Élisabeth de France (1602-1644)/Hilarion de Coste

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[I,590] ELIZABET II. DE FRANCE (1), REYNE D'ESPAGNE (2).
SI j'ay loué dans ces Vies des Dames Illustres Cecile-Renée d'Austriche Reine de Pologne, je dois donner des larmes et des eloges à cette Reine d'Espagne Elizabet de France, qui est decedée depuis que ce livre est sous la presse, y estant obligé par toutes sortes de devoirs, tant pour estre fille de France, que pour ses vertus et ses merites qui l'ont [591] fait estimer par tout le monde: Car comme sa vertu a esté toute pure et sans defaut; sa reputation est aussi sans ombre, et jette de la lumiere non seulement dans nostre France, et dans les Royaumes sujets au Roy son mary; mais aussi dans tous les autres.
La vie sainte d'Elizabet de France Reine d'Espagne, n'a point laissé de tache en sa memoire; et l'on peut défier les plus severes censeurs de remarquer en ses 42. ans, je ne dis pas une journée obscure, et qui luy fasse honte; mais mesme une heure qui ait besoin qu'on la supprime, ou qu'on la justifie.
Cette Heroïne estoit la fille aisnée d'Henry le Grand Roy de France et de Navarre, et la Reine Marie de Toscane sa femme, qui accoucha heureusement de cette Princesse le 22. de Novembre de l'an 1602.
Fontaine-bleau ayant eu la faveur de la naissance de cette Reine, Saint Germain en Laye situé en un tres-bon air, eut celle de sa premiere nourriture. Là elle fut élevée avec son frere aisné le feu Roy Louis XIII. sous la conduite de la Dame de Montglas de la Maison de Longue-joye (3).
A quatre ans elle fut menée à Fontaine-bleau avec le Daufin son frere, et sa soeur puisnée pour recevoir les honneurs du Baptéme le 14. de Septembre, feste de l'Exaltation de sainte Croix de l'an 1606. en grande pompe et ceremonie, où une infinité de Seigneurs et de Dames de France, et des païs Etrangers se trouverent, pour voir ces magnificences dans la cour du donjon; car ny la Chapelle, ny la plus grande salle de ce Chasteau là n'estoient pas capables de tenir tant de personnes.
Au lever de cette premiere fille de France, la Duchesse de Guyse et Mademoiselle de Mayenne découvrirent le lit: Mademoiselle de Vandosme (à present Duchesse d'Elboeuf) la leva, la Duchesse de Rohan la deshabilla, et la Duchesse de Sully departit les honneurs, ausquels l'aiguiere fut portée par le Mareschal de Laverdin, le bassin par le Mareschal de la Chastre, le coussin par le Duc de Sully, le cierge par le Duc de Montbazon, le cresmeau par le Duc d'Espernon, et la saliere par le Duc d'Aiguillon depuis [592] Duc de Mayenne: le Prince de Joinville aujourd'huy Duc de Chevreuse portoit Madame, et Mademoiselle de Rohan luy soustenoit la queue du manteau d'hermines. Diane legitimée de France Duchesse d'Angoulesme (de laquelle nous avons cy-dessus écrit la vie) marchoit pour marraine toute seule sans parrain, representant l'Infante d'Espagne Elizabet Claire Eugenie Princesse des Païs bas, et suivoit Madame, ayant derriere elle Mademoiselle de Montmorency (qui est maintenant Madame la Princesse de Condé) qui luy portoit la queue. Les Princesses et les Dames qui avoient assisté au lever marchoient en suite. Monsieur le Daufin ayant esté baptisé par le Cardinal de Gondy: Madame fut aussi apportée sur la table du quarré où ce mesme Prelat fit les ceremonies du Baptéme: Elle fut nommée Elizabet par la Duchesse d'Angoulesme, representant l'Archiduchesse sa marraine sans parrain.
Le Roy Henry IV. qui aimoit tendrement ses enfans, les alla voir à Saint Germain, lors que la riviere de Seine fut libre, aprés le degel du grand hiver, et y reprendre le plaisir de la chasse, que l'extréme et terrible rigueur du froid avoit discontinué: Sa Majesté y passa tout le jour du premier Jeudy de Caresme, et le soir vit le ballet des 12. Nymphes, dont la moitié estoit ses proches; qui fut dansé avec tant d'ordre, de grace et d'adresse, que les Etrangers qui eurent le plaisir d'y assister, furent contraints d'advouer que les Lys se desnouent et font sentir leur odeur premier que les autres fleurs. Tous les Princes et les Seigneurs disoient que les grands n'oseroient entreprendre d'imiter ces enfans là. Le Roy le fit voir à deux Jesuites, un Italien et un Espagnol qui estoient là, et pour oster le scrupule du temps dit, que c'estoit le ballet des Innocens, qui se pouvoit voir en Caresme: Quand le ballet, qui dura plus de demie heure fut finy, le Roy le fit danser sans masque, et lors on vit assemblé en cette belle troupe tout ce qui pouvoit estre admiré de rare et d'excellent en une plus grande. J'ay remarqué ailleurs que le feu Roy Louis XIII. (estant encor Daufin) y paroissoit comme Achille, déguisé parmy les filles. J'adjouste en cet Eloge, qu'il sembloit que tous les esprits [593] fussent arrestez dans les yeux de Madame Elizabet de France, et comme en doute si en cet aage de cinq ans et trois mois, sa bonne façon tenoit plus de la douceur que de la majesté. Deux vertus qui ont fait aimer cette Heroïne de ses sujets, qu'elle a remporté d'eux cet eloge d'avoir joint la gravité Espagnole avec la courtoisie Françoise. Le Jesuite Espagnol l'ayant bien considerée, dit au Grand Escuyer, Monsieur le Duc de Belle-garde, qu'il pouvoit dire avoir veu danser la Reine d'Espagne.
Elle assista au Sacre et Couronnement de la Reine sa mere le 13. de May de l'an 1610. à Saint Denys en France, où les assistans virent cette jeune Princesse Madame Elizabet qui n'estoit aagée que de sept ans et cinq mois, aller à l'Eglise aprés la Reine sa mere, et devant la Reine Marguerite. Cette Princesse et la Reine Marguerite avoient des Couronnes sur leurs testes; elles estoient habillées d'un corset de toile d'argent, et d'un surcot d'hermines enrichy d'une infinité de pierreries, et d'un manteau Royal de velous violet cramoisi fourré d'hermines, et bordé de deux rangs de fleurs de lys d'or en broderie. La queue du manteau de Madame estoit portée par les Ducs de Longueville et de Montmorency. Le Comte de Saint Paul representant le Grand Maistre, et le sieur de Roddes Grand Maistre des ceremonies vindrent querir Madame avec la Reine Marguerite pour servir au Sacre.
