Catherine de Médicis/Hilarion de Coste

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[I,223] CATERINE DE MEDICIS (1) REYNE DE FRANCE.

CETTE grande et liberale Heroïne que l'un de nos Historiens (2) appelle fort bien, Princesse d'un esprit incomparable, à laquelle son quatrième fils le Roy Henry troisiéme le plus eloquent de nos Monarques, donna ce bel Eloge en sa harangue aux derniers Estats de Blois, qu'elle avoit tant de fois conservé l'Estat de la France, qu'on ne devoit pas seulement luy donner le nom de mere de Roy: mais aussi de mere de l'Estat et du Royaume, nâquit à Florence, la plus belle ville d'Ita-[224]lie et la capitale de la Toscane, le treiziesme d'Avril de l'an mil cinq cens dix-neuf. Sa mere Magdelaine de la Tour Comtesse d'Auvergne et de l'Auraguez, mourut au travail de l'enfantement pour la faire naistre, et Laurens de Medicis Duc d'Urbin son pere ne véquit que cinq jours aprés. Caterine Sforce femme de Jean de Medicis la plus courageuse et la plus vaillante Dame que l'Italie eût encor veu, luy donna le nom de Caterine au baptesme.

Cette magnanime Heroine digne marraine de la Reyne Caterine fit voir la preuve de sa valeur et de son courage, estant assiegée par Cesar Borgia Duc de Valentinois en la Rocque de Forly: car se voyant menacée par ce cruel Tyran et monstre de nature, de la perte et de la mort de ses enfans, si elle ne se rendoit, elle se presenta hardiment dessus la muraille, et se mocqua des rodomontades de ce Capitaine, mettant la main sur sa robe, et luy disant qu'estant encore jeune elle pouvoit en avoir d'autres.

Ludovico Dominici, Henry Catharino d'Avila, et François Sardonati, ont dans leurs Eloges et dans leurs Histoires décrit les vertus, les magnificences, et les autres excellentes qualitez de cette Princesse (3).

La Reyne Caterine, mere de trois de nos Rois et de deux Ducs d'Orleans et d'Anjou, de deux Reynes, l'une d'Espagne et l'autre de Navarre, et d'une Duchesse de Lorraine, estant la fille unique de Laurens de Medicis Duc d'Urbin, et de Magdelaine de la Tour ou de Boulongne, estoit tres-noble, tant de l'estoc paternel que du maternel, comme n'ignorent pas ceux qui ont leu les meilleurs et les plus fideles Historiens qui ont loué les Heros et les Heroines, dont elle avoit l'honneur d'estre issue. Il faudroit plusieurs volumes pour parler dignement des Cosmes, des Jeans, des Laurens, des Juliens, des Sylvestres, des Pierres, des Alexandres, des Hipolytes, des François, des Ferdinands, des Charles, et des autres Heros de la serenissime Maison de Medicis, laquelle tire son ancien et pre-[225]mier estre du terroir de Mugello, où le brave Everard de Medici, Chevalier François, qui estoit à la suitte de nostre Roy et Empereur Charlemagne, tua l'impitoyable geant Mugel, lequel faisoit mille voleries, brigandages et cruautez és environs de Florence, portant ordinairement une masse de fer, où pendoient cinq boules, dont il assommoit les passans. Everard Chambellan de Charlemagne ayant mis à mort ce geant là, obtint la permission de sa Majesté pour porter ces boules en ses Armes: c'est pourquoy quelques Blasonneurs appellent boules les cinq tourteaux de gueules de la Maison de Medicis, qui sont surmontées d'un d'azur chargé de trois fleurs de Lys d'or ou de France, par la concession du Roy Louis XI. Les curieux qui voudront aprendre les actions militaires et politiques des Hommes illustres de cette noble Maison, doivent lire Jean Vilani, Leonard Aretin, Nicolas Machiavel, Claude du Rubis, Jean Nestor, et Pierre de Boissat sieur de Licieu Vibaillif de Vienne en Daufiné, qui en ont écrit et parlé dignement dans leurs oeuvres.

Cette Princesse n'estoit pas moins noble de l'estoc maternel que du paternel: car la Maison de Magdelaine Comtesse d'Auvergne et de Lauraguais ou Lauragués sa mere, se trouve alliée d'un Empereur, des Rois de France, d'Angleterre, et de Hierusalem, des enfans de France, de Portugal, et d'Escosse: sans parler de l'alliance qu'elle a eu avec les Ducs de Berry et de Bourgongne, les Comtes de Flandre, les Princes de Bourbon, de Navarre, de Lorraine, de Nevers, d'Orenge, et d'autres grands Seigneurs. Les curieux n'ignorent pas que les Seigneurs de cette tres-illustre Maison des Comtes de Boulongne et d'Auvergne ont tenu rang au dessus des Connestables et des premiers Officiers de la Couronne, et qu'ils portent un Gonfanon en leurs armes, pour avoir esté grands Gonfaloniers de l'Eglise durant les croisades et les guerres de la Terre sainte.

Caterine de Medicis (4) sans pere ny mere se vit aussi sans Duché: car le Pape Leon X. son grand oncle prevoyant bien qu'encore qu'il l'eust fait comprendre en l'investiture de Laurens son pere, il seroit impossible de la garder sous [226] le nom d'un enfant au berceau: le peuple du Duché d'Urbin souspirant et regrettant aprés la domination du Duc François Marie de Rovere, ce luy fut un extréme regret de voir que des descendans de sa Maison, depuis le grand Cosme, il ne restoit que cette fille là, qu'il tenoit bien chere par la raison de la proximité de sang, et encore par la grande resemblance qu'elle avoit des traits de son visage, car Alexandre de Medicis (qui fut depuis premier Duc de Florence) n'estoit que fils naturel de Laurens.

François Serdonati remarque qu'elle fut nourrie et élevée soigneusement dans un Monastere (c'est celuy des Dames Murées de Florence) ce Convent luy servit d'asyle pour la sauver des furieuses émotions de ceux qui avoient conjuré de ruiner la Maison de Medicis, elle n'eust pas échapé en autre lieu leur rage qui chassa Hipolyte et Alexandre de Medicis, et se desborda sur leurs amis et serviteurs, et brisa leurs armes et leurs effigies aussi-tost que la nouvelle fust apportée à Florence que les Imperiaux tenoient le Pape Clement VII. prisonnier au Chasteau Saint Ange: cette miserable captivité n'affligea pas tant ce souverain Pontife, que le desplaisir qu'il receut de celle de sa parente que les Florentins luy refusoient: il fut tant travaillé de ce refus, qu'il en tomba malade, et sa maladie augmenta quand il sceut que Bernard Castilloni avoit esté si forcené, que de dire en plein Conseil qu'on la mettroit plustost au plus infame lieu de la ville, que de la luy rendre: car tant que les Medicis avoient secondé les desseins et les desirs du peuple de Florence, il avoit aymé tous ceux de cette Maison là d'un amour nompareil; mais depuis qu'ils firent paroistre leurs desseins de changer l'Estat de la Republique, il convertit cette bienveillance en une haine extréme.

