Marie de Clèves (1553-1574)/Hilarion de Coste

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[II, 621] MARIE DE CLEVES, PRINCESSE DE CONDÉ, Marquise d'Isle, et Comtesse de Beaufort. J'AY desja écrit dans la 2. et la 4. Partie de ce livre les vies des deux soeurs aisnées de cette tres-belle Princesse, sçavoir Henriette de Cleves Duchesse de Nivernois, et Caterine de Cleves Princesse de Porcien, et puis Duchesse de Guyse: il faut maintenant dans cette VII. Partie que je fasse l'eloge de Marie de Cleves Princesse de Condé, la troisiéme fille de François I. Duc de Nevers, et de Marguerite de Bourbon sa premiere femme (1). Cette Heroïne issue des tres-illustres maisons de Cleves et de Bourbon-Vendosme, estoit douée dés sa jeunesse de tant de perfections et de merites, qu'on ne sçauroit à qui donner la preeminence, ou à la noblesse de ses ancestres paternels et maternels, ou à la douceur de ses moeurs, ou à la beauté de son visage ou à la grace et à la majesté de sa personne: car elle avoit la taille riche, les cheveux blonds, le teint blanc et net, et le visage accomply de toutes les parties qui rendent une beauté parfaite et achevée. [622] Si elle estoit belle, elle estoit aussi riche, car par le decez de son frere Jaques Duc de Nivernois, le dernier des Princes de la tres-illustre Maison de Cleves qui a vécu en France, elle herita du Marquizat d'Isle et du Comté de Beaufort en Champagne, comme ses soeurs Henriette du Duché de Nevers, des Comtez de Retel et d'Auxerre, et Caterine du Comté d'Eu qui est une Pairie de France. L'on ne parloit à la Cour du Roy Charles IX. que des perfections et des rares qualitez de la Princesse de Nevers qu'on nommoit aussi la Marquize d'Isle, dont on pouvoit dire veritablement ce que le Poëte Vendomois a chanté en l'un de ses Sonnets pour une Dame de son siecle.

Comme une Nymphe est l'honneur d'une prée,
Un diamant est l'honneur d'un anneau,
Un jeune pin d'un bocage nouveau,
Et d'un jardin une rose pourprée:
Ainsi de tous vous estes estimée
De cette Cour l'ornement le plus beau:
Vous luy servez d'esprit et de tableau,
Comme il vous plaist la rendant animée.

Henry de France Duc d'Anjou renommé par l'univers pour les victoires qu'il avoit remportées sur les Religionnaires rebelles à Jarnac et à Mont-contour, estoit passionnement amoureux de cette Princesse: ses vertus et sa beauté luy donnoient plus de peine que ses deux batailles: car Marie de Cleves estoit merveilleusement belle, et avoit en ses yeux et en son visage des graces incomparables; sa beauté estoit naturellement toute recommandable d'elle méme, parce qu'elle n'estoit pas secourue d'aucun artifice de femme. Mais parmy tant de perfections cette Princesse manquoit à la principale, car elle faisoit lors profession de l'heresie de Calvin, ayant esté nourrie et eslevée en cette mauvaise secte par sa Gouvernante, et par les instructions de Jaque Spifame (2) Evéque de Nevers qui quitta cet Evéché et le resigna l'an 1559. à son neveu Gilles Spifame (Prelat fort pieux et Catholique, qui a assisté au Concile de Trente) pour se retirer à Geneve avec sa femme, ou plustost sa concubine qu'il épousa en cette ville là: Mais au bout de six ans [623] le 25. de Mars 1565. par un juste jugement de Dieu; et en punition de son apostasie, il eut la teste tranchée par une sentence de ceux en consideration desquels il estoit devenu d'Evéque meusnier. Je n'ignore pas que quelques-uns ont écrit que les Protestans (gens fort soupçonneux et défians, ainsi que Monsieur le President de Thou les appelle au livre 37. de son Histoire) le firent mourir, pource qu'il minutoit son retour à l'Eglise Catholique, où il avoit vécu dans de grandes charges (3), ou pource qu'il n'approuvoit pas leurs revoltes contre le Roy Charles IX. et leurs Souverains.

