Sylvie Pic de La Mirandole/Hilarion de Coste

De SiefarWikiFr

[II,761] SILVIE PIC DE LA MIRANDE, COMTESSE DE LA ROCHEFOUCAUD, ET FULVIE PIC DE LA MIRANDE Comtesse de Randan, soeurs (1).
LEANDRE-Albert, et autres graves Autheurs rapportent l'origine de la tres-illustre Maison de la Mirande, à un vaillant Chevalier nommé Manfroy, et à Euride petite fille de Constantin le Grand, Empereur, premier Liberateur et Pacificateur de la Religion Chrestienne, qui a donné à l'Italie plusieurs braves Heros renommez par tout l'Univers pour leur valeur et leur sçavoir. Il n'y a si petit coin de la terre où les moeurs soient tant soit peu cultivées, auquel le nom ne soit connu de Jean Pic de la Mirande ou Mirandole, et de Jean-François Pic son neveu: celuy-là pour son sçavoir a esté appellé Phoenix par Ange Politian, et celuy-cy n'a pas cedé à son oncle en doctrine, en courage, et en pieté. Tous deux ont esté douez d'un si rare sçavoir, que bien peu de mortels ont jamais atteint une telle perfection; leur esprit estoit si grand qu'on ne veit jamais rien de plus relevé.
De cette tres-illustre Maison estoit Galeas ou Galeot Pic Prince de la Mirande et de Concorde, qui épousa Hipolyte de Gonzague, fille de Louis de Gonzague, petit fils [762] d'un autre Louis, Marquis de Mantoue et de Barbe de Brandebourg. Ce Prince genereux et magnanime eut de cette belle et chaste Princesse de la Maison de Mantoue plusieurs enfans, quatre entre autres.
Louis Pic Prince de la Mirande et de Concorde, qui a laissé pour fils et heritier des vertus et des biens de ses ancestres (2) Alexandre Pic Prince de la Mirande, marié à une Princesse de la Maison d'Est, soeur du Duc de Modene: et trois filles, qu'on amena dés leurs plus jeunes ans en France par le commandement de la Reyne Caterine de Medicis. Ces trois Princesses ont esté la gloire et l'ornement de la Cour de cette grande Reyne.
Elles furent nourries premierement par la Princesse de la Mirande de la Maison de Gonzague leur mere, avec tout le soin qu'une bonne et vertueuse mere peut prendre pour des filles, qui outre les dons naturels du corps estoient douées d'un bel esprit. Silvie l'aisnée, qui n'avoit que douze ans quand elle vint en France, fut avec Fulvie sa soeur puisnée une des Filles de la Chambre de la Reyne: et la troisiéme qui ne leur cedoit en perfections fut pour son jeune âge envoyée à Saint Germain en Laye, à la petite Cour où estoient nourris les enfans du Roy Henry II. et de la Reyne Caterine, la jeune Reyne d'Escosse, le Prince de Viane, et le Duc de Lorraine; ayant esté élevée en la Royale compagnie de ces jeunes Princes et de ces jeunes Princesses, elle mourut sans avoir esté mariée. Les deux autres, Silvie et Fulvie furent mariées à deux freres de la Maison de la Rochefoucaud.
Silvie épousa Charles troisiéme Comte de la Rochefoucaud, Prince de Marcillac qui commanda dans Mets à cent Chevaux-Legers lors que l'Empereur Charles V. l'assiegea; et fut Lieutenant de la Compagnie de Gens-d'armes de Charles Duc de Lorraine, qu'il conduisit à la bataille de Saint Quentin, où il fut pris prisonnier, et paya cent mille livres de rançon.
