Marie de Luxembourg (1562-1623)/Hilarion de Coste
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[II,586] MARIE DE LUXEMBOURG DUCHESSE DE MERCOEUR et de Penthevre, Princesse de Martigues (1).
VOICY encore une Marie de Luxembourg illustre et celebre pour ses vertus, particulierement pour sa pieté et sa liberalité. Cette grande Princesse estoit fille et unique heritiere de ce brave Mars François Sebastien de Luxembourg, Prince de Martigues, Duc de Penthevre, Gouverneur et Lieutenant pour le Roy en Bretagne, et de Marie, de la noble et ancienne Maison de Beaucaire en Bourbonnois, fille de Jean de Beaucaire, Seigneur de Puiguillon, Seneschal de Poitou, et niece de François de Beaucaire Evéque de Mets, Seigneur de la Creste, Baron de Saint Didier, qui a assisté au Concile de Trente, et écrit un Traité des enfans morts nez, et l'Histoire de France qui a esté mise en lumiere depuis quelques années.
[587] Marie de Beaucaire Princesse de Martigues en Provence accoucha de Marie de Luxembourg sa fille aisnée (laquelle depuis est demeurée unique) le 15. de Fevrier de l'an 1562. au Chasteau de Lambale, au grand contentement de Sebastien de Luxembourg son mary, et Jean de Brosse Duc d'Estampes, oncle maternel de Monsieur de Martigues, qui ayans receu le commandement du Roy Charles IX. de conduire sa belle-soeur Marie Reyne douairiere de France et proprietaire d'Escosse jusques à Calais, ils ne voulurent pas estant bons Chrestiens et Catholiques, sortir de Bretagne qu'ils n'eussent fait recevoir le Sacrement de Baptéme à cette Princesse qui estoit lors âgée de six mois.
Ce fut le 16. de Juillet de la méme année que les ceremonies en furent celebrées dans l'Eglise de Saint Pierre de Nantes par le ministere d'Antoine de Criequy lors Evéque de Nantes (qui depuis a esté Evéque d'Amiens et Cardinal) qui la nomma Marie à l'instance de son Parrain Antoine de Bourbon Roy de Navarre, et de ses marraines Marie Reyne d'Escosse et Marguerite de France 3. fille du Roy Henry II. et soeur du Roy Charles IX. depuis Reyne de Navarre et Duchesse de Valois.
Le baptéme de Marie de Luxembourg fut fort celebre. Le Deputé du Roy de Navarre et ceux de la Reyne d'Escosse et de Madame Marguerite de France estoient logez en diverses maisons de la ville de Nantes superbement ornées, tout ainsi que si le premier Prince du sang de France et ces deux Princesses y eussent esté, comme aussi ceux des Seigneurs d'Estampes et de Martigues. Marchant à l'Eglise Cathedrale, d'un costé de la rue alloient cent des principaux habitans de la ville portans chacun une torche de cire blanche allumée, et de l'autre costé cent Gentils-hommes, et les Gens-d'armes et Archers et toute la Compagnie de Messieurs d'Estampes et de Martigues, chacun un flambeau de cire en main. Ils estoient suivis d'un chariot rempli de nimfes, de satyres, et de musiciens qui faisoient une excellente musique.
Au haut de ce chariot estoit écrit en lettres d'or, Tessera militis Christiani, c'est à dire, l'enseigne du Soldat Chrestien, et [588] de chaque costé, trois sentences de la sainte Ecriture toutes rapportées au Saint Baptéme, que l'on peut voir dans l'Histoire genealogique des Maisons illustres de Bretagne, que le Reverend Pere Augustin du Paz Docteur en Theologie et Religieux de l'Ordre de saint Dominique a composée.
