Médée

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Médée
Biographie
Naissance Époque de la Guerre de Troie
Région d'origine La Colchide
Dénomination(s) Médée
Medée
Medea
Conjoint(s) Jason puis Égée
Activités
Domaines de notoriété Personnage de théâtre antique




Sources antiques principales

Fille du roi de Colchide, petite-fille du Soleil, parfois présentée comme la nièce de Circé, Médée est une figure ancienne de la mythologie (Hésiode, Théogonie, v. 956). Associée à des faits violents et dotée de pouvoirs magiques, elle intervient dans plusieurs histoires. Son rôle principal est indissociable de Jason (Apollonios de Rhodes, Les Argonautiques), le fils d’Aéson, qu’elle aide à conquérir la toison d’or, à recouvrer le trône de Iolcos en éliminant l’imposteur Pélias et qu’elle abandonne ensuite à Corinthe après avoir tué sa rivale, la fille du roi, et son père Créon. Elle est également associée à Égée auprès duquel elle trouve refuge en quittant Corinthe, mais ce répit n’est pas durable car elle est également chassée d’Athènes pour avoir tenté de tuer Thésée, le fils du roi. Le personnage figure dans des récits ainsi que des tragédies. Les crimes de Médée semblent particulièrement subversifs : ses victimes sont toujours des hommes, objet direct de sa vengeance ou simple moyen en vue d’une fin, et les moyens utilisés aussi variés que cruels. Deux cas retiennent tout particulièrement l’attention : Pélias dépecé et cuit par ses filles convaincues de le rajeunir à la suite du mensonge de la magicienne et Absyrtos démembré par sa propre sœur afin de ralentir leur père qui, poursuivant les voleurs de la toison d’or, s’arrête pour en recueillir les morceaux. La tragédie d’Euripide (Médée) constitue une rupture majeure dans la réception de la magicienne en ajoutant à la liste des crimes un forfait encore plus scandaleux que tous les autres : Médée tue ses propres enfants. Ce crime fait d’elle un personnage terrifiant mais aussi remarquable et contribue durablement à la fortune littéraire, et surtout théâtrale (qu’on pense à Sénèque et à ses émules), du personnage antique. Magicienne, amoureuse, meurtrière, Médée est une figure complexe qui inspire les poètes antiques (Ovide, en particulier : Héroïdes, VI et XII ; Métamorphoses, VII, 1-424 et une tragédie perdue) et suscite la curiosité des savants qui s’interrogent sur la psyché de cette criminelle paradoxale qui tue ceux qu’elle aime (Chrysippe, Galien).


Article de Zoé Schweitzer (2022)

Parmi les nombreuses figures de criminel(le)s de la mythologie et de la tragédie antique, Médée est atypique. D’une part, elle est l’autrice de crimes d’une violence inouïe, tant par le nombre et la nature de ses forfaits (fratricide, régicide, infanticide), que par sa détermination à les perpétrer. L’impunité dont bénéficie la criminelle achève de la singulariser. Médée est le « plus horrible exemple de cruauté qui se trouve en toutes les Histoires des Anciens » (« Medea, saevissimum veteris perfidie documentum », Boccace, De claris mulieribus [1362], ch. XVII « De Medea regine Colcorum »). Et pourtant, dans les tragédies antiques où Jason est un ingrat et Créon un roi injuste, elle apparaît aussi comme pitoyable. D’autre part, l’infanticide a été inventé par un poète tragique ce qui fait de Médée est un mythe littéraire, c’est-à-dire advenu en littérature. Cette singularité explique que Médée intéresse la fiction et en particulier le genre tragique. Ses crimes provoquent des émotions violentes, conformément à ce que recommande Aristote dans La Poétique, et soulèvent des questions théoriques tant l’infanticide est difficilement représentable, comme le souligne Horace dans l’Art poétique (v. 185-188). C’est pourquoi le personnage de Médée et l’épisode corinthien que représentent les tragiques depuis Euripide constituent un exemple récurrent dans les poétiques dramatiques, en particulier lorsqu’il est question de vraisemblance et de spectaculaire, deux notions cruciales pour la poétique d’inspiration aristotélicienne qui domine en France et en Italie dès le XVIIe siècle. Paroxystique sur la scène, la violence de Médée excède le champ du théâtre. Elle suscite l’intérêt dans des domaines aussi divers que la médecine, la politique, la démonologie ou la querelle des sexes : le scandale provoqué par le personnage de Médée déborde la scène tragique parce que ses crimes mettent en jeu des questions politiques (que peut la puissance royale ? quelle résistance opposer à l’ennemi ? quelle violence est légitime ?) ou les représentations de son sexe : avec Médée, la fille, la sœur, l’épouse et la mère sont toutes criminelles et aucun lien du lignage ne demeure. Par sa violence paroxystique, le personnage devient un exemplum inséré dans un discours descriptif ou argumentatif dont les enjeux sont éminemment variables. Défendue par Christine de Pisan et condamnée par Boccace, louée pour son savoir par Henri Corneille Agrippa et critiquée pour sa méchanceté par Olivier (Alphabet de l’imperfection et malice des femmes, 1617), Médée sert les misogynes et les philogynes. De la Renaissance italienne à la fin du XVIIe siècle, deux attitudes coexistent dans les traités : pour les uns, Médée est un monstre coupable ; pour les autres, elle est la victime de son mari. Dans tous les cas ce personnage de mère infanticide est mu par une passion dévorante à lire les recueils d’histoires tragiques (Bandello, Boaistuau, Rosset) ou encore Les Spectacles d’horreur de Camus en 1630. Par son ambiguïté, le personnage de la mère infanticide se trouve ainsi au cœur d’un débat sur les vertus et les vices féminins mais aussi sur les prérogatives de son sexe. Au XVIIIe siècle, la fortune prodigieuse de la maternité provoque un changement dans la conception des femmes qui se répercute sur la représentation de Médée : on remarque que dans les réécritures de cette époque l’héroïne est le plus souvent une mère égarée par la douleur amoureuse. Paradigme de la violence, victime emblématique de la tyrannie masculine ou illustration de la puissance des passions, Médée permet de réfléchir à l’identité féminine. La recension des œuvres mentionnant Médée dans leur titre ne doit pas masquer l’extraordinaire plasticité du personnage car les auteurs adaptent au goût de leurs contemporains cette mère infanticide et cette femme violente, motivant différemment ses crimes et édulcorant ou accentuant la cruauté de son caractère en fonction des époques. Cruelle chez La Péruse (1556) et Galladei (1558), soucieuse du droit chez Corneille (1639) mais égarée chez Longepierre (1694), Médée est franchement sensible chez Clément (1779) fût-ce jusqu’à l’hallucination comme chez Glover (1761) ou à l’innocence (Johnson, 1731). Le XVIIIe siècle est une période particulièrement intéressante pour ce personnage. Pour la plupart des doctes, le sujet de Médée ne convient plus à la tragédie car il ouvre inévitablement deux voies impossibles : soit l’on représente une Médée coupable et l’intérêt se porte sur une criminelle, ce qui va contre la moralisation nécessaire de la fable tragique, soit l’on représente une Médée innocente et l’intérêt même du sujet disparaît, comme le souligne Coupé, qui traduit la Médée de Sénèque en 1795. Pourtant, on joue davantage Médée au XVIIIe siècle qu’aux siècles précédents, notamment parce que la hantise de l’infanticide et l’exacerbation de la maternité sont à leur comble. Nombre d’anecdotes de cette époque soulignent toutefois que l’actrice fait le succès de la représentation, bien plus que la pièce, et ainsi Mlle Clairon choisit-elle de se faire représenter dans ce rôle par Van Loo (1759). Dans ce domaine également, le personnage est vecteur d’une réflexion théorique : ce rôle cristallise le débat sur la notion d’imitation et exacerbe ce qui fait le propre du plaisir tragique. Magicienne et amoureuse, Médée trouve logiquement sa place dans les opéras, italiens d’abord puis français et allemands, tant le genre est amateur d’effets spectaculaires et de figures passionnées, mais c’est au prix le plus souvent, exception faite de Thomas Corneille (musique de Charpentier, 1695), Gotter (musique de Benda, 1775) ou Hoffman (musique de Cherubini, 1797) d’une modification de l’épisode mythologique choisi : Médée ne se trouve plus à Corinthe mais en Colchide (Cicognini, musique de Cavalli, 1649 ; Rousseau, 1696 ; Palazzi, 1726) ou à Athènes (Quinault, musique de Lully, 1675 ; Aureli, 1676) et l’ensorceleuse a supplanté la criminelle sanglante. Cette fortune, constante depuis la première modernité, ne s’arrête pas à l’époque moderne loin s’en faut et le XXe siècle est particulièrement riche de Médée, en particulier pour la scène (Hans Henny Jahnn, 1927 ; José Bergamín, 1954 ; Dario Fo et Franca Rame, 1976 ; Max Rouquette, 1992), mais aussi l’opéra ou le cinéma. Aujourd’hui comme naguère, Médée polarise les jugements éthiques et politiques : vectrice d’un discours anticolonial (Pier Paolo Pasolini, 1969 ; Heiner Müller, 1982), elle est encore parfois la caution d’un propos misogyne et réactionnaire (Jean Anouilh, 1946). Il est remarquable combien Médée intéresse ces dernières décennies les autrices, de théâtre (par exemple Dea Loher, Manhattan Medea, 1999 ou Sarah Stridsberg, Medealand, 2009), mais aussi de roman, qu’on pense à Ludmila Oulitskaïa (1996) ou bien encore à Christa Wolf (1996) dont le but explicite est de rédimer la Colchidienne en l’innocentant de l’infanticide, conçu par un tyran, accompli par des hommes déchaînés et diffusé par un dramaturge grec complice, Euripide.


Bibliographie sélective

BERRA, Aurélien, CUNY-LE CALLET, Blandine et GUÉRIN, Charles (éd.), Cahiers du théâtre antique. Cahiers du GITA – « Médée. Versions et interprétations d’un mythe. », n°20, nouvelle série n°2, 2016. CHARPENTIER, Françoise, « Médée, figure de la passion. D’Euripide à l’âge classique » dans Prémices et floraison de l’Âge classique. Mélanges en l’honneur de Jean Jehasse, dir. Bernard Yon, Saint-Étienne, Publications de l’Université Saint-Étienne, Institut Claude Longeon, 1995, p. 388-402. CLAUSS, James J., JOHNSTON, Sarah Iles (éd.), Essays on Medea in Myth, Literature, Philosophy, and Art, Princeton, Princeton University Press, 1997. HALL, Edith, MACINTOSH, Fiona et TAPLIN, Olivier (éd.), Medea in Performance 1500-2000, Oxford, Oxford University Press, Legenda, 2000. LECERCLE, François, « Médée, la volupté d’un geste lent », dans La Maladie sexuelle – Le Fait de l’analyse, Paris, Autrement, n°8, printemps 2000, p. 213-232. MENU Michel (dir.), Médée et la violence. Colloque international organisé à l’Université de Toulouse-Le Mirail les 28, 29 et 30 mars 1996 à l’initiative du C.R.A.T.A., Pallas, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1996. MOREAU, Alain, Le Mythe de Jason et Médée. Le Va nu-pied et la Sorcière, Paris, Les Belles Lettres, Vérité des mythes, 1994. NISSIM, Liana, PREDA, Alessandra (éd.), Magia, Gelosia, Vendetta. Il Mito de Medea nelle lettere francesi. Gargnano del Garda (8 – 11 giugno 2005), Milan, Cisalpino, Università degli Studi di Milano, Facoltà di lettere e filosofia, Quaderni di Acme, 2006. PIGEAUD, Jackie, La Maladie de l’âme. Étude sur la relation de l’âme et du corps dans la tradition médico-philosophique antique, Paris, Les Belles Lettres, Études anciennes, 1989 [1981]. SCHWEITZER, Zoé, « Les figures de Médée et de Cornélie dans les ouvrages de la Querelle : hypothèses sur le rôle de la maternité dans l’élaboration d’une identité féminine », dans Revisiter la « querelle des femmes ». Discours sur l’égalité/inégalité des sexes, de 1600 à 1750, dir. D. Haase-Dubosc et M.-E. Henneau, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2013, p. 179-192. SCHWEITZER, Zoé, « Sexualité et questions de genre dans les Médée renaissantes et classiques », revue électronique Silène, 2007 (www.revue-silene.com) : [1]

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