Christine de Lorraine/Hilarion de Coste
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[I,417] CHRISTINE DE LORRAINE, GRANDE DUCHESSE de Toscane.
QUI ne donne des honneurs et des Eloges à Christine de Lorraine Grande Duchesse de Toscane, les refuse à la Vertu. Je serois blasmable, si en louant tant de Princesses, je ne parlois de cette tres-illustre Heroïne, de laquelle la memoire est en benediction parmy les Florentins et les Toscans. Elle estoit la fille aisnée de Charles III. Duc de Lorraine, et de Claude de France, deuxiéme fille du Roy Henry II. et de la Reyne Caterine de Medicis. Elle vint au monde l'an 1565. le 9. d'Aoust à onze heures et demie du matin à Nancy, et receut au Baptesme le nom de Christine, ou Chrestienne, ou Christierne de son ayeule paternelle, la Duchesse douairiere de Lorraine et de Milan, de laquelle je viens de faire l'Eloge. Elle fut nourrie premierement à la pieté et aux bonnes moeurs par sa mere tres-sage Princesse, laquelle estant decedée l'an 1575. elle fut conduite en France pour demeurer en la premiere Cour de la Chrestienté, prés de la Reyne Caterine son ayeule maternelle: Là Christine de Lorraine se gouverna si sagement, que le Roy Henry III. son oncle maternel l'ayma, et la cherit comme si elle eût esté sa propre fille. J'ay veu (1) une lettre de ce [418] bon Roy, datée de Tours le 30. de May de l'an 1589. qu'il écrit à Monsieur d'Abain par Isaie Brochard sieur de la Clielle (2), dans laquelle il appelle cette Princesse, Ma fille la Grand'Duchesse.
Il n'eut point de plus grande passion que de la marier à quelque grand Prince, et ayant sceu que le Cardinal Ferdinand de Medicis (qui avoit succedé au Duché de Toscane, par la mort du grand Duc François son frere aisné, decedé le 8. ou 9. d'Octobre 1587.) vouloit renvoyer son Chapeau au Pape Sixte V. et demander à sa Sainteté, et au sacré College des Cardinaux, la permission de se marier, pour le desir qu'il avoit de laisser des enfans qui fussent capables de succeder à cét Estat là: Il envoya aussi-tost à Florence Louis de Chasteigner Seigneur d'Abain, et de la Rochepozay, et Chevalier de ses Ordres (qui l'avoit tres-fidellement servy à Rome, estant son Ambassadeur prés de Gregoire XIII.) (3) vers ce nouveau Grand Duc pour traiter le mariage de son Altesse avec la sage et la belle Princesse Christine de Lorraine niece de sa Majesté, et petite fille de la Reyne sa mere, qui desireuse de la grandeur de sa Maison, estoit grandement portée à ce mariage là. Ferdinand fit bien des caresses et des grands honneurs à l'Ambassadeur de France, auquel il fit voir à bonnes enseignes, qu'il n'avoit point de plus grande passion que d'avoir l'honneur d'estre allié du Roy Tres-Chrestien par une seconde alliance; aussi il envoya en ce Royaume Horace Ruscelay Gentil-homme Florentin, et Grand-Maistre de sa Maison, pour demander en mariage la Princesse Christine de Lorraine, qui salua le Roy et les Reynes à Blois, où lors les Estats de ce Royaume estoient assemblez.
Durant que le Seigneur Ruscelay estoit en la Cour de France, Ferdinand Grand Duc de Toscane receut la nouvelle que le Pape Sixte V. avoit receu au mois de Novembre 1588. ses deux Ambassadeurs Nicolas Tornaboni Evéque de saint Sepulcre, et Jean Nicolini, celuy-cy ordinaire, et celuy-là extraordinaire (4), ausquels il avoit accordé leur demande, comme juste et equitable, en un Consistoire, où il fit entrer seulement les Cardinaux, aprés avoir ouy la lecture de ses lettres, et les raisons pour lesquelles il renvoyoit son Chapeau à sa Sainteté, qui furent bien deduites par Cesar Marsille Advocat Consistorial, qui luy avoit fait voir claire-[419]ment qu'il ne devoit point faire difficulté d'accorder au grand Duc la permission de renoncer au Cardinalat, et de se pouvoir marier, pour conserver l'Estat de Toscane à la Maison de Medicis, son Altesse n'ayant point receu aucun Ordre sacré.
