Henriette de Clèves/Hilarion de Coste
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[I,790] HENRIETTE DE CLEVES (1), DUCHESSE DE NIVERNOIS, et de Retelois, Princesse de Mantoue (2).
FRANÇOIS de Cleves I. Duc de Nevers, eut de Marguerite de Bourbon sa premiere femme, soeur d'Antoine Roy de Navarre, de Charles Cardinal de Bourbon, de François et de Jean Comtes d'Anguien, et de Louys Prince de Condé; cinq enfans; sçavoir deux fils et trois filles. Les fils furent François et Jaques successivement Ducs de Nivernois, et les filles Henriette, Caterine et Marie.
Henriette l'aisnée vint au monde le 31. jour d'Octobre de l'an 1541. et receut au Baptéme le nom d'Henriette de son parrain Henry de France Daufin de Viennois, et Duc de Bretagne, qui depuis a esté le Roy Henry II. sur lequel Henry IV. tout seul a pû emporter le titre de Henry le Grand.
François et Jaques de Cleves estant decedez, Henriette de Cleves leur soeur aisnée fut Duchesse de Nevers, laquelle le Roy Charles IX. au retour de son voyage de Bayonne maria à Louys de Gonzague Prince de Mantoue, troisiéme fils de Federic Duc de Mantoue, et de Marguerite Paleologue Marquise de Montferrat sa femme, qui estoit fille de Guillaume Paleologue Marquis de Montferrat, descendu des Empereurs de Constantinople, et d'Anne de Valois ou d'Alençon, soeur puisnée de Charles dernier Duc d'Alençon, et Comte du Perche. Ce Prince de la Maison de Gonzague ou de Mantoue (auquel le Roy François I. son parrain fit donner le nom de Louys par l'Amiral d'Annebaud) estoit venu demeurer en France dés l'an 1549. où il avoit de grands biens, comme heritier d'Anne d'Alençon son [791] ayeule, sçavoir la Baronnie de la Guerche en Anjou, Povencé, Chasteaugontier, Senonches, Brezolles, et autres belles terres que l'on appelloit la Principauté de Mantoue.
Ce fut le 1. jour de Mars de l'an 1566. que les noces de Henriette de Cleves avec Ludovic de Gonzague furent celebrées à Moulins en Bourbonnois, en presence du Roy Charles, de la Reyne Caterine sa mere, et de toute la Cour: Entre autres choses il fut convenu et stipulé par leur contract de mariage, que leurs enfans porteroient le surnom de Gonzague de Cleves, pour unir plus estroitement ces deux tres-illustres Maisons de l'Italie et de l'Allemagne.
Henriette prefera Ludovic de Gonzague à tous les Princes qui la demandoient en mariage, à cause qu'il l'avoit affectionnée et recherchée du vivant de ses freres, lors qu'elle avoit moins de biens. Elle eut de cet Heros (qui a esté honoré par nos Rois pour sa valeur et sa fidelité des Gouvernemens de Piémont, de Génes, et de Saluces en Italie; et en France de ceux de Picardie, de Champagne et de Brie) cinq enfans, sçavoir trois fils, et deux filles.
L'aisnée des filles a esté Caterine de Gonzague et de Cleves (3), Duchesse de Longueville, qui eut pour parrain le Roy Charles IX. et pour marraines la Reyne Caterine, et Marguerite de France Duchesse de Savoye.
La 2. fut Henriette de Gonzague de Cleves, qui nasquit à Paris le 23. de Septembre 1571. fort sage et vertueuse Princesse, et eut pour parrain Henry de France Duc d'Anjou, et pour marraines Marguerite de France Reine de Navarre, et Philippe de Montespedon, Princesse de la Roche-sur-Yon. Estant en aage d'estre mariée, elle épousa l'an 1599. Henry de Lorraine Duc d'Aiguillon (depuis 2. Duc de Mayenne) à mesme temps que Charles Duc de Nivernois son frere épousa Caterine de Lorraine soeur du Duc d'Aiguillon. Elle deceda à Paris dans l'Hostel de Mayenne en couche d'un fils l'an 1601. au grand regret du Duc son mary.