Le Proverbe est bien commun, mais il est bien veritable que les jours s'entresuivent, mais qu'ils ne sont pas semblables. Si le 13. de May de l'an 1610. fut une journée de joye pour les François, le lendemain fut tres-funeste par la mort inopinée du grand Henry, qui nous fut ravi prés du Cimetiere Saint Innocent, dans une rue qui tire à bon droit son nom du fer, mais qui devroit l'avoir tiré de l'enfer, puis que ce fut un diable incarné qui osa tremper ses mains parricides dans le sang sacré et inviolable de ce Roy Tres-Chrestien et tres-clement. Cette nouvelle estant apportée au Louvre, on ne peut pas exprimer la douleur dont fut saisie cette jeune Princesse sa fille aisnée. Un Prelat tres-pieux et tres-docte (2) qui prononça l'Oraison funebre dans [594] l'Eglise de Nostre-Dame de Paris, aux pompes funebres de ce grand Monarque, en presence des Princes du Sang, des autres Princes, des Cardinaux, des Evéques, des Ducs et Pairs, et de toutes les Cours Souveraines, rapporte dans son discours l'affliction dont furent saisis la Reine sa veuve, le Roy son fils, et nostre Princesse Madame Elizabet de France sa fille aisnée, en ces termes (4):
Dieu quel spectacle! dites-moy, Messieurs, l'amour qui est, selon Platon, le plus excellent de tous les Peintres, vous le represente-t'il pas comme on le descendoit en son Louvre tout mort? Et comme la plus affligée des femmes sa chere épouse, fondant en larmes, et faisant une dure guerre à ses cheveux et à sa poitrine, mouroit aussi dequoy on l'empeschoit d'aller où estoit le corps de son Seigneur et de son amour, et de mourir avec luy? Voyez-vous pas l'unique esperance de ce Royaume leur fils aisné, à qui le nom de Roy sembloit oster la vie, pour ce qu'il l'asseuroit du trespas de son pere? Mais cette petite esplorée, qui d'une naïfveté enfantine demandoit en sanglotant si JESUS-CHRIST ne pourroit pas ressusciter son pere ainsi que le Lazare, vous transit-elle point le coeur par une si extréme affliction en un aage si innocent, et par la consideration des doux noms du Roy de France et de son aisnée?
La France ayant perdu l'an 1610. son incomparable Henry, l'Espagne l'année suivante fit la perte de sa precieuse Marguerite. Philippe III. ayant fait rendre les honneurs funebres à Lerme à la memoire d'Henry le Grand. La Reine Marie de Toscane estant Regente fit aussi celebrer dans l'Eglise de Paris les obseques de Marguerite Reine d'Espagne. Cosme II. Grand Duc de Toscane, et sa mere l'incomparable Christine, voyans la bonne intelligence qui estoit entre ces deux premieres Couronnes de la Chrestienté, firent par leurs Ambassadeurs qu'ils avoient residens prés de leurs Majestez, et en France et en Espagne les traitez des mariages et des doubles alliances du Roy Tres-Chrestien Louys XIII. avec Anne Infante d'Espagne, et de Philippe Prince de Castille, fils aisné du Roy Catholique Philippe III. avec Madame Elizabet de France, au contentement non seulement du Pape Paul V. et de leurs Majestez, mais aussi de toute la Chrestienté: car ces maria-[595]ges, outre la grandeur des alliances, estoient fort advantageux aux deux Couronnes, parce qu'ils se pouvoient faire par l'eschange reciproque des deux Princesses, et estoient les aages proportionnez; il est vray que le Prince d'Espagne avoit trois ans moins que Madame Elizabet soeur du Roy Louys XIII.
La feue Reine Marie qui estoit lors Regente en France, voulant par une resjouissance publique monstrer le contentement que tous les François en devoient avoir, trouva bon que les Ducs de Guyse et de Nevers (qui depuis a esté Duc de Mantoue et de Montferrat) le Prince de Joinville (à present Duc de Chevreuse) et MM. de Bassompierre et de la Chastaigneraye fussent les Tenans de quelque combat (5).
Soudain aprés la publication du Cartel des Tenans, plusieurs Princes et Seigneurs se preparerent à faire des parties à l'envy des Chevaliers de la Gloire, et firent dix Compagnies ou Escadrilles d'Assaillans sous divers noms, qui firent leurs entrées dans la Place-Royale, les 5. 6. et 7. d'Avril 1612.
Je ne m'arresteray pas à décrire en un eloge les particularitez du Carouzel que plusieurs ont veu, ou qui est décrit par plusieurs de nos Historiens (6): mais ceux qui en desirent sçavoir toutes les pompes et les magnificences doivent avoir recours à la relation qu'en a faite le sieur de Porcheres, Gentil-homme Provençal, par le commandement du feu Roy Louys XIII. et de la Reine Marie sa mere.
Ceux qui ont esté presens à ces pompes Royales, sçavent qu'aprés que les Chevaliers du Lys qui avoient pour Chef Monsieur le Duc de Vandosme, eurent dansé un ballet à cheval si justement, que les hommes et mesmes les chevaux n'y firent pas ny une fausse démarche, ny une cadence hors de son temps, que le sieur de Pluvinel de Daufiné, l'un des plus excellens Escuyers de son temps leur avoit appris, que Monsieur de Sourdiac de la Maison de Rieux, Chevalier des Ordres du Roy, et Mareschal de cette seconde Escadrille des Assaillans, accompagné de ses Escuyers, de ses Pages, et de ses Estaffiers, alla vers le [596] Theatre du Roy, où estant arrivé il mit pied à terre et presenta pour les Chevaliers du Lys des vers à sa Majesté. Aprés il ouvrit un coffret de velous incarnat, doublé de satin, d'où il tira trois presens faits d'or, et enrichis de diamans, dont les 2. premiers estoient pour le Roy et la Reine; et le 3. pour Madame qui estoit un Caducée environné de branches d'olivier, avec la feuille et le fruit; et dessus une Couronne Imperiale, avec ces mots: Concordia rerum.
Le 7. d'Avril 3. jour du Carouzel, l'on vid cinquante deux Chevaliers armez pour courre la bague, que Madame Elizabet de France donna par le commandement de la Reine sa mere.
Monsieur le Prince de Conty Chef des Chevaliers du Soleil, la premiere troupe des Assaillans courut la premiere lance, et puis ceux de son Escadrille chacun une à son rang: les autres firent de mesme, et tous recommencerent aprés en mesme suitte, jusques à trois fois chacun. A la fin la bague fut disputée entre cinq Chevaliers, le Duc de Vandosme, les Comtes de Saint Agnan et de Monravel, les Barons de la Chastaigneraye et de Fontaines Chalandray, tous lesquels eurent chacun de trois courses deux dedans, qui fut cause qu'ils recoururent trois fois, et se trouvans encore égaux, comme par leur avantage ils avoient fait perdre aux autres la pretention sur la bague, par leur égalité propre ils la perdirent eux mesmes, selon les loix de ces courses, qui en pareille rencontre en remettent tout le droit à la Dame qui l'a donnée.
