Christine de Danemark/Hilarion de Coste

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[I,406] CHRISTINE OU CHRESTIENNE DE DANNEMARC (1), DUCHESSE DE LORRAINE et de Milan.
LES Curieux qui ont leu l'Histoire des Royaumes du Nort, sçavent que le cruel Christierne II. du nom Roy de Dannemarc et de Suede, eut 3. enfans de sa femme la sage et la constante Isabelle d'Austriche, sçavoir Jean Duc d'Holsace: Dorothée femme de Federic II. Comte Palatin du Rhin, et Electeur: et la vertueuse et courageuse Heroïne Chrestienne ou Christine, ou selon les autres Christierne, que l'Empereur Charles V. son oncle maternel affectionna grandement, à cause qu'elle ressembloit de moeurs et de visage à sa mere Elizabet Reine de Dannemarc, soeur de sa Majesté Imperiale, laquelle (comme je diray en son Eloge) porta avec un grand coeur la perte des Royaumes de Dannemarc, de Norvege, de Suede, de Gothie, et de Wandalie. Et de fait il la maria à François Sforze Duc de Milan, auquel il avoit octroyé l'investiture de ce Duché là, et fit celebrer les noces avec une magnificence Royale l'an 1531. Mais Francisque Sforze deceda 4. ans aprés avoir épousé Christine de Dannemarc, sans avoir laissé aucun enfant de cette Princesse, laquelle avoit acquis par sa vertu beaucoup d'honneur en Italie, et par sa bonne conduite s'estoit monstrée heritiere des belles qualitez de sa mere Izabelle Reine de Dannemarc, et non pas des defauts du Roy Christierne son pere, qui pour ses vices et ses cruautez fut privé de ses Royaumes par son oncle Federic, et par Gustave de Wasa: C'est pourquoy Henry VIII. Roy d'Angleterre estant veuf de Jeanne de Seimer sa 3. femme, la demanda en mariage à l'Empereur Charles [407] son oncle: mais cette prudente Heroïne refusa courageusement l'alliance de ce Monarque, qui s'estoit declaré Chef de l'Eglise Anglicane, et qui avoit si mal traité ses deux premieres femmes Caterine d'Espagne, la grande tante maternelle de Christine, et Anne de Boulen.
Antoine Duc de Lorraine, et la Duchesse sa femme Renée de Bourbon, soeur du Duc Charles qui fut tué devant Rome, desirans de marier leur fils aisné François Prince de Lorraine, et Marquis du Pont jetterent leurs yeux sur cette Duchesse douairiere de Milan, ce qui reussit selon leur intention. Car Christine de Dannemarc épousa François de Lorraine l'an 1541 à méme temps qu'Anne de Lorraine leur fille unique fut mariée à René de Nassau et de Chalon Prince d'Orenge. Ces deux mariages ne furent pas fort agreables au Roy François I. voyant que le Duc de Lorraine Antoine donnoit son fils aisné à la niece de l'Empereur, et sa fille à un Prince Alleman passionné partisan du méme Monarque.
François et Christine véquirent seulement cinq ans ensemble, car le Marquis du Pont ayant succedé au Duché de Lorraine par la mort du Duc Antoine son pere surnommé le Bon l'an 1544. ne fut pas plus d'un an Duc de Lorraine, estant decedé l'an 1546. au grand regret de Christine son épouse, à laquelle il laissa pour gage de son amitié trois enfans, un fils et deux filles, sçavoir Charles III. Duc de Lorraine, et les Princesses Renée et Dorothée qui estoient fort jeunes. Elle prit le soin de faire rendre à ce Duc (qui avoit acquis par sa prudence le titre de Sage) les derniers devoirs dans la belle Eglise de Saint François, ou des Cordeliers de Nancy, et gouverna la Lorraine avec une sage conduite et beaucoup de douceur, estant Regente de ce Duché là avec son beau-frere Nicolas Comte de Vaudemont, s'estant par sa prudence maintenue quelque temps en l'amitié du Roy Henry II. et de l'Empereur Charles V. Car elle avoit pour oncles cet Empereur là, et Ferdinand Roy de Hongrie, et pour cousin germain Philippe Prince de Castille. François Duc de Guyse, et Charles Cardinal de Lorraine, cousins germains du Duc François son mary, avoient tout le credit en la Cour de [408] France, estans favoris du Roy Henry II. C'est pourquoy elle vivoit en bonne intelligence avec tous, et les Lorrains jouissoient d'une profonde paix sous sa regence, et celle de Nicolas de Lorraine, oncle paternel du Duc Charles son fils. Aussi Nicolas Clement Poëte Latin a mis les portraits de cette Duchesse douairiere, et de Nicolas Comte de Mercueur et de Vaudemont parmy ceux des Ducs de Lorraine, et chantoit en leur faveur ces vers mis en nostre langue par François Guibaudet Dijonnois.