L'aisné des masles nâquit à Paris l'onziéme de Mars de l'an 1573. et fut baptisé à Saint Germain des Prez par Monsieur le Cardinal de Bourbon, et eut pour parrain Henry Duc d'Anjou, lors éleu Roy de Pologne, qui luy donna le nom [792] de Federic en memoire de son ayeul paternel Federic de Gonzague Duc de Mantoue: il mourut le 22. d'Avril de l'an 1574. et fut enterré en l'Eglise Cathedrale de Saint Cyr de Nevers.
Le 2. vint au monde le 16. de Septembre de l'an 1576. à Paris, et fut nommé François par François de France Duc d'Anjou et d'Alençon, frere unique du Roy Henry III. et par la Reyne Louyse femme de ce Monarque là. Il ne véquit que quatre ans, estant decedé le 15. de Juin 1580. et fut inhumé à Nevers avec son frere aisné.
Le 3. nâquit à l'Hostel de Nevers à Paris le 6. de May de l'an 1580. et fut nommé Charles par ses parrains Charles Cardinal de Bourbon, Henry Duc de Guyse, et Anne d'Est Duchesse de Nemours sa marraine. Dés l'aage de 13. ans, estant Duc de Retelois (4), il voyagea en Italie, et vid les Cours de Rome, de Mantoue et de Florence, quand Louys Duc de Nevers son pere fut envoyé Ambassadeur extraordinaire par Henry le Grand, vers le Pape Clement VIII. Estant de retour en France il donna des preuves de son courage, s'estant renfermé dans Cambray à l'aage de 15. ans, où le Seigneur de Balagny, Prince et Gouverneur de cette place, (qui depuis fut Mareschal de France) se voyant assiegé par le Comte de Fuentes, fit prier Louys Duc de Nevers de luy donner du secours, qui trouva le moyen, attaquant l'ennemy d'un costé, de faire entrer quelques compagnies conduites par Charles Duc de Retel son fils par l'autre costé, qui força les gardes et les retranchemens avec perte de quelques-uns des siens. Chacun s'estonnoit de voir que Ludovic Duc de Nevers, et la Duchesse Henriette sa femme exposoient à un si grand et si evident peril leur fils unique, témoignans par là l'affection cordiale et sincere qu'ils avoient au service du Roy et de la France. Charles Duc de Retelois ayant passé à la teste de toute l'armée, sur le ventre à tout ce qui se presenta devant luy pour entrer dans Cambray rasseura le peuple, dont l'estonnement eust precipité la constance des assiegez: il prit un quartier pour faire travailler et ordonner, afin que son aage et sa qualité authorisassent le commandement par l'exemple: il fut tant loué [793] de cette action, que Françoise d'Amboise (5) Dame de Balagny, vaillante et genereuse Heroïne en écrivit une lettre pleine de ressentiment et d'admiration à Henriette de Cleves, laquelle je rapporterois en ce lieu, si elle n'estoit point couchée au long dans un Autheur moderne (6) au livre I. de l'Histoire du Roy Henry IV. à laquelle je renvoye le Lecteur curieux.