Fulvie eut pour mary Charles de la Rochefoucaud, Comte de Randan, qui commanda aussi dedans Mets à cent Chevaux Legers quand cette place fut attaquée par l'Em-[763]pereur, et combatit en duel Dom Henriquez de Manriquez, Lieutenant de Dom Louys d'Avila, Colonel general de la Cavalerie Imperiale, auquel il perça le bras d'un coup de lance. Mais son courage et sa prudence éclaterent bien davantage lors que Fernand Alvares de Toledo Duc d'Albe s'estant approché avec quatorze mille hommes de pied et quatre mille chevaux de cette ville là, pour la reconnoistre, François Duc de Guyse ne jugea point qu'il y eut de Capitaine plus capable de voir sa contenance que M. de Randan. Pour cet effet il le fit sortir de Mets avec un gros de Cavalerie soustenu de quelques gens de pied, ce qu'il fit avec tant de conduite et de hardiesse, que ce grand Capitaine Espagnol n'osant pas l'attendre fit sonner la retraite: d'où les François ne conceurent pas peu d'esperance de faire lever le siege à l'Empereur; ce qu'il fit honteusement le I. jour de l'an 1553. deux mois et demy aprés avoir attaqué cette Place avec une armée de plus de cent mil hommes.
Cette generosité de Charles de la Rochefoucaud Comte de Randan s'estant fait connoistre en plusieurs autres occasions qui s'offrirent depuis pour le service du méme Roy Henry II. et de ses enfans les Roys François II. et Charles IX. il fut honoré de la charge de Colonel General de l'Infanterie Françoise, qui est l'une des premieres et des plus importantes charges de la Couronne. Mais ce qui fait sa plus grande gloire, c'est que servant fidellement nos Roys durant les premiers troubles excitez pour la Religion, il demeura ferme non seulement dans l'obeissance deue à leurs Majestez, mais aussi dans l'ancienne croyance de la vraye Eglise et de ses peres, sans se laisser emporter au torrent de l'heresie, comme quelques uns de sa maison, entre autres François Comte de la Rochefoucaud son frere aisné qui fut passionné partizan des Religionaires. Autant que François estoit obstiné pour l'avancement du Calvinisme, Charles se monstroit si zelé pour la defense de la Foy Catholique, qu'il tint à grand honneur de répandre son sang pour sa querelle, estant decedé fort Chrestiennement durant le siege de Rouen l'an 1562. de la playe honorable qu'il avoit [764] receue pour le service de Dieu et de son Prince le Roy Charles IX. à celuy de Bourges quand cette ville là fut ostée aux Calvinistes la méme année. Il fut regretté à sa mort de tous les gens de bien, et son coeur fut mis dans l'Eglise Nostre Dame de Rouen prés du sepulchre des Cardinaux d'Amboise, où j'ay veu une inscription Latine écrite en lettres d'or sur un marbre en son honneur, et son corps fut porté dans l'Eglise des Peres Celestins de Vichy, où il a esté inhumé avec les honneurs deus à un Seigneur de sa naissance et de son merite.
Ces deux vertueuses soeurs Silvie et Fulvie de la Mirande, se sont tellement aymées que c'eust esté une espece d'incivilité et d'inhumanité méme, de les separer en ces Eloges. Toutes deux ont esté si belles, si sages et si honnestes, qu'il n'y a langue si diserte qui puisse parler dignement de leurs perfections et de leurs merites ny plume si forte qui soit digne d'écrire leurs vertus. Le Ciel et la Nature leur ayant donné comme en partage de si rares qualitez, et les ayant comblées de tant de faveurs et de graces que cela ne se peut exprimer par des paroles. Pour se maintenir en une parfaite et sainte amitié estant encore jeunes filles à la suitte de la Reyne Caterine, elles vivoient en une si bonne intelligence qu'elles donnerent le démentir au proverbe qui dit que la paix et la concorde sont rares entre les freres et les soeurs. Tous les soirs elles avoient cette sainte coustume de faire ensemble une reveue; sur les actions de chaque jour, et conferer si elles avoient mis en execution les bonnes resolutions de la matinée; si par cette conference ou examen elles reconnoissoient avoir fait quelque bien, elles s'encourageoient à mieux faire le jour suivant; si au contraire elles remarquoient quelque manquement ou defaut, elles se faisoient l'une à l'autre une correction douce, charitable, digne de l'amitié nompareille de deux soeurs les plus sages, les plus modestes, les plus retenues et les plus accomplies que ce siecle ait admiré.
