1637 pour Jeanne) ont lieu, hors clôture, devant des foules de plus en plus nombreuses et Urbain Grandier, arrêté le 8 décembre 1633, est exécuté le 18 août 1634 sans que s’arrêtent les tourments de Jeanne : des exhibitions publiques épuisantes, une grossesse nerveuse et une tentative de suicide (janvier 1635). La situation évolue avec l’arrivée d’une équipe d’exorcistes jésuites plus tempérés, dont le père Surin présent, au péril de son propre équilibre mental, de la fin 1634 à octobre 1636 et de juin à novembre 1637. Le 7 février 1637, Jeanne est guérie d’une grave maladie grâce à l’intercession de son «Bon Ange» : sa chemise, touchée et ointe par «saint Joseph» cette nuit-là, devient porteuse de miracles et sa main gauche s’orne, en rouge sang, des mots : JESUS, MARIA et, bientôt, JOSEPH et F D SALLES (sic), quand un dernier diable est expulsé le 15 octobre 1637 après sa promesse d’une visite au tombeau de François de Sales.
D’avril à fin 1638, un voyage triomphal mène Jeanne jusqu’à Annecy via Paris et la Cour. Sa chemise embaumée (jeune, elle fabriquait des onguents) aide la reine à accoucher et sa main stigmatisée est vénérée par les foules et les Grands. À l’instigation d’un nouveau directeur spirituel, le jésuite Saint-Jure, qui l’accompagne d’octobre 1643 à 1657 (Surin « obsédé » à son tour est momentanément devenu aphasique), Jeanne entreprend d’écrire son autobiographie (restée manuscrite jusqu’en 1886) et noue, à travers une abondante correspondance, des liens spirituels étroits avec les mystiques les plus lucides de son temps. En 1661, cette correspondance s’arrête et les stigmates (auto-infligés ?) sur ses mains disparaissent quand la paralysie se saisit d’elle. Elle meurt le 29 janvier 1665, trois mois avant le père Surin, et sa tête, momifiée, est placée dans un reliquaire en vue d’une béatification improbable.
Devenue en son temps un mémorial, vivant mais contesté, de la défaite de Satan et de la mise au pas des pouvoirs locaux, Jeanne a dès le XVIIIe siècle perdu toute aura de sainteté et s’est bientôt transformée, à travers une énorme bibliothèque littéraire et médicale, soit en objet romanesque, affolant ou risible (Vigny, Dumas, Michelet, Huxley, etc), soit en exemple achevé de « grande hystérie » dont le cinéma s’est à son tour emparé. Mettant à profit les documents publiés à la fin du XIXe siècle, Michel de Certeau a su analyser autrement la personnalité et l’intelligence de l’ursuline, les milieux particuliers et les circonstances qui ont permis son succès, ainsi qu’un langage corporel et verbal spécifique d’un temps où les femmes devaient, pour exprimer leurs aspirations, user des mots fournis par les clercs et accepter les tortures de leur «chair-Dieu».

Oeuvres

  • c. 1642 : « Autobiographie » et « Extrait des lettres que la mère Jeanne des Anges, supérieure des Ursulines de Loudun, a écrites au père Saint-Jure, de la Compagnie de Jésus, son directeur » dans Sœur Jeanne des Anges, Préface de J.-M. Charcot. Annoté et présenté par les docteurs Gabriel Légué et Gilles de La Tourette. Suivi de Jeanne des Anges par Michel de Certeau, Montbonnat, Jérôme Millon, 1985, p. 53-255 et 256-321.
  • 1652-1664 : « Correspondance de Jeanne des Anges et Mme Du Houx (1652-1664) », dans Elisabeth Goldsmith et Colette Winn éd., Lettres de femmes. Textes inédits et oubliés du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Champion, 2005, pp. 223-255.
  • Près de six cents lettres inédites ont été repérées par Michel de Certeau dans les archives aujourd’hui dispersées - de la Visitation du Grand Fougeray (Ille-et-Vilaine) et à la Bibliothèque Mazarine de Paris (mss. 1209).

Principales sources

  • [Mère Marie de Pommereu], « La vie de la mère Jeanne de Cose, dite des Anges, religieuse ursuline de Poitiers », dans 'Les Chroniques de l’Ordre des Ursulines', Paris, 1673, t. II, pp. 456-467.
  • Jean-Joseph Surin, Correspondance, éd. Michel de Certeau, Paris, Desclée de Brouwer, 1966.
  • Jean-Joseph Surin, Triomphe de l'amour divin sur les puissances de l'enfer et science expérimentale des choses de l'autre vie. Suivi de Les aventures de Jean-Joseph Surin par Michel de Certeau, Grenoble, Jérôme Millon, 1990.

