Alberte-Barbe d'Ernecourt
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Alberte-Barbe d'Ernecourt | ||
Titre(s) | Dame de Saint-Baslemont | |
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Conjoint(s) | Jean-Jacques de Haraucourt, seigneur de Saint-Baslemont | |
Biographie | ||
Date de naissance | 1606 | |
Date de décès | 1660 | |
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s) | ||
Dictionnaire Pierre-Joseph Boudier de Villemert (1779) | ||
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804) | ||
Dictionnaire Charles de Mouhy (1780) |
Sommaire
Notice de Micheline Cuénin, 2004.
Née en 1606, fille unique de Simon II d'Ernecourt, gentilhomme du duc de Lorraine, et de Marguerite Housse de Watronville, Alberte-Barbe hérite de plusieurs fiefs du duché. Elle est confiée à sa tante, baronne d'Etrepy (près de Vitry-en-Perthois), qui lui fait donner une éducation raffinée joignant l'économie domestique à une culture humaniste, sans oublier les arts de la chasse et de l'équitation. À seize ans, elle est mariée par son père à un chevalier lorrain de haut lignage mais ruiné, Jean-Jacques de Haraucourt, seigneur de Saint-Baslemont (près de Contrexéville), favori du duc Charles IV. Le couple réside sur les terres de la jeune mariée, au château de Neuville-en-Verdunois, où son époux lui communique rapidement ses deux seules passions: les chevaux et la guerre. Il s'y livre avec ardeur auprès du prince, tandis que l'administration de son épouse permet de régler les énormes rançons demandées par les Français, qui le capturent en 1632 et 1633.
Haraucourt suivant ensuite le duc qui combat en Allemagne auprès des Impériaux, tandis que la duchesse conserve ses vassaux en paix dans un Barrois dévasté par l'occupant français, Alberte-Barbe fait remparer son fief, constitue une milice instruite par un jeune officer réformé que lui a recommandé son mari, et, forte de sa magnifique écurie, réussit à faire de son fief un véritable État miniature. Elle accueille les paysans des villages environnants ainsi que les meilleurs artisans de Bar, qui travaillent en paix et sans impôt dans cette oasis de prospérité, à la condition de servir dans son armée en cas de besoin. Les Français sont défaits assez rapidement, mais la défense est plus âpre contre les mercenaires lorrains et impériaux, des Croates qui, abandonnés de leurs généraux après la défaite française de Mayence (1635), s'enfoncent dans le pays barrois, tuent et rançonnent. Portant vêtement d'homme, Alberte-Barbe met en application sa science de la guerre, et sa petite armée, grâce à des coups de mains, effets de bluff et autres ruses, contient victorieusement les ennemis, qu'elle terrorise par sa charge fulgurante. Elle secourt aussi les places de Bar et de Verdun, convoie les vivres, et fait l'admiration du gouverneur de Verdun, le marquis de Feuquières, qui prie le roi de mettre sous son commandement une unité basée à Neuville. Elle refuse, invoquant sa liberté.
En 1644, elle perd son fils de la peste et son mari est tué en Allemagne. Un entourage malveillant impute ce double malheur à la punition céleste encourue par son vêtement masculin et son activité guerrière, qu'elle exerce, il est vrai, avec passion. Impressionnée, elle se borne dès lors à protéger des «Cravates» (Croates!) le sanctuaire voisin de Benoîte-Vaux, parfois en bataille rangée, sans cesser d'escorter les convois qui ravitaillent Verdun. Les capitaines français, en hommage, la font peindre par Claude Deruet au centre d'un immense tableau qui représente ses exploits.
Chez elle, elle se livre à des activités littéraires et artistiques pour éduquer ses vassaux. Propriétaire d'une riche bibliothèque, savante en littérature ancienne, patrologique et même gnostique, lectrice des jésuites bollandistes, elle écrit des livres de piété (dont un Examen de conscience bien diffusé en son temps) et des tragédies saintes presque toutes disparues; elle compose aussi des motets pour le choeur de sa chapelle. Quand la Lorraine est livrée au redoutable gouvernement de La Ferté-Sennetaire, qui ruine les Trois-Evêchés, elle n'échappe pas à sa convoitise; il réquisitionne tous ses biens (chevaux, troupeaux, meubles) et la prive de ses meilleurs domestiques, ce qui la contraint de demeurer quatre ans comme une ombre dans sa propre maison occupée. Minée de colère et de maladie, atteinte dans son honneur, elle se fait clarisse à Bar-le-Duc, mais sa santé ne résistant pas à ce régime, elle revient mourir chez elle l'année suivante, le 22 mai 1660. Elle laisse une fille unique, Marie-Claude, mariée en 1646 à Louis des Armoises, sieur de Commercy.
