Marie dite de France

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Marie dite de France
Biographie
Date de naissance Avant 1170
Date de décès Après 1190
Notice(s) dans dictionnaire(s) ancien(s)
Dictionnaire Pierre-Joseph Boudier de Villemert (1779)
Dictionnaire Fortunée Briquet (1804)
Dictionnaire Philibert Riballier et Catherine Cosson (1779)


Notice de Anne Paupert, 2006.

De cette Marie qui semble avoir vécu surtout dans la seconde moitié du XIIe siècle et qui est la première écrivaine connue de langue française, on ne connaît guère que le prénom, dont elle signe les trois oeuvres qui lui sont généralement attribuées. Tout ce que l’on peut dire d’elle est tiré de ses oeuvres qui sont très liées à l’Angleterre. Elle vivait sans doute dans ce pays, tout en étant originaire de France ou peut-être, plus précisément, d’Île-de-France. Le «noble roi» auquel est dédié son recueil des Lais est sans doute Henri II Plantagenêt, dont la cour était alors un extraordinaire foyer de création littéraire, sous son impulsion et celle de son épouse, Aliénor d’Aquitaine.
Le joli nom de «Marie de France» a été forgé au XVIe siècle par Claude Fauchet, le premier critique à mentionner l’auteur des Fables, à partir de la conclusion de cette oeuvre: «Al finement de cest escrit/ Qu’en romanz ai treité e dit,/ Me numerai pur remembrance:/ Marie ai nun, si sui de France...». Au XVIIIe siècle, on a identifié cette Marie avec celle qui se nomme au début des Lais («Oëz, seignur, que dit Marie,/ Qui en son temps pas ne s’oblie [ne néglige pas de se faire connaître]», Guigemar, v.3-4), et avec celle qui signe l’Espurgatoire seint Patriz (saint Patrick) («Jo, Marie, ai mis en memoire/ Le livre de l’Espurgatoire/ En romanz, qu’il seit entendables/ A laie gent e covenable [compris des laïcs et mis à leur portée]», v. 2297-2300). Une autre oeuvre, la Vie de sainte Audrée, est signée en termes très semblables, mais seuls quelques critiques pensent qu’il pourrait s’agir de la même Marie. D’autres sont allés jusqu’à mettre en doute l’identité des trois «Marie», voire l’existence même de Marie de France, une position qui semble excessive. Un contemporain, Denis Piramus, fait état, dès la fin du XIIe siècle, de la notoriété de «Dame Marie» et du succès de ses Lais. Des miniatures figurent dans un manuscrit des Fables, belles représentations d’une femme écrivant à un pupitre, mais elles sont beaucoup plus tardives (XIVe siècle). Différentes tentatives d’identification ont été faites; on a songé par exemple à une certaine Marie, abbesse de Shaftesbury et demi-soeur d’Henri II. Mais elles sont restées à ce jour tout à fait hypothétiques. Comme c’est d’ailleurs souvent le cas pour les auteurs de cette époque qui ont écrit en «langue vulgaire», il faut nous résigner à ne connaître de Marie de France que son nom et ses oeuvres.
Très cultivée, sachant, outre le français, l’anglais et le latin (les Fables et l’Espurgatoire sont traduits respectivement de ces deux langues), elle manifeste dans sesLais une connaissance des traditions orales et de la langue bretonnes, aussi bien que d’Ovide et d’oeuvres littéraires de son temps (les «romans antiques»). Son recueil de Fables, adaptées en vers français à partir d’un recueil anglais que le «roi Alfred» aurait lui-même fait traduire du latin, est le plus ancien exemple conservé d’«Ysopet» en français (recueil de fables à la manière d’Ésope), genre bien attesté au Moyen Âge, et il semble avoir eu une certaine influence. Il fournit la première version en français de fables dont certaines sont très connues, comme celle du corbeau et du renard. Marie le dédie à un comte Guillaume qui pourrait être Guillaume de Mandeville, comte d’Essex, compagnon d’Henri II. L’Espurgatoire seint Patriz, plus tardif, oeuvre d’inspiration religieuse qui raconte un voyage dans l’au-delà, est la traduction assez fidèle d’une oeuvre latine d’Henri de Saltrey, moine cistercien anglais. Mais Marie est surtout célèbre pour son recueil de douze Lais, brefs récits en vers d’amour et d’aventure, composés à partir de «lais» musicaux chantés par les Bretons; enracinés dans le folklore de la Grande et de la Petite Bretagne, ils sont aussi marqués par l’inspiration courtoise, que Marie réinterprète d’une manière très personnelle.
Longtemps considérés comme une oeuvre pleine de charme, mais mineure, les lais sont de nos jours unanimement célébrés comme l’une des plus belles réussites narratives et poétiques du XIIe siècle. En témoigne l’importance considérable de la bibliographie consacrée à son oeuvre, sa présence dans les éditions en livres de poche, sa mise au programme de l’agrégation des lettres en 1979 et 1996 et la traduction de ses Lais dans de nombreuses langues.