La nuit venue les courses furent remises au 30. d'Avril, auquel Madame redonna la bague par le commandement de la Reine. Les Chevaliers estans entrez ce jour là comme au 7. du mesme mois, le Prince de Conty courut le premier et mit dedans, le Chevalier de Guyse courut aprés luy, et les autres en suitte selon l'ordre qu'ils entrerent. Jamais Chevaliers courans armez, et la visiere baissée n'ont si souvent emporté la bague. On le put juger en ce que sur la fin elle fut en dispute entre le Chevalier de Guyse, le Marquis de la Valette, et le Marquis de Rouillac, lequel l'emporta sur les autres par la derniere lance qu'il courut, [597] ayant eu de six courses cinq dedans. Pource qu'il estoit de l'Escadrille du Prince de Conty, il fut presenté par luy à leurs Majestez et à Madame, dont il receut le prix de sa victoire, à sçavoir une bague de fort grande valeur.
Les nouvelles des magnificences du Carouzel que les François avoient fait à Paris pour ces Royales Alliances, donna le desir au Comte de Lemos Viceroy de Naples, aux Ducs et aux Grands de ce Royaume là de faire un Tournoy ou combat à la barriere, tant pour monstrer la joye qu'ils avoient de ces mariages, que pour faire paroistre qu'en l'adresse des combats, et aux inventions des chariots et des machines qui se representent en telles galanteries, ils ne vouloient pas ceder à aucune nation: ce fut le 13. de May de la mesme année, que les Princes et les Seigneurs Napolitains firent voir leur valeur et leur adresse.
Aprés les pompes du Carouzel la Reine Marie Regente en France envoya Henry de Lorraine Duc de Mayenne et d'Aiguillon en Espagne pour passer le contract de mariage du Roy Louys XIII. son fils, avec l'Infante Anne-Marie Mauricette d'Espagne à present nostre Reine. Et Philippe III. Roy d'Espagne envoya en France Roderic ou Ruy-Gomez Duc de Pastrane, et Prince de Melito de la Maison de Silva (7), fils du renommé Ruy-Gomez de Silva, qui avoit esté si fort en credit prés de son ayeul l'Empereur Charles V. et encor plus prés de son pere le Roy Philippe II. et de la belle Anne de Mendosse (8), de la Cerde (9), Princesse d'Eboli, pour demander Madame Elizabet de France pour le Prince d'Espagne. Il arriva à Paris le 13. jour d'Aoust 1612. Les Ducs de Nevers et de Piney Luxembourg, accompagnez de plus de trois cens Gentils-hommes montez à l'avantage, le furent recevoir de la part de leurs Majestez Tres-Chrestiennes hors le faux-bourg Saint Jaques, et le conduisirent jusques à l'Hostel de Saint Paul. Le Duc de Pastrane estoit monté sur un cheval que le Roy Louys XIII. luy envoya, qui estoit de couleur Isabelle. Le 16. il fut conduit à l'Audience depuis cet Hostel là jusques au Louvre par le Duc de Guyse, qui estoit accompagné de ses freres, et d'une infinité de genereuse Noblesse: Monsieur le Com-[598]te de Soissons le receut au Louvre, à la porte de la salle d'en haut de la part du Roy, et le conduisit jusques à la Galerie où la Majesté l'attendoit.
Aprés avoir salué le Roy et la Reine sa mere, il fut conduit à la chambre de Madame pour luy baiser les mains comme à sa Princesse. Estant arrivé à l'antichambre, Monsieur le Premier, et quatre Maistres d'Hostel qui assistoient Madame le receurent. Elle estoit en sa chambre assise sur une chaire basse, qui estoit sur un tapis de velous cramoisy, de la grandeur du dais qui estoit au dessus, tout le reste de l'emmeublement estoit pareil. Elle estoit vestue d'une robe de satin incarnat brodée d'or à double manche: les manches pendantes couppées à ondes, les manches vestues, et les hauts de manches garnis de pierreries. Elle avoit une croix au devant de sa robe, de la valeur de six vingts mille escus; et au col une chaisne de grosses perles de mille escus la piece. Les Princesses du Sang, et les autres Princesses estoient prés de la Reine mere. La Dame de la Boissiere Comtesse de Lannoy sa Gouvernante estoit derriere sa chaire. Mademoiselle de Vandosme, la Comtesse de la Rochefoucaud, la Marquise de Courtenvaux, et Mademoiselle de Ventadour, estoient à sa main droite: et à sa gauche Madame de Chasteauneuf, la Marquise de Bressieux, la Vidame d'Amiens, les Comtesses de Randan, de Chasteau-villain, et de la Chapelle: les Dames du Massé, et de Blerancourt, et quelques autres.
A l'entrée de la chambre de Madame, le Duc de Pastrane fit une grande reverence; et une autre quand il entra sous le dais: et lors Madame se leva de sa chaire. Estant prés de Madame il fit une troisiesme reverence, et mit le genouil en terre, et Madame luy donna sa main, qu'il baisa à genoux.
L'Ambassadeur ordinaire d'Espagne estant tousjours à genoux, supplia Madame de commander au Duc de Pastrane de se lever, et lors Madame luy dit, Monsieur l'Ambassadeur levez-vous. Et aprés à la priere du mesme Ambassadeur, Madame luy dit; Monsieur l'Ambassadeur couvrez-vous, ce qu'il fit: lors il commença à parler. Aprés qu'il [599] eut achevé ce qu'il avoit à luy dire de la part du Roy et du Prince d'Espagne, Madame luy dit:
Monsieur l'Ambassadeur, je remercie le Roy vostre Maistre, de l'honneur qu'il me fait de m'asseurer par vous de son amitié: et Monsieur le Prince de son affection. J'espere me rendre digne de l'un et de l'autre comme je dois. Si tost que Madame eut achevé sa response, le Duc luy parla de la part de l'Infante, à present nostre Reine: et lors Madame luy dit, Je suis fort contente de sçavoir des nouvelles de l'Infante, desirant ses bonnes graces comme sa bonne soeur.
Aprés le Duc de Pastrane luy presenta tous les Seigneurs Espagnols qui l'accompagnoient, qui furent l'un aprés l'autre luy baiser les mains: l'Ambassadeur ordinaire luy disoit leurs noms et leurs qualitez: les principaux estoient François et Diego de Sylva, freres du Duc: le Comte de Galve, les Marquis de Ladrada, et de Monte-major: Antoine et Pierre Felix de Sylva parens du Duc; Sanche de Leve, Jean Maldonad, Antoine de l'Aguila l'Adelentade del Rio de Plata, Manuel de Menesés, Roderic de Herrera, Alonse de Luna, Gabriel de Chaves, et Ferrand de Leve.