<blokquote> Reine de Dannemarc vertueuse Princesse,
Qui ton Duc as perdu en sa verte jeunesse,
Et toy Prince royal oncle du Duc enfant,
Heureux d'avoir pour gendre un Prince triomphant,
Un Henry de Valois Roy naturel de France,
Et de Pologne esleu pour sa grande vaillance;
Qui d'un égal pouvoir commandez aux Lorrains,
Et avez du Pays toute la charge és mains,
Je marqueray vos noms és fastes de Leucie,
Et aux pourtraits Ducaux apprendray l'effigie,
Qui vous donne ame icy; car il est bien raison,
Veu que Charles enfant, ensemble sa Maison,
Avez si bien regi et toute la patrie,
Qui pource vous souhaite une immortelle vie:
Vous avez defendu les peuples, et gardé
De prophaner les lieux qu'avoient aux Saints fondé
Les Princes de Lorraine, et par grand vigilance
Renouvelé les Tours, et Maisons de defense.
En un temps bien fascheux, ainsi que de besoin
Il estoit, vous avez pris la charge et le soin
De regir les pays et les riches Provinces
Du jeune Duc issu de tant de vaillans Princes;
Vivez çà bas égaux en vertueux honneur,
Jusqu'à tant que soyez appellez du Seigneur.
</blockquote> Philippe Prince de Castille, et depuis Roy d'Espagne l'honoroit grandement, comme s'il eust esté beaucoup inferieur à sa personne, et la desira avoir pour femme, estant veuf de la Princesse Marie de Portugal, et avant que d'épouser Marie Reine d'Angleterre.
[409] Quand Christine alla à Ausbourg l'an 1550. (2) visiter son oncle Ferdinand Roy de Hongrie et de Boheme, et le Prince de Castille, elle y fut receue avec des honneurs et des pompes plus magnifiques que Marie Reine de Hongrie; car Ferdinand et Philippe furent la recevoir à deux mille de cette ville là, ce qu'ils n'avoient pas fait à la Reine de Hongrie. Le Prince de Castille qui en estoit lors passionnément amoureux, et qui sans doute l'eust épousée, si l'Empereur son pere luy eust permis, ne manqua pas de courre la bague, et de faire ouvrir un Tournoy, durant lequel il fit paroistre sa valeur et son adresse en faveur de cette belle Princesse.
Henry II. Roy de France voyant que Christine Regente de Lorraine sembloit avoir plus de passion pour le party Imperial que pour le François, luy osta le gouvernement de son fils Charles Duc de Lorraine, et de son Estat, quand il passa par Nancy l'an 1552. pour aller en Allemagne secourir les Princes de l'Empire contre Charles V. et envoya ce jeune Prince aagé de neuf ans à Saint Germain en Laye pour le faire nourrir avec ses enfans, et luy donna pour Gouverneur le sage Seigneur de la Brosse Moilly (3), qui avoit esté Gouverneur de François d'Orleans Duc de Longueville, petit fils de Claude I. Duc de Guyse, et establit Regent en Lorraine Nicolas Comte de Mercueur et de Vaudemont, oncle du jeune Duc, qu'il sçavoit estre affectionné à la France. Christine voyant Henry II. resolu de faire conduire en France le Duc Charles III. son fils unique par le Seigneur de Bourdillon, de la Maison de la Platiere (4) (qui depuis a esté Mareschal de France) fit une harangue à sa Majesté dans la grande Gallerie du Palais de Nancy, pour le divertir de ce dessein, luy remonstrant avec de belles paroles accompagnées de larmes, qu'elle ne devoit pas estre traitée de la sorte. Le Roy luy repartit avec une grande douceur, «Ma cousine, je m'estonne que vostre Altesse, qui a l'honneur d'estre fille de Roy, se laisse vaincre par la melancholie et la tristesse, vous n'avez point de sujet de craindre pour le Duc vostre fils, que je cheris comme s'il estoit mon propre fils, il ne sera pas mal traité en France, où je le feray nourrir avec mon Daufin et mes autres enfans: Vous n'ignorez pas les puis-[410]santes assistances que les Ducs de Lorraine, et les Princes de leur Maison ont receu des Rois mes predecesseurs; qui a secouru René Duc de Lorraine bisayeul de vostre fils, contre un si puissant ennemy, que Charles Duc de Bourgongne, ayeul maternel de l'Empereur qui mourut en bataille prés de cette ville; qui a plus obligé les Princes de cette Maison, que moy qui en ay cinq (5) à ma Cour, et dont deux sont Ministres d'Estat de mon Royaume, le