Le Pape Clement VII. estant sorty de prison et retiré à Orviete se reconcilia avec l'Empereur Charles V. qui pour complaire au Pape fit mettre le siege devant Florence. Cette belle ville se vit aussi-tost bloquée que sommée, car Philibert le dernier des Princes d'Orenge de la riche Maison de Chalon, n'epargna rien pour satisfaire au desir du Pape et de l'Empereur, sous l'esperance qu'il avoit d'épouser la [227] Princesse Caterine pour le fruit de sa conqueste; mais il y fut tué et la Princesse y courut un grand peril, parce que les Florentins se voyans durant le siege pressez de toutes sortes de necessitez, se resolurent à des conseils extrémes; les uns disoient que le Pape et l'Empereur leveroient le siege, ou leur accorderoient une capitulation honorable tandis qu'ils auroient Caterine en gage: les autres plus forcenez la vouloient exposer à la breche, afin que le Pape qui ne se pouvoit pas mouvoir à la pitié de son païs par leurs larmes et leurs prieres, se laissa vaincre par l'innocence de son sang. Ce conseil sanguinaire et detestable fut rejetté par Sylvestre Aldobrandin (5) Seigneur fort courtois et fort sage (qui a esté le dernier Secretaire et Chancelier de la Republique de Florence, et pere d'un bon Pape) et par tous ceux qui estimoient inique de faire sentir à un enfant de neuf ans l'indignation que l'on avoit porté à ses parens. Celuy qui proposa au Conseil de guerre cét avis horrible, s'appelloit Baptiste Cei, lequel peu aprés fut justement condamné à perdre sa teste sur un eschafaut, luy qui avoit voulu inhumainement perdre une teste innocente.

Florence aprés avoir souffert ce siege là l'an 1530. fut contrainte de se rendre à la disposition du Pape Clement VII. qui demeura aussi content et satisfait de voir Alexandre de Medicis frere naturel de Caterine declaré premier Duc de Florence, estant fiancé à Marguerite d'Austriche fille naturelle de l'Empereur Charles V. (qui fut depuis Duchesse de Parme) et par consequent la Maison de Medicis restablie en plus d'honneur et d'authorité que jamais; qu'il avoit esté attristé et indigné durant sa prison quand il sceut que cette ville avoit fait toutes sortes d'injures à sa Maison, et n'ayant pas méme pardonné à la statue de Leon X. ny à la sienne.

Dieu qui avoit destiné cette Princesse là pour produire des Princes bien plus relevez que des Ducs de Ferrare, d'Urbin, et de Milan, anima le Pape Leon X. de mettre en montre Caterine sa niece, et en faire feste au Roy François I. pour Henry Duc d'Orleans, ou Charles Duc d'Angoulesme les enfans puisnez de ce Monarque. Ce Pape ayant eu [228] deux de ses parens bien mariez en France, Julien son frere à Philiberte de Savoye Duchesse de Nemours, tante maternelle du Roy François I. et Laurens son neveu avec Magdelaine Comtesse de Clermont et de Lauraguais.

Clement VII. acheva ce que Leon avoit projetté, ayant fait entendre à nostre Roy, qu'il donneroit trois belles perles de sa Thiare en dot à sa parente, promettant (par l'entremise de Philippe Strozzi son parent pere du Mareschal de Strozzi) de se rendre Maistre de Genes, de Milan et de Naples. D'autre part le Roy François desirant diminuer le credit et les forces de l'Empereur Charles V. dans l'Italie, envoya le Cardinal de Tournon grand homme d'Estat au Pape Clement, pour prier sa Sainteté de differer pour le bien du Christianisme, de donner son jugement touchant le mariage d'Henry VIII. Roy d'Angleterre, et de Caterine d'Arragon tante de l'Empereur; et aussi pour moyenner une amitié parfaite entre le Pape et le Roy, par le mariage de Henry de France Duc d'Orleans avec Caterine Duchesse d'Urbin, qui estoit de son chef à cause de sa mere Comtesse d'Auvergne et de Lauraguais, et Baronne de la Tour.

Le Pape qui craignoit l'Empereur pour estre trop puissant en Italie, où il estoit le maistre des deux Siciles, receut fort honorablement le Cardinal de Tournon à Boulongne la Grasse, duquel ayant ouy les raisons et aussi celles du Cardinal de Grandmont, il donna sa parole à ces deux Prelats de se trouver à Marseille au mois d'Octobre de l'an 1533. pour arrester le mariage entre sa parente et le deuxiéme fils du Roy François, et rompit l'alliance qu'il vouloit faire avec l'Empereur par le moyen du mariage de cette Princesse là, et de François Sforce Duc de Milan. Clement renouvella encore ses promesses au Duc d'Albanie Prince de la Maison de Stuart ou d'Escosse, Ambassadeur extraordinaire de France prés de sa Sainteté, (qui estoit pour lors veuf d'Anne de Boulongne ou de la Tour, tante maternelle de Caterine Duchesse d'Urbin) se sentant très obligé au Roy François I. qui procedoit si franchement et si sincerement à la demande de son alliance, nonobstant l'inégalité qui estoit entre la Maison de France et la sienne. Aussi il ne fit point [229] de difficulté de se mettre sur la mer dans les Galeres de France commandées par ce Prince Escossois, pour venir à Marseille, où il arriva au mois d'Octobre avec seize Cardinaux et plusieurs Evéques et Abbez. J'ay décrit au long dans d'autres livres les honneurs que receut le Pape Clement à son entrée dans Marseille (6), estant accompagné des Ducs d'Orleans et d'Angoumois enfans du Roy François, et du Duc de Vandosme premier Prince du sang; et celle de Caterine Duchesse d'Urbin et Comtesse de Boulongne et d'Auvergne; et les ceremonies des noces de cette belle Princesse et d'Henry de France Duc d'Orleans, qui furent épousez avec des joies et des pompes nom pareilles dans la grande Eglise de Marseille dite La Majour, par le Pape Clement en presence des Cours de Rome et de France, esquelles ce Souverain Pontife aprés avoir donné la benediction à tous les assistans honora de quatre Chapeaux quatre Prelats (7) de ce Royaume à l'instance du Roy François. Je diray seulement en passant pour la satisfaction des curieux, qu'Henry Duc d'Orleans épousant Caterine parente des Papes Leon X. et Clement VII. prit pour symbole trois Croissans entrelacez ou la Lune en son croissant, avec ces mots, DONEC TOTUM IMPLEAT ORBEM, c'est à dire, jusques à ce qu'il accomplisse tout le rond. Promettant par cette devise qu'il defendroit l'Eglise, dont nos Rois sont les fils aisnez, jusqu'à ce qu'elle eust obtenu sa plenitude sous un Dieu, une Loy, et un vray Pasteur. Je croy que c'est là le principal motif, pourquoy cét invincible Monarque prit le Croissant pour symbole, quoy que quelques-uns tiennent avec apparence que ce fut en faveur de Diane de Poitiers Duchesse de Valentinois, laquelle eut un grand credit durant son regne: et mon opinion me semble plus probable, d'autant que la Lune és saintes Ecritures, comme au Cantique des Cantiques et en infinis autres endroits, represente l'Eglise militante, à quoy se conforme l'Histoire, que Paul Emile écrit du Pape Calixte II. auparavant appellé Guy, fils de Guillaume Comte de Bourgongne, lequel la nuit precedente sa creation eut une vision d'un jeune enfant, qui luy apporta et mit une Lune sur sa poitrine. Cette Planette est aussi sujete à mutations, [230] croissant et decroissant de temps en temps; de mesme en est-il de l'Eglise militante, laquelle ne demeure pas long-temps en un estat, maintenant soûtenue par les Princes Catholiques, maintenant opprimée par la rage des Heretiques.