Le Duc ayant fait ses compliments aux Dames qui assistoient Madame, il s'en alla saluer Monsieur frere du Roy à present Duc d'Orleans, et Mesdames qui sont maintenant la Duchesse de Savoye, et la Reine de la Grand'Bretagne.
Le Duc de Pastrane ayant eu sa premiere Audience le 16. du mois d'Aoust 1612. il eut la seconde le 25. du mesme mois feste de Saint Louys. Le Prince de Conty eut ordre de le conduire au Louvre, où estant arrivé, et rendu les honneurs accoustumez au Roy Louys XIII. dans la chambre de sa Majesté, qui estoit accompagnée de la Reine sa mere, de la Reine Marguerite, de Robert Ubaldin Nonce du Pape, et Evéque de Montpulciandu depuis Cardinal Marquis de Botti, Ambassadeur du Grand Duc de Toscane: des Princes et des Princesses du Sang: des autres Princes et Princesses: des Officiers de la Couronne: des Seigneurs et des Dames de la Cour: la Reine Marie Regente en France comman-[600]da à Monsieur de Villeroy de lire les articles du mariage de Madame Elizabet de France, avec Philippe Dominique Victor Prince d'Espagne: ce qu'ayant fait ils furent signez par le Roy, par le Duc de Pastrane Ambassadeur extraordinaire d'Espagne, et par la Reyne; et contre-signez par Antoine Potier sieur de Seaux Secretaire d'Estat, et remis entre les mains du sieur de Villeroy.
Le lendemain la Reine Marguerite donna le bal, la Musique et la collation au Roy, à la Reine sa mere, à Madame, au Duc de Pastrane, et aux Seigneurs de sa suite. Ceux qui eurent l'honneur d'y assister virent quand l'on dansa, que l'Ambassadeur ordinaire d'Espagne ayant supplié la Reyne mere, que Madame Elizabet prit le Duc de Pastrane, et sa Majesté luy ayant accordé, l'un et l'autre l'accompagnerent jusques au bout de la salle, et puis l'ordinaire se retira, aprés que le Duc eut fait en mesme temps que Madame une profonde reverence au Roy et à la Reine, il se tourna vers Madame, et luy fit une si basse reverence, qu'il mit presque le genouil en terre, il ne se bougea point de sa place, jusqu'à ce que Madame eut commencé à danser, puis il la suivit en dansant tousjours teste nue.
Les gaillardes achevées, la Reine commanda à Madame de recommencer un bransle avec le Duc de Pastrane, qui dança avec l'espée et la cappe couvert: mais il ne prit jamais Madame que par le bout de sa manche pendante. Aprés que le bransle fut achevé, il conduisit Madame en sa place, et luy dit, Que c'estoit la derniere fois qu'il esperoit d'avoir l'honneur de danser avec la Princesse d'Espagne sa Maistresse.
Le dernier jour du mesme mois il eut l'Audience de congé, et alla baiser pour la derniere fois les mains à Madame, et sortit de Paris et de la France avec cette satisfaction, d'avoir esté receu du Roy Louis XIII. et de toute sa Cour avec l'honneur qui appartenoit au Roy son Maistre, et au merite particulier de sa personne.
Elizabet de France avant que d'aller en Espagne eut l'honneur d'estre la marraine de sa plus jeune soeur, maintenant Reine d'Angleterre, qui fut baptisée dans le Lou-[601]vre le 15. de Juin de l'an 1614. (10) par Jean Cardinal de Bonzi Evéque de Beziers, et grand Aumosnier de la Reine Marie de Toscane, laquelle eut pour parrain François Cardinal de la Rochefoucaud. Ils la nommerent Henriette-Marie, luy desirant que comme elle portoit le nom du pere et de la mere, elle leur ressemblast en vertu et en sagesse. Quatre mois aprés les ceremonies du Baptéme de la Reine de la Grand'Bretagne, Elizabet de France sa soeur aisnée assista à l'assemblée des Estats dans la salle de Bourbon.
Parmy ces honneurs, et la confusion de tant de diverses choses qui sont inseparables de la Grandeur, elle n'oublioit point les exercices de pieté, et dés aussi tost qu'elle pouvoit desrober quelques heures, elle les employoit dans la conference des Religieuses les plus remarquables en pieté; et son inclination particuliere estoit aux Carmelites, qu'elle a cheries et honorées de son amitié; entre autres la Reverende Mere Magdelaine de saint Joseph, à laquelle elle envoya par Madame de Fargis un doigt de sainte Terese, au mois de Septembre de l'an 1625. pour mettre dans leur Eglise et premier Monastere, et accompagna ce beau present d'une lettre (11).
Le Roy Louys XIII. et la Reine sa mere partirent le 17. d'Aoust 1615. pour le voyage de Guyenne, et Madame Elizabet le lendemain. Le Prevost des Marchans (12), et les Eschevins de la ville de Paris ayans seuls l'honneur d'accompagner les Filles de France quand, elles sortent de Paris pour aller accomplir les promesses de leurs mariages, l'accompagnerent jusques à Mont-rouge, où ils luy dirent le dernier adieu, et luy firent rendre dans la ville les honneurs qui luy estoient deus. Là elle descendit de sa litiere, et entra dans son carosse; puis avec ses Dames, et ceux de sa Maison, elle continua son chemin, pour aller joindre leurs Majestez à Orleans, où s'estans tous rejoints ils marcherent ensemble jusques à Poitiers: là Madame fut malade de la petite verolle jusques à l'extremité; de sorte que l'on douta long temps de sa santé: mais aprés avoir demeuré plus de cinq semaines à Poitiers elle fut parfaitement guerie, de sorte qu'elle en partit avec leurs Majestez [602] sur la fin de Septembre, et prirent le chemin de la poste droit à Bordeaux, où elles arriverent heureusement le 7. d'Octobre.
Le 17. du mesme mois Ignace de Cardenas Ambassadeur d'Espagne, conduit par le Duc de Chevreuse alla demander cette Princesse au Roy et à la Reine sa mere, pour le Prince juré d'Espagne, fils aisné du Roy son Maistre, suivant le traité de leur mariage. Leurs Majestez ayans desja ordonné de tout l'appareil, voulurent satisfaire à cette demande dés le lendemain, dans l'Eglise Cathedrale de Saint André, où Madame fut conduite estant vestue à la Royale, comme le jour d'un Couronnement, la Couronne sur la teste, le manteau Royal de velous cramoisy violet semé de fleurs de lys d'or sans nombre, doublé d'hermines, et une queue de sept aulnes de long, portée par la Princesse de Conty, la Duchesse douairiere de Guyse, et Mademoiselle de Vandosme, à present Duchesse d'Elboeuf.