Cette bonne mais trop facile Princesse, ayant donc presté l'oreille aux charmans discours de ce tres-eloquent Prelat (qui sema sous main le Calvinisme dans Nevers, et qui eust fait encore plus de mal dans cette ville tres-Catholique et tres-pieuse sans le sçavoir et le zele du Doyen Bourgoing dont la gloire ne perira jamais parmy les gens de bien) fit opiniastrement profession de l'heresie de Calvin, encore que ses deux soeurs les Duchesses de Nevers et de Guyse l'eussent quittée: celle là (qui ne demeura gueres en cette nouvelle opinion) par le moyen de Ludovic de Gonzague Prince de Mantoue son mary, et celle cy aprés le decez du Prince de Porcien son premier mary par le moyen de la Reyne Caterine, comme j'ay remarqué en sa vie. L'on croit que si cette tres-belle Princesse n'eust point esté Calviniste, le Roy Henry III. n'estant pour lors que Duc d'Anjou, l'eust sans doute épousée; ce Prince tres-Catholique n'ayant pas fait lors la recherche de cette belle et riche Princesse, laquelle sans cela il eust preferée à Elizabet Reyne d'Angleterre, et à Mademoiselle de Chasteauneuf l'une des plus remarquables beautez de son siecle, et des plus illustres et des plus anciennes Maisons de Bretagne, et qui avoit de tres-bonnes qualitez, comme j'ay appris de Monsieur le Mareschal de Bouillon en ses memoires, et dont l'un des meilleurs Poëtes (4) chantoit:

Le Ciel peintre sçavant l'a pourtraite si belle,
Que son divin tableau ne se peut imiter.

En fin Marie de Cleves estant en l'âge où la coustume veut que l'on marie les Princesses, elle épousa l'an 1572. (5) son [624] cousin germain Henry de Bourbon Prince de Condé, qui estoit le fils aisné de Louis de Bourbon Prince de Condé et de Eleonor de Roye sa premiere femme. Quelques mois aprés que cette Princesse eust épousé cet Heros tres-genereux et tres illustre du sang Royal, Jeanne d'Albret Reyne de Navarre, qui estoit venue à Paris pour assister aux noces de Henry de Bourbon Prince de Viane ou de Navarre et Duc de Vendosme, et de M. Marguerite de France 3. fille du Roy Henry II. et soeur de Charles IX. mourut assez subitement dans son Hostel en la rue de Grenelle, au mois de Juin de la méme année.

La mort de cette Reyne ne rompit pas l'alliance que le Roy Charles vouloit faire de sa soeur avec Henry Roy de Navarre: la solemnité s'en fit au mois d'Aoust; et sur la fin du méme mois se firent les Matines Parisiennes le jour de saint Barthelemy. Le Roy Charles fit demeurer le Roy de Navarre et le Prince de Condé au Louvre, et les conjura de quitter la nouvelle religion et prendre celle de leurs ancestres. Charles Cardinal de Bourbon, oncle et tuteur de ces deux jeunes Princes, les exhorta puissamment de renoncer au Calvinisme et de se declarer ouvertement et sincerement Catholiques Aspotoliques et Romains (6): il ne se contenta pas de ramener au giron de l'Eglise le Prince de Condé son neveu, mais aussi cette Princesse sa femme, qui ayant esté resolue sur quelques doutes de la Religion par de sçavans Theologiens de la Faculté de Paris et des Religieux que ce grand Prelat et grand Prince fortifié encore par les soins du Duc et de la Duchesse de Nevers, luy donnerent pour son instruction. Enfin par une grace particuliere du Ciel, elle abjura publiquement les erreurs de Calvin, et depuis écrivit avec le Prince son mary une lettre au Pape Gregoire XIII. le 3. Octobre 1572. par laquelle ils supplierent sa Sainteté de leur donner sa paternelle benediction, et luy demanderent sa dispense (7).