D'autres croyent, que par cette devise ce tres-genereux et tres-magnanime Prince vouloit rabatre le fast et l'orgueil de celle de l'Empereur Charles V. qui avoit les colonnes d'Hercule avec ce mot, ULTRA, qui veut dire outre, et quelquesfois ULTERIUS Plus outre, par laquelle ce Monarque entendoit qu'il passeroit outre les anciennes bornes et limites de ses Estats et Royaumes. Car ce mot ULTRA, en la devise de l'Empereur, estoit gravé sur les colomnes d'Hercule avec un Aigle, symbole de l'Empire, pour declarer que cét Heros, tant vanté par l'antiquité Payenne, ne passa pas outre les colomnes que luy méme avoit plantées, à l'entrée du détroit de la mer Mediterranée, appellé depuis Gilbraltar, et que Charles passeroit outre, se promettant la conqueste de la France; mais ce plus outre fut limité à Mets. Aussi Henry entrant dans cette bonne et grande ville (laquelle d'ancienneté est de cette Couronne, et l'un des sieges Royaux de la Monarchie Françoise, lors qu'elle estoit divisée entre plusieurs Monarques en la premiere et seconde lignée de nos Rois) les Habitans abatirent la devise de Charles, son Aigle, ses Colomnes, et son Plus outre, et y graverent celles de sa Majesté, sçavoir trois Croissans entrelacez, laquelle rencherissoit sur celle de l'Empereur, et declaroit que nostre Henry II. passeroit tousjours jusques à ce qu'il eut subjugué toute la terre. Ce que le mot equivoque d'ORBEM signifie fort bien et proprement: car il se prend pour un rond et pour le monde. J'ay fait cette longue digression expliquant la devise du Roy Henry II. pour montrer qu'il la portoit pour contrecarrer celle de Charles d'Austriche, ou en faveur de nostre Reine Caterine son épouse, niece ou proche parente de deux souverains Pontifes, plûtost qu'en consideration de la Duchesse de Valentinois qu'il aymoit.

Trois ans aprés la solemnité du mariage d'Henry et de Caterine, François de France Daufin de Viennois et [231] Duc de Bretagne, mourut de poison à Tournon le 12. d'Aoust 1536. Par le decez de ce fils aisné du grand Roy François, Henry succeda à la qualité de Daufin et de presomptif heritier de la Couronne, ce qui rendit plus considerable Caterine de Medicis sa femme. Mais estant estimée sterile elle receut une affliction bien sensible estant Daufine, car on fut sur le point de changer le mariage en divorce: Le Roy François vray pere du peuple, soigneux de sa posterité, se repentit d'avoir acheté une piece de terre étrangere et sans fruit. Le Daufin Henry son époux ne se plaisoit plus à la cultiver, il trouve un climat plus agreable: le mépris, et les nouvelles amours avec Diane de Poitiers veuve du grand Seneschal de Normandie (qu'il avoit faite Duchesse de Valentinois) entamerent la proposition qu'elle devoit estre renvoyée en Italie, ou de la laisser vivre en France dans ses terres les Comtez de Clermont et de Lauraguais. Odet de Colligny obligé à la memoire de Clement VII. son parent, qui l'avoit creé Cardinal, destourna ce coup là avec la Duchesse de Valentinois. Cette Dame là avoit interest qu'Henry Daufin de Viennois et Duc de Bretagne demeurast en cét estat, parce que n'aymant pas tant Caterine sa femme, elle possedoit entierement le coeur de ce Prince là. Ce qu'elle n'eût pas fait si Henry eût épousé une plus jeune, une plus belle et une plus illustre. Car l'on parloit de luy donner pour femme une Princesse de la Maison d'Austriche (dont il pouvoit tirer de grands avantages pour le repos de la Chrestienté, et le bien particulier de ce Royaume) ou une Princesse de la Maison de Lorraine, pour laquelle Henry avoit de fortes inclinations. Le Cardinal de Chastillon et son oncle le Connestable de Montmorency, le conjuroient de ne rien precipiter en cette affaire importante du divorce, et de sousmetre ses volontez à la Providence Divine qui a soin de l'accroissement des familles Royales; mais ce n'estoit pas tant pour l'amour de Caterine, que pour l'interest de leur fortune: le Connestable n'ignoroit pas qu'Henry aymoit Marie de Lorraine Duchesse douairiere de Longueville et la fille aisnée de Claude Duc de Guyse, et d'Antoinette de Bourbon, qui fut depuis mariée à Jaques V. [232] Roy d'Escosse, et apprehendoit que si ce mariage estoit défait il ne l'épousast, et que cette alliance eslevant la Maison de Guyse, n'abaissast la sienne. Caterine de Medicis s'estoit rendue si agreable au Roy François I. que sa faveur et son authorité ne luy manquerent pas pour destruire le conseil de ceux qui persuadoient à sa Majesté de la renvoyer, disant que c'estoit une cruauté de se défaire d'une femme vertueuse et sage, et une sottise d'en supporter une vitieuse. Mais Henry son mary Prince beau, grand et jeune (qui avoit eu une fille naturelle d'une sienne amie) pour le desir d'estre pere d'un Prince, et conserver son nom et sa Couronne à sa posterité perdoit quasi patience, l'ennuy de l'attente d'un fils lassant son esperance. Mais comme il avoit la crainte de Dieu devant les yeux (ainsi que remarquent mesme les Historiens estrangers) il delibera premierement de tenter tous les moyens licites, auparavant que d'en venir à ce point là. On chercha donc par son commandement et du Roy François son pere des Medecins, et à Paris principalement, où il y en avoit lors un bon nombre de très experts et très doctes, afin de voir s'il y auroit moyen que la Daufine eust lignée. Ceux de Paris ne vouloient pas laisser leurs maisons, leur repos, et leurs gains ordinaires qui sont grands, et le plaisir de leurs amis, et de leurs possessions, pour estre en une suite de Cour, qui a des mescontentemens aussi bien que des contentemens (8). Finalement quelque Gentil-homme (d'autres m'ont asseuré que ce fut la Duchesse de Valentinois méme) s'advisa de Jean Fernel qui a esté de son temps le Galien et l'Hypocrate des François, et l'un des plus illustres Medecins qui ait esté en nostre France, où lors la Medecine estoit en grand prix et en estime. Car tous les arts, et celuy-là particulierement, estoient remplis de gens grandement renommez: comme Du Bois dit Sylvius, Hollier, Le Grand, Braillon, des Jardins, Sainte Marthe, et autres que le grand Roy François le Pere des Lettres avoit attirez à sa Cour. Or Fernel vivoit lors inconnu, avec sa femme et ses enfans, et avec quelques difficultez, et ne sçavoit-on pas qu'il fust Medecin, mémes qu'il fust en nature. Car son beau pere homme d'honneur et de moyens, portoit les frais de son [233] ménage, lequel, à ce qu'on dit se plaignoit qu'il ne gagnoit rien, bien que ce fust un des plus signalez et honnestes hommes de Paris, et que sa fille n'eut pas peu rencontrer personne qui eut de meilleures moeurs et plus de sçavoir. Henry Daufin de France donc l'envoya querir, et en la presence de Caterine de Medicis, luy demanda en riant, s'il pourroit bien faire des enfans à Madame la Daufine sa femme. Il répondit, que c'estoit à Dieu à les donner, et à son Altesse Royale à les faire, et à luy de luy donner les preceptes de l'art, par lesquels on pourroit y parvenir. Le Roy François et le Daufin son fils satisfaits de cette sage réponse, l'inviterent ardemment de l'entreprendre, et fut bien receu et caressé en la maison de Monsieur le Daufin, où il receut plusieurs bien-faits. Somme que quelque temps aprés Caterine de Medicis se sentit grosse, dequoy elle fut si aise, qu'ayant senty le fruit qu'elle portoit, elle luy envoya dix mille escus, et quand elle accoucha encore autant, et un buffet d'argent. Elle luy fit le mesme present à toutes ses couches. Car devant et aprés qu'elle fut Reyne elle eut dix enfans de ce grand Monarque Henry II. son mary, cinq fils et cinq filles.