Peu de jours aprés la prise de Cambray, Louys Duc de Nivernois mourut à Nesle le 23. Octobre 1595. auquel succeda son fils Charles, qui par le conseil de sa mere Henriette de Cleves épousa à l'aage de 17. ans Caterine, fille aisnée de Charles Duc de Mayenne, comme j'ay desja remarqué en l'Eloge de cette pieuse et genereuse Heroïne. Deux ans aprés son mariage il perdit la Duchesse de Nevers sa mere, à laquelle ayant rendu les derniers devoirs, et voyant la France paisible, il alla en Hongrie sous le bon plaisir du Roy Henry IV. pour acquerir de la gloire en cette guerre sainte contre les Infideles, où aprés s'estre trouvé à plusieurs furieux combats, ausquels il se porta vaillamment jusques à ce qu'il fust blessé au siege de Bude d'une mousquetade au travers du corps; laquelle luy laissa autant de gloire que de miracle de sa conservation; car par merveille, n'ayant point offensé aucune des parties nobles, il en guerit, et retourna en France, laissant une tres-bonne odeur de sa vertu et de sa generosité en l'armée Chrestienne. Avant que d'arriver en Hongrie, il avoit visité plusieurs Royaumes de l'Europe (comme ont décrit au long plusieurs de nos Historiens (7)) où il acquit beaucoup de gloire, et receut de grands honneurs par tout où il passoit. Il alla premierement voir le fameux siege d'Ostende, pour se rendre plus capable de la milice, aprés avoir consideré l'Ordre et la discipline des armées de l'Archiduc Albert, et du Prince Maurice de Nassau. Il fut bien receu de l'Archiduc et de l'Infante à Nieuport, et aprés avoir salué leurs Altesses, il fut voir les villes de leur obeissance. Estant de retour à Calais il passa en Angleterre, où la Reyne Elizabet luy fit voir en 15. jours les raretez de sa Cour et de ses maisons Royales, et baptisa sa troupe du nom de Cavaliers: d'Angleterre il arriva en Ze-[794]lande, où ayant veu Flezingue, Mildebourg, et le reste de l'Isle, il passa en Hollande, et ayant traversé à loisir les belles villes de cette Province là, il arriva à la Haye, où le Comte Maurice luy rendit beaucoup de témoignages d'honneur et de respect: de là il passa à Leyden, à Harlen, à Amstredam, et à Utrecht, d'où il envoya son train à Vienne en Austriche pour l'y attendre, et fit le choix seulement de cinq ou six Gentils-hommes, avec lesquels il rebroussa un peu pour voir la Nort-Hollande, où il se trouve de grandes raretez; puis il visita Groeningue, la plus forte ville de la Frize: de là il alla voir les Isles Anseatiques, Bremen, Hambourg et Lubec, où trouvant un vent favorable pour aller en Dannemarc, il s'embarqua, et aborda à Copehague, où le Roy Chrestien IV. aprés luy avoir fait voir sa mere, sa femme, sa soeur, et ses freres, donné toute sorte d'honnestes plaisirs, le fit entrer dans ses superbes vaisseaux qui luy maintenoient pour lors les tributs de la mer Baltique, puis le laissa partir avec de tres-grandes protestations d'amitié, et luy donna une escorte tres-honorable. De là il vint en Pomeranie, aprés avoir costoyé un peu la Suede, et arriva au Marquisat de Brandebourg, où il vid le Marquis Joachim Federic Electeur de l'Empire: puis il continua son chemin par la Saxe, où il s'arresta à Dresde pour visiter à son aise le magnifique arsenac de canons et d'armes si belles et si polies, qu'il sert d'admiration à tout le monde. De la Saxe il passa en Boheme où il salua l'Empereur Rodolfe II. à Prague, duquel il receut de grands honneurs, et des caresses extraordinaires. Mais avant que d'aller à Vienne en Austriche, il voulut voir la Pologne en memoire du Roy Henry III. et du Duc de Nevers son pere qui l'y avoit accompagné. Tellement que prenant son chemin par Breslau, ville capitale de Silesie, il arriva à Cracovie, où il fut visité et traité par l'Evéque de cette capitale, et des Palatins de ce Royaume là, du Vice-Chancelier, en l'absence du Chancelier (8), du Pan Cracoski, que l'on dit posseder deux mille villes, et quatorze mille villages: Sigismond III. Roy de Pologne ne manqua pas à témoigner le contentement qu'il recevoit de le voir en sa Cour: et luy ayant dit adieu, s'en [795] alla à Vienne passant par les terres du Marquis de Miroue, qui ne voulut pas ceder en magnificence ny en presens aux Seigneurs Polonnois.