Oeuvres

- 1170?: Lais dans Poésies de Marie de France, poète anglo-normand du XIIIe siècle, ou recueil de lais, fables et autres productions de cette femme célèbre, éd. B. de Roquefort, Paris, 1820, 2 vol. -- Les Lais de Marie de France, éd. Jean Rychner, Paris, Champion, «Classiques français du Moyen Âge», 1971 -- Lais de Marie de France, éd. Karl Warnke, trad., prés. et notes Laurence Harf-Lancner, Paris, LGF, Le Livre de Poche, «Lettres Gothiques», 1990. - 1180?: Fables dans Poésies de Marie de France..., vol. 2 (voir supra) -- Die Fabeln der Marie de France, éd. Karl Warnke, Halle, Niemeyer, 1898, réimpression Genève, Slatkine, 1974 -- Les Fables, éd. et trad. Charles Brucker, Paris/Louvain, Peeters, «Ktemata», 1998. - v.1189: L’Espurgatoire seint Patriz, éd. Th. Atkinson Jenkins, Dissertation, Johns Hopkins University, 1894 (University of Chicago Press, 1903) -- Das Buch vom Espurgatoire S. Patrice der Marie de France, éd. Karl Warnke avec en regard le texte latin d’Henri de Saltrey, Halle, Niemeyer, 1938, réimpr. Genève, Slatkine, 1973. - début du XIIIe siècle?: La vie seinte Audree (signée par une certaine Marie en des termes très proches de ceux de l’auteure des oeuvres précédentes, attribution contestée) -- La Vie seinte Audree, poème anglo-normand du XIIIe siècle, éd. Östen Södergärd, Uppsala, Lindequist, 1955.

Choix bibliographique

- Bloch, R. Howard, The Anonymous Marie de France, Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 2003.

  • Burgess, Glynn Sheridan, Marie de France: an Analytical Bibliography, London, Grant and Cutler, «Research bibliographies and checklists», 1977; Supplement 1, London, 1986; Supplement 2, Londres, 1997.
  • Dufournet, Jean et al. (dir.), Amour et merveille dans les Lais de Marie de France, Paris, Champion, «Unichamp», 1995.
  • Ménard, Philippe, Les Lais de Marie de France, Paris, PUF, 1979.

- Sienaert, Edgard, Les Lais de Marie de France: du conte merveilleux à la nouvelle psychologique, Paris, Champion, «Essais sur le Moyen Âge», 1978.

Choix iconographique

- Fin du XIIIe siècle: Anonyme, Marie de France (miniature dans un manuscrit des Fables), Paris, Bibliothèque nationale de France (Arsenal 3142, folio 256) -- repr. en couverture de l'édition du Livre de Poche, coll. «Lettres gothiques» (voir supra).