Le Ciel pour les conserver et maintenir en amitié, a permis qu'elles ayent épousé les deux freres de la Rochefoucaud, renommez tant pour la noblesse de leur Maison qui [765] tire son origine de la Royale Maison de Lusignan ou Lezignem, (Aussi elle porte les armes de cette Maison, et a pour Cimier une Mellusine ou Syrene nue, qui d'une main tient un miroir, et de l'autre un peigne) (3) que pour beaucoup de rares perfections qu'ils possedoient. Estant encore jeunes ils avoient témoigné leur valeur et leur courage en tant de lieux, que la renommée leur donnoit le titre des plus vaillans guerriers de nostre France.
Silvie eut un fils du Comte de la Rochefoucaud son mary, François IV. du nom, Comte de la Rochefoucaud, Prince de Marcillac, pere de François cinquiéme Comte de la Rochefoucaud Chevalier des Ordres du Roy, Gouverneur pour sa Majesté en Poitou, maintenant Duc et Pair de France, et de Benjamin de la Rochefoucaud Comte d'Estissac (4). Mais comme nous voyons que mesme le Ciel prend plaisir à défaire ses plus parfaits ouvrages, ou pour parler plus Chrestiennement, à les retirer du monde afin de s'embellir de nostre perte; cette jeune Dame mourut estant en couche de son fils, et mourut contente aprés avoir sceu qu'il avoit receu le Baptéme.
Elle fut à son decez fort regretée du Comte son mary, de ses soeurs, et de tous les chers nourrissons des Muses qui par leurs Poesies firent part au public de leur tristesse et de leur douleur: entre autres Joachim du Bellay Gentil-homme Angevin, fit cet Epitaphe à sa memoire,

Tu es doncques enclose en ce petit tombeau,

Et tout ce que le Ciel en toy montra de beau,
La vertu, le sçavoir, la jeunesse et la grace,
Et la merveille encore du surnom de ta race,
Les pleurs de ton Espoux, et de tes soeurs aussi
N'ont sceu mouvoir la mort, ny les Dieux à mercy.
Mais quiconques voudra égaler ta louange
Par ses vers ô Silvie, il faudra qu'il se change
En ce divin Picus, honneur de tes ayeux,
Le Phoenix de son temps, conneu jusques aux Cieux.
Duquel, comme Italie, et tout le monde encore
Les immortels labeurs lit, apprend, et adore,
Ainsi nostre François studieux de ton nom,
[766] Envoyra jusqu'au Ciel le bruit de ton renom.
Et pour avoir jadis allaitté ton enfance
Superbe à tout jamais se vantera la France.
Ou soit qu'elle raconte avec l'honnesteté
Ta grace également jointe à la chasteté,
Soit la grandeur de coeur, la sagesse avant l'âge,
Et dans un corps de femme un virile courage.

Quelques années aprés le decez de Silvie Pic de la Mirande, Fulvie sa soeur demeura veuve à l'âge de vingt-deux ans de Charles de la Rochefoucaud Comte de Randan son mary; l'Auvergne en fut si desolée qu'on eust dit que cette mort estoit la ruine de cette fertile Province. Fulvie aprés avoir témoigné par ses larmes et par ses regrets veritables l'excez de son affliction et de ses justes douleurs, et rendu le dernier devoir que l'on doit aux morts, elle se consola en sa disgrace, considerant que son mary jouissoit (comme elle pouvoit croire pieusement) d'un bien autant parfait sur celuy qu'il possedoit en ce monde, que le Ciel est élevé par dessus la terre, dans l'esperance de le revoir un jour couronné de gloire dans le Ciel, puis qu'il estoit mort pour le service de Dieu et de ses Autels, portant les armes pour l'Eglise et pour le Roy. Elle passa quarante cinq années en une chaste viduité. Tout son soin estoit de faire nourrir et eslever ses enfans en la crainte de Dieu, à sçavoir quatre fils et une fille.