«Tres-Saint Pere, reconnoissans l'offense que par de mauvais conseil nous avons commise envers Dieu et V. S. au mariage qui s'est accomply entre nous deux qui sommes cousins germains, enfans du frere et de la soeur, et que c'est [625] contre l'ordonnance et l'institution de nostre Mere sainte Eglise. Nous supplions tres-humblement Votre Sainteté de nous la remettre, et pardonner; et en icelle approuvant, nous accorder vostre grace et dispense, et nous en donner telle absolution que nous et nostre posterité en demeurions déchargez envers Dieu, et Votre Sainteté.» Ausquels ce bon Pape fit une réponse qu'il ne sera pas inutile de rapporter en la sorte qu'elle fut envoyée.

«A nostre bien aymé illustre Seigneur Henry de Bourbon, et à nostre bien-aimée en JESUS-CHRIST Madame Marie de Cleves, Prince et Princesse de Condé.

Bien-aymez et illustres enfans en JESUS-CHRIST, Salut et Benediction Apostolique. Loué soit Dieu et Pere de Notre Seigneur JESUS-CHRIST, Pere de misericorde; et Dieu de toute consolation qui nous console en toutes nos afflictions: car aussi nous ne devons pas user d'autre maniere de parler, où nostre joye est si parfaite qu'elle nous a allegez de tout l'ennuy et de tout le déplaisir que jusqu'à present nous avions souffert de la perte de vostre salut, pour vous voir separez de l'Eglise: aussi l'une et l'autre Hierusalem la celeste et la terrestre sont remplies de cette joye. Nous avons veu vos lettres, par lesquelles vous faites paroistre les faveurs et les biens que Dieu vous a si liberalement departis par vostre si libre et si franche resolution en la profession de foy, et reunion et retour à nostre Mere seule Eglise et hors de laquelle il n'y a point de salut. Vostre sincere affection vous a remis d'où la fraude et la tromperie des meschans vous avoit retirez et separez. De sorte que cette separation ne vous peut faire blasmer, mais au contraire elle vous apporte une gloire et une louange eternelle. Ayant donc veu vos lettres nous nous sommes resjouis d'une joye et d'un contentement incroyable, et qui ne se peut pas exprimer. Car elles nous ont fait reconnoistre que vous avez glorieusement triomphé du Diable qui s'estoit emparé du fort de la Foy, en renversant en vous le fondement de vostre salut. Mais celuy, devant les yeux duquel tout est clair et découvert, enseigne ce que fait cet ennemy estant chassé. Quand l'esprit impur (dit-il) est sorty de l'homme, il s'en [626] va par les lieux secs et arides, cherchant du repos et n'en trouve point. Alors il dit, je retourneray en ma maison d'où je suis sorty. Vous donc tres chers enfans veillez et resistez estans affermis en la foy, contre les traits enflammez, de crainte qu'il ne vous surprenne à depourveu, et ne vous arrive ce qui suit, Et la fin de cet homme est pire que le commencement. Je vous donne aussi advis que vous devez soustenir un autre combat, car Dieu estant renoncé non seulement par parole, mais aussi par oeuvres, le malin esprit s'efforcera de vous oster cette demonstration de Foy, laquelle paroist et reluit dans les oeuvres. C'est pourquoy vous devez faire en sorte que cette Foy que vous portez peinte au coeur paroisse aussi par l'effet de vos actions exterieures, afin que tous connoissent que là où a abondé le peché, la grace y abonde davantage. Aussi persuadez vous que vostre Foy et vos vertus sont dignes de la qualité de Chrestiens, outre l'excellence de vostre sang Royal, et le tres-illustre rang que vous tenez; cela donnera l'occasion de salut à plusieurs qui se retireront de l'erreur par vostre exemple: car comme les actions et les oeuvres des Princes sont exposées à la veue de tout le monde, nous esperons que par vostre exemple plusieurs seront excitez à reprendre la Foy Catholique et la maintenir en integrité par une vie vertueuse. Vous serez donc conviez à suivre ces vertus que nous vous avons proposées, et faire des fruits dignes de penitence, quand vous aurez le bien de vous remettre devant les yeux les faveurs et les graces que vous avez receues du Tout-puissant. Car pour les peines, sa clemence et sa bonté vous ont fait grace, et usé de misericorde en vostre endroit sans faire preuve de cette tres-griefve sentence de Saint Gregoire: les pecheurs ont les yeux ouverts en la peine qu'ils ont fermez en la coulpe. Enfin hastez-vous au plustost d'aller à luy, et d'autant plus que vous en estiez éloignez: et pensez qu'il est le scrutateur des coeurs, et qu'il connoist vos plus secretes pensées. Cheminez devant luy en integrité de vie, et d'un coeur parfaitement chrestien. Quant à la dispense que vous demandez, nous vous la donnons de tres bon coeur, et ne vous manquera jamais rien de nostre [627] part, de tout ce qui se peut attendre d'un Pere tres debonnaire à l'endroit de ses enfans bien nez et vertueux: Nous vous estimons tels et embrassons d'un saint baiser et affection paternelle. Obeissez au Cardinal de Bourbon vostre oncle, et vous persuadez qu'il vous a esté divinement donné du Ciel.»

