Catherine-Marie d'Escoubleau de Sourdis/Hilarion de Coste

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[I,341] CATERINE-MARIE D'ESCOUBLEAU DE SOURDIS (1), Comtesse de Tonnerre et de Clermont.

L'APPANAGE de la vertu, selon le Philosophe, est l'honneur et la reputation. Quoy que cette Comtesse ait témoigné, tant en sa vie qu'en sa mort, avoir à mespris les honneurs et les louanges: neantmoins sa vertu et sa pieté m'obligent à luy consacrer un Eloge, dans ce livre des Dames Illustres.
Cette vertueuse Dame, de laquelle le nom sera à jamais venerable parmy ceux qui ont eu ce bon-heur d'admirer ses perfections et ses merites, estoit fille de François d'Escoubleau Seigneur de Sourdis, de Jouy en Jozas, Marquis d'Alluye, Comte de la Chapelle Bellouin, Chevalier des deux Ordres de nos Rois, et Gouverneur de Chartres, et d'Izabel [342] Babou, de la Maison de la Bourdaisiere sa femme (2). Elle nasquit l'an 1580. et estant parvenue en aage nubile, elle fut mariée à Charles-Henry Comte de Clermont et de Tonnerre, Vicomte de Talard, premier Baron de Daufiné, Marquis de Crusy, Baron d'Ancy le Franc, Lieutenant general du Roy en Bourgongne, et Bailly d'Auxerre, fils d'Henry de Clermont, Vicomte de Talard, et de Diane de la Marck, veuve de Jacques de Cleves Duc de Nevers. La Maison de la Marck est l'une des plus illustres et plus anciennes Maisons d'Allemagne, laquelle a respandu ses branches en nostre France. Celle de Clermont est une des plus nobles et anciennes de Daufiné et de Naples: car de cette Maison sont issus ceux de Besignan à Naples, et de Clermont en Sicile, comme Mainfroy et André et Clermont son fils Duc de Modica, et sa fille Constance, premiere femme de Ladislas Roy de Sicile et de Hongrie, de laquelle nous avons parlé en l'Eloge de la Duchesse de Raiz. Ceux de cette Maison là portent la qualité de premiers Barons de Daufiné, alliez par les femmes aux Maisons de France, de Guyse, et de Cleves, à celles des Comtes de Flandre, de la Marche, de Rohan, de la Trimouille, et de la Rochefoucaud. Caterine Marie d'Escoubleau, issue de la Maison de Sourdis en Poictou, et de celles d'Alluye, et de la Bourdaisiere, a eu de Monsieur le Comte son mary, Chevalier des Ordres du Roy, descendu des illustres Maisons de Clermont, de Tonnerre, et de la Marck ou de Bouillon, 12. enfans, dont 4. sont decedez en jeunesse, les autres sont cinq fils et trois filles. L'aisné des fils, François Comte de Clermont, qui a épousé la veuve d'Urbain de Crequy (3) Seigneur de Rissé. Roger de Clermont Marquis de Crusy. Charles de Clermont cy-devant Abbé de Saint Martin, à present Duc de Luxembourg, ayant épousé Charlote-Marguerite Duchesse de Luxembourg et de Piney, veuve de Leon d'Albert, Seigneur de Brantes, Chevalier des Ordres du Roy, frere du Duc de Luynes Connestable de France, et Duc de Chaunes premier Mareschal de France, fille aisnée d'Henry Duc de Luxembourg, Pair de France, et de Magdelaine de Montmorency, Dame de Thoré, et soeur de Liesse de Luxembourg, Duchesse de [343] Vantadour, à present Religieuse Carmelite. Henry de Clermont Chevalier de Malte: Antoine de Clermont auparavant Abbé de Blazimond. L'aisnée des filles Izabelle de Clermont, mariée à Jaques de Beauvau Seigneur du Rivau, Baron de saint Gassien: les deux autres sont Religieuses, l'une à Saint Paul de Beauvais, l'autre à Avenay: tous lesquels enfans elle a eslevez en leurs tendres années aux bonnes moeurs, ayant tous les jours de sa vie chery et aimé la vertu et la pieté, de sorte qu'on peut dire sans flaterie de cette sage et vertueuse Dame,

Qu'elle ne fut jamais divertie

Par les plaisirs de cette vie:
Mais blasmant l'impure licence
Des moins honorables humeurs,
Elle ayma tousjours l'innocence
Et prit plaisir aux bonnes moeurs (4).