Le I. Jean Louis de la Rochefoucaud Comte de Randan, Baron du Luguet, Gouverneur et Lieutenant general pour le Roy au pays d'Auvergne, où il fut tué à la bataille d'Issoire l'an 1590. Il a laissé d'Isabelle de la Rochefoucaud sa cousine germaine, qu'il épousa par dispense du saint Siege, une seule fille, Marie-Caterine de la Rochefoucaud Comtesse de Randan, Gouvernante du Roy, Dame d'honneur de la Reyne, veuve de Henry de Bauffremont Marquis de Senecey, Chevalier des deux Ordres du Roy, Gouverneur des villes et Chasteau d'Auxonne et de Macon, Bailly de Chalon, Lieutenant pour le Roy en Bourgongne, et son Ambassadeur en Espagne. Cette Dame a eu de cet Heros (qui est mort à Lyon 1622. des blessures qu'il avoit receues à Royan et à Saint Antonin durant la guerre [767] contre les Religionnaires rebelles) dix enfans, dont sept sont morts en bas âge, deux fils qui ont succedé l'un aprés l'autre aux charges du pere, sçavoir, Claude Charles-Roger de Bauffremont Marquis de Senecey, jeune Seigneur de grande esperance. Il tomba malade et mourut aprés le Siege d'Arras où il estoit Maistre de Camp du Regiment de Piémont. Jean-Louis de Bauffremont premierement Comte de Randan, et aprés le decez de son aisné a esté aussi Marquis de Senecey: il est mort pour le service du Roy Louis XIII. au mois de Juillet de l'an 1642. à la journée de Sedan à la teste de son Regiment. Et Marie-Claire de Bauffremont leur soeur, heritiere des illustres Maisons de Senecey et de Randan, a esté mariée à feu M. le Comte de Flaix fils aisné de M. le Comte de Gurson: elle a des enfans de ce Seigneur de la Royale Maison de Foix, mort pour le service du Roy à Mardik cette année 1646.
Le 2. François de la Rochefoucaud, premierement Evéque de Clermont en Auvergne, puis de Senlis, et Cardinal tres-illustre, Abbé de Tournus et de Sainte Geneviéve du Mont à Paris, et Grand Aumosnier de France, lequel (comme remarque fort bien un celebre Ecrivain de ce temps) (5) a grandement honoré l'Eglise par ses livres qu'il a écrit de l'Authorité de l'Eglise, et de l'Estat Ecclesiastique, et autres traittez, et par son integrité, sa pieté, et son zele ardent en tout ce qui concerne la gloire de Dieu, l'advancement spirituel des ames; et sur tout par sa vie exemplaire, et par sa doctrine il a merité la qualité deMiroir des Prelats, et est mort en estime de sainteté, le 14. de Fevrier de l'an 1645. Plusieurs Peres Jesuites et Chanoines Reguliers de Saint Augustin, ont écrit sa vie.
Le 3. Charles de la Rochefoucaud Baron du Luguet, qui mourut à l'âge de 22. ans aprés avoir vécu avec autant de moderation dans l'ardeur et l'impetuosité de la jeunesse, comme s'il eust esté déja dans une vieillesse consommée.
Le 4. Alexandre de la Rochefoucaud, Prieur de Saint Martin en Vallée, Prelat qui tous les jours de sa vie a fait paroître qu'il aymoit la pieté, et combien il estimoit la dignité de l'Estat Ecclesiastique. Il estoit tellement charitable envers [768] les pauvres malades, que quelquefois dans ses voyages en ayant rencontré par le chemin il est sorty de son carosse pour les consoler, et les persuader de faire une bonne Confession qu'il recevoit luy mesme, les faisant aprés conduire dans quelque maison proche, ou dans son propre logis s'il n'estoit pas trop éloigné, pour les faire traitter. S'estant rencontré aux Sieges de quelques Places, il alloit en personne confesser les blessez dans les tranchées, et les faisoit emporter en quelque lieu où il pust luy méme les servir, et leur fournir les choses necessaires à leur guerison et à la conservation de leur vie.