Cette Princesse receut une grande consolation à la lecture du Bref de ce Vicaire de Dieu en terre, et fit tousjours profession de la Religion Catholique: l'année suivante le Prince son mary alla au siege de la Rochelle qui fut levé, soit par la jalousie qui estoit entre les Chefs, soit par l'élection de Henry Duc d'Anjou à la Couronne de Pologne, le Roy des Roys ayant reservé ce bonheur et cette gloire au feu Roy Louis XIII.

Henry de France Roy de Pologne, estant arrivé à Paris (où les Palatins de ce Royaume là estoient venus pour saluer sa Majesté, et la mener en Pologne) receut un extréme déplaisir de quitter la France pour aller demeurer parmy ces peuples Septentrionaux; mais le plus sensible de tous, fut de dire adieu à cette tres-belle Princesse, dont s'il eust pû faire rompre le mariage qu'elle avoit contracté avec Henry I. du nom Prince de Condé, sans doute il l'eust épousée. L'on a remarqué que jamais on ne l'a veu de belle humeur en Pologne que quand il avoit receu des lettres de cette Princesse.

Charles IX. estant decedé le 30. May 1574. il fut contraint de quitter les Sarmates pour venir en France recueillir ce premier diademe de la Chrestienté que son frere luy avoit laissé. Mais il n'est rien de stable en ce monde, le contentement que ce Monarque croyoit recevoir parmy les siens, ne fut pas de longue durée, car pour premier malheur, lors qu'il arrivoit en France les Religionnaires rebelles de Livron eurent l'audace de piller son bagage (8): mais pour comble de déplaisir, un mois aprés son retour cette Princesse mourut en couche fort chrestiennement à Paris au mois d'Octobre de l'an 1574. (laissant une seule fille). Son corps fut porté à Nevers dans l'Eglise des Peres Cordeliers, et inhumé en la Chapelle de Cleves, ainsi qu'elle avoit ordonné.

[628] Les rares qualitez qui estoient en elle la firent fort regreter de toute la Cour, mais principalement de ce Monarque des François et des Polonnois, qui témoigna par ses larmes, ses paroles et ses actions, que comme il estoit extréme à la haine, il estoit excessif en l'amour (9). Il demeura plus de huit jours aux cris et aux souspirs, et en public il paroissoit plus mort que celle qui estoit enterrée: il portoit de petites testes de mort aux rubans et aux esguillettes, et estoit plus curieux d'entretenir et de flater sa passion que de la guerir et de la vaincre: il commanda au feu sieur de Souvré de luy faire des paremens de cette sorte, qui cousterent six mille escus. Ce déplaisir dura long temps, et plusieurs Poëtes l'ont décrit dans leurs poësies, entre autres le sieur Pasquier (10) Advocat de sa Majesté en sa Chambre des Comptes de Paris dans ses oeuvres meslées et ses epitaphes sous ce titre, Complainte faite pour un grand Prince de France, sur la mort d'une grande Princesse.