Devant elle marcherent premierement les cent Suisses du Roy, tous habillez de velous, de satin, et de taffetas blanc, rouge et bleu: les violons vestus de mesme livrée: les cent Gentils-hommes vestus de noir, tenans leur bec de corbin. Douze Herauts ou Rois d'armes vestus de leurs cottes. Les Chevaliers du Saint Esprit, les Mareschaux de France: huit Trompettes, et les quatre Tambours du Roy avec leurs fifres: les Ducs de Raiz et d'Uzez: les Ducs d'Elboeuf et de Chevreuse, l'Ambasssadeur d'Espagne et le Duc de Guyse. Le Roy marchoit aprés tout seul, ayant aux deux costez ses gardes Escossoises. La Reine sa mere, à laquelle la Duchesse de Nevers portoit le bout de son grand voile noir, ayant ses gardes prés d'elle.
Plusieurs Dames de la Cour suivoient Madame, la pluspart vestues fort superbement: Et aprés les Officiers de la Maison, et les Gentils-hommes de la Chambre de leurs Majestez, sans toutesfois tenir rang.
Le Cardinal de Sourdis Archevéque de Bordeaux fit la ceremonie, et celebra en Pontificat, ayant pour Diacre l'Evéque de Rieux, et pour Sousdiacre celuy de Bazas. Le Duc de Guyse estant habillé à l'antique avec la cape et [603] la toque, semées de pierreries de grand prix, eut l'honneur de fiancer et épouser Madame Elizabet de France au nom du Prince d'Espagne, suivant le pouvoir qu'il en avoit eu, datté du 4. Octobre, et accompagné de lettres de cachet de sa Majesté Catholique du 5. de Septembre.
Aprés la celebration de ce mariage, Madame fut en parade le 20. dans la salle de son logis, où elle receut les adieux de ceux qui y voulurent aller. Le Chancelier de Sillery y vint sur les onze heures du matin, accompagné de 8. Conseillers d'Estat qui avoient assisté à la ceremonie de ses épousailles; elle le remercia de fort bonne grace, et leur dit qu'elle n'emportoit de France que le corps, et y laissoit encor son esprit, pour les grandes obligations qu'elle y avoit, et qu'elle ne les oublieroit jamais. Les Princes et les Officiers de la Couronne, et les principaux de la Noblesse en firent de mesme.
L'aprés-disnée elle alla chez la Reine sa mere, où le Roy se rendit, et demeurerent ensemble plus de deux heures. Sur les 8. heures du soir la Reine remena Madame en son logis, et luy dit adieu, où commencerent les pleurs de part et d'autre.
Le 21. elle partit de Bordeaux sous la conduite du Duc de Guyse qui commandoit l'armée du Roy en qualité de Lieutenant General de sa Majesté, laquelle accompagna Madame jusques à une lieue de la ville, où ils prirent congé l'un de l'autre, s'embrassans deux ou trois fois non sans larmes, en presence de la Princesse de Conty, de la douairiere de Guyse, de Mademoiselle de Vandosme, de la Duchesse de Montmorency, des Princes et des Officiers de la Couronne, des Jurats de Bordeaux, et d'une infinité de Noblesse.
Elle arriva à Bayonne le 31. du mesme mois, où elle demeura jusques au 5. de Novembre, qu'elle alla coucher à Saint Jean de Luz, et s'y reposa jusques au 9. qu'elle fut échangée à la serenissime Infante d'Espagne, à present nostre Reine Regente en France.
Les eschanges de ces deux Princesses se firent sur la riviere de Margueri ou de Bidasse prés d'Andaie, aprés que [604] le Duc de Guyse eut fait oster avec generosité aux Espagnols la figure d'un monde et d'une Couronne sur leur pavillon, celuy de France n'ayant pas ce vain ornement. Elizabet de France partit de son logis sur les six heures du soir en litiere, estant vestue d'une robe de toile d'argent en broderie, les Ducs de Guyse, d'Elboeuf, et d'Usez, et le Mareschal de Brissac (qui depuis a esté aussi Duc et Pair) marchoient devant, et aprés elle la Duchesse de Nevers, qui portoit la queue de son manteau, et estoit suivie des Comtesses de Lozun et de Charlus. La Reine s'estoit desja acheminée à l'autre bord, où le Duc d'Eusseda, fils du Duc de Lerme (13) la conduisit, et la Duchesse de Seea portoit la queue de son manteau. Elles entrerent en mesme temps en leurs logis, où elles receurent les bien-venues des Seigneurs Etrangers de part et d'autre. Les premiers des François estoient les trois Ducs et le Mareschal, que j'ay desja nommez, le Marquis de la Valette, le Comte de Grand-mont, les Comtes de Saint Geran, de Tresmes, et le Marquis de Bocard. Les plus grands d'Espagne y estoient, sçavoir les Ducs de Sesse, de Maqueda, de l'Infantade, de Pastrane et de Feria, le Comte d'Olivarez, les Marquis de Pannafiel, de Mirabel et de Gusman. Aprés elles descendirent en leurs basteaux, et se rendirent en mesme temps dans le grand pavillon au milieu de la riviere, où les Ducs de Guyse et d'Usseda, les Duchesses de Nevers et de Seea qui avoient la conduite des Princesses, ayant fait les complimens de part et d'autre, elles s'embrasserent avec des témoignages d'une affection cordiale, et finirent par des paroles de complimens et de recommandations de l'une envers l'autre, pour estre par leurs moyens conservées, la Reine en l'amitié de son pere le Roy Catholique, et Madame Elizabet de France en la bonne grace du Roy Tres-Chrestien son frere.
A peine les deux Princesses s'estoient elles dit adieu l'une à l'autre, qu'elles se virent en un instant conduites à terre, où Apollon et les Muses voulans favoriser ces deux Graces (pendant qu'elles prenoient un peu de repos dans les pavillons) commencerent leur jeu, et l'on entendit aussi tost resonner les rivages du fleuve de Margueri d'une [605] infinité d'instruments, de haut-bois, de violons et de la plus delicieuse musique que l'on eust pû desirer. Puis Mars et Vulcan ne voulans point ceder aux Muses, firent resonner leurs trompettes, et retentir les collines voisines du bruit des tonnerres de l'artillerie qui s'estendit tout du long de cette riviere là, qui ne vit jamais une plus glorieuse flotte sur ses rives, donnant à la France sa Reine, et à l'Espagne sa Princesse, et faisant mentir son destin par l'union des deux Peuples, à la division desquels elle semble estre ordonnée suivant cette rencontre qui fut faite lors par ce Distique qui courut par les mains des curieux.