plus noble qui soit sous le Ciel? C'est pourquoy je vous prie de ne me faire pas ce tort que de penser que je veuille opprimer l'orfelin ny la veuve. Car jamais personne n'a éprouvé mes forces, sinon pour l'assister contre ceux qui les vouloient perdre. Demandez au jeune Roy d'Angleterre qui a mis la paix en son Royaume, qu'il trouva plein de troubles quand il succeda à son pere? Sçachez de l'Infante Reine d'Escosse, qui a banny les brouilleries de son Estat? et du jeune Octave Farnese, qui luy a conservé le Parmesan? Et cela estant, je vous laisse à penser si j'ay eu le pouvoir de les conserver tous, s'il n'estoit pas en ma puissance de les ruiner, estant bien plus facile de nuire que d'ayder. Vostre Altesse doit considerer comme les autres ruinent leurs parens et leurs alliez, et moy je defens les Etrangers. Les autres despouillent les leurs, et je prens les armes pour favoriser les oppressez, comme je fais en ce voyage, où je feray voir à toute la Chrestienté que je n'entreprens pas cette guerre pour agrandir mes frontieres aux despens de mes voisins, comme publient les ennemis de ma Couronne: mais pour faire du bien à tous ceux qui ont mis leur esperance en moy, aymant beaucoup mieux les mettre en asseurance à mes despens, et avec le danger de ma personne, que demeurant en repos et dans l'oisiveté, voir qu'on les opprime injustement. Si les affaires de France, si celles d'Allemagne, si les vostres, si celles de vostre fils, et méme celles de toute la Chrestienté m'obligent et me forcent de m'asseurer de ce pays, pour le bien et la conduite de mon armée, je vous prie de croire que tout reussira non pas à vostre dommage, mais à vostre honneur et à vostre avantage. Je vous conjure derechef, ma chere cousine, de ne vous point affliger, car pour la personne du Duc vostre fils, il ne peut [411] pas estre mieux qu'avec mes enfans, et vous verrez comme j'y procede avec sincerité et franchise, et l'affection cordiale que j'ay pour luy et toute sa Maison.»
Christine ayant veu que la Noblesse de Lorraine avoit en leur assemblée mis leur jeune Duc en la protection du Roy Henry II. et qu'il avoit esté conduit en ce Royaume par le commandement de ce Monarque, et par l'avis de cinq Princes de la Maison de Lorraine, elle se retira avec ses filles en Flandre, et demeura le plus souvent à Malines, jusques en l'an 1557. qu'elle vint à la Cour du Roy Henry II. pour assister aux noces de son fils Charles III. Duc de Lorraine, avec Claude de France, seconde fille de sa Majesté, qui furent mariez au mois de Fevrier de l'an 1558. et aussi pour tascher de moyenner une bonne et longue paix entre les Maisons de France et d'Austriche: Car cette genereuse Heroïne a travaillé à mettre ces deux grandes Couronnes en bonne intelligence, ou du moins en repos. La Paix entre Henry II. Roy de France, et Philippe II. Roy d'Espagne, fut accordée au Chasteau Cambresis, le 3. d'Avril de l'an 1559. où elle se trouva avec le Duc Charles son fils, comme Mediateurs agreables à tous les deux partis. Elle acquit beaucoup d'honneur et de reputation, et fit voir la bonté de son esprit en ces conferences et traitez de Paix où elle se trouva, et se fit admirer par les Deputez de l'un et de l'autre party. Ceux de France estoient le Cardinal de Lorraine: le Connestable de Montmorency: le Mareschal de Saint André: Jean de Morvilliers, Evéque d'Orleans, qui depuis fut Garde des Sceaux de France: Claude de Laubespine sieur de Hauterive Secretaire d'Estat. Et du costé d'Espagne, le Prince d'Orenge, le Duc d'Albe, l'Evéque d'Arras, depuis Cardinal de Granvelle: Ruygomez de Silva Comte de Melito; et Viglius de Zubicher, President au Conseil Privé du Roy d'Espagne, tous grands hommes d'Estat.
Ce n'est pas une petite louange à cette Princesse, d'avoir esté en l'estime de ces habiles hommes, par les mains de qui ont passé les principales affaires de l'Europe. Aussi nostre Poëte admirant les perfections de cette sage Duchesse, confesse ne les pouvoir pas louer dignement.

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