Jeanne-Marie Bouvier de la Mothe

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Jeanne-Marie Bouvier de la Mothe
Conjoint(s) Jacques Guyon
Dénomination(s) Madame Guyon
Biographie
Date de naissance 1648
Date de décès 1717
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)
Dictionnaire Pierre-Joseph Boudier de Villemert (1779)
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804)
Dictionnaire Philibert Riballier et Catherine Cosson (1779)


Notice de Dominique Tronc, 2008

Née le 13 avril 1648 à Montargis dans une famille de riches bourgeois, mariée à seize ans à Jacques Guyon, Jeanne-Marie Bouvier aura cinq enfants dont trois survivront. A dix-huit ans, elle s’éveille à la vie intérieure grâce au «bon franciscain» Archange Enguerrand. Sa conseillère, Geneviève Granger, supérieure des bénédictines de sa ville natale, la présente en 1671 à Jacques Bertot, confesseur à l’abbaye de Montmartre (Paris), qui la dirige sur le chemin mystique. Veuve fortunée à vingt-huit ans, Mme Guyon cherche à servir son Eglise. A partir de 1681, elle voyage. A Gex, elle refuse d’être supérieure d’un couvent éduquant des converties du protestantisme. A Thonon, elle compose les Torrents et découvre l’union spirituelle vécue sous la forme d’une prière silencieuse transmise de coeur à coeur. A Turin, puis à Vercelli, auprès de l’évêque Ripa, elle connaît le milieu quiétiste italien. De retour à Grenoble, elle reçoit laïcs, clercs et religieuses, à l'intention desquels elle compose son Moyen court et ses Explications de la Bible. C'est une femme d'expérience qui revient à Paris, en 1686, pour reprendre la direction du cercle spirituel formé autour de Bertot. Accusée de quiétisme, elle est emprisonnée le 29 janvier 1688 (Molinos a été condamné en août 1687). Délivrée en septembre de la même année, sur intervention de Mme de Maintenon, alors favorable, elle est appréciée à Saint-Cyr et s’attache de nombreux disciples, dont Fénelon, les ducs et duchesses de Chevreuse et de Beauvillier. Tous lui demeureront fidèles durant près de trente ans, alors que son influence sur eux fait jaser la Cour et déplaît à Mme de Maintenon. Elle ose prétendre obéir avant tout -et malgré tout- à l'impulsion de la grâce, ce qui provoque les colères d’un Bossuet pris entre ces deux femmes («séjour» à Meaux, 13 janvier-v. 9 juillet 1695). Tombée en défaveur, elle choisit l’isolement et le silence. Emprisonnée par lettre de cachet le 27 décembre 1695, elle est suspectée de mauvaises moeurs et accusée d’avoir fondé une «petite Eglise» secrète. Mais les pressions violentes du pouvoir judiciaire royal, du confesseur imposé et de l’archevêque de Paris ne mèneront à rien. Lavée de tout soupçon, elle sort de la Bastille le 24 mars 1703, sur un brancard. Il lui reste un peu plus de treize années à vivre qu’elle consacre, à Blois, à former des disciples catholiques et protestants, les ouvrant à la vie intérieure dans une discrétion totale. Elle meurt le 9 juin 1717.

Son oeuvre ne se limite pas à sa poignante Vie écrite par elle-même (1682-1707). Aucun auteur de l’époque n’a eu une telle connaissance conjointe de la Bible et des textes mystiques -amorcée dès l’enfance auprès de sa soeur, religieuse, puis acquise en autodidacte. En témoignent d’amples Explications de l’Écriture (1684), ainsi que les Justifications, une anthologie préparée en vue du procès fait au cercle quiétiste (1694). Cette base de connaissances alliée à son expérience intime lui ont permis d’expliquer le vécu des mystiques: leur oraison est présentée de façon simple et directe dans le Moyen court tandis que l’écrit plus ample des Torrentscompare leur chemin caché au cours varié d’un torrent qui se jette dans la mer. Une large Correspondance de direction et des opuscules rassemblés par les disciples sous le nom de Discours spirituels sont les chef-d’oeuvres de la «Dame directrice». L’influence diffuse de ces écrits, sauvés au XVIIIe siècle grâce à l’éditeur Pierre Poiret, s’exercera de façon cachée en milieu catholique, plus ouverte en milieu protestant piétiste. L’Abandon à la Providence divine, oeuvre d’une «main guyonnienne» longtemps attribuée à Jean-Pierre de Caussade, constitue une résurgence de son école en milieu catholique, avec toute la précaution rendue nécessaire après la condamnation du quiétisme (1699). Ses écrits circulent aussi chez les Quakers, chez Wesley et les Méthodistes. Mme Guyon a été pour Jean Baruzi, spécialiste de Jean de la Croix, sa meilleure interprète (avec Fénelon), et, pour le philosophe Bergson, le témoin mystique à l’état brut.