Aprés ce chariot l'Université et la Justice marchoient, chaque corps tenant son costé de rue, suivis de six trompettes qui precedoient le Heraut de Bretagne vestu de sa cote d'armes semée d'hermines. Les Officiers de la ceremonie qui estoient des premiers Seigneurs du Duché de Bretagne, sçavoir Messieurs du Gué de l'Isle, de la Maison de Rieux, de Carmen, de Bazoges, de Goulaines et d'Acerac qui portoit cette Princesse de la Maison de Luxembourg, ayant pour aide à sa droite le sieur de Sevigné, et à sa gauche le sieur de Tiouarlen. Derriere eux marchoit le Seigneur de Chasteau-neuf, fils de Monsieur de Rieux qui nue teste portoit la queue d'un drap d'or fort riche et semé de pierreries dont la Princesse de Martigues estoit couverte. Les Deputez du Roy de Navarre et des deux Princesses suivoient avec la Dame de Sanzay accompagnée de plusieurs Dames et Demoiselles de grande maison. Toutes les rues par où passa cette compagnie estoient tendues de tapisseries, et depuis l'Hostel du Duc d'Estampes jusques à l'Eglise de Saint Pierre, les rues estoient bordées de quatre compagnies de gens de pied étrangers, et sept compagnies de gens de pied de la garde ordinaire de la Ville. L'Eglise Cathedrale estoit richement tapissée, et au milieu de la nef fut dressé un pavillon de riche estoffe, sous lequel la petite Princesse fut baptisée par le Cardinal de Crequy (qui fut la derniere action que fit au Diocese de Nantes, ce grand Defenseur de la Religion Catholique, l'honneur et la gloire des illustres maisons de Canaples, de Crequy et d'Acigné) les grosses cloches ayans donné le signal de la ceremonie, le Seigneur de Sanzay Gouverneur et Capitaine des villes et Chasteau de Nantes fit lascher toute l'artillerie tant du Chastaeu que de la ville, et le sermon fait par le Theologal de Nantes qui le finit par cette belle priere: Veuille Dieu, ô fille bien-heureuse que la remission, la grace, la pieté, l'innocence, la sanctification qui vous [589] ont esté aujourd'huy gratuitement offerts, soient conservez en vous tous les jours de vostre vie, afin que rien n'y demeure de la premiere generation, et que jamais cét esprit banny n'ait domicile en un corps si precieux. Vuille que la confession de foy, que vous avez promise aujourd'huy par vos pleges vous accompagne tousjours comme une fidele tutrice. Fasse que comme un franc provin de vigne, exctraite de tant de fideles Princes, Ducs et Comtes vos ancestres, vous vous opposiez quelques fois pour mur d'Israël, contre ceux qui de sa sainte Maison en font une caverne de brigdans, afin qu'en vous soit verifié le Proverbe; à un bon Pere, meilleure fille. La Compagnie s'en retourna en méme ordre à l'Hostel de Messieurs d'Estampes et de Martigues dans lequel il faisoit beau voir la grande sale du bal richement ornée.
Sebastien Prince de Martigues ayant esté tué le dernier de Novembre de l'an 1569. devant Saint jean d'Angely aprés avoir rendu plusieurs signalez services à nos Roys tant en France qu'en Escosse, Marie de Luxembourg sa fille qui n'avoit lors que 7. ans 9. mois et 12. jours, demeura sous la garde de sa mere Marie de Beaucaire Princesse de Martigues, qui prit le soin de la nourrir et cultiver avec une telle solicitude qu'elle ne pouvoit qu'elle ne devinst un jour une des sages et vertueuses Princesses de la Chrestienté, estant élevée par une mere qui a esté durant sa vie un miroir et exemplaire de perfection, laquelle dés sa jeunesse gagna tellement les bonnes graces de Marie Reyne de France et d'Escosse, que cette genereuse Princesse estant nostre Reyne luy fit épouser le courageux et magnanime Prince de Martigues, l'honneur et la gloire de la Noblesse Françoise, au mois d'Aoust de l'an 1560. La Reyne n'honora pas seulement de sa presence, la ceremonie des noces de Sebastien de Luxembourg et de Marie de Beaucaire qui se fit à Meaux durant l'assemblée des Notables: mais aussi le Roy François II. Messieurs les Ducs d'Orleans et d'Angoulesme ses freres (qui ont esté depuis nos Roys Charles IX. et Henry III.) les Cardinaux de Bourbon, de Lorraine, de Guyse et autres grands Princes et Seigneurs;
Marie de Luxembourg ayant herité des vertus comme des biens de son pere et de sa mere, eut ce bon-heur d'avoir pour [590] mary l'un des plus accomplis Seigneurs de son temps le genereux et magnanime Philippe Emanuel Duc de Mercoeur Marquis de Nomeny premier Prince du sang, de la genereuse et ancienne Maison de Lorraine, frere de la Reyne Louyse femme du Roy Henry III. cet admirable temple des vertus en nos jours; de Marguerite de Lorraine Duchesse de Joyeuse et puis de Luxembourg; du Marquis de Moy Compte de Chaligny; de Charles Cardinal de Vaudémont, et d'Erric Evéque de Verdun.