Le Ciel m'avoit brassé un long voyage,
Et lors mon coeur je te laissay en gage
Me promettant aussi tant d'heur un jour
Que de jouir du tien à mon retour.
Sous cet espoir enflé d'une allegresse
Vers toy mes pas hastivement je presse:
Mais aussi tost que retourné je suis
Pour te revoir, aussi tost tu t'enfuis
Ingrate helas! et prens au Ciel ta voie,
Afin sans plus que je ne te revoie,
Ingrate, non, mais ingrat le destin,
Qui contre moy fit ce cruel butin.
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Il finit cette longue Elegie par ces vers.

Prens donc ce don, ô ame bien-heureuse,
Qui t'est voué d'une main langoureuse:
Pour un jamais je consacre ces vers
A ta memoire, en ce grand univers:
C'est ce que t'offre une plume Royalle,
Encor' à toy aprés ta mort loyalle.

Quelques-uns ont écrit que la Reyne Caterine voyant que ce mal resistoit au temps et à la raison, creut qu'il y avoit [629] quelque chose qui l'entretenoit. C'est pourquoy elle demanda à feu Mr de Souvré, si le Roy Henry III. son fils portoit quelque chose de cette Princesse dont l'objet renouvellast le souvenir; et qu'il luy dit, qu'il portoit une croix et des pendans d'oreille, et qu'aussi tost qu'ils ne parurent plus, il en fut comme de la bague enchantée de Charlemagne. Mais je croy que ce conte est aussi fabuleux que celuy de la bague de ce grand Empereur (11). Germantian et Pétrarque en ont amusé les enfans et les vieilles. Ceux qui ont frequenté la Cour du Roy Henry III. sçavent que ce Monarque a fait passer au delà le tombeau tout ce qu'il a aymé dans le monde. La preuve en est encore trop connue et trop manifeste pour estre contredite; MM. de Joyeuse, du Gua, de Quelus, de Livarrot de Maugiron, Saint Maigrin et autres parlent pour cette verité; et cette tres-vertueuse et tres-belle Princesse (qui paroissoit entre les autres Princesses et les Dames de la Cour de France, comme le soleil entre les astres) n'avoit point d'autres charmes que ses perfections, sa beauté et sa bonne grace, et comme chantoit le méme Poëte en faveur de ce Prince.

Diray-je icy ses deux yeux, deux soleils,
Ses arcs voûtez, ses roses, ses oeillets,
Ce rang perlé, sa bouche coraline,
Ces tresses d'or, cette gorge albastrine?
Mille doux mots, ains mille doux appas,
Dont je fus pris tout d'un méme compas?
Car tout ainsi que cette alme nature
Ne fit jamais plus belle creature,
Ainsi mit-elle en mou des passions
Prises du seel de ses perfections,
Voire mil fois, et mille fois plus fortes:
Puis que l'on voit ces beautez estre mortes,
Et toutesfois que mon amour plus fort
Se reverdit dans l'hideur de la mort.

Tous les charmes de cette Princesse ont esté les vertus qui ont le plus éclaté en cette Heroïne, sçavoir la liberalité, la bonté, la pudicité, la pieté, les ayant heritées des Maisons de Bourbon-Vendosme, de Bourgogne ou de Ni-[630]vernois, de Cleves, de Juliers, de Brabant, de la Mark, d'Albret, de Rethel et d'autres illustres Maisons de France et d'Alemagne.

La liberalité, vertu Royale et heroïque, estoit celle qui paroissoit le plus en Marie de Cleves Princesse de Condé: cette vertu la faisoit aimer de tous ses domestiques et des pauvres des villes de Paris et de Nevers: car cette liberalité estoit genereuse, estant accompagnée d'excuses et de termes pleins de courtoisie, pour louer les services ou les merites de ceux à qui elle donnoit, et des prieres ou des excuses, afin qu'on fust satisfait de la petite reconnoissance avec laquelle elle s'en revanchoit: sa douceur et sa bonté n'ont pas esté moindres que sa liberalité. Les affaires fascheuses qui font perdre aux personnes les plus tranquilles, quelque chose de leur douceur, ne servoient qu'à augmenter celle de cette Princesse; son visage respiroit mesme cette vertu, et toutes ses actions et ses paroles en estoient tellement remplies, qu'il y avoit du plaisir à la regarder et à l'entendre.