Elle présente l’exemple d’une veuve indépendante ayant appris à tenir bon face à «l’inquisition masculine» (Bossuet, La Reynie). Elle doit aussi une partie de ses épreuves au comportement de l’autre veuve remarquable du temps, Mme de Maintenon: opposition entre femmes d’égales intelligences, mais d’intérêts fort différents.

Oeuvres

CONSIGNES POUR LA CONFECTION D’UNE NOTICE DU DICTIONNAIRE SIEFAR - 1681-1717 :Lettres chrétiennes et spirituelles sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, éd. Pierre Poiret, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre --Lettres chrétiennes et spirituelles… Nouvelle éd. enrichie de la correspondance secrète de Mr. de Fénelon avec l’auteur, éd. Dutoit, Londres [Lyon], sn, 1767-1768 -- Correspondance,éd. D. Tronc, Paris, Honoré Champion, «Correspondances», 2003-2005 (t.I:Directions spirituelles, 2003; t.II:Combats, 2004; t.III:Chemins mystiques, 2005; largement augmentée par l’édition du fonds manuscrit principalement préservé aux Archives Saint-Sulpice de Paris).

- 1682? : Les Torrents spirituels, dans Les Opuscules spirituels..., voir infra -- dans OEuvres mystiques, voir infra (version 1720, variantes des éd. et des ms., adjonction des précisions développées par l’auteur dans ses Justifications, repérage des passages relevés dans l’Ordonnancede l’évêque de Chartres).

-1682? : Petit abrégé de la Voie et de la réunion de l’âme à Dieu, dans Les Opuscules spirituels..., voir infra -- dans OEuvres mystiques, voir infra.

- 1682-1709 : La Vie de Mme J.-M. B. de La Mothe Guion, écrite par elle-même, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720, 3 vol. (rééd. à l’identique par Dutoit, Paris [Lyon], Chez les Libraires Associés, 1790) -- La Vie par elle-même et autres écrits biographiques, éd., intr. et annot. par D. Tronc, étude littéraire par A. Villard, Paris, Honoré Champion, «Sources Classiques», 2001 (éd. en 5 parties: les parties 1 à 3 correspondent aux trois vol. de la Vie par elle-même, augmentée des apports d’une première rédaction restée manuscrite; la partie 4 correspond au ms. du «récit de captivité»; la partie 5 rassemble des témoignages sur la dernière période vécue à Blois).

- 1682 ou 1683 (peu après Les Torrents) : Moyen court et très facile pour l’oraison que tous peuvent pratiquer très aisément..., Grenoble, J. Petit -- dans OEuvres mystiques, voir infra (var. des éd. et des ms., adjonction des précisions des Justifications).

- 1683? : Règle des associez à l’enfance de Jésus, modèle de perfection pour tous les estats, tirée de la sainte Ecriture et des Pères..., Lyon, A. Briasson -- dans Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, éd. M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, «Atopia», 1995 (version manuscrite).

- av.1684 : Le Cantique des cantiques, interprété selon le sens mistique et la vraie représentation des états intérieurs, Lyon, A. Briasson -- dans OEuvres mystiques, voir infra (chapitres IV-VIII, adjonction des précisions apportées par l’auteur dans ses Justifications).

- 1684 : Le Nouveau Testament de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure. Divisé en Huit Tomes. On expose dans la préface les conjectures que l’on a touchant l’auteur de cet ouvrage,éd. Pierre Poiret, Vincenti/Cologne [Amsterdam], Jean de la Pierre (rééd. à l’identique par Dutoit, Paris [Lyon], Les Libraires Associés, 1790 ; souvent la seule citée car moins rare) -- choix dans OEuvres mystiques, voir infra.