L'Archiduc Mathias, frere de l'Empereur Rodolfe (et qui depuis a esté Empereur) le receut splendidement à Vienne, le fit loger à l'Hostel du Duc de Mercueur, et luy témoigna les obligations que luy avoit sa Majesté Imperiale de ce qu'il alloit en Hongrie.
Russewormb Mareschal general de Camp, qui commandoit l'armée Chrestienne, le receut avec bien de l'honneur, et l'appella en tous les conseils de guerre.
Charles Duc de Nevers fut bien receu et caressé de tous ces Princes et de ces Monarques, tant pour ses merites, que pour estre Prince des Maisons de Gonzague et de Cleves, toutes deux si grandes, et toutes deux si renommées, qu'il n'y a lieu de la terre qui n'en cognoisse la gloire. Ce qui le faisoit estre parent de tous les Princes de l'Europe: ces deux Maisons estans alliées à celle de France par les femmes; et aussi à celles d'Austriche, de Baviere, de Brandebourg, de Saxe, et de Constantinople.
Depuis que Sigismond III. Roy de Pologne et de Suede eut veu ce Prince, il luy porta une amitié particuliere, et l'honora souvent de ses lettres. Cette affection est passée des peres aux enfans: car le Roy Vladislas IV. fils aisné de Sigismond ayant perdu sa premiere femme Cecile-Renée d'Austriche (dont j'ay fait l'Eloge dans la premiere partie de cet ouvrage) n'en a point voulu d'autre que la fille aisnée de ce Prince, la sage et vertueuse Princesse de Mantoue et de Nevers, Madame Louyse-Marie, que sa Majesté Polonoise a fait proclamer et declarer Reyne de Pologne dans Warsovie par le Seigneur Ossolinski grand Chancelier du Royaume le 12. de Juillet de cette année 1645. et en suite a envoyé le Comte d'Enhofft Palatin de Pomeranie, pour signer les articles de son mariage, et l'Evéque de Warmie, et le Palatin de Pouzevanie pour en faire les ceremonies, et conduire cette Princesse en Pologne.
Charles Duc de Nivernois et de Retelois estant de retour en France, le Roy Henry IV. l'envoya sur la fin de l'an [796] 1608. Ambassadeur extraordinaire à Rome, pour prester au nom de sa Majesté l'obeissance filiale au Pape Paul V. où il fit éclater sa magnificence; mais je ne m'arresteray pas à décrire dans l'Eloge de la mere tous les honneurs que receut son fils à Rome et par toute l'Italie, que plusieurs ont veu, ou qui sont rapportez dans plusieurs relations et par nos Historiens. En cette saison-là il fit bastir prés de Mezieres la ville de Charles-ville dans sa Principauté d'Arches.
Aprés la mort de cet incomparable Monarque, il continua de rendre les mesmes services au Roy Louys XIII. son fils. Il appaisa les troubles des guerres civiles à la Conference de Loudun; mais estant recommencez aprés que Mr le Prince fut arresté au Louvre le premier jour de Septembre 1616. il y eut quelques troubles en France qui furent appaisez par la fin funeste de celuy que l'on croyoit l'autheur de ces brouilleries; aussi aprés sa mort ce Prince vint saluer avec les Ducs de Vendosme et de Mayenne le feu Roy au Chasteau du bois de Vincennes, qui les receut avec des témoignages d'affection, et leur fit beaucoup de caresses.
L'an 1622. il fit avec adresse retirer des frontieres de Champagne Ernest ou Charles Ernest, Bastard de Charles Comte de Mansfeld, et Christian Duc de Brunswic, dit l'Evéque d'Halberstat, qui estoient venus du Palatinat par la Lorraine avec neuf mille hommes d'Infanterie, et sept à huit mille de Cavalerie au secours des Religionnaires rebelles.