Qui putat Hesperios amnem sejungere Gallis,

Fallitur, et Gallos jungit et Hesperios.
Je le mets en François en faveur des Dames.
On se trompe, si l'on pense
Qu'elle aille separant et l'Espagne et la France;
C'est un lien precieux
Qui les unit toutes deux.

Apollon, les Muses, Mars et Vulcan, ayans témoigné leurs allegresses aux échanges de ces deux grandes Reines: leurs Majestez entrerent dans leurs litieres, la Reine pour venir à Saint Jean de Luz, et Elizabet Princesse, depuis Reine d'Espagne pour aller à Fontarabie. Le Roy Catholique Philippe III. et son fils le Prince d'Espagne, attendoient avec impatience Elizabet de France à Saint Sebastien, où ils la receurent avec les honneurs deus à une Princesse de sa naissance et de sa beauté.
Le feu Roy d'Espagne estoit party dés le Lundy matin de Fontarabie, et estoit retourné à Saint Sebastien sans dire adieu à nostre Reine l'Infante Anne d'Espagne sa fille aisnée, l'amour paternel n'ayant pû supporter ce dernier effort. Ce Monarque fut consolé voyant arriver la vertueuse Elizabet de France sa belle fille, qu'il a tousjours honorée pour sa vertu jusques au dernier jour de sa vie. Il deceda fort Chrestiennement à Madrid le 31. de Mars de l'an 1621. Quand ce pieux Monarque donna la benediction à ses enfans, il demanda où estoit cette Princesse, l'on dist à sa Majesté qu'elle s'estoit esvanouie deux fois en venant jusques [606] à la porte de sa chambre, comme il estoit vray, et que les Medecins luy avoient defendu d'y entrer; et au contraire ordonné de s'en retourner, de peur de faire tort à sa grossesse de 4. mois. Lors le Roy Philippe III. respondit qu'il avoit bien creu qu'elle l'aimoit autant qu'aucun de ses enfans, et qu'il s'asseuroit qu'elle feroit bien prier Dieu pour luy.
Philippe IV. ayant succedé au Royaume d'Espagne par le decés de son pere Philippe III. Elizabet de France sa femme quitta la qualité de Princesse, pour prendre celle de Reine: mais avant que porter la Couronne de tant de Royaumes, le Ciel l'avoit couronnée Reyne des Vertus qu'elle fit encor plus éclater sur le Throsne Royal, d'où mesme elle les a encore fait paroistre plus loin. Elle a fait honneur aux Peres Coton, Jean Suffren, et Marguestaud de la Compagnie de JESUS, qui ont esté ses Directeurs en sa jeunesse, et à Jean Plantevit de la Pause (14) (à present Evéque de Lodeve) qui a esté son grand Aumosnier, ayant pratiqué exactement toutes les vertus Chrestiennes, entre autres la charité envers Dieu et le prochain. Elle avoit tant de compassion pour les personnes affligées, qu'elle ne les pouvoit voir sans qu'elle compatist à leurs peines: Sa charité estoit si ingenieuse, qu'elle trouvoit des occasions d'assister ceux là mesme qui ne l'en sollicitoient pas; car elle a pris le soin de plusieurs miserables qui demeuroient non seulement à Madrid, à Tolede, et aux autres villes d'Espagne, mais aussi dans les autres Royaumes du Roy son mary, et dans l'une et l'autre Inde. Elle a assisté de ses faveurs et de ses liberalitez les Predicateurs qui alloient porter la lumiere de l'Evangile à ces peuples barbares.
Ceux qui ont voyagé en Espagne et en Italie, sçavent les riches presens qu'elle a faits aux Eglises de Nostre-Dame de Lorette, de Montserrat, de Gadaluppe, de Nostre-Dame du Pilier à Saragosse et aux autres lieux où la tres-Sainte Vierge est honorée, dignes de la pieté de sa Majesté Catholique, et de la petite fille de tant de Rois et de Princes de la Maison de France, dont nous voyons en ce Royaume les marques de leur devotion envers la Mere de Dieu (15).
[607] Tout ce qui touchoit à la Vierge luy estoit precieux, et tous les endroits où elle avoit fait paroistre sa puissance luy sembloient dignes d'une grande veneration.
Les saints sont si estroitement unis à Nostre Seigneur leur Chef, qu'ils n'en peuvent pas estre separez; il veut que nous l'honorions en eux, comme nous les honorons en luy, et il inspire dans l'ame de tous les fideles, un soin particulier de les aymer et de les servir. Elizabet de France Reyne d'Espagne estoit si portée à leur rendre ses devoirs, qu'il n'y en avoit presque point à qui elle n'eust quelque devotion particuliere. Sa pieté envers les plus fervens et les plus fideles serviteurs de Dieu, luy a fait demander et obtenir du Pape Gregoire XV. la Canonization de saint Isidore, Patron de la ville de Madrid: des aints Ignace, et François Xavier de la Compagnie de JESUS: et de sainte Terese, l'honneur et la gloire d'Espagne, et la Fondatrice des Carmelites, et des Carmes deschaussez (à laquelle elle avoit une devotion tres-particuliere) que ce Vicaire de JESUS-CHRIST en terre, canoniza le 12. de Mars de l'an 1622. avec saint Philippe Neri Fondateur de la Vallicelle ou Congregation de l'Oratoire. Thomas de Villeneuve Archevéque de Valence, et Religieux de l'Ordre de saint Augustin: Pierre d'Alcantara Religieux de l'Ordre de saint François, et Confesseur de sainte Terese: et François de Borgia Duc de Gandie, et 3. General de la Compagnie de JESUS, ont receu les honneurs de la Beatification à l'instance de cette Reyne Catholique, qui a aussi demandé et obtenu du Pape Urbain VIII. la canonization de sainte Elizabet d'Arragon Reine de Portugal, que sa Sainteté canoniza le 25. de May de l'an du Jubilé 1625. comme j'ay remarqué aux Chapitres 31. et 33. de la Vie de cette sainte Reine, qui a pour paranymphes plusieurs illustres Ecrivains de ce siecle, entre autres ces 5. doctes Peres de la Compagnie de JESUS, Antoine de Vasconcel, Blaise Freyre de Pinna, Jaques Fuligati (16), Jean Pierre Perpinian, et Louys de Mendosse, et les Religieux de l'Ordre de saint François, Luc Wading et Artus du Monstier, et autres en grand nombre.
Roderic ou Ruy-Gomez Prince de Melito, et Duc de [608] Pastrane Ambassadeur de leurs Majestez Catholiques (duquel j'ay parlé en cette Vie) Antoine Barberin neveu du Pape Urbain VIII. Chevalier de Malte, et Prieur de Rome, maintenant Cardinal, et Michel Suarez Pereira Agent des Portugais porterent la belle banniere où estoit l'Image de sainte Elizabet, depuis l'Eglise de saint Pierre au Vatican, jusques en celle de saint Antoine de Lisbone, dit de Pade, de la nation Portugaise le troisiéme de Juillet de la mesme année, veille de la feste de cette sainte Reine de Portugal, et des Algarbes.