L'aisné des fils fut le Roy François II. duquel elle devint enceinte au mois d'Avril de l'an 1542. son indisposition sur le point de cette grossesse, les artifices et les drogues que l'on employa pour la conserver, offenserent le temperament de l'enfant, qui commença aussi tost de languir que de vivre: il nâquit le 20. Janvier 1543. dix ans aprés le mariage d'Henry et de Caterine, et comme Henry estoit encore Daufin: il fut nommé François par le Roy son ayeul, qui eut tant de joye pour sa naissance, que visitant la mere, il luy dit ces paroles (9): Ma fille je vous accorde tout ce que vous me demanderez. Sire dit-elle, je ne vous demande point d'autre faveur, sinon que je ne sois plus de la petite Cour: en ce temps là les enfans de France ne logeoient pas avec le Roy. J'ay remarqué en d'autres écrits de mes oeuvres (10) les ceremonies du baptéme de ce Prince là, qui fut appellé premierement Duc de Valois ou de Bretagne, puis Roy Daufin devant que de succeder à Henry II. son pere. Le second fut Louis Duc d'Orleans, qui mourut en bas âge, et ne laissa aucune memoire de luy, [234] sinon que sa naissance fut sceue à Rome le jour méme qu'il nâquit, sans que jamais on ait peu sçavoir l'autheur. Le troisiéme fut Charles Maximilian, aussi Duc d'Orleans, qui ayant succedé à François II. son frere aisné, prit le nom de Charles IX. Le quatriéme fut Edouard Alexandre, premierement Duc d'Alençon et puis d'Anjou, et Roy de Pologne, lequel aprés le decez de Charles IX. regna sous le nom d'Henry III. Le cinquiéme fut Hercule, depuis nommé François, il fut Duc d'Anjou, de Brabant et d'Alençon: lesquels s'ils eussent vécu, estoient suffisans, veu leur valeur, pour rendre tout le reste du monde tributaire à la France. Mais pour les pechez du peuple François, le Ciel jaloux de la grandeur mondaine de cét Empire des fleurs de Lys, nous les osta tous de trop bonne heure, et les pauvres Princes ressemblerent à ces belles fleurs du Printemps, lesquelles épandent leurs fueilles aux premiers rayons du Soleil; mais aussi-tost sont atteintes de quelque pluye violente qui les fait tomber contre terre. Ainsi a-t'il esté de ces bons Princes, qui ont esté ravis en la fleur de leur âge, et lors que les effets de leurs rares vertus commençoient encor à paroistre: toutesfois leur mort hastive n'a pas peu empescher, qu'encor la France leur ait beaucoup d'obligation, et par consequent à cette Auguste Reyne, qui leur appartenoit par les doux liens de maternité, et de laquelle aprés Dieu ils tenoient la vie et les biens, ayant

Durant les tendres ans, où se veirent nos Rois (11), Pris le sacré timon de l'Empire François, Et pendant que leurs mains par l'âge estoient debiles L'a sauvé du naufrage et des ondes civiles. De troupes et de fer les campagnes armé, De zele envers le Ciel les peuples animé, Reprimé des mutins l'injuste frenesie, Et sous les pieds vainqueurs abatu l'heresie, Portant pour imposer aux rebelles la Loy, Dedans un corps de Reine un courage de Roy: Puis enfin lors que l'âge où se borne l'enfance, Mit dans leurs fortes mains les resnes de la France, De ses graves conseils leurs desseins assisté, [235] L'usage et la prudence à leur force ajoûté.

François deuxiéme son fils aisné, qui fut Roy de France et d'Escosse, et auquel le Royaume d'Angleterre appartenoit, aprés son decez inopiné fut regreté de tous les bons François, à cause de la douceur de son naturel, qui n'avoit inclination qu'à la vertu. Aussi luy donna-t'on le titre de Roy et Prince innocent et sans vice (12), qui surpasse les plus excellens surnoms et Eloges, dont on a honoré plusieurs grands Rois et Empereurs. Le Roy Charles IX. son troisiéme fils, a esté l'un des plus zelez Princes à la defense de la vraye Religion, qui jamais ait esté au monde, et ennemy capital de l'heresie: laquelle il eût extirpée de son Royaume si Dieu luy eût prolongé ses jours: mais irrité contre la France pour les enormes forfaits des peuples, il nous priva de ce magnanime et genereux Monarque, digne de ne mourir jamais. Le quatriéme dés son bas âge commença à porter les armes, et acquit la reputation d'estre l'un des plus vaillans Capitaines du monde, estant Lieutenant general de Charles IX. son frere, comme il fit paroistre aux batailles de Jarnac et de Moncontour, au siege de la Rochelle, et plusieurs autres endroits, où sa vertu martiale et belliqueuse parut par dessus les forces humaines (13). Ses exploits admirables firent voler le renom de sa gloire jusques à la mer Glaciale et aux Sarmates, qui sont les Lituaniens et les Polonois, que les anciens estimoient faire un bout du monde, lesquels par la reputation de sa valeur, et par le recit qui leur en fut fait par Jean de Monluc Evéque de Valence, le jeune de Lansac, et Gilles de Noailles, amoureux de sa vertu le prefererent à tous les autres Princes qui pretendoient à la Couronne Polaque, le rechercherent, et par leurs importunes instances et demandes, le contraignirent d'abandonner son païs natal pour regner en Pologne, où il commanda à ces nations Septemtrionales, avec une si grande sagesse, qu'elles l'ont souvent regreté depuis, et ont reproché l'ingratitude aux mauvais François, de n'avoir pas sceu conserver un tel Prince, qui meritoit mieux de commander à tout ce grand monde, qu'à une petite partie d'iceluy, comme est la France.

L'aisnée des filles de la Reyne Caterine fut Reine d'Espa-[236]gne: la puisnée Duchesse de Lorraine: la troisiéme Reine de Navarre et Duchesse de Valois, comme nous dirons plus amplement en leurs Eloges. Les deux autres nommées Victoire et Jeanne jumelles, véquirent peu de jours aprés avoir receu le baptéme. Cette fertile Princesse donna tous ces beaux enfans à la France et à tout le Christianisme, et a esté la mere de Rois et de Reines, qui ont commandé à divers Royaumes et Empires, ainsi que luy predit ce Poëte fameux.

Plus que Rhea nostre Reyne est feconde (14) De beaux enfans, lesquels en divers lieux Ayant regi la plus grand part du monde, Iront au Ciel pour estre nouveaux Dieux. Aussi un autre la nomma la Junon de son temps: Elle est en tout une Juno seconde (15), D'honneur, de port, de geste et gravité: Sinon qu'elle a moins de severité, Et qu'elle est plus heureusement feconde.

De ses dix enfans elle en vit mourir huit devant elle, contre les voeux, les souhaits et les desirs des meres, et contre l'ordre commun de la nature: il n'en resta que deux, le Roy Henry III. et la Reyne Marguerite. Cette courageuse Princesse porta toutes ses disgraces avec une grande resolution et constance.

Elle a receu de grands honneurs durant sa vie, ayant assisté aux assemblées des Estats à Orleans et à Blois, et à celle des Notables à Moulins, au Sacre et Couronnement de quatre Rois, d'Henry II. son mary, et de trois de ses enfans, et de deux Reines, d'Elizabet d'Austriche et de Louise de Vaudemont. Elle a aussi esté couronnée Reyne de France le 10. de Juin 1549. en l'Eglise de Saint Denys, par Louis Cardinal de Bourbon Archevéque de Sens et Abbé de ce Royal Monastere en grande pompe, où elle fut conduite par les Cardinaux de Guyse et de Vandosme, le Duc de Vandomois et le Comte d'Anguien tenans les pans de son manteau Royal, et assistée des autres Princes et des Chevaliers de l'Ordre (16). Anne de Montmorency, Connestable et Grand Maistre de France, avec son baston de Grand Maistre, enri-[237]chy d'or à devises, marchoit aprés les Princes devant sa Majesté. Les Duchesses de Montpensier l'aisnée et la jeune, et la Princesse de la Roche-sur-Yon portoient la queue du manteau de sa Majesté. A ce Sacre et Couronnement assisterent aussi Marguerite de France soeur unique du Roy Henry II. les Duchesses douairieres de Vandomois, et d'Estouteville Comtesse de Saint Paul, les Duchesses de Guyse et de Nivernois la jeune: les Duchesses d'Aumale et de Valentinois: Mademoiselle la bastarde et Madame la Connestable: Mademoiselle de Nemours et la Marquise de Mayenne. Il faisoit beau voir toutes ces Princesses et ces Dames là avec leurs cercles de Duchesses et de Comtesses, et leurs corsets et manteaux de velours bleu, et les surcots d'hermines enrichis de pierreries de grande valeur, excepté les Duchesses de Vandosme d'Estouteville, de Montpensier l'aisnée et de Valentinois, qui pour estre veuves n'avoient point d'enrichissemens sur leurs habits. Le Nonce du Pape, les Ambassadeurs de l'Empereur, d'Angleterre, d'Escosse, de Venise et de Ferrare furent aussi presens à ce Sacre.