Rapidement oubliée dans le royaume en raison de l'influence mondaine qui déconsidère les «femmes fortes», Mme de Saint-Baslemont n'est plus guère honorée qu'en Meuse. Son tombeau, dans l'église de Neuville-en-Verdunois, est toujours fleuri. Son château, acheté par le Conseil général, est bien entretenu mais ne se visite pas. Ses tragédies, marquées par l'érudition humaniste du siècle précédent, ont été oubliées jusque récemment; on les redécouvre aujourd'hui comme un témoignage précieux du théâtre préclassique.
Oeuvres
- ? : Examen de conscience. Mentionné dans le P. de Vernon, L'Amazone chrétienne, ou les aventures de Mme de Saint-Balmon qui a conjoint heureusement une admirable dévotion et la pratique de toutes les vertus avec l'exercice des armes et de la guerre, Paris, Metura, 1678 (privilège du 30 mai 1660).
- 1650 : Les Jumeaux martyrs, tragédie, Paris, Augustin Courbé -- Éd. C. Abbot et H. Fournier, Genève, Droz, Textes littéraires français, 1995.
- Correspondance : essentiellement inédite; quelques lettres in P. de Vernon, L'Amazone chrétienne... (voir supra), reproduites in Micheline Cuénin, La dernière des amazones, Madame de Saint-Baslemont, préface de R. Taveneaux. Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1992.
Choix bibliographique
- Cuénin, Micheline. La dernière des amazones..., voir supra.
- P. Des Billons. Histoire de la vie chrétienne et des exploits militaires d'Alberte-Barbe d'Ernecourt connue sous le nom de Madame de Saint-Balmon, par le P. D.B. de la Compagnie de Jésus. Liège, 1773.
- Vernon, P. de. L'Amazone chrétienne..., voir supra.
Choix iconographique
- Deruet, Claude. Madame de Saint-Baslemont (huile sur toile, 0,77 sur 0,89 cm), 1643, Nancy, Musée des Beaux-Arts.
- Deruet, Claude. Madame de Saint-Baslemont (huile sur toile, 4m2). Nancy, Musée Lorrain -- M. Cuénin, La dernière des amazones..., voir supra, couverture.
Jugements
- «C'est une femme qui vit en sainte, et [...] si nous avions de pareils commandants en toute cette frontière, nous n'y ouïrions point parler d'ennemis, je puis vous assurer que vous ne ferez pas donner d'hommes entretenus en aucun lieu que ceux qu'on lui pourrait donner.» (lettre de Manassès de Pas, marquis de Feuquières, à Sublet des Noyers, 6 janvier 1639 (Affaires Etrangères Lorraine, Corr. Pol., vol.31 f.2).
- «Femme qui savait bien le métier de la guerre, et qui en observait exactement les lois dans les occasions qui survenaient, comme les plus expérimentés des généraux d'armée dans de grandes batailles.» (P. de Vernon, L'Amazone chrétienne..., voir supra).
- «L'Antiquité ne peut se vanter toute seule d'avoir des Amazones, et la France n'a que faire d'aller les chercher loin de chez soi. La dame de Saint-Balmon lui en a fourni plusieurs fois d'exemples [...]. Elle ajoute à sa valeur une si grande charité que tous les soldats français qui passent sur ses terres y reçoivent le secours et l'assistance dont ils ont besoin, ce qui est d'autant plus à estimer que [...] son mari est avec les ennemis» (Gazette de France, dépêche de Bar du 29 novembre 1643).
- «La merveille de son temps, et pour sa valeur et pour sa belle conduite» (Mme de La Guette, Mémoires [1681], éd. M. Cuénin, Paris, Mercure de France, 1982, rééd. 2003 p.113).
- «Femme extraordinaire [qui] avait un grand mépris pour la beauté. [...] Il paraissait dans tout son visage je ne sais quoi de grand, de doux et de ferme mêlés ensemble qui valait mieux que la beauté» (Abbé A. Arnaud, Mémoires [fin XVIIe siècle?], éd. Michaud-Poujoulat, 1838, 2e série, vol. IX).