Le 5. fut Marie Silvie de la Rochefoucaud, qui fut mariée à Louis de Rochechouard, Seigneur de Chandenier et de la Motte de Baussey. Elle eut de ce Seigneur une fille et un fils, sçavoir, Anne de Rochechouard Demoiselle de haute vertu, qui fut ravie par la mort en l'âge d'estre mariée, si on peut dire celle là mourir qui monte au Ciel pour vivre dans l'eternelle felicité, emportant avec soy la couronne de Vierge. Jean Louis de Rochechouard Seigneur de Chandenier, qui mourut à Paris le II. Decembre 1635. laissant de Madame sa femme Louise de Monbron fille de Louis de Monbron Chevalier de l'Ordre, Seigneur de Fontaine Chalandray et d'Ausance, et de Heliette de Vivonne de la Maison de la Chastegneraie, dix enfans, sçavoir 5. fils, François de Rochechouard Chevalier Marquis de Chandenier, Conseiller du Roy en ses Conseils d'Estat et Privé, et premier Capitaine des Gardes du corps de sa Majesté, qui a épousé Marie heritiere de Bellenave: Charles de Rochechouard Chevalier de Chandenier: Louy de Rochechouard Conseiller d'Estat ordinaire, Abbé de Montier Saint Jean et de Tournus, et Prieur de Saint Pourcain et de Chandenier: Helie Jean de Rochechouard decedé: et Claude-Charles de Rochechouard Abbé de Nostre-Dame de l'Aumosne dite le petit Cisteaux, Prieur de Coudres et de Courtangys. Et 5. filles, dont l'une est decedée en bas âge: 3. Religieuses Professes de l'Ordre de la Visitation; et Marie de Rochechouard l'aisnée.
Marie-Silvie de la Rochefoucaud a quitté les grandeurs et les esperances de la Cour voyant ses enfans en estat de n'avoir pas besoin de sa conduite, pour embrasser la vie au-[769]stere, et le saint habit de l'Ordre sacré de Nostre Dame du Mont-Carmel, suivant la reforme de cette grande sainte de ce siecle, la Vierge Terese de Jesus, qui a remis en son premier lustre l'ancienne perfection de vivre des Elies, des Elisées et des autres anciens Prophetes et Hermites du Mont-Carmel, dans lequel cette pieuse et devote Dame de l'ancienne Maison de la Rochefoucaud, a servy plus de 20. Nostre Seigneur et sa sainte Mere sous le nom de soeur Marie de saint Joseph, dans le Monastere de l'Incarnation ou de Nostre-Dame des Champs, jusques au 14. jour de Septembre feste de l'Exaltation de Sainte Croix de l'an 1607. comme si Dieu eust voulu témoigner par là qu'il estoit temps de l'exalter, et de luy donner le prix et la recompense de sa vie crucifiée, et qui estoit aussi l'anniversaire du decez de sa bonne mere.
Fulvie Pic de la Mirande Comtesse de Randan ne sçauroit estre assez louée pour le soin qu'elle prit à bien élever ses enfans, qui n'ont eu que la vertu pour objet; la pieté de Monseigneur le Cardinal son fils et de la Reverende Mere Marie de saint Joseph Carmelite, n'estant inconnue qu'à ceux qui n'ont point d'oreilles, ou qui les veulent fermer pour n'entendre pas le bruit de la verité.
Ce furent aussi la vertu et les merites de cette Dame qui la firent rechercher sept années entieres par M. le Comte de Randan, et que le Roy Charles IX. et sa mere la Reyne Caterine de Medicis la firent revenir d'Auvergne pour estre l'une des premieres Dames de leur Cour où l'on ne parloit que de sa bonne conduite pour l'education de ses enfans qu'elle formoit à la pieté, et leur instiloit avec le laict, ces grands sentimens d'honneur et de vertu qu'ils ont tous inviolablement tenus jusques à la mort, et qui vivent encore dans leur posterité, comme il est aisé de remarquer par le succez de leur vie. Un Ecclesiastique et Gentil-homme de bonne maison l'a louée de son vivant (6), pour avoir bien disposé des biens de l'Abbaye de Tournus au profit de l'Eglise et à l'honneur de Dieu. Le Roy Charles et la Reyne Caterine admirans la bonté de son esprit et la solidité de son jugement, l'honnorerent de leurs commandemens pour aller en Italie visiter non seulement le Prince de la Mirande, mais [770] aussi les autres Princes de cette belle contrée, comme l'on voit par les lettres qu'elle a écrites à leurs Majestez. Aussi le Roy Charles IX. faisoit une grande estime de cette Princesse, comme l'on voit par cette lettre de sa Majesté du 3. jour d'Aoust 1572.