Elle fit son entrée à Paris le 18. du méme mois, deux jours aprés celle du Roy son mary avec une grande ceremonie. Elle estoit habillée le jour de cette entrée, de surcot d'hermines couvert de pierreries d'un prix inestimable, de corset et de manteau Royal, portant sur sa teste une couronne, enrichie d'infinies perles et pierreries. Elle estoit portée dans une litiere avec Madame Marguerite vis à vis de sa Majesté. Aux deux costez de la litiere marchoient quatre Cardinaux (17) revestus de leurs rochets, et quatre de ses Escuyers d'escurie à pied, tous richement habillez, et les vingt quatre Archers de la garde du corps du Roy. Devant sa Majesté marchoient les Religieux et les parroisses de Paris, les Cours souveraines, les Ambassadeurs qui avoient assisté à son Sacre, et tous les Officiers de sa Maison, le Mareschal de Saint André, son Chevalier d'honneur, et le Connestable comme Grand Maistre de France, et les deux Huissiers de sa Chambre.

Aprés sa Majesté marchoient toutes les Princesses et les [238] Dames que j'ay nommées cy-dessus (excepté la Duchesse de Vandosme) habillées comme le jour de son Couronnement, et montées sur des haquenées blanches, harnachées de toiles d'argent, qui estoient toutes accompagnées de Princes et de Seigneurs: leurs Escuyers marchans à pied portoient la queue de leurs manteaux. Aprés elles marchoient la Mareschale de la Marc sa Dame d'honneur, et la Mareschale de Saint André, qui estoient aussi accompagnées par des Seigneurs et suivies des filles et Demoiselles de sa Majesté. A sçavoir la bastarde d'Escosse, les Demoiselles de Bressures et d'Avaugour: les Signores Silvie et Fulvie, filles du Comte de la Mirande: la Comtesse de Saint Aignan, la Dame d'Achon, les Demoiselles de Clermont et d'Humieres.

Aprés avoir fait son oraison dans l'Eglise de Nostre Dame elle s'en alla loger au Palais, où le soir fut fait le souper royal. Elle fut assise à table au méme lieu qu'avoit esté le Roy le jour de son entrée, et sous un daiz de velours bleu semé de fleurs de Lys d'or, ayant assis à sa main droite le Cardinal de Chastillon, et au dessous de luy les Ambassadeurs que j'ay desja nommez, et à sa main gauche les Princesses desquelles j'ay parlé cy dessus. Aprés avoir ouy le lendemain la Messe dans l'Eglise de Nostre Dame, elle fut conduite par le Prevost des Marchans et les Eschevins dans la sale de la maison du Cardinal du Bellay (18), qui estoit enrichie de belles peintures de l'Histoire des Dieux et des Deesses qui assisterent aux noces de Pelée et de Thetis, où le disné pour sa Majesté estoit preparé. Aprés avoir receu tous ces honneurs là, elle alla demeurer un mois entier en la Royale et plaisante maison des Tournelles, où durant ce temps là il y eut un Tournoy ouvert dans la rue de Saint Antoine, durant lequel il n'y eut point de Prince ny de Seigneur, qui ne donnast des preuves de son adresse; mais entre tous les Cavaliers qui témoignerent leur dexterité au maniement des armes aux yeux de plusieurs Dames, qui les regardoient des eschaffaux qu'on avoit dressez dans cette grande rue; celuy qui fit mieux paroistre sa valeur, fut le Roy Henry II. son mary, lequel allant donner secours aux Princes d'Ale-[239]magne l'establit Regente en ce Royaume en son absence. Aprés le decez du Roy François II. (19) elle fut encore declarée Regente par les Estats d'Orleans pendant le bas âge du Roy Charles IX. lequel estant malade à l'extremité au Chasteau de Vincennes, l'establit aussi Regente jusques à ce que Henry III. fut retourné de Pologne. Durant les guerres civiles qui survindrent aprés le decez lamentable du Roy son mary, et durant la minorité des Rois ses enfans et successeurs, cette Auguste Princesse, qui estoit douée d'une grande prudence et d'un courage mâle, s'acquit une merveilleuse authorité par toute la France. Aussi elle avoit une rare dexterité au maniment des affaires d'importance, ayant souvent donné la paix et le repos à cét Estat, aprés avoir appaisé les orages et les discordes civiles par ses sages avis et salutaires conseils, et par son grand credit et authorité, dont elle a esté louée par les Historiens et les Poëtes, qui florissoient de son temps; sur tous par Ronsard.

De vostre grace un chacun vit en paix, Pour le laurier l'Olivier est épaix, Par toute France et d'une étroite corde, Avez serré les deux mains de discorde, Morts sont ces mots Papaux et Huguenots: Le Prestre vit en tranquille repos, Le vieil soldat se tient en son ménage, L'artisan chante en faisant son ouvrage, Les marchez sont frequentez de marchans, Les Laboureurs sans peur sement les champs, Le Pasteur saute auprés d'une fontaine, Le Marinier par la mer se promeine Sans craindre rien: car par terre et par mer Vous avez peu toute chose calmer. En travaillant chacun fait sa journée, Puis quand au Ciel la Lune est retournée, Le Laboureur delivré de tout soin Se sied à table et prend la tasse au poing, Il vous invoque, et remply d'alegresse, Vous sacrifie ainsi qu'à sa Deesse.

Le méme Poëte dans ses regrets ou discours des miseres de [240] son temps qu'il a presentez à cette tres-Auguste Reyne, fait parler ainsi la France:

Toutefois en mon mal je n'ay perdu le coeur, Pour avoir une Reyne à propos rencontrée, Qui douce et gracieuse envers moy s'est montrée: Elle par sa vertu quand le cruel effort De ces nouveaux mutins me trainoit à la mort, Lamentoit ma fortune, comme une Reyne sage, Reconfortoit mon coeur et me donnoit courage. Elle abaissant pour moy sa haute Majesté, Preposant mon salut à son authorité, Mesme estant malade est maintefois allée, Pour m'apointer à ceux qui m'ont ainsi volée.

Durant la paix la Reyne Caterine fit fleurir les lettres et les arts mecaniques, l'Architecture, la Peinture et la Sculpture; mais on ne sçauroit assez la louer pour avoir à l'exemple des Princes de sa Maison (qui ont servy de refuge aux Muses de la Grece chassées et bannies de Constantinople et de l'Orient, par la barbarie des Ottomans) favorisé les hommes doctes et sçavans, et d'avoir avec une Royale dépense digne de la belle fille du grand Roy François, le Pere et le Restaurateur des lettres, envoyé querir en Grece et par tout le Levant les plus rares manuscrits en toutes sortes de langues, outre ceux de la Bibliothèque de Medicis qu'elle fit venir d'Italie, qui servent maintenant d'ornement à la Royale Librairie de nos Monarques.