La constance de cette sage et vertueuse Heroïne ne pourroit estre assez louée pour avoir porté avec une patience toute Chrestienne et digne du Ciel, la perte de quatre Infantes, qui sont mortes jeunes, sçavoir Marguerite-Marie: Marguerite-Marie-Chrestienne: Marie-Eugenie: et Marie-Anne-Antoinette; quatre belles Princesses toutes de grande esperance, entre autres Marie-Eugenie qui nâquit au mois de Novembre de l'an 1625. et fut baptisée avec de grandes pompes et ceremonies par le Cardinal Zapata (17), le 7. de Juin feste de la Trinité de l'an 1626. Elle eut pour parrain le Pape Urbain VIII. representé par François Cardinal Barberin son neveu, Legat de sa Sainteté en Espagne, et pour marraine l'Infante Marie, declarée Reine de Hongrie, maintenant Imperatrice: Car lors elle fut promise à Ferdinand Ernest d'Austriche Roy de Hongrie et de Boheme, fils aisné de l'Empereur Ferdinand II. Les pompes du Baptéme de cette Infante, où assisterent le Cardinal Zacheti Nonce du Pape, les Ambassadeurs de l'Empereur, de France et de Venise, et plusieurs Grands d'Espagne, se peuvent voir chez plusieurs Historiens, et quelques uns ont rapporté le Bref qu'Urbain VIII. adressa à cette Reine, dans lequel il l'appelle Princesse tres-heureuse, et tres-Chrestienne.
Elle a fait aussi paroistre sa constance aux grandes pertes que le Roy son mary a faites en Flandre, et aux autres Provinces depuis quelques années: Et mesmes on l'a souvent veue assembler des forces au Roy son mary en ces dernieres guerres: où voyant la reputation de ce Monarque fort [609] ébranlée par ses disgraces, elle regagna si bien le coeur de ses sujets, qu'elle remporta d'eux cet eloge (comme j'ay remarqué dés le commencement de cette Vie) d'avoir joint la courtoisie Françoise à la majesté Espagnole.
Elle a élevé soigneusement ses enfans, Philippe Prince juré d'Espagne, son fils unique, et l'Infante Marie Terese. Elle accoucha à Madrid heureusement du Prince le 17. d'Octobre à 7. heures du matin, de l'an 1629. au grand contentement de tous les Espagnols, qui ne pouvoient par aucun autre remede estre consolez des pertes arrivées aux Pays bas en cette année là: Il a esté baptisé en grande pompe et ceremonie le 4. de Novembre dans l'Eglise Parochiale de saint Jean de Madrid, par le Cardinal Zapata, sur les fonts baptismaux esquels avoit esté baptisé saint Dominique de Gusman, Fondateur de l'Ordre des Prescheurs. Il eut pour parrain son oncle l'Infant Don Carles, et pour marraine sa tante l'Infante Marie Reine de Hongrie (maintenant Imperatrice) qui le nommerent Baltazar-Charles-Dominique-Luc-Philippe, en presence du Nonce du Pape, des Ambassadeurs de France, de Dannemarc, et de Venise, et de plusieurs Grands d'Espagne, comme sçavent ceux qui ont leu les relations qui ont esté imprimées, et que les curieux pourront voir en divers endroits de nos Histoires.
Elizabet de France Reyne d'Espagne tomba malade à Madrid sur la fin du mois de Septembre de l'an 1644. Durant son indisposition elle fit paroistre que telle a esté nostre vie, telle est nostre issue de ce monde, ayant tousjours bien vécu, aussi est-elle morte fort Chrestiennement. On luy demanda le 4. Octobre si elle desiroit communier, estant la feste de saint François, sa Majesté fit cette response, "Si estant en santé j'ay accoustumé de recevoir mon Sauveur, à plus forte raison maintenant que je suis malade", et ayant sceu qu'elle estoit en danger, elle demanda l'Extréme-Onction, et mourut fort doucement le 6. Octobre en sa 42. année, n'ayant laissé que deux enfans vivants. Elle receut les honneurs de la sepulture à la Royale Eglise de l'Escurial. Ainsi est passée de cette vie à l'immortelle la tres-belle Reyne des Castillans; en qui la santé, la bonté, et la beauté ne [610] devoient jamais finir, et avec cette beauté est enfermée dans l'Escurial tout le bon heur des Royaumes d'Espagne. Elle estoit trop vertueuse, trop sage, trop juste, trop modeste, et trop accomplie pour s'arrester davantage dans un siecle, où la vertu est en si peu d'estime. Quatre heures aprés cette mort le Roy d'Espagne y arriva, bien qu'il eust pris la poste à Sarragosse, ville capitale du Royaume d'Arragon, sur le premier avis qu'il receut de sa maladie: Sa Majesté Catholique témoignant que le desplaisir qu'il avoit de cette mort estoit encor accreu par celuy d'en avoir esté adverty si tard; de sorte qu'il ne pût pas luy rendre les derniers devoirs. Aussi l'Espagne peut dire qu'il y a long temps qu'elle n'a fait une plus grande perte; cette Princesse n'ayant jamais rien eu que de genereux, et digne de son coeur Royal. Ce qu'elle a fait voir en plusieurs actions de sa vie, et en sa belle fin digne d'une Princesse du Sang adorable de saint Louys, le plus Saint de tous les Monarques du monde. Car cette Fille de France et Reyne d'Espagne, comme un roc immobile regardoit la mort sans frayeur, ainsi que le feu Roy Louys XIII. dit le Juste son frere aisné, qui deceda le 14. de May 1643. en sa Royale Maison de Saint Germain en Laye.
Elle receut devotement avec une demonstration de foy vive le tres-saint Viatique, et demanda avec humilité, et par plusieurs fois l'Extréme-Onction, laquelle aussi elle receut avec une grande tranquillité d'esprit.