Choix bibliographique

  • Brémond, Henri, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. V : La conquête mystique, Paris, Bloud et Gay, 1920, p. 178-251.
  • Certeau, Michel de, « Jeanne des Anges » (1966), rééd. dans Sœur Jeanne des Anges [...], Montbonnat, Jérôme Millon, 1985, p. 333-379.
  • Certeau, Michel de, La possession de Loudun, Paris, Gallimard/Julliard, « Archives », 1970.
  • Gimaret, Antoinette, « L’Autobiographie de Jeanne des Anges (1644) : histoire d’une âme ou réécriture d’une affaire de possession ? », dans Etudes Epistémè, 19/2011, p. 22-49.
  • Murphy, Gwenaël, Les Possédées de Loudun en 30 questions, La Crèche, Geste éditions, 2003.

Choix iconographique

  • deux portraits à l’huile perdus, dont une copie au musée Charbonneau-Lassay de Loudun.
  • [1637] : Représentation et sommaire des signes miraculeux qui ont esté faits à la gloire de Dieu et de son Eglise [Jeanne des Anges et sa main sacrée], gravure sur bois, Rouen, David Ferrand, s. d. (BnF Paris).
  • 1665 : Portrait de la sœur Marie Jeanne des Anges, ursuline, décédée le 29e Janvier 1665, Gravure en taille douce, attribuée à Mathias van Somer ( ?), 73 x 53 mm.