Ce genereux Prince des Maisons de Mantoue et de Cleves est decedé au mois de Septembre de l'an 1637. estant le Chef du nom et des armes de la tres-illustre Maison de Gonzague, ayant succedé vers la fin du mois de Decembre 1627. à son cousin Vincent II. du nom aux Duchez Souverains de Mantoue et de Montferrat, et a receu les honneurs de la sepulture dans l'Eglise d'un Monastere de Religieux de Camaldoli, ayant voulu par devotion estre enterré avec l'habit de l'Ordre de saint Romuald.
Charles II. du nom son petit fils, jeune Prince de grande esperance, luy a succedé aux Duchez de Mantoue et de Montferrat, estant le fils unique de Charles de Gonzague [797] de Cleves Duc de Retel, et de la Princesse Marie de Mantoue (fille de François Duc de Mantoue et de Montferrat, et de Marguerite Infante de Savoye) laquelle est Regente de ces deux Estats là pour ce jeune Duc son fils, lequel promet non seulement d'imiter, mais de surpasser ses illustres ancestres les Princes des Maisons de Gonzague et de Paleologue, qui ont laissé des marques de leur valeur et de leur pieté en Hongrie, en Grece, et en plusieurs autres Royaumes de l'Europe et de l'Asie.
Henriette de Cleves Duchesse de Nivernois, mere de Charles I. Duc de Mantoue, et bisayeule de Charles II. à present Duc de Mantoue et de Montferrat, a receu de grands honneurs durant sa vie: car elle assista aux noces des Rois Charles IX. et Elizabet d'Austriche, et de Henry III. et de Louyse de Lorraine; et au Sacre et Couronnement de la Reyne Elizabet. Elle accompagna la Reyne Louyse quand elle alla dans l'Eglise de Mante trouver le Roy Henry IV. pour luy demander justice du detestable parricide commis en la sacrée personne du Roy Henry III. son époux.
La pieté, la liberalité, la douceur, la modestie, et l'estude des bonnes lettres, ont esté les vertus qui ont rendu plus recommandable cette grande Princesse: sa pieté a paru en la fondation de plusieurs Eglises et Monasteres en ses terres, qu'elle a basties et fondées avec le Duc son mary. Ils establirent un College de Peres Jesuites en leur ville de Nevers, qui est un des premiers Colleges qu'a eu cette Compagnie en France, et où l'on void une fort belle Eglise, qui a pour Patron le bien-heureux Louys de Gonzague, qui a quitté les honneurs de la terre, et le Marquisat de Chastillon, pour s'enrooller sous l'Estendart de JESUS en cette Compagnie là, et duquel le feu Cardinal Bellarmin ne parloit jamais sans eloge. Ils ont aussi fondé et basty un beau Convent de Cordeliers à la Cassine-le-Duc en Retelois: Ils receurent l'an 1573. fort courtoisement et charitablement les Minimes du Convent de Brancancourt (quand cette Maison là fut bruslée par les Religionnaires durant les guerres civiles) et leur donnerent aux faux-bourgs de leur ville de Retel un Convent qui a pour Patron saint Louis Roy [798] de France, et ont tousjours depuis témoigné en toutes occasions leur affection vers nostre Ordre. Le Duc Charles leur fils les a surpassé en cette affection, ayant fondé le Convent de Nevers, où il a fait paroistre sa grande pieté et devotion; aussi il a esté receu Fondateur avec la Princesse Caterine de Lorraine sa femme, au I. Chapitre general de Marseille l'an 1611. avec le contentement universel de tous les Peres. Ils prirent ensemble un grand soin que tous leurs vassaux fussent instruits en la Foy Catholique, Apostolique et Romaine: et pour leur en monstrer l'exemple, ils n'ont voulu jamais se servir d'aucun domestique ny officier qui ne fist profession de la vraye Religion.