Je ne me puis empescher, qu'en cet endroit je ne blasme ceux qui ne peuvent pas endurer qu'on les advertisse en leurs maladies de se munir de ces Saints Sacremens. Est-il possible que des esprits bien faits, des ames Chrestiennes, des gens que l'on estime et d'honneur et de bien entrent en ces resveries? Qu'est-ce que tu crains, ô pauvre creature? est-ce la mort, ou le rigoureux jugement de ton Dieu? c'est pour cela, pauvre homme, que tu te dois munir du moyen de paroistre devant celuy-cy avec une grande confiance, et de venir aux prises avec celle-là en bon Chrestien. Tu crains, et cependant tu ne te veux pas armer. Tu refuse ton secours, et tu te mets en danger de te don-[611]ner en proye aux Demons. Mais tu diras, je n'y suis pas preparé. Helas! toute ta vie t'a esté donnée pour te preparer à cela. Quoy? quand il faut combattre l'ennemy, vas-tu chercher tes armes? Employe bien ce peu d'heures qui te restent, je te prie, puisque la mort est le moment duquel depend l'Eternité. Au nom de Dieu, ô Chrestien, fais de toy sans te flater un juste jugement. Tes douleurs s'accroistront, tes forces se debiliteront, tes apprehensions t'assassineront, les diables te tenteront, tes pechez te desespereront, tout ce que tu aymes te delaissera, ta veue se troublera, ton ouye s'endurcira, ta langue begayera, et ton cerveau se renversera, durant que tu dis que tu te veux preparer à la confession. Au bout que sera-ce de toy? Confesse je te prie, confesse-toy hardiment; car le delay de la Confession met en compromis ton salut, en danger la vie de ton ame, et en confusion tout ce qui est de toy. Mais crains-tu de mourir pour estre confessé? cela avancera-t'il ton heure? un moment de ta vie en sera-t'il pour cela diminué? On se moquera, dit l'autre, de moy, et l'on dira que j'ay peur de la mort. Et bien, tu serois bien stupide et bien brutal de n'avoir point de peur, puisque c'est le terrible des terribles. Mais si tu ne crains la mort, es-tu pas obligé à craindre ce qui la suit? Tu dois donc avoir autant de raison de ne t'armer point quand tu vas au combat, de peur qu'on ne die que tu crains l'ennemy? Ce sera donc poltronnerie de se retrancher et se couvrir de terre, et on n'osera pas se garantir des coups? Certes c'est un aveuglement nompareil. Voy comme tu te trompes. Tu perds, ne te confessant pas, la reputation d'estre bon et devot Chrestien; tu fais croire que tu n'as pas la Foy, tu fais douter de ta probité: car on juge qu'en tes confessions passées tu ne t'es pas acquité de ton devoir, et que tu as quelque peché enorme que tu garde à dessein dans ton ame. Tu fais juger enfin ou que tu resve desja, ou que tu n'as pas bonne conscience. En effet tu cours fortune de perdre ton honneur, et ton ame, et d'acquerir pour jamais l'enfer. Ostons cet abus, ouvrons les yeux pour le moins comme font les [612] taupes à l'heure de la mort, et que les Medecins, selon que leur devoir les oblige, doivent advertir le malade de bonne heure. Mais au nom de Dieu ne nous faisons plus piquer en ce passage icy comme les chevaux retifs. Imitons nostre Roy Louys le Juste, et Elizabet Reyne d'Espagne sa soeur, qui s'y sont portez si courageusement et si Chrestiennement, et pourvoyons de bonne heure à nostre salut.
L'on n'a pas seulement rendu aux Eglises de Madrid, et en celle de l'Escurial, et és autres Eglises d'Espagne les derniers honneurs à la memoire de cette tres-vertueuse Reyne; mais aussi en France, où la Reyne Regente a fait celebrer des pompes funebres dans l'Eglise de Nostre-Dame de Paris le 5. de Decembre 1644. où son Oraison funebre fut prononcée par Jean Cohon Evéque de Nismes, et maintenant de Dol en Bretagne, en presence des Cours Souveraines.
Les Napolitains n'ont celebré ses obseques que le 20. de Mars 1645. dans sainte Claire, où l'Amirant de Castille Viceroy de ce Royaume là se rendit avec une belle Cavalcade: en laquelle le Marquis de Cassano portoit sur la teste la Couronne, et le Regent Capece Galeotto tenoit en main le globe: le sieur Altieri Nonce du Pape, assisté de 24. Evéques celebra la Messe, et l'Archevéque de Brindisi y fit l'Oraison funebre, en presence du Cardinal de sainte Cecile, et du Connestable Colomne. Depuis on luy a rendu les derniers honneurs à Rome, en l'Eglise de saint Jaques des Espagnols, où on luy erigea un monument accompagné de 16. statues qui representoient les vertus de cette Reyne, et un Pere Jesuite prononça l'Oraison funebre en sa memoire.

(1) France, blazonné és pages I. et 437.
(2) Espagne et Castille en l'Eloge d'Elizabet de Castille Reine d'Espagne.
(3) Longue-joye, de gueules à 3. pommes de pin d'or, 2. et I.
(4) Philippe Cospean Evéque d'Aire, à present de Lizieux.
(5) Barthelemy Grammont, le Grain, et du Pleix se sont mépris faisans venir les Ambassadeurs pour les mariages devant le Carouzel.
(6) Jean Baptiste le Grain au livre I. de la Decade de Louys le Juste. Claude Bernard en son Histoire du Roy Louys XIII. L'Autheur du Mercure François en son 2. Tome. Le Continuateur de Jean de Serres. Honoré Laugier de Porcheres en son livre intitulé le Camp de la Place Royale. Chastillon, et du Val.
(7) Silva blazonné page 181. en la vie de Beatrix de Silva.
(8) Mendoça de l'Infantago, écartelé en sautoir, le chef et la pointe de sinople, à la bande d'or surchargée d'une autre bande ou cottice de gueules. Les flancs d'or aux paroles de l'Ange Gabriel, mises en orle en lettres d'azur, Ave Maria à dextre, et gratia plena à senestre.
(9)La Cerda, écartelé au I. et 4. de Castille, party de Leon, au 2. et 3. de France.
(10) Mr le Duc d'Orleans fut baptisé le mesme jour.
(11) La lettre d'Elizabet Reyne d'Espagne se voit au chapitre 18. du livre 2. de la vie de la Mere Magdelaine de saint Joseph.
(12) Mr le President Miron estoit lors Prevost des Marchans.
(13) Le Duc de Lerme avoit esté destiné à cette action, mais estant indisposé il n'y pût pas assister. L'on tient que son indisposition n'estoit pas si grande, que le desir qu'il avoit de faire paroistre son fils en une charge si honorable.
(14)Plantevit la Pause, écartelé au I. et 4. d'azur à l'Arche de Noé d'or: au 2. et 3. de gueules à trois fleurs de lys d'argent.
(15) B. Quintana en son livre des grandeurs de Madrid, et Gonzales d'Avila aux Antiquitez de la méme ville, louent cette Reine, et ce dernier met son portrait dans une medaille avec le Roy Philippe IV.
(16) Le pere Fuligati a dedié la vie de sainte Isabelle de Portugal à la Reyne Elizabet.
(17) Zapata, de gueules à 5. brodequins à l'antique eschiquetez de sable et d'argent, et posez en sautoir.

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