Madame de Randan, J'ay entendu que vous estes en deliberation de vostre retour par deçà dont j'ay esté bien aise; Ayant pensé que vous n'avez point pris cette resolution si vous ne voyez les affaires de la Mirande en bon estat, et l'union telle que le requiert le repos et la commodité de vostre Maison, chose que je desire infiniement. Aussi je ne pourrois estre mieux ny plus fidelement instruit des affaires de ladite place que de vous, et que vostre voyage seroit fort à propos pour celuy du petit Comte vostre neveu qui pourra venir sous vostre charge et commodité avec plus de soulagement que autrement. Au moyen de quoy vous vous asseurerez d'estre tousjours raisonnable et necessaire, attendu qu'elle sera entretenue à mes dépens, et pour la protection de la Place, laquelle j'ay prise sur moy, je ne voy pas qu'il y ait personne qui doute de ma bonne intention; à cette cause je vous prie avant vostre partement adviser avec la Comtesse vostre belle-soeur et le Seigneur Louis que les choses en passent par là, et tous les soldats tant François qu'autres fassent le serment au Capitaine que j'y tiens afin d'estre obey, et reconnu d'eux, qui est chose que je desire, et priant Dieu, Madame de Randan, qu'il vous, etc.
Le Roy Henry III. Prince si judicieux, et qui se connoissoit si parfaitement au choix des hommes et des Dames, la choisit lors qu'elle estoit âgée seulement de trente-cinq ans entre plusieurs autres pour estre Dame d'honneur de la Reyne Louise de Lorraine de Vaudemont sa femme. Elle s'acquita si dignement de cette grande charge, que son nom est encore, et sera à jamais en benediction parmy les Dames chastes, honnestes et vertueuses. Ceux qui ont frequenté la Cour de ce liberal Monarque sçavent que les filles de la Reyne Louise vivoient sous elle comme dans une école de vertu, où elles apprenoient en méme temps tous les principes de la sagesse, et les pratiques de la pieté. Son adresse estoit incomparable à veiller sur leurs déportemens, et à les tenir occupées: et sur tout son exemple [771] non moins que sa persuasion les portoit insensiblement à l'amour et à la frequentation des Sacremens; en sorte qu'elle estoit pour elles cette Tour de defense dont parle l'Ecriture Sainte, fortifiée de ses remparts et de ses bastions, où la chasteté n'estoit pas moins asseurée que sous les grilles et les voiles des maisons Religieuses les plus reformées.
Les Cours des Roys Charles IX. et Henry III. admirerent non seulement la prudence et la generosité, mais aussi la chasteté de la Comtesse de Randan, grande ayeule des Seigneurs des Maisons de Bauffremont et de Chandenier (7), qui estant auprés de la Reyne Caterine (laquelle l'avoit élevée en qualité de fille d'honneur) arresta inviolablement en son esprit, de n'y recevoir plus d'autre objet que celuy qu'elle avoit perdu: toutes les joyes de la Cour n'avoient pour elle que de l'amertume, et tout ce qu'elle a de plus attrayant et de plus agreable, ne fut jamais capable de la tenter de changer de vie, ny de faire naistre dans son coeur une simple complaisance pour les secondes noces. Elle passa plusieurs années en cet estat avec admiration de voir une si grande moderation dans sa grande jeunesse. Si la pluspart des Dames soit ou filles, ou mariées, et des veuves qui employent tous les jours, toutes les heures, et méme quasi tous les momens de leurs vies à caresser les vivantes charognes de leurs corps, ne faisans que les laver, les embaumer, les parfumer, et ont continuellement leurs yeux sur la glace de leurs miroirs pour voir si quelques taches ne tachent point leurs visages, vivoient comme cette chaste et religieuse Comtesse, elles ne prendroient pas tant de peine à parer leurs corps, et les reparer contre les injures du temps et de l'âge, mais à embellir et orner leurs ames des vertus Chrestiennes. Car on dit de Fulvie Pic de la Mirande, que regardant un jour par mégarde un miroir, elle demanda à celles qui estoient en sa compagnie, qui estoit cette Dame qui estoit representée en ce tableau (8); estant encore fort jeune, ayant dés les premieres années de sa viduité quitté toutes les vanitez de la Cour. Durant les tristes ans de son veuvage elle a esté du nombre des vrayes veuves, qui le sont, non seulement de corps, mais aussi de coeur, et à qui rien n'est agreable que [772] l'humilité, la modestie, et la devotion.