Sa pieuse liberalité et charité envers les pauvres parut par ces deux belles fondations; l'une pour marier chaque année à perpetuité dans leurs terres et Seigneuries 60. pauvres filles, nées en legitime mariage: l'autre par laquelle on nourrit et entretient à Nevers douze pauvres femmes vieilles qui ont tousjours bien vécu, et sans reproche.
Aprés avoir vacqué aux actions de la Religion et de la pieté, elle s'addonnoit à l'estude des bonnes lettres, sans lesquelles, comme a fort bien remarqué un des grands hommes de l'antiquité; la vie de l'homme est un tombeau (9). Elle a, selon le rapport de quelques Ecrivains, traduit en nostre langue Françoise, L'Aminta de Torquato Tasso, Gentil-homme Italien, le plus excellent et le plus renommé de tous les Poëtes modernes de l'Italie, et qui ne cede à l'Arioste, à Petrarque ny à Dante. Elle n'a pas seulement fait profession des lettres et du sçavoir, mais aussi elle a secouru par sa liberalité les doctes et les sçavants, entre autres Jaques Marius d'Amboise, Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, et Professeur du Roy en Philosophie, qui est decedé estant Doyen des Lecteurs de sa Majesté en l'Université de Paris, et qui a laissé sa belle Librairie à la Maison de Sorbonne.
Elle estoit aussi l'une des plus riches Princesses de France, ayant herité de ses freres François et Jaques de Cleves, qui avec leurs grands biens estoient Princes courageux et genereux, sur tous François II. du nom, et 2. Duc de Ne-[799]vers, qui fut aprés son pere Gouverneur de Champagne, de Brie, et de Luxembourg. Ce Prince épris des perfections et des merites d'Anne de Bourbon fille puisnée de Louys Duc de Montpensier, et de Jaqueline de Longvic (10) de la Maison de Givry sa premiere femme (laquelle ayant esté nourrie avec Elizabet de France, fille aisnée du Roy Henry II. et femme de Philippe II. Roy d'Espagne, l'accompagna en Espagne) qu'il recherchoit en mariage, l'alla visiter à Madrid en poste, estant accompagné de 12. Gentils-hommes François qu'il choisit des plus galants et des plus accomplis en tous les exercices dignes de leur naissance et qualitez. Avec ces braves Cavaliers il presta le colet à toute la Noblesse d'Espagne, entre autres le Baron de Saint Remy fort et puissant de sa personne, autant que nul autre de tout son siecle, luicta de gayeté de coeur contre un Geant à Valence la Grande (10), et le terrassa en presence de tout le peuple, qui avec de grands cris et acclamations de joye, mesmement les Dames l'ayans couronné de bouquets et de chapeaux de fleurs, le menerent en triomphe par toute la ville, et luy firent des presens et beaucoup d'honneur (11).
Jaques de Cleves fut 3. Duc de Nevers, qui mourut au voyage de Bayonne à Montagny prés de Lyon, au mois de Septembre 1564. Ces deux Princes estans morts sans laisser des enfans de leurs femmes Anne de Bourbon et Diane de la Mark, fille du Duc de Bouillon et de Françoise de Brezé, Henriette de Cleves leur soeur succeda au Duché de Nevers, et au Comté de Retel, et autres belles terres et Seigneuries. Elle herita encor du Marquisat d'Isle, par le moyen de sa niece Caterine de Bourbon, fille de Henry de Bourbon Prince de Condé, et de Marie de Cleves sa premiere femme soeur d'Henriette, de laquelle je feray l'Eloge dans les illustres Maries.