Cette Reyne d'honneur des Medicis issue (20), Ainçois que Calliope à son ventre a conceue, Pour ne degenerer de ses premiers ayeux, Soigneuse a fait chercher les livres les plus vieux, Hebreux, Grecs et Latins, traduits et à traduire: Et par noble despense elle en a fait reluire Le haut Palais du Louvre, afin que sans danger Le François fust vainqueur du sçavoir étranger.

Dans les dernieres Editions il n'y a pas le haut Palais du Louvre, mais son chasteau de Saint Maur: car la Reyne Caterine estant encore Daufine fit commencer de bastir ce Chasteau là en l'honneur du Roy François le Grand le Pere des Muses et des Let-[241]tres, pour y loger sa Majesté, ces chastes pucelles et sa Librairie. Ceux qui ont esté visiter cette maison Royale n'ignorent pas que l'image de ce grand Monarque est en bronze au lieu le plus eminent de ce Chasteau là, et plus bas sont representées en marbre blanc les trois Graces auprés desquelles sont les Muses, trois d'un costé et quatre de l'autre, qui tiennent en leurs mains des instrumens de Musique, et plus bas sont écrits ces trois vers Latins en lettres d'or sur un fond de couleur rouge et noiratre.

Hunc tibi Francisce assertas ob Palladis artes, Secessum vitas si fortè palatia grata, Diana et Charites et sacrant verè Camaenae.

Ces vers Latins ont esté icy mis en nostre langue en faveur des Dames, et de ceux qui n'ont pas la connoissance de la Latine.

Pour avoir les Arts rétablis Et de richesses ennoblis, François, les Graces et Diane, Loin du tumulte de la Cour Et des yeux du peuple profane Ont à vostre repos consacré ce sejour.

et plus bas est un homme, au costé droit duquel il y a ce vers,

Ut vivas valeásque forum hîc vitabis et urbem. Loin de la ville en ce lieu écarté Vous trouverez la vie et la santé.

et au gauche cét autre,

Necres à somno, nec revocabit amor. La guerre ny l'amour en ce lieu solitaire D'un paisible sommeil ne pourront vous distraire.

Elle fit paroistre la force de son esprit en plusieurs occasions. Quand le Pape Paul IV. envoya son Legat en France le Cardinal Charles Caraffe, pour persuader au Roy Henry II. de conquerir le Royaume de Naples sur Philippe Roy d'Angleterre et de Castille qui faisoit la guerre à sa Sainteté, elle dit à ce Monarque là, Monsieur il faut que vostre Majesté envoye une armée en Italie sous la conduite d'un grand Capitaine: car vous avez beaucoup d'enfans, et la France ne tombe pas en partage, ils n'en peuvent point estre tous Roys: c'est pourquoy vostre Ma-[242]jesté ne doit pas refuser les Royaumes qu'on luy offre. Aprés la mort du Roy son mary quittant la maison des Tournelles pour aller demeurer au Louvre avec le Roy François II. son fils aisné, elle eut le jugement si present en cette violente douleur, que voulant monter en carosse, elle se souvint qu'elle estoit descendue d'un degré, et pource ne voulant point retarder de faire voir qu'elle ne l'ignoroit pas, elle dit à la Reyne sa belle fille Marie femme de ce jeune Monarque, la prenant par la main, Madame c'est à vous de marcher la premiere. Avila, Mauvisiere et les autres Historiens n'ont pas oublié de remarquer plusieurs autres traits de cette Princesse, par lesquels elle a témoigné la grandeur de son jugement. Le Duc d'Albe et les Grands d'Espagne qui se trouverent à Bayonne, à l'entreveue du Roy Charles IX. et de sa soeur Isabelle Reyne d'Espagne, rapporterent à leur Prince Philippe II. l'estime qu'ils faisoient de sa personne. L'Alemagne l'a eue en veneration, quand on vid la réponse qu'elle fit à la lettre de la Reyne Elisabet d'Austriche veuve du Roy Charles, qui luy avoit envoyé demander son avis si elle devoit penser à de secondes noces, quand l'Empereur Rodolfe II. son frere la pressa de se marier à Philippe II. Roy d'Espagne ou à Sebastien Roy de Portugal: car elle luy répondit, Qu'elle avoit l'Imperatrice sa mere auprés d'elle, par les sages conseils de laquelle elle ne pouvoit pas manquer de bonne resolution; que tout ce qu'elle luy pouvoit dire sur cela, estoit de se souvenir qu'elle avoit esté Reyne de France. La Reyne Isabelle entendant ce que vouloit dire ce conseil, rompit toutes les propositions que l'on luy voulut faire de mariage.

Elle voulut avoir à sa suitte durant le voyage et à l'entreveue de Bayonne Ronsard (que le President de Thou appelle le plus excellent Poëte qui ait esté depuis le temps de l'Empereur Auguste) afin que par ses vers il fist honneur à la France. Ceux qui ont pris la peine de lire exactement le recueil des choses notables qui furent faites à Bayonne à l'entreveue de nostre Roy Charles IX. et d'Elisabet Reyne d'Espagne, n'ignorent pas que la Reyne Caterine de Medicis mere de leurs Majestez Tres-Chrestienne et Catholique voulut avoir une journée à elle seule pour les trai-[243]ter, estimant qu'elles pouvoient estre lasses de toutes les grandeurs et les magnificences des jours precedens des carousels des Princes. Elle voulut donc entremesler quelque chose de son invention. Elle s'avisa de leur faire un festin aux champs, qui fut tout villageois, et toutesfois qui n'eut pas moins de splendeur et somptuosité que ceux de la Cour. Ce qui luy succeda selon son desir, par l'avis et le jugement de tous ceux qui le virent, selon le fidele rapport de celuy qui a recueilly tout ce qui se passa à Bayonne, et d'une Reyne qui fut presente à toutes ces galanteries, laquelle n'a pas oublié d'en rapporter quelques telles particularitez dans ses memoires. J'ay donc apris de cette grande Princesse et de l'Autheur de ce recueil, que la Reyne Caterine de Medicis fit faire une grande sale octogone, ayant de diamettre 12. à 13. toises, aprés avoir elle méme choisi le lieu à propos en l'Isle d'Aiguemeau, sur la riviere de Ladour, qui sembloit que la nature eust appropriée à cet effet là: ayant cerné dans le milieu de l'Isle un grand pré en ovale de bois de haute fustaye, où sa Majesté disposa tout à l'entour des niches, et dans chacune une table ronde à douze personnes; la table du Roy Charles, de la Reyne Caterine, et d'Elisabet Reyne d'Espagne, seulement s'eslevoit au bout de la sale sur un haut dais de quatre degrez de gazons. Toutes ces tables estoient servies par des troupes de diverses bergeres habillées de toile d'or et de satin, diversement selon les habits differens de toutes les provinces de France. Les bergeres conduites par quelques bergers à la descente des magnifiques batteaux, sur lesquels venant de Bayonne à cette Isle là l'on fut tousjours accompagné de la musique de Neptune, de six Tritons, d'Arion, de trois Syrenes et d'autres dieux marins, chantans des vers autour du batteau de leurs Majestez, entre autres ce quatrain par la troisiéme Syrene.

Comme les fleurs sont l'honneur des prez verds, Et les ruisseaux d'eau claire et argentine, Ainsi est tout l'honneur de l'Univers Charles, Philippe, Ysabeau, Caterine.

Châque troupe de ces bergers s'estoit trouvée à un pré à part aux deux costez d'une grande allée de pelouse dressée [244] pour aller à cette sale située au milieu de plusieurs canaux, entre lesquels il y en avoit un long grand et droict, qui partoit du lict de la riviere de Ladour, et estoit bordé de part et d'autre d'agreables prairies diaprées de belles fleurs et de petis boccages fort plaisans à voir. Chaque troupe des bergeres dansa aussi à la façon de son païs; les Poitevines avec la cornemuse, les Provençales la volte avec les cimbales; les Bourguignones et les Champenoises avec le petit hautbois, le dessus de violon et le tambour de village; les Bretonnes avec les passepieds et bransles gais, et ainsi toutes les autres Provinces.