Ce furent aussi ces belles et ces Royales vertus dont l'ame de cette Dame fut parée et embellie; vertus qui la rendirent aymable et aymée de tous ceux qui faisoient ouvertement profession de la solide vertu et de la pieté, s'estant tenue tousjours, tant à la Cour que chez elle, du costé de la modestie et de la simplicité: de verité les Dames chastes et honnestes, et qui sont obligées pour le bon exemple de paroistre telles, doivent suivre l'advis du Prince des Apostres, qui est de ne porter, quoy que jeunes, leurs cheveux tant crespez, frisez, et annelez. C'est parmy les sages, que les femmes vaines sont tenues pour imbecilles en chasteté: au moins si elles en ont, elle n'est pas visible parmy tant de fatras et de bagatelles.
Estant à la Cour elle souspiroit tousjours aprés sa chere solitude, où elle se retira l'an 1589. aprés le decez de la Reyne Caterine, croyant n'avoir plus de sujet qui l'y pust retenir. Pour cet effect aprés avoir obtenu le congé du Roy Henry III. et de la Reyne Louise, elle fit son sejour ordinaire dans le Chasteau de Mousson en Auvergne, qui appartenoit à l'Evéché de Clermont, où elle demeura jusques à la Paix, s'estant aprés retirée à Billom, où elle acheva le reste de ses jours dans les exercices de pieté qu'il estoit possible, laissant à ses enfans de grands exemples des vertus qu'ils devoient pratiquer. Sa maison avoit plustost la face d'une communauté Religieuse que d'une famille seculiere, tant toutes choses y estoient bien reglées, et disposées selon le temps qui leur est convenable, les heures de leur coucher, du travail, du repas, de la Messe, et de l'office de Vespres qu'elle faisoit chanter en sa Chapelle, estoient determinées, et nul méme des serviteurs de la basse famille n'eust osé s'absenter des communes prieres et de l'examen de conscience qui se faisoit le soir. La Messe se disoit tous les jours à certaine heure, à laquelle tant qu'il estoit possible chacun estoit obligé d'assister, et pour elle ayant plusieurs Prestres en sa maison qui offroient tous les jours à Dieu cet adorable sacrifice, ou qui estoient obligez de venir dire la Messe à [773] la Chapelle, elle les oyoit toutes avec grand respect, et passoit ainsi toute la matinée en prieres. Quoy que toute sa vie, méme estant à la Cour, elle eust tousjours frequenté les Sacremens avec une solide devotion, neantmoins estant à soy et jouissant d'une plus grande liberté, elle s'y addonna avec plus de ferveur et d'assiduité recevant tous les Dimanches, et presque toutes les Festes la sainte Eucharistie, d'où elle tiroit de tendres consolations à ses ennuis, de puissans moyens pour l'accroissement de sa charité, et de grandes lumieres pour sa conduite. Elle fit paroistre sa constance à la mort de ses enfans Messieurs le Comte de Randan, et le Baron du Luguet; sa charité vers les pauvres garçons qu'elle entretenoit aux estudes au College de Billom, et les filles qu'elle marioit de ses propres deniers, et tous les pauvres qu'elle nourrissoit tant à la campagne que dans les Hospitaux, qu'elle visitoit en personne, qu'elle consoloit tendrement, ausquels rien ne manquoit, de lits, d'habits et de remedes dans leurs maladies, payant liberalement pour eux les Medecins, et les Chirurgiens qui les avoient traitez. Les Peres Capucins estans venus en Auvergne, ce fut quasi elle seule qui aprés M. l'Evéque de Clermont son fils, qui les avoit appellez, bastit entierement leur Convent, jusque là que l'argent manquant aux ouvriers, si elle n'en avoit point elle engageoit sa vaisselle d'argent pour en trouver: elle seule nourrissoit la pluspart du temps toute la Communauté. Les Jesuites de Billom et de Mauriac; et les Minimes de Beauregard ont ressenty les effets de ses liberalitez.