Henriette estant veuve de Louys de Gonzague Duc de Nevers son mary, qui mourut à la Fere le 22. d'Octobre 1595. elle luy rendit les derniers devoirs dans l'Eglise de Saint Cyre de Nevers, où elle fit dresser un eloge à sa memoire: et six ans aprés le decés de ce sage Prince, elle passa de cette vie à l'autre dans son Hostel de Nevers à Paris, le jour de [800] saint Jean 24. Juin de l'an 1601. estant aagée de soixante et un an. Elle receut les honneurs de la sepulture auprés du Duc son mary, dans le magnifique Mauzolée qu'ils avoient fait dresser de leur vivant dans le Choeur de la Cathedrale de Nevers, au costé de l'Evangile.
Henriette de Cleves Duchesse de Nivernois épousant Ludovic de Gonzague Prince de Mantoue, prirent l'un et l'autre les mesmes armes des illustres Maisons dont ils avoient l'honneur de descendre. Et ce Prince et cette Princesse prirent aussi la devise de la Maison de Mantoue et de Gonzague; le Mont Olympe, l'un des plus hauts de toute la Grece, sur le sommet duquel il y a un Mausolée entouré d'arbres verdoyants, et chargé de l'Autel sacré de la Foy, avec la Couronne, au lieu de dais, et le mot, Olympe.
Cette devise est sainte, et l'image de nostre ame et de ses actions. La montagne excessivement haute et eslevée jusques dans les nues, monstre quelle doit estre la sublimité de nos pensées, quelle l'élevation de nostre esprit, sans nous amuser à la Philosophie Payenne. Les Princes et les Princesses de cette Maison là ont declaré que par leur Foy, leur Religion, et leur pieté, ils esperoient parvenir au vray Olympe de la gloire, la Hierusalem celeste, la montagne des Bien-heureux, et le sejour des Saints.
Louys et Charles de Gonzague de Cleves, Ducs de Nevers, n'ont pas seulement pris ce mont pour devise, mais aussi l'ont mis pour Cimier sur leur Couronne Ducale en leurs armes, esquelles on void un mont, sur la croupe duquel est eslevé un Autel, avec ce mot, FEDES, et au pied de la montagne cet autre mot en caracteres Grecs, OLUMPOS. Et pour tenants et supports un Aigle de sable, et un Cigne d'argent colleté d'une couronne d'or. L'aigle de sable est le support de la Maison de Mantoue, et le Cigne celuy de la Maison de Cleves, qui a tousjours eu cet oiseau là pour symbole, à cause, comme chante nostre Poëte (12);
Que leurs ayeuls conduits d'un Cigne blanc,
Par longs combats, et par guerres sans tréves,
Ont mis au Ciel l'illustre nom de Cleves.
(1) Cleves, de gueules, au rais pommeté et fleuronné d'or de 8. pieces percé d'argent. La Colombiere, dit de gueules, à 8. Sceptres d'or fleurdelisez, mouvans d'un escarboucle qui est au milieu de l'escu, le tout d'or. Et Chifflet, de gueules, à un escusson d'argent en coeur, au rais d'escarboucle, pommeté et fleuronné d'or, allumé de sinople, brochant sur le tout.
(2) Nevers, de France à 3. fleurs de lys d'or, à la bordure componée d'argent et de gueules. Ce sont les armes de Nivernois et de Bourgongne moderne. Les anciennes armes des Comtes de Nevers estoient d'azur à un Lyon d'or semé de billetes de mesme, sans nombre, lesquelles armes la ville de Nevers a retenu jusques à present, comme aussi la ville et Comté d'Auxerre, et la Comté de Bourgongne, qui appartenoient autrefois à mesme Seigneur.
(3) Voyez son Eloge aux illustres Caterines, page 303.
(4) Retel, de gueules, à 3. rasteaux de 6. dents, sans manches d'or, 2. 1.
(5) Amboise, pallé d'or et de gueules, de six pieces.
(6) P. Mathieu.
(7) J. A. Thuanus. P. Cayer. Mathieu.
(8) Zamoski Chancelier de Pologne estoit lors à la guerre en Livonie.
(9) Seneque.
(10) Longvic, d'azur, à la bande d'or.
(11) P. Dinet.
(12) Ronsard.