Aprés que leurs Majestez se furent arrestées à voir ces danses là, elles découvrirent de loin trois Nymphes, Orphée et Linus richement vestus, qui reciterent des vers en leurs louanges, puis elles entrerent par cette belle allée dans la grande sale environnée de chesnes qui l'ombrageoient de leurs feuillages, où il y en avoit un plus grand que les autres au milieu, et au centre de l'octogone, du pied duquel sortoit une fontaine de tel artifice qu'il sembloit qu'elle fut naturelle, et dont le bassin estoit tout fait de belles coquilles de mer de diverses couleurs, qui estoient si bien appropriées et accommodées, qu'il n'estoit pas possible de voir rien de plus plaisant à l'oeil ny de plus agreable. Leurs Majestez s'estans assises avec le Duc d'Anjou (qui depuis a esté le Roy Henry III.) Madame (depuis Reyne Marguerite) et le Prince de Navarre (qui a esté depuis Henry le Grand) à la table plus élevée que les autres, le service fut porté par les bergers et les bergeres qu'ils avoient trouvé dansans à leur arrivée en cette Isle là, et marchoient en cét ordre. Premierement entroient six excellens joueurs de musettes. Aprés eux marchoient cinq bergers et dix bergeres, lesquels marchoient trois à trois portans tous les plats, excepté les Maistres d'Hostel, qui tenoient en leurs mains leurs houlettes au lieu de bastons (21).

Aprés le service de la table du Roy, huict bergers et seize bergeres portoient le service des huict tables, à chacune desquelles estoit un berger et deux bergeres, et marchoient trois à trois, tousjours un berger entre deux bergeres, qui [245] estans entrées jusques au milieu de la sale, se retiroient aux tables qu'ils devoient servir, châque berger accompagné de deux valets bergers.

A la fin du soupper entrerent six violons richement vestus, et neuf Nymphes fort belles et bien couvertes, suivies d'une grande troupe de satyres musiciens.

Les assistans furent lors ravis quand ils virent entrer un grand rocher lumineux, mais plus esclairé des beautez et des pierreries des Nymphes qui se faisoient voir dessus, que des artificielles lumieres; lesquelles descendantes de ce rocher là vinrent danser ce beau balet, duquel (comme a écrit une grande Reyne) la fortune envieuse ne pouvant pas supporter la gloire, fit orager une si estrange pluye et tempeste, que la confusion de la retraite qu'il falloit faire la nuit par batteaux, apporta le lendemain autant de bons contes pour rire, que ce magnifique appareil de festin avoit donné de contentement.

La Reyne Caterine fut heureuse en toutes ses entreprises, excepté en celles de Florence et de Portugal. Celle cy ne reussit pas selon son dessein et ses desirs, l'armée navale, dont elle avoit donné la conduite à Philippe Strozze son cousin, Chevalier des deux Ordres du Roy, et Colonel de l'Infanterie de France, ayant esté défaite par le Marquis de sainte Croix, lequel abusant de sa victoire traita plus barbarement et cruellement les prisonniers François contre la foy promise, quand ils s'estoient rendus, que si ils eussent esté des Turcs et des Cannibales, et fit inhumainement jetter ce pauvre Seigneur là tout blessé dans la mer; les ondes ayant servy de tombeau à ce brave Capitaine qui avoit eu son berceau sur les ondes, estant né à Venise durant que Pierre Strozze son pere (qui a esté Mareschal de France) faisoit sa demeure en cette riche ville avec Laudamine de Medicis sa femme. Elle commanda au President Brisson (que Cambden appelle le plus docte homme de France) d'écrire en sa faveur pour les droicts qu'elle pretendoit avoir, comme heritiere de l'illustre Maison de Boulongne, sur le Royaume de Portugal. Elle écrivit souvent au Pape Gregoire XIII. (22) pour luy faire voir et connoistre sa pretension par le sieur de Plainpied son Agent.

[246] Celle là ne fut pas plus heureuse, Cosme II. Duc de Florence ayant découvert à la Cour de Philippe II. Roy d'Espagne (dans le conseil duquel il avoit des serviteurs, ceux de la Maison de Tolede pour alliez, et le Duc d'Albe pour parfait amy) les allées et les venues de François Gorace (23), Jacobin de Florence, Docteur en Theologie de la Faculté de Paris et Pensionnaire de la Reine Caterine, qui alloit porter à ce Monarque là les plaintes des bannis de Florence dispersez par plusieurs villes de l'Europe aprés le debris de leur naufrage, et luy donner les moyens de ruiner Cosme et de remettre la Republique de Florence en sa grandeur et liberté. La sagesse de Cosme qui fit mourir Pandolfe Pucci le chef des conjurez détourna l'orage. La Reine Caterine, aprés le decez du Roy Henry II. avoit tramé ce grand dessein pour faire tomber la Toscane à l'un de ses enfans, donner de l'exercice aux esprits belliqueux, arrester les mouvemens des guerres civiles de France, et nouer plus estroitement la paix avec l'Espagnol durant le bas âge de ses enfans.

Aprés la mort de Pucci, elle ne laissa pas de porter la cause des refugiez de Florence, et cela outra vivement le coeur de Cosme: car les offenses des parens sont plus sensibles que celles des Estrangers. Il disoit souvent, la Reyne apporte en cette affaire plus de passion que de jugement, car si la Republique est un jour restablie comme elle desire, elle changera le titre de Princesse de Florence en celuy de Citoienne. Elle donna des Evéchez en Languedoc et en Provence, et éleva aux grandes fortunes ceux des Maisons les plus odieuses au Duc; l'inimitié avoit plusieurs branches qui toutes sortoient comme d'une méme tige, de ce qu'il ne s'estoit pas contenté de succeder à la Principauté du Duc Alexandre frere paternel de sa Majesté, mais il s'estoit emparé de son or, de ses bagues et de ses meubles, pour raison dequoy elle avoit un grand procez contre luy à la Rote de Rome. Tous les exilez de Florence estoient ses solliciteurs. Hipolyte Aldobrandin l'un des Auditeurs de la Rote (qui fut depuis Cardinal et Pape sous le nom de Clement VIII.) la portoit contre le Duc, et quand le Sieur de Plainpied Agent de la Reyne luy recommandoit de sa part le bon droict de sa Majesté, il luy disoit, Monsieur, je suis [247] fils de Sylvestre Aldobrandin, c'estoit dire ouvertement qu'il ne luy seroit pas contraire, estant fils d'un pere qui luy avoit sauvé la vie comme j'ay remarqué cy-dessus. Elle eut pour le méme sujet encor un procez à la Rote contre Marguerite Duchesse de Parme, qui avoit épousé en premieres noces Alexandre I. Duc de Florence, et les creanciers du Cardinal Hipolyte de Medicis, comme n'ignorent pas ceux qui ont leu exactement les lettres d'un grand Prelat de la Maison de Foix (24), qui estoit Ambassadeur à Rome pour le Roy Henry III. prés du Pape Gregoire XIII.