Ferdinand ayant receu cette nouvelle, quitta aussi-tost l'habit de Cardinal, et prit celuy de l'Ordre de Saint Estiene Pape et Martyr, comme Grand-Maistre de cette Milice. Son Altesse envoya en méme temps le pouvoir à Ruscelay d'épouser la Princesse de Lorraine, lequel en ayant donné avis au Roy Henry III. sa Majesté fit celebrer la benediction nuptiale dans sa Chapelle du Chasteau de Blois, en sa presence, de la Reine sa mere, de tous les Princes, et des Seigneurs qui estoient lors à la Cour; où elle voulut que Charles d'Angoulesme fils naturel du Roy Charles IX. et Grand Prieur de France épousa Christine de Lorraine, comme Procureur en cette ceremonie de Ferdinand Grand Duc de Toscane, l'ayant choisi entre tous les Princes et les Grands qui avoient desiré cet honneur avec beaucoup d'ardeur (5). La ceremonie achevée, tous les canons du Chasteau, et de la ville de Blois firent retentir leurs tonnerres, et les feux de joye et d'artifice n'y furent pas oubliez, tandis que le Roy traita splendidement tous les Ambassadeurs des Princes qui furent conviez.
Les jours s'entresuivent, mais ils ne sont pas semblables. En cette saison là survint la mort de deux Princes de la Maison de Christine, qui apporta du trouble en France; leur decés fut suivy de celuy de la Reine Caterine, grande-mere maternelle de la jeune Princesse, qui mourut douze jours aprés la mort du Duc et du Cardinal de Guyse, son grand courage demeurant accablé sous le regret qu'elle eut de voir les affaires du Roy son fils en si grand desordre. Caterine mourant laissa Christine son heritiere, avec Charles de Valois ou d'Angoulesme Grand Prieur de France, à present Duc d'Angoulesme, comme j'ay rapporté en sa vie. La mort de cette Reine (qui la priva du contentement de cette alliance, et des consolations que sa vieillesse en esperoit) fit changer les flambeaux de l'Hymenée en des torces [420] funebres: de sorte que le contract de mariage ne fut signé que cinq semaines aprés le decés de cette Princesse là.
Ce fut le 20. de Fevrier de l'an 1589. que le Contract de mariage de Ferdinand grand Duc de Toscane, et de Christine de Lorraine, fut passé à Blois en presence du Roy Henry III. de la Reine Louyse sa femme: de Christine Princesse de Lorraine, niece de leurs Majestez: de Jean de Lenoncourt Seigneur de Serres, Baillif de Saint Michel, Procureur de Charles Duc de Calabre, de Lorraine, et de Bar, fondé de procuration speciale d'une part; Et Horace Ruscelay, Grand Maistre de la Maison de Ferdinand de Medicis Duc de Toscane, et son Procureur fondé aussi de procuration speciale de l'autre, en presence du Cardinal de Gondy, et de François de Montholon Garde des Sceaux de France, comme n'ignorent pas ceux qui ont leu ce Contract là (6).
Henry III. aprés avoir signé le Contract de mariage de la Princesse Christine de Lorraine sa niece avec le grand Duc de Toscane, donna la charge au Seigneur d'Abain (que sa Majesté avoit desja envoyé en Italie pour traiter cette alliance) de l'accompagner et conduire à Florence: Charles Duc de Lorraine nomma aussi le Seigneur de Lenoncourt (7), pour rendre les mémes devoirs à cette Princesse sa fille. Mais le Seigneur d'Abain ne voulut point partir sans prendre un passe-port de Charles Duc de Mayenne, Chef de ceux de la Ligue: qui le luy octroya le 19. de Fevrier 1589. lequel ayant receu il se mit en chemin, et rendit de bons et signalez services à cette grande Duchesse durant le voyage, tant en France qu'en Italie: C'est pourquoy elle a tousjours honoré la memoire de ce Seigneur de l'illustre Maison de Rochepozay (8), duquel ayant appris la mort, elle fit paroistre l'estime qu'elle faisoit de ses merites, et l'obligation qu'elle luy avoit; ce qui donna sujet au grand Scevole de Sainte-Marthe de luy adresser ce Sonnet;
Princesse, l'ornement de ta belle Florence,
Fleur du sang de Lorraine, et du sang de Valois,
[421] Que le saint Hymené range dessous les lois
D'un Duc qui sur les Ducs obtient la preference.
S'il te souvient du lieu de ta chere naissance,
Tu pleures comme nous un Chevalier François,
Aimé du Roy ton oncle, et qui fit quelquesfois
Service à ta grandeur en chose d'importance.
Ce fut luy qui traita ton mariage heureux,
Ce fut luy qui suivit ton depart douloureux,
Et parmy le troupeau des chastes Demoiselles,
Dont l'honneste devoir si loin t'accompagna,
Pour honorer tes pas à ta suitte emmena
Les Nymphes d'Helicon ses compagnes fidelles.