Cette vertueuse Princesse n'estoit âgée que de treize ans quatre mois et vingt-cinq jours, quand le Roy Henry III. luy fit épouser dans Paris le 12. de Juillet de l'an mil cinq cens soixante et quinze ce Prince Lorrain son beau-frere, fils de Nicolas de Lorraine Duc de Mercoeur en Auvergne, et Comte de Vaudemont et de Chaligny, et de sa seconde femme Jeanne de Savoye fille de Philippe de Savoye Duc de Nemours, et de Charlote d'Orleans de la Maison de Longueville. Marie de Luxembourg véquit avec ce brave Prince en grande paix et union, n'ayant point de plus grand soin que de luy plaire: C'est pourquoy elle faisoit en sorte d'éloigner de luy tout ce qu'elle s'imaginoit luy pouvoir estre desagreable; encore que pour les grandes et immenses dépenses qu'il faisoit elle previt et apprehendast un grand embarassement aux affaires de leur Maison, jamais neantmoins on ne l'entendit murmurer, ny mesme seulement se plaindre; au contraire elle travailloit de tout son pouvoir à trouver le moyen de soustenir cette charge, et de fournir à cette grande dépense, pour delivrer de ce soin ennuyeux l'esprit de son mary: qui aussi reconnoissant l'entiere affection qu'elle luy portoit, l'aimoit d'un amour si parfait, que l'on pouvoit dire que comme ils n'estoient qu'un mesme corps et une mesme chair, par les saintes loix du mariage, aussi n'avoient-ils qu'un coeur et un esprit par l'amour reciproque qu'ils se portoient, et par la mutuelle intelligence qu'ils avoient ensemble; de maniere que comme Marie de Luxembourg Duchesse de Mercoeur se portoit gayement à toutes les volontez de son mary pour luy complaire, de mesme le Duc de Mercoeur son mary condescendoit facilement à tout [591] ce qu'il jugeoit luy pouvoir estre agreable; et comme il l'avoit recogneue d'un naturel porté à la pieté, au lieu de l'en distraire il faisoit son possible pour luy donner moyen de s'y entretenir, la soulageant d'une grande partie du soin de ses affaires domestiques, afin qu'elle eust plus de loisir de s'occuper en ses devotions, sans detriment de l'administration de sa famille, à laquelle elle estoit principalement obligée; et par cette voye l'oeconomie et la devotion marchoient toûjours de compagnie en sa maison, et par ordre, donnant ce qu'il falloit de soin à la conduite de ses affaires, et le reste du temps l'employant aux exercices de pieté, et à faire de bonnes oeuvres selon qu'elle en découvroit les occasions. Car elle ne se contentoit pas de faire le bien, mais elle le vouloit bien faire; et lors que plusieurs biens se presentoient à la fois, elle couroit tousjours au meilleur; mais comme son humilité luy donnoit une grande méfiance de soy-mesme et de son esprit, (encore qu'il fust l'un des plus capables de son sexe) elle prenoit tousjours l'avis des gens de bien et de reputation avant que de resoudre ce qu'elle avoit à faire, afin d'avoir avec le merite de son ouvrage, le repos et la satisfaction en l'esprit, de l'avoir entrepris avec prudence, et executé par conseil.