La Reyne Caterine, mere de nos Rois, mourut dans une petite chambre au Chasteau de Blois durant la tenue des derniers Estats de Blois le 5. de Janvier veille de la feste des Rois de l'an 1589. estant âgée de 70. ans, aprés avoir receu les Sacremens de l'Eglise. Elle laissa (comme remarque un excellent Historien (25)) pour heritier de ses propres en partie Christine de Lorraine femme de Ferdinand Grand Duc de Toscane, en partie Charles Grand Prieur de France fils naturel du Roy Charles, qui pour cela fut nommé le Comte d'Auvergne (c'est à present le Duc d'Angoulesme) et laissa plusieurs legs à ses officiers et serviteurs domestiques; mais le malheur des temps qui suivirent son decez, et les debtes qu'elle avoit faites par sa liberalité ont dissipé une grande partie tant de ses legs que de ses biens. Elle fut assistée à son heure derniere par Julien de Saint Germain Evéque de Cesarée et Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, l'un des Predicateurs du Roy son fils, lequel trois semaines aprés sa mort fit celebrer ses obseques, selon que la commodité de ses affaires le pouvoit porter. Regnaud de Beaune Archevéque de Bourges y prononça l'oraison funebre, en laquelle il loua les merites et les perfections de cette grande Princesse, qui a esté (comme confessent non seulement ses partisans, mais mesme ses plus grands ennemis) une Dame douée de plusieurs hautes et rares qualitez, ayant esté debonnaire, facile et liberale au possible. Elle ne sçavoit pas que c'estoit d'offenser personne en particulier, et moins de s'offenser d'autruy. Quelques-uns la blâment et les autres la louent, d'avoir negligé les bruits que ses ennemis faisoient courir [248] d'elle, et d'avoir méprisé les murmures et les médisances des gens de la lie du peuple et de nulle consideration et merite. Un libelle diffamatoire (26) fait contre sa Majesté intitulé La Catherine, satire des plus mordantes qui ait paru de nostre siecle, estant tombé en ses mains elle le leut tout au long, et jamais ne voulut permettre qu'on fist la recherche de l'Autheur. Son corps aprés avoir reposé vingt ans en l'Eglise de Saint Sauveur de Blois fut porté à Saint Denys en la magnifique Chapelle qu'elle avoit fait bastir par l'espace de trente ans, pour luy servir de sepulchre, au Roy son mary, à Messieurs ses enfans et à elle.

Les belles devises de cette tres-Auguste Reine se voient chez plusieurs bons Autheurs, et és superbes et Royales maisons qu'elle fit bastir et embellir en divers endroits de ce Royaume, Monceaux en Brie, saint Maur des Fossez, Chaliot lés Paris, Chenonceau en Touraine (qu'elle eut de la Duchesse de Valentinois aprés la mort du Roy Henry II. à laquelle elle donna pour échange le Chasteau de Chaumond sur Loire, qui appartenoit jadis à ceux de la Maison d'Amboise, qui ont sagement gouverné cét Estat sous le Roy Louis XII.) et és beaux Hostels et Palais des Tuilleries, et de la Reyne, maintenant l'hostel de Soissons.

La premiere devise de cette grande Princesse estoit l'Iris, l'arc celeste ou Arc en ciel, avec ces mots Grecs, FWSFEROI HDEGALHNHN. Elle portera la lumiere ou la paix.

Par cette devise elle vouloit declarer, que tout ainsi comme quand ce beau meteore paroist au Ciel, c'est signe de serenité et de beau temps, de mesme sa Majesté ne promettoit aux François que paix, repos, douceur, tranquilité et bonheur. L'Arc en ciel estant mis és nuées (comme dit le sacré Texte du Genese) pour signe de la nouvelle alliance contractée aprés le deluge entre Dieu, Noé et ses enfans, asseurez par ce beau signal, la volonté du Createur estre de ne punir plus à l'advenir le monde par deluges, inondations, ou débordemens d'eaux. Ceux qui ont leu les bons livres sçavent, que quelques Docteurs enseignent ce que signifient les couleurs de l'Iris ou Arc en ciel, la couleur rouge le sang de JESUS-CHRIST, promis aux Peres en l'ancienne loy, et [249] au temps de grace épandu pour reconcilier et mettre en paix le genre humain avec Dieu son pere; la jaune sa pieté, douceur et amour envers les hommes: la verde ou azurée le verdoiant jardin des delices, non terrestre mais celeste, auquel il les a establis, et duquel il leur donne la jouissance.

La Reine Caterine estant veuve changea la belle devise de son Iris ou Arc celeste, et prit pour symbole de la chaux qui jettoit une grande fumée à cause des eaux (hierogliphe des pleurs et des larmes) qui tomboient dessus avec ces mots, ARDOREM EXTINCTA TESTANTUR VIVERE FLAMMA.

Que la force d'amour dedans nos coeurs empreinte, Vit d'un brasier secret, quand la flamme est éteinte.

Par là elle declaroit que les flames du vray et sincere amour qu'elle portoit au Roy son époux, jettoient encor des étincelles, aprés que la vie de ce bon Prince qui les allumoit estoit éteinte. Comme elle fit paroistre par une belle parole qu'elle dit à un President de la Cour: lequel ayant rencontré en l'une de ses maisons, et luy ayant demandé ce qu'il luy en sembloit. Madame, répondit-il, je n'y trouve à redire, sinon qu'elle est trop sur le Midy. Elle luy fit cette prompte repartie. Monsieur le President, depuis que j'ay perdu mon Midy, je n'ay rien tant cherché que le Midy (27). Par cette repartie elle vouloit dire, qu'ayant perdu la veue du Roy son mary, qui luy servoit de soleil, et d'un soleil de Midy, elle n'avoit jamais rien tant desiré au monde, que de rechercher, et de revoir ce Midy en sa chaleur, et en la fervente amour qu'elle luy portoit durant qu'il estoit en vie.

Elle prit encor selon aucuns (28), aprés le decez de ce Monarque, une Lance brisée dont les éclats estoient posez en pal de part et d'autre d'un écu, avec ces mots autour, LACRYMAE HINC, HINC DOLOR: d'icy les larmes, d'icy la douleur, pour signifier que la memoire du funeste accident qui luy avoit enlevé ce Prince, luy seroit tousjours presente pour en faire le deuil, et en avoir les resentimens de douleur, que le merite de ce grand Roy, et l'amour qu'elle avoit pour luy, demandoient en une si funeste rencontre.

La plus belle des devises de la Reyne Caterine estoit une [250] Estoille au milieu d'un serpent couronné mordant sa queue, avec ces paroles Latines, FATO PRUDENTIA MAIOR: Prudence plus grande que la fatalité. Ceux qui ont expliqué ce symbole disent (29), que quoy que les Astres eussent élevé au commencement cette Auguste Princesse, pour estre fille de si illustres pere et mere, comme estoient le Duc d'Urbin et Madame de Bologne, soeur paternelle d'Alexandre premier Duc de Florence, parente de si grands Papes que Leon X. et Clement VII. femme d'un si haut, si puissant, si vertueux et invincible Monarque, comme Henry II. la fleur des Chevaliers (30), l'ornement de son âge, le comble de toute perfection, et mere de tant de Rois et de Reines: toutefois par son admirable vertu, sa modestie et sa patience, elle s'est si bien comportée avec le temps, qu'elle a esté (au moins à ce qu'en peuvent juger les hommes) et durant le cours de sa vie, et en l'article de sa mort, une des plus heureuses Reynes de nostre France.

(1) Medicis, d'or à six tourteaux I. II. II. et I. dont il y en a cinq de gueules, et celuy du chef d'azur chargé de III. fleurs de Lys d'or. (2) Michel de Castelnau, Seigneur de Mauvissiere. (3) Monsieur le Cardinal du Perron, Jean Bertault Evesque de Saiz, et Monsieur de Ronsard l'ont louée dans leurs Poësies. (4) La Reine Caterine portoit escartelé au I. et IV. de Medicis blazonné cy-dessus: contre escartelé, au I. et IV. d'azur semé de Lys d'or, à une Tour d'argent, qui est de la Tour. Au II. et III. d'or au gonfanon de gueules frangé de sinople, qui est d'Auvergne. Et sur

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