Ceux qui ont frequenté les Cours des Roys Charles IX. et Henry III. sçavent que cette Princesse n'estoit pas moins chaste que belle, ayant fait mentir le proverbe qui dit que c'est une sorte de miracle de voir la beauté et la chasteté d'intelligence ensemble. Aussi comme nous voyons que le bois de cyprés est incorruptible, et que les vers ne le mangent point; de méme le coeur de Marie de Cleves n'a jamais pû estre susceptible d'une deshonnesteté, estant repoussée par la bonne odeur de sa pudicité; ayant par sa prudence et sa sage conduite gardé sa foy inviolablement à Henry de Bourbon son époux, comme elle declaroit fort bien par sa devise que j'expliqueray plus bas.

La pieté parut depuis qu'elle eut fait l'abjuration des erreurs de Calvin, et fait profession publique de la vraye Religion. Elle remercioit Dieu tous les jours de la faveur qu'elle avoit receue de sa divine bonté, pour luy avoir fait la grace de reconnoistre la verité, et n'estoit pas ingrate des bien-faits receus de cette main toute-puissante. Si l'ingratitude est un crime si grand que la haine publique luy serve [631] de peine, et si les hommes n'ont refusé de le punir que pace qu'ils ont creu que Dieu s'en estoit reservé le chastiment; il faut advouer que la reconnoissance est une excellente vertu, et qu'elle a des charmes qui la font trouver également agreable à Dieu et aux hommes: Ce fut elle aussi qui jointe aux excellentes qualitez de cette Princesse luy acquit et luy conserva l'affection de tant de personnes: car elle la possedoit en un si haut degré, que tous ceux qui l'ont conneue, ont esté obligez de luy en rendre un témoignage public. Feue Madame la Duchesse douairiere de Guyse sa soeur n'en parloit jamais sans louange et sans larmes. Elle honoroit comme son pere Mr le Cardinal de Bourbon son oncle, et qui estoit aussi l'oncle de son mary, à cause qu'il avoit grandement travaillé pour sa conversion; elle rendoit aussi le méme respect à Louis Duc de Nevers son beau-frere pour le méme sujet. Ayant la mort sur les lévres, elle recommanda avec passion que sa fille unique feue Mademoiselle de Bourbon qui n'estoit pas lors aagée que de 8. ou 10. jours, fust nourrie et élevée à la Religion Catholique. Dieu a beny les saints desirs de cette Princesse, car sa fille Caterine de Bourbon Marquize d'Isle et Comtesse de Beaufort, s'est rendue admirable par ses vertus, mais particulierement par sa constance et sa perseverance en la Foy Catholique, encore qu'elle ait esté plusieurs années de sa vie nourrie avec les heretiques à Sedan et ailleurs; n'ayant jamais voulu prester l'oreille aux charmans discours des Ministres et des autres sectaires qui l'obsedoient continuellement pour luy faire embrasser leur religion.

Ses plaisirs et ses delices estoient à prier Dieu dans les Eglises, et lors qu'elle estoit à Paris dans celles des Filles Dieu et de Saint Germain des Prez proche du grand Autel, au lieu méme où elle a receu les honneurs de la sepulture. Ce qui fait bien voir que telle qu'est nostre vie, tel est pour l'ordinaire nostre depart de ce monde. Cette tres-Catholique et tres-vertueuse Princesse de la Royale Maison de Bourbon ayant tousjours bien vécu, mourut aussi fort saintement dans le Chasteau du Louvre à Paris le 30. Decembre de l'an 1595. ayant demandé avec grande instance et [632] zele tous les Sacremens. Son corps fut porté à l'Eglise des Filles Dieu, où il demeura jusques au 17. Janvier 1596. qu'il fut apporté à celle de Saint Germain des Prez où on luy rendit les derniers devoirs par de magnifiques pompes funebres, ausquelles Monsieur Charles Miron (12) Evéque d'Angers celebra la Messe, et fit l'Office, et plusieurs Prelats et Princes assisterent, et une bonne partie de Messieurs de la Cour de Parlement. Son corps, comme j'ay dit, fut mis en terre au lieu où elle faisoit ses prieres, prés du sepulchre de la Reyne Bertrude femme du Roy Clotaire II. et mere de Dagobert Fondateur de Saint Denys: où depuis sont les corps de son oncle François de Bourbon Prince de Conty, et sa fille Marie de Bourbon cousine germaine de Caterine, à laquelle le Reverend Pere Jaques du Brueil Religieux de Saint Germain des Prez fit dresser cette inscription latine pour Epitaphe:

Hîc jacet illustrissima Princeps Catharina Borbonia, Henrici Borbonii Principis Condei et Mariae de Cleves filia, quae annos nata 21. obiit Lutetiae in castro Luparae die 30. Decembris 1595.

Icy gist la tres-illustre Princesse Caterine de Bourbon fille de Henry de Bourbon et de Marie de Cleves, qui estant aagée de 21. ans mourut à Paris au Chasteau du Louvre, le 30. jour de Decembre 1595.

Son coeur est inhumé dans le choeur de l'Eglise des Filles Dieu de l'Ordre de Font-Evraud, avec celuy de sa grande tante Caterine de Bourbon Abbesse de Nostre-Dame de Soissons, qui mourut à Paris dans l'Hostel de Guyse l'an 1594. ausquelles on n'a point dressé de monument: mais feu Monsieur Berthault Evéque de Sées a publié ces vers en leur faveur.

Icy gisent les coeurs des deux grandes Princesses
(Maintenant deux esprits de leurs corps devestus)
Qui de la bonté mesme ont esté les hostesses
Et qui n'ont rien prisé que les seules vertus.
Toutes deux ont jouy d'une illustre fortune,
Sans voir nul hymenée accompagner son cours,
La Loy des voeux sacrez le defendant à l'une,
Et le trespas à l'autre en l'Avril de ses jours.
L'une aprés cette vie esperant la seconde
[633] A tellement vers Dieu levé l'ame et les yeux,
Qu'au monde elle a vescu comme estant morte au monde,
Afin que de la terre elle acheptast les Cieux.
L'autre à qui maint desastre a long-temps fait la guerre,
Par effet a monstré que son coeur mesprisoit
Le soin de voir son corps plaire aux yeux de la terre,
Puis qu'à son chaste esprit la terre déplaisoit.
De l'Auguste maison qui commande à la France
L'une et l'autre nasquit entre les voluptez:
Mais que sert aux mortels la Royale naissance
Contre ce qui destruit et Roys et Royautez.
Devotieux passant qui vois combien peu durent
Les dons que l'Univers tient pour souverain bien:
Qui vois ce qu'elles sont, qui sçais ce qu'elles furent,
Apprens de leur trespas à te resoudre au tien.
Apprens de leur grandeur, à qui la Loy mortelle
S'est permis de monstrer la puissance du sort,
Qu'icy bas rien ne peut sur la mort temporelle
Ce que peut la vertu sur l'eternelle mort.
Apprens lisant ces vers, que nostre ame se trompe
En l'amour des grandeurs dont le desir la poind:
N'estant rien devant Dieu le monde ny sa pompe,
Non plus qu'au prix du Ciel la terre n'est qu'un point.
Bien monstra de le croire estant encore en vie
Le sainct couple des coeurs gisans en ce cercueil:
Tant on vit leur grandeur d'humilité suivie,
Et leur ame impolue aux venins de l'orgueil.
Revere cette humblesse, et si tu peux l'imite,
D'un constant souvenir à par toy repensant
Que la porte du Ciel est estroite et petite,
Et qu'on n'y peut entrer sinon en se baissant.