- 1684 : Les livres de l’Ancien Testament avec des explications et réflexions qui regardent la vie intérieure, divisés en douze tomes comme il se voit à la fin de la Preface, éd. Pierre Poiret, Vincenti/Cologne [Amsterdam], Jean de la Pierre (rééd. à l’identique par Dutoit, Paris [Lyon], Les Libraires Associés) -- choix dans OEuvres mystiques, voir infra.

-1686? : Lettre… et Instruction chrétienne d’une mère à sa fille, dans Les Opuscules spirituels..., voir infra.

- 1688-après 1703 : Discours chrétiens et spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure, tirés la pluspart de la Sainte Écriture, éd. Pierre Poiret, Vincenti/Cologne [Amsterdam], Jean de la Pierre (140 pièces auxquelles il faut ajouter 16 pièces éditées avec la correspondance) -- choix de 50 pièces dans OEuvres mystiques, voir infra.

- av. 1694 : Traité de la purification de l’âme après la mort ou du Purgatoire,dans Les Opuscules spirituels..., voir infra --Le Purgatoire, éd. M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, «Atopia», 1998.

- été 1694 : Les Justifications de Mme J.-M. B. de La Mothe-Guion, écrites par elle-même... avec un examen de la IXe et Xe conférence de Cassien, touchant l’état fixe d’oraison continuelle, par feu M. de Fénelon, Cologne [Amsterdam], J. de La Pierre, 1720.

- après 1703 : L’âme amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo sur ses “Pieux désirs”, et dans ceux d’Othon Vaenius sur l’amour divin, avec des figures nouvelles accompagnées de vers..., éd. Pierre Poiret, Cologne [Amsterdam], Jean de La Pierre, 1717 -- L’Ame amante de son Dieu, représentée dans les emblèmes de Hermannus Hugo..., nouvelle édition considérablement augmentée, Paris, Les Libraires Associés, 1790.

- après 1703 (certains cantiques furent composés antérieurement en prison) : Poésies et Cantiques spirituels sur divers sujets qui regardent la vie intérieure ou l’esprit du vrai christianisme, par Madame J.M.B. de la Mothe-Guyon, divisés en quatre volumes, Vincenti/Cologne [Amsterdam], Jean de la Pierre, 1722 -- choix dans OEuvres mystiques, voir infra.

- 1704 :Les Opuscules spirituels de Madame J. M. B. de la Mothe Guyon, éd. Pierre Poiret, Cologne [Amsterdam], Jean de la Pierre (première partie seule complète, seconde partie fragmentaire issue de l’Ordonnance de l’évêque de Chartres; rétablissement de la seconde partie en 1712 et variantes en 1720).

- 1707 : Récits de Captivité, éd. M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, «Atopia», 1992 (ce ms. est également reproduit dans la 4e partie de La Vie par elle-même..., voir supra).

- Madame Guyon: la passion de croire, choix de textes par M.-L. Gondal, Paris, Nouvelle Cité, 1990.

- Le Moyen court et autres récits, une simplicité subversive, textes édités par M.-L. Gondal, Grenoble, Jérôme Millon, «Atopia», 1995.

- OEuvres mystiques, éd. D. Tronc, Paris, Honoré Champion, «Sources Classiques», 2008.

- Madame Guyon, Les années d’épreuves, Emprisonnements et interrogatoires, éd. D. Tronc, Paris, Honoré Champion, «Pièces d’Archives» (à paraître).

Choix bibliographique

- Cognet, Louis, Crépuscule des Mystiques, Paris, Desclée, 1958 (la plus grande partie de l’ouvrage porte sur le vécu de Mme Guyon avant 1695).

- Gondal, Marie-Louise, Madame Guyon (1648-1717), un nouveau visage, Paris, Beauchesne, 1989.

- Madame Guyon, Rencontres autour de la Vie et l’oeuvre de Madame Guyon, Grenoble, Millon, 1997 (contributions de spécialistes pour la première fois rassemblés autour de cette figure).

- Mallet-Joris, Françoise, Jeanne Guyon, Paris, Flammarion, 1978.

- Orcibal, Jean, «Le Cardinal Le Camus témoin au procès de Madame Guyon» [1974]; «Madame Guyon devant ses juges» [1975]; «Introduction à Jeanne Marie Bouvier de la Mothe-Guyon: les Opuscules spirituels» [1978], dans Etudes d’Histoire et de Littérature Religieuse, Paris, Klincksieck, 1997, p.799-818, 819-834, 899-910.