La probité, la pieté, la modestie, la chasteté, l'humilité, et la charité, ont esté les vertus qui l'ont rendue plus recommandable. On ne sçauroit assez la louer pour sa charité et sa pieté, tant envers Dieu qu'envers le prochain. Sa devotion au tres-auguste Sacrement de l'Autel, parut à la louable despense qu'elle a faite de donner à plusieurs Eglises de ses terres qui ne s'estoient encor peu relever des guerres passées, un Ciboire ou couppe d'argent pour le reposer. Pour la devotion qu'elle avoit à cette relique des reliques, elle a donné plusieurs paremens et ornemens à diverses Eglises et Monasteres, pour servir à la devotion des Autels et des Oratoires. Entre les Eglises et les maisons de Religion qu'elle a basties et fondées avec Monsieur le Comte son mary, celle des Minimes de Tonnerre est tres-belle et tres-magnifique, comme remarque fort bien Claude Robert nostre intime amy, personnage grandement versé en l'Histoire Ecclesiastique, en son beau et docte livre de la France Chrestienne, au catalogue des Evéques de Langres, ce Convent estant dans ce Diocese là.
Caterine-Marie Comtesse de Tonnerre, aprés avoir vacqué à l'Oraison et au service de la divine Majesté, entendant chaque jour deux Messes, s'adonnoit aux oeuvres de miseri-[344]corde envers le prochain; ses visites les plus frequentes et ordinaires estoient les Hospitaux ou les maisons des malades; ses plaisirs et son contentement estoient de voir tous les jours les pauvres malades de l'Hostel-Dieu de Tonnerre, et les autres, leur faisoit donner non seulement ce qui leur estoit necessaire pour la santé de leurs corps, mais aussi pour la sainteté de leurs ames.
La charitable Caterine ne pouvoit pas souffrir de pauvres inutiles à gagner leur vie ou par maladie ou par caducité de vieillesse dans son Marquisat de Crusy, ny dans ses Comtez de Tonnerre et de Clermont, sans les nourrir mesme et les revestir.
Les prisonniers ont ressenty ses liberalitez, les ayant souvent delivrez de leurs miseres selon ses moyens. L'on recogneut à sa mort qu'elle donnoit reglement aux pauvres honteux et autres necessiteux, tous les ans la dixiesme partie de son revenu, sans plusieurs autres aumosnes et largesses particulieres qu'elle faisoit extraordinairement.
Les vivans n'ont pas ressenty seuls les effects de la charitable liberalité de Caterine-Marie Comtesse de Tonnerre, mais aussi les defuncts, ayant eu un soin particulier de faire prier Dieu, et celebrer des Messes pour le repos des ames de Purgatoire: ainsi que nous lisons de plusieurs grandes Dames et Princesses, entre autres de sainte Elizabet de Hongrie, femme de Louys Landgrave de Turinge et de Hesse, mere de deux vertueuses Princesses, Sofie Duchesse de Brabant (5), et Gertrude Abbesse d'Aldenbourg, au Diocese de Treves, et d'un fils unique Herman de Turinge decedé en jeunesse; de sainte Elizabet d'Arragon Reine de Portugal; et en ces derniers temps de la Reine Jeanne de France, Fondatrice de l'Ordre de l'Annonciade ou des dix Vertus de la Vierge; et en nos jours de Marguerite d'Austriche Reine d'Espagne, mere de la Reine.
Cette Comtesse devote, non contente d'employer ses biens pour la delivrance des ames des defuncts; elle mesme, sans avoir esgard à la grandeur en laquelle sa naissance et son mariage l'avoient eslevée, ensevelissoit les morts de ses propres mains, à l'exemple de Tobie tant loué dans les saintes [345] Pages pour cette charité, comme aussi nostre saint Roy Louys IX. pere de tous les Rois qui ont porté la Couronne tres-Chrestienne, saint Usvard Roy d'Angleterre, et ces devotes Dames les Tabites, les Eudoxies, les Pulcheries, les Moniques, les Blanches, les Izabelles, les Jeannes, et les Constances, celebres et renommées pour ce sujet dans les Histoires Ecclesiastiques, desquelles le nom est en respect et en veneration parmy les gens de bien. Car la memoire des justes sera en benediction; et le renom des meschans pourrira: comme nous apprend le plus sage des Rois et de tous les mortels en ses Proverbes. Un jour cette Dame charitable fit une action heroïque, en laquelle elle fit paroistre sa charité et son humilité: action veritablement digne d'estre écrite en lettres d'or et d'azur, pour estre exposée à la veue de la posterité.
Un homme tout ulceré revenant de sainte Rene, mourut à Ancy le Franc: la puanteur de ses playes et de ses ulceres estoit telle, que personne n'en osoit approcher, ceux là mesme qui font tout pour l'argent refuserent de l'ensevelir. La pieuse Caterine, quoy que foible de complexion et fort delicate luy rendit les derniers devoirs, aprés avoir mis du coton trempé dans du vinaigre, pour mieux supporter la puanteur des ulceres et des ordures, et manier les membres pourris de ce pauvre miserable qui estoient tous défigurez. Par cette genereuse action que j'ay choisie entre plusieurs autres, Caterine Comtesse de Tonnerre fit voir combien elle avoit à mépris les grandeurs et les delices perissables et passageres de la terre, et l'amour qu'elle portoit à JESUS-CHRIST et à ses membres qui sont les pauvres, ausquels l'honneur qu'on leur porte, et le bien qu'on leur fait, JESUS-CHRIST le repute fait à soy-mesme, lequel a dit, Ce que vous ferez au moindre de mes serviteurs, vous le ferez à moy-mesme. Il n'y a rien de si riche que ceux qui servent ou donnent l'aumosne de bon coeur aux pauvres pour l'amour de JESUS-CHRIST. Il est bien vray que cecy est un paradoxe dans l'école du monde, mais dans celle de la verité et de Dieu, c'est une verité plus asseurée que n'est pas qu'il fait jour à midy. Car le Ciel et la terre manqueront plustost que la parole de Nostre Seigneur qui est la voye, la vie, et la verité méme. Le Pape saint Agapit [346] écrivant à l'Empereur Justinien, dit un grand mot sur ce sujet, Sire, si vous voulez estre un grand Monarque, donnez de bon coeur l'aumosne aux pauvres, qui couvre les pauvres de sa robe, et qui se pare de l'escarlate de la charité envers les pauvres, sera participant de la gloire eternelle.
La charité de cette vertueuse Dame envers les pauvres, m'a contraint de faire cette digression, laquelle tous les jours de sa vie a esté l'advocate des pauvres orphelins, la protectrice des veuves, et la grande aumosniere des calamiteux, ainsi que feu le Cardinal de Sourdis Archevéque de Bordeaux son frere, lequel a esté l'un des plus charitables Prelats de ce siecle, et le pere des pauvres de son Diocese.
Ce fut le 7. de Janvier, le lendemain de la feste des Rois de l'an 1615. que la charitable et vertueuse Caterine d'Escoubleau de Sourdis Comtesse de Tonnerre et de Clermont, passa de cette vie à l'autre, aprés avoir donné plusieurs exemples de foy, d'humilité, de pieté, et de toutes les autres vertus Chrestiennes qui embellissoient son ame, s'estant mise dans un si grand aneantissement d'elle-mesme, qu'elle voulut et ordonna estre enterrée sans pompe et ceremonie, et defendit expressément qu'on ne luy fit aucune Oraison funebre; ce qui fut suivy, comme venant d'une personne entierement resignée à Dieu, et exempte de toute vanité.
Caterine-Marie Comtesse de Clermont et de Tonnerre, n'avoit point d'autre devise que celle de l'illustre et ancienne Maison de Clermont Tallard, à laquelle elle estoit alliée, qui est un saint Pierre tenant deux clefs à la main, et ces mots Latins, SI OMNES, EGO NON, bien que tous, non pas moy. Pour laquelle expliquer il faut sçavoir que les Papes ont concedé aux Seigneurs de Clermont ou de Besignan, pour les signalez services rendus par ceux de cette Maison au saint siege Apostolique, de porter en leurs armes deux clefs d'argent en sautoir, en champ de gueules; depuis le Pape Boniface VIII. de la Maison des Cajetans, pour honorer cette illustre famille, qui avoit tousjours continué de servir sa Sainteté et ses predecesseurs, leur donna permission de mettre sur le timbre de leurs armes, le regne ou la thiare chargée de trois couronnes, à la forme que les Papes la portent; à condition [347] que les aisnez, et le Chef des armes de Clermont seroit tenu quand il luy baiseroit les pieds, et à ses successeurs, de dire tout haut à sa Sainteté:

SI OMNES TE NEGAVERINT, EGO NUMQUAM TE NEGABO:

Encore bien que tous vous nient, moy jamais je ne vous nieray.

Ceux qui ont parfaite connoissance des Maisons illustres, tiennent que ce n'a pas esté le Pape Boniface VIII. qui a donné le premier ce beau privilege aux Seigneurs de cette Maison là: mais le Pape Calixte II. de la Maison des Comtes de Bourgongne, dés l'an 1120. De cette Maison, la premiere et la plus ancienne de Daufiné (comme j'ay remarqué aux Eloges des Daufins de France, et au traité de la valeur et de la fidelité de la Noblesse de Daufiné) sont non seulement Messieurs le Comte de Tonnerre, le Marquis de Crusy, et le Duc de Luxembourg, mais aussi le Baron de Toury, les Seigneurs de Montoyson ou Montezon, de Dampierre, de Chatte, et de Geyssans.
Les Seigneurs de Montezon (qui ont pour cry de guerre à la recousse Montezon, et de laquelle sont Mesdames la Connestable de Montmorency, d'Uriage, et du Bouchage) brisent leur escu d'une pointe de diamant en chef: Ceux de Clermont Dampierre d'une couronne ducale d'argent aussi en chef; et ceux de Clermont Chatte (de laquelle est Charles de Clermont, Baron de Chatte, du Fay, de Lapte, etc. Seneschal du Puy en Velay et Gouverneur de la Principauté de Dombes pour son Altesse Royale) ont brisé autresfois d'une seule clef d'argent posée en bande: et ceux de Clermont Geysans, brisent leur escu d'un croissant montant d'argent en chef.

(1) Escoubleau Sourdis party d'azur et de gueules à la bande d'or brochant sur le [note incomplète].
(2) Babou, Bourdesiere d'argent au bras de gueules sortant d'un nuage d'azur tenant une poignée de vesse en rameau de III. pieces de sinople: qui est de Babou, escartelé de sinople au pal d'argent: Party de gueules au pal d'argent, qui est de la Bourdaisiere.
(3) Crequy d'or au crequier de gueules.
(4) Malherbe.
(5) Miraeus in fastis Belgicis.

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