Ce sont les regles qu'elle gardoit exactement en la conduite de ses actions et de sa vie qui l'ont rendue si admirable, qu'elle a merité d'estre mise en veue comme un modele, et proposée comme un patron à imiter à tout le monde. Elle a eoncre fait paroistre son affection envers son mary aprés sa mort, par les magnifiques obseques qu'elle luy a fait faire en France, en Lorraine, et en Allemagne. Aussi on ne pourroit assez rednre d'honneurs et de devoirs à cet excellent et magnanime Prince, qui a fait tant de signalez exploits de guerre en Hongrie contre le Turc (2), et remply tout l'Orient de la terreur de son nom et de la grandeur de sa renommée.
Elle avoit eu trois enfans, deux fils et une fille de ce vaillant Capitaine le support des Chrestiens et le lfeau des Infideles en la Pannonie, sçavoir Louis de Lorraine, qui nasquit le 21. de May de l'an 1589. le jour de la Pentecoste et mou-[592]rut le 21. de Decembre de l'année suivante et fut inhumé en l'Eglise de Sainte Claire à Nantes. François et Françoise de Lorraine enfans gemeaux: mais François mourut peu de jours aprés sa naissance: de sorte qu'il n'est resté de son mariage qu'une seule fille Madame Françoise de Lorraine Duchesse de Vendosme, d'Estampes, de Mercoeur, de Penthevre, et de Beaufort, Princesse de Martigues et d'Annet, en laquelle (selon le veritable témoignage d'un saint Prelat) (3) estant encore fille et toute jeune Princesse on voyoit desja fort remarquablement les traits de cette excellente vertu et pieté, qui reluisent maintenant en elle, digne de l'extraction et nourriture d'une si devote et pieuse mere. Elle épousa l'an 1609. Cesar Duc de Vendosme, fils naturel du Roy Henry le Grand, qui fut associé en l'Ordre du saint Esprit par le Roy Louis le Juste en l'année 1619. et qui a depuis servi sa Majesté en la guerre contre les rebelles de la Religion Pretendue Reformée en Bretagne, en Languedoc, en Guyenne et en Poitou. Duquel elle a eu deux fils et une fille, Louis de Vendosme Duc de Mercoeur, François de Vendosme Prince de Martigues et Duc de Beaufort, et Isabelle de Vendosme, mariée à Charles Amedée de Savoye Duc de Nemours et de Genevois, dont elle a trois enfans, sçavoir deux filles et un fils: qui sont tels qu'on peut dire sans flatterie au raport de celuy qui a écrit la vie de cette Duchesse de Mercoeur (4), que la France et mesme tout le monde ne voit rien de mieux formé ny de plus parfait, soit pour le corps soit pour l'esprit. Marie de Luxembourg leur ayeule maternelle a pris le soin elle mesme de faire nourrir et instruire en sa presence ces Princes et cette Princesse, heureux d'avoir receu leur premiere instruction d'une si vertueuse Princesse, recommandable par ses vertus, particulierement par sa charité, par sa liberalité, par sa modestie, par son humilité, par sa prudence, par sa sagesse, par sa devotion, par sa pieté et par tant d'autres perfections.
Les villes de Paris et de Nantes peuvent témoigner combien grandes ont esté ses liberalitez et ses aumosnes envers les maisons Religieuses. En celle-cy les Capucins et les Minimes la reconnoissent pour leur fondatrice, avec feu Monsieur de Mercoeur; en celle là les Feuillants, les Capucins, [593] les Jacobins Reformez reconnoissent ses bien-faits; le seul Monastere des Capucines ou Filles de la Passion, luy ayant cousté à bastir plus de quatre-vingts dix mille escus, outre les vingt mille laissez par la Reyne Louyse, sans les aumosnes et charitez qu'elle leur faisoit journellement, n'estant pas seulement leur fondatrice mais leur mere nourrice, parce qu'elle les avoit logées, et les alimentoit tous les jours. Les hospitaux non seulement de ces deux villes, mais de tous les lieux où elle faisoit quelque séjour donneront bon témoignage de