Choix iconographique

-1700? : Élisabeth-Sophie Chéron, Portrait de Jeanne-Marie Bouvier de la Mothe Guyon, Moscou, Musée Pouchkine (gravé par Michel Aubert, Paris, BNF, Estampes, Ed 100, fol, p.33).

Jugements

- «Nous [J. Bénigne Bossuet], évêque de Meaux, [...] sommes demeuré satisfait de sa conduite, et lui avons continué la participation des saints sacrements dans laquelle nous l’avons trouvée; déclarons en outre que nous ne l’avons trouvée impliquée en aucune sorte dans les abominations de Molinos ou autres condamnées ailleurs, ni n’avons entendu la comprendre dans la mention qui en a été par nous faite dans notre Ordonnance du 16 avril 1695. Donné à Meaux le 1er juillet 1695.» («Témoignages divers», dans Correspondance, voir supra, oeuvres, t.II, pièce no 492, «D», 1er juillet 1695)

- «J’ai vu de près des faits certains qui m’ont infiniment édifié: pourquoi veut-on que je la condamne sur d’autres faits que je n’ai point vus, qui ne concluent rien par eux-mêmes, et sans l’entendre pour savoir ce qu’elle y répondrait?» (Lettre de Fénelon à Tronson, dans Correspondance de Fénelon, t.IV, lettre 351, 26 février 1696, Paris, Klincksieck, 1976)

- «Mais je recommanderai principalement, comme un exemple spécial et très complet, et en même temps comme une illustration toute pratique des idées que j’ai présentées, l’autobiographie de Mme Guyon; c’est une belle et grande âme, dont la pensée me remplit toujours de respect; apprendre à la connaître, et rendre justice à ce qu’il y eut d’excellent dans sa façon de sentir, tout en se défiant des aberrations de son intelligence, voilà pour une nature d’élite une jouissance d’autant plus grande, que son livre ne sera jamais en crédit auprès des intelligences vulgaires, c’est-à-dire du plus grand nombre; car, partout et toujours, chacun n’apprécie que ce qui lui ressemble dans une certaine mesure...» (Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté... [1859], trad. par A. Burdeau, Paris, Presses universitaires de France, 1966, p.483-484)

- «Plus encore que Fénelon qui [...] ne consent pas à faire de la foi elle-même une obscurité que ne soutiendrait pas l'évidence de l'autorité, Mme Guyon voudrait aller au delà de toute donnée distincte [...elle] estime qu'elle retrouve en tout cela la doctrine de saint Jean de la Croix. Elle allègue des textes solidement choisis et oppose avec rigueur “la voie de lumière distincte” et “la voie de la foi”. Elle sait qu'il est “de très grande conséquence d'empêcher les âmes de s'arrêter aux visions et aux extases; parce que cela les arrête presque toute leur vie.” [...] C'est parce que la pensée de Jean de la Croix nous est arrivée mutilée et déformée que l'intuition fondamentale n'y est pas aisément discernable. Cette intuition, qu'on le veuille on non, est ressaisie de façon aiguë à travers la tradition mystique catholique, par Fénelon et Mme Guyon.» (Jean Baruzi, Saint Jean de la Croix et le problème de l’expérience mystique, Paris, Alcan, 1931, p.440, 443)

- «Ces quelques notations sans épuiser le contenu de la spiritualité guyonnienne, suffisent à montrer combien profondément elle est insérée dans notre tradition mystique. Il faut donc juger avec indulgence, comme le remarquait déjà Fénelon, les inexactitudes d’expression qu’on y rencontre çà et là, et que le contexte corrige.» (Louis Cognet, «Guyon», dans Dictionnaire de Spiritualité, Paris, Beauchesne, 1967, t.6, col.1336)

- «Or, si l’on veut bien lire Mme Guyon sans occulter la force déployée en sa vie par cet extraordinaire dynamisme auquel elle donne le nom de Dieu, de Verbe, d’Esprit, la question qui nous paraît posée dépasse celle d’un sujet personnel. Celui-ci livre passage à la parole, dont l’origine et la fin lui échappent [...]. Origine et fin courent dans l’univers et entre les êtres...» (Marie-Louise Gondal, Madame Guyon..., voir supra, choix bibliographique, p.278)

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