Jugements

  • [Loudun, 16 août 1633] « A l’après disnée, je fus à l’exorsisme qui ce faisoit tous les jours, deux fois, despuis Pasques dernier, dens l’église Ste Croix de Loudun, à l’endroict de la dame supérieure des Urselines dudict lieu, et la sœur Agnès professe despuis peu, for belle fille, et touttes deux estoient poceddée de plusieurs desmons. A ce dict exorsisme du soir ne fust travaillée que la dame prieure, laquelle le fust tellement que tout le monde s’estonnoit de voir ses estrange postures ; car, elle couchée, mettoit ses piedz et ces mains joings sur l’eschine avecq des antorce estrange ; tiroit la langue espoisse ; enfloit le col et la gorge; ce mettoit en un petit moisneau comme une boulle, n’estant tout son corps supporté que de son coude ; alloit en serpant; et roidist les doicts de ces mains cy fort, que nul ne les pust faire plier ; et après tant d’effors et de secouement de teste, elle ne fust aulcunement esmue, car je luy maniay la main la plus tampérée du monde. […] » (Antoine Denesde, «Journal d’Antoine Denesde, marchand ferron à Poitiers, et de Marie Barré, sa femme (1628-1687)», éd. par E. Bricauld de Verneuil, Archives Historiques du Poitou, t. XV, 1885, p. 19).
  • [Annecy, 18 juillet 1638] « […] Béni soit éternellement notre très doux Sauveur […] ! Ce sont des merveilles de sa toute puissance et infinie miséricorde que les choses advenues en cette affaire, et en la personne de la très chère Mère prieure [Jeanne des Anges]. Nous avons vu renouveler les sacrés et saints Noms qui sont imprimés sur sa main auxquels il a plu à l’incompréhensible Bonté vouloir manifester le crédit qu’il a donné aux intercessions de notre Bienheureux Père [François de Sales]. […] Vous avez, ce me semble, mon très cher Père [le commandeur de Sillery], fort bien remarqué les bonnes qualités que Dieu a mises en la bonne Mère. A la vérité, je crois que c’est une âme de Grâce, humble, franche et simples, dans un bon esprit et grande candeur. Il nous semble que sa manière d’oraison est fort bonne et facile et toutefois solide. […] » (Jeanne de Chantal, Correspondance, Paris, Cerf, 1993, tome V, p. 590).
  • « Bordeaux, 18 août 1661. […] J’entends dire tant de choses de vous et qu’il y a en votre fait tant de subtilités et de finesses qu’il est malaisé de trouver en vous un esprit de vérité, tant de contradictions dans les révélations et communications surnaturelles qu’on est en peine d’y fonder un bon jugement et prendre pied en quelque bonne chose » (Jean-Joseph Surin, Correspondance, éd. par Michel de Certeau, Paris, Desclée de Brouwer, 1966 : lettre 404, p. 1205).
  • « Sans doute, nous étions déjà en possession d’un grand nombre de documents importants concernant la question de l’hystérie dans l’histoire, mais l’auto-biographie de la Mère Jeanne des Anges se présente entre tous avec un caractère très particulier de sincérité et de véracité. […] Nous nous trouvons tout simplement mis en rapport direct avec une malade d’une certaine culture, quoiqu’illettrée, qui s’est minutieusement et intelligemment observée, et qui nous livre elle-même la confession de ses souffrances avec autant de sincérité que de naïveté […]. L’hystérie peut, à travers les âges […], se montrer immuable en quelque façon, jusque dans les moindres détails. A ce point de vue, « la Possession de la mère Jeanne des Anges » ne le cède en rien aux quelques passages bien connus du « Chemin de la perfection », « du Château intérieur », enfin de « la Vie de sainte Thérèse par elle-même », où cette femme de génie avec une subtilité d’analyse vraiment merveilleuse, nous fait pénétrer dans l’intimité de son mal. […] » (J.-M. Charcot, préface (1886) à Sœur Jeanne des Anges, op. cit., pp. I-IV).
  • « C’est une femme, c’est une malade. Bien que la sincérité ne fût pas sa vertu maîtresse, on ne la classerait pas, sans commettre, une grave injustice, parmi les aventurières de la vie dévote. Elle a vécu, elle est morte dans la crainte de Dieu ; elle a voulu davantage et elle a souvent plus que les dehors de la sainteté. De toute façon, nous lui devons indulgence, pitié, respect. Mais qu’on ne nous demande pas d’aller beaucoup plus loin. Après tout, elle appartient à l’histoire. […] Le mimétisme spirituel paraît en effet le caractère le plus saillant et de sa névrose et de son génie. […] Qu’on se garde bien de la prendre en grippe, qu’on n’aille surtout pas la comparer aux grandes orgueilleuses de l’histoire ou aux intrigantes de haut vol. Un bizarre concours de circonstances a servi et magnifié les ambitions de cette chétive. […] Quand les femmes se mêlent d’égoïsme, elles l’emportent même sur nous. Jeanne ne pense qu’à soi, ne s’oublie jamais. Ni sa famille, ni son couvent, ni ses relations mondaines, ni le prêtre qu’elle a vu conduire au bûcher, rien ne l’intéresse qu’elle-même. […] D’où je conclurais volontiers, d’ores et déjà, qu’il est, a priori, peu vraisemblable, que Dieu ait choisi cette femme pour la combler de ses dons les plus sublimes […] dans ce journal [son autobiographie] s’épanouit béatement la vanité irrassasiée de Jeanne des Anges […]. » (Henri Brémond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. V : La conquête mystique, Paris, Bloud et Gay, 1920, pp. 201-203, 210, 218, 243).
  • « Yet one senses an immense gap between the lived experience recounted by Jeanne and her editors’s commentaries. Both are quite satisfied, Jeanne about her holiness, the editors [Legué et La Tourette] about their science which denies that holiness. […] The authors were unable to understand that the seventeenth century used religious terminology and categories to discuss and express matters which at other times were expressed in other forms of discourse. […] Jeanne and Surin were cured, and the nineteenth century could not take that therapy into account. » (Frank Paul Bowman, « From History to Hysteria : Nineteenth-Century Discourse on Loudun », chap. 6 de French Romanticism : intertextual and interdisciplinary readings, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1990, p. 120-121).
  • « Jeanne seemed to think that the only opinion she could afford to voice publicly was one based on her personal experience » (E. Goldsmith, Publishing Women’s Life Stories in France, 1647-1720. From Voice to Print, Ashgate, Aldershot, 2001, p. 59).

- « Le récit de possession est la forme qui autorise à publier la narration d’une forme de vie qu’une fille se donne le droit d’inventer contre la vie conventuelle […], une vie cachée chez les diables » (Sophie Houdard, « La possession et ses images. La scène équivoque de Loudun », dans Agnès Guiderdoni et Ralph Deconinck (dir.), Emblemata sacra. Rhétorique et herméneutique du discours sacré dans la rhétorique en images, Turnhout, Brepols, 2007, p.427-441, note 42.

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