Marie de Cleves Princesse de Condé avoit pour symbole deux Cignes se regardants, et opposez l'un à l'autre sur le terrain, qui sembloient estre le masle et la femelle, avec ce mot latin qui animoit cette devise, Candida nostra Fides, c'est à dire, Nostre Foy est pure, et declaroient qu'au mariage de cette Marquize d'Isle et Comtesse de Beaufort, avec le vaillant et le genereux Henry de Bourbon [634] Prince de Condé, l'amour et la fidelité seroient reciproques et inviolables. Les Ducs de Cleves et de Juliers, dont la Princesse de Condé Marie de Cleves prenoit son origine (estant sortie des Comtes et des Ducs de Nevers, qui faisoient une branche de cette tres-illustre et tres-ancienne Maison de Cleves) avoient un Cigne d'argent colleté d'une couronne d'or pour Cimier, et deux Cignes aussi d'argent colletez d'une couronne d'or pour tenans ou supports de leurs armes, comme l'on voit à Cleves, à Juliers, à Nevers, à Retel, à Eu, et aux autres lieux de leurs terres. Ce qui a donné sujet à cette devise vient du preux Chevalier dit du Cigne, dont ils sont descendus. Il se rencontre en d'autres grandes maisons le méme symbole, comme Crequy en Picardie et en Bourgongne (qui a donné des Chevaliers aux ordres de nos Roys et de la Toison d'or, à la France des Ducs et Pairs, et à l'Eglise un grand Cardinal) a pour cimier deux Cignes affrontez d'argent, tenans en leur bec un anneau d'or. Celle de Bassompierre en Lorraine issue d'une illustre maison d'Alemagne (dont est le chef François Marquis de Bassompierre Mareschal de France, et Colonel general des Suisses et des Grisons, l'un des plus accomplis Seigneurs de France et de nostre siecle, qui a servi dignement nos Rois et l'Estat) a pour supports deux Cignes d'argent couronnez d'or membrez et becquez de sable.

Caterine de Bourbon Marquize d'Isle et Comtesse de Beaufort, seule fille de Henry de Bourbon et de Marie de Cleves de Nevers sa premiere femme: avoit pour devise une main mouvante du Ciel, tenant deux Amalthées liées ensemble et renversées, desquelles s'espandent des fleurs. Au milieu estoit representé un miroir avec ces paroles Latines, Ex his tibi necte coronam. Cette tres-vertueuse et tres-Catholique Princesse de la Royale Maison de Bourbon declaroit par cette devise qu'elle fit graver dans une medaille l'an 1593. que son Altesse se façonneroit une Couronne immortelle de Pieté, de Chasteté et des autres vertus celestes; pour servir de miroir et d'exemple aux Princesses et aux Dames de son temps, ayant fait une vie digne du Ciel, comme nous avons dit cy-dessus.

(1) Bourbon Condé écartelé au I. et 4. de Bourbon. Au 2. et 3. d'Alençon; ainsi les portoit feu Monsieur le Prince de Condé pere de Monseigneur le Prince qui porte les Armes plaines de Bourbon estant le I. Prince du sang. Cleves et Nevers blazonné à la page 790 du 1. Tome.
(2) Spifame noble Maison originaire de Lucques, porte de gueules, à l'aigle d'argent.
(3) Il avoit esté Conseiller de la Cour, Maistre des Requestes, Chanoine de Nostre-Dame, et Chancelier de l'Université de Paris, Doyen de Saint Marceau, Abbé de Saint Paul de Sens, et Grand Vicaire à Reims de Charles Cardinal de Lorraine.
(4) Desportes.
(5) J. A. Thuanus. Belle-forest. La Popeliniere.
(6) Monsieur le Cardinal de Bourbon ramena en méme temps au giron de l'Eglise MM. le Prince de Conty, le Cardinal de Vendosme ou de Bourbon, et le Comte de Soissons.
(7) F. Belle forest. M. Piguerre. La Popeliniere.
(8) S. et L. de Sainte Marthe.
(9) P. Mathieu.
(10) Pasquier, d'azur, à 3. pasquerotes d'argent, les tiges de sinople peris en pal.
(11) Pour dire le vray, tout le charme estoit en ses yeux, et en son bel esprit, et la vertu se rencontrant de la partie, faisoit une rude guerre dans un coeur genereux et melancholique tel qu'estoit le Roy Henry III. C'est une question qui n'appartient qu'à un aveugle, de demander pourquoy l'on ayme ce qui est beau.

(12) Miron de gueules, à un miroir d'argent enrichy d'or.
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