Jugements

- (À propos des Lais, cités au nombre d'ouvrages à succès jugés immoraux par l'auteur, clerc contemporain de Marie):
«[...] E dame Marie autresi,
Ki en rime fist e basti
E compassa les vers de lais,
Ki ne sunt pas del tut verais;
E si en est ele mult loee
Et la rime par tut amee,
Kar mult l’aiment, si l’unt mult cher
Cunte, barun e chivaler;
E si en aiment mult l’escrit,
E lire le funt, si unt delit,
E si les funt sovent retreire.
Les lais solent as dames pleire,
Qu’il sunt sulum lur volenté [...].»
(Denis Piramus, Vie de Saint Edmund, éd. H. Kjellman [Göteberg, Göteborgs kungliga vetenskaps- och vitterhets-samhälle, 1935], Genève, Slatkine, 1974, p.5])
(Traduction: «[...] Et aussi dame Marie, qui mit en rime et composa les vers de lais qui ne sont pas conformes à la vérité; et pourtant cette oeuvre lui vaut beaucoup de louanges, ses vers sont partout aimés; comtes, barons et chevaliers l’aiment beaucoup et l’apprécient beaucoup; ils aiment beaucoup le texte, ils le font lire et y prennent plaisir, et ils se les font souvent raconter. Les lais plaisent habituellement aux dames, car ils sont selon leur volonté [...].») - «Sa valeur poétique est médiocre [...], [elle a de la] sécheresse d’imagination [...], elle s’arrête au seuil de l’art.» (Joseph Bédier, Revue des Deux Mondes, 1891, t.107, p.857; cité par Ph. Ménard, Les Lais de Marie de France, voir supra, choix bibliographique, p.190) - (Jugement condescendant dans le célèbre manuel scolaire, qui a formé des générations de lycéens jusqu'à nos jours, et qui consacre trois pages, avec un extrait du «lai du Laostic», à Marie de France, «notre première femme poète»): «La peinture nuancée de l'amour est vraiment la grande originalité de cet auteur. Ce n'est pas encore l'amour “courtois” codifié par les amoureux transis de la poésie provençale [...]. C'est la peinture très délicate, très féminine, de sentiments tendres, d'une émotion voilée et doucement mélancolique. Dans ces lais, la femme est une créature aimante et fidèle, prête à se sacrifier pour le bonheur de l'être aimé [...]. Marie de France n'a ni l'aisance d'un conteur comme Chrétien de Troyes, ni la subtilité psychologique de Thomas. Ses récits sont parfois grêles, d'une précision un peu sèche; mais la composition en est habituellement claire et bien agencée, et sa gaucherie naïve ne manque pas de grâce.» (A. Lagarde et et L. Michard, Moyen Âge. Les grands auteurs français du programme, I, Paris, Bordas, «Textes et Littérature», p.45) - (À propos de l’importance de l’amour, considéré comme une valeur absolue dans les Lais, parti pris qui les distingue des autres oeuvres littéraires de leur temps): «Cette représentation si marquée, qui néglige les ambitions et les rêves de puissance des hommes, a peut-être quelque chose de féminin...» (Ph. Ménard, Les Lais de Marie de France, voir supra, choix bibliographique, p.138) - (À propos de la remise en cause de l’attribution des trois oeuvres à Marie de France que soulève Richard Baum dans un livre paru en 1968, Recherches sur les oeuvres attribuées à Marie de France): «Les doutes de R. Baum constituent un antidote salutaire contre les biographies de Marie de France, constituées de toutes pièces à partir des oeuvres. Mais c’est tomber dans l’excès inverse que remettre en cause l’existence même de Marie...» (L. Harf, Introduction, voir supra, OEuvres, p.10, n.5) - «[A] complex figure that is just the opposite of the simple, natural, spontaneous, and moderate image that has flourished since the eighteenth century. More complicated than Chrétien de Troyes who is all romance, or the Tristan poets Thomas and Béroul [...], she is not a simple girl [...] the range of her languages and works along with consciousness of the literary enterprise makes for a very complex case, which is why [...] she appeals so insistently to our own sensibility and why in the end she elicits [...] such a plethora of contemporary approaches. Marie’s sophistication can be seen in the variety of critical languages we have used to understand her [...] philology and textual studies, structuralism and deconstruction, psychoanalysis, anthropology, sociology, feminism, New Historicism.» (R. Howard Bloch, «Conclusion», The Anonymous Marie de France, Chicago and London, The University of Chicago Press, 2003, p.315-320)

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