Fulvie Comtesse de Randan ayant esté en sa vie un portrait parfait des filles, puis des femmes mariées, et des veuves, et des meres de familles qui gouvernent de grandes maisons, mourut pleine d'ans, d'honneurs et de merites, fort Chrestiennement le quatorziéme Septembre de l'an mil six cens sept. Ce fut à ce jour heureux que l'Eglise fait la solennité de l'Exaltation de la sainte Croix, que cette devote Dame rendit doucement son ame à celuy qui pour l'amour de nous est mort à une Croix, lequel elle avoit aymé et fidelement servy tous les jours de sa vie, pouvant [774] dire aussi bien qu'une autre amante de JESUS.

Crux nec amara tuum, nec mors mihi tollet amorem

Dux eris et vitae regula certa meae.
Ny la Croix ny la mort ny la plus dure peine.
Ne pourront dans mon coeur vostre amour effacer,
Vous serez ma conduite et la regle certaine
Par qui mes actions se doivent compasser.

Madame de Randan receut les honneurs de la sepulture en l'Eglise du College des Peres de la Compagnie de JESUS à Billom.
Plusieurs Autheurs parlent avec louange de cette pieuse Heroine, sçavoir la Reyne Marguerite dans ses Memoires: M. l'Evéque de Riez au Livre III. de l'Histoire generale de l'Ordre des Minimes dans la vie du Reverend Pere Roland Guichard: Pierre de Saint Julien Doyen de Chaalon dans ses Antiquitez de l'Abbaye de Tournus, Jean Dorat et Nicolas Goulu Professeurs du Roy en l'Université de Paris, dans leurs poesies Grecque et Latine: André du Chesne et Jacques d'Auzoles Seigneur de la Peyre en leur Genealogie de la tres-illustre Maison de La Rochefoucaud: Et depuis la I. edition de ces Vies des Dames illustres, Pierre Frizon (9) Doyen de Nostre-Dame de Reims et Docteur de la Faculté de Paris de la Maison de Navarre, dans sa Gaule ou France Pourprée en l'Eloge de M. le Cardinal de la Rochefoucaud: le Pere de la Moriniere Chanoine Regulier de saint Augustin de la Congregation de France en l'Oraison funebre de ce tres-Pieux Cardinal, et aux chapitres 3. 4. et 5. de sa vie, le Reverend Pere Pierre Royer de la Compagnie de JESUS au 2. Chapitre de la vie de ce grand Prelat qu'il a écrite en Latin: les Peres Castillon, Nau, le Moine, et tous les autres Peres de la méme Societé, qui ont publié des Panegyriques, des discours Funebres, et des Eloges de ce Cardinal si saint devant Dieu et devant les Hommes.

(1) Pico selon Chifflet et Vulson la Colombiere, d'or, à l'Aigle de sable couronné becqué et membré d'or. La Mirande, selon du Chesne, d'argent à une Aigle éployée de sable à 2. testes. Alexandre Pico, Prince de Mirandola Marquis de la Concordia, porte au I. et 4. de Pico, au 2. et 3. d'argent à la fasce d'azur de 2. pieces, au Lyon de gueules brochant sur le tout. Sur le tout du principal, échiqueté d'azur et d'argent.
(2) A. du Chesne.
(3) Ceux de la Maison de la Rochefoucaud portent un Escu burelé d'argent et d'azur de dix pieces, ce sont les armes de Luzignan. Cet escu est brisé d'un chevron de 3. pieces de gueules brochant sur le tout, ou selon les autres de trois chevrons de gueules, dont le premier a la pointe coupée, pour montrer qu'elle procede d'un puisné.
(4) Estissac pâlé d'argent et d'azur de six pieces.
(5) J. Gautier.
(6) Pierre de Saint Julien de la Maison de Balevre.
(7) Bauffremont vairé d'or et de gueules. Rochechouard ou Chandenier blazonné page 424.
(8) La Reyne Marguerite en ses Memoires.
(9) Frizon d'or, à trois fraizes de gueules, feuillées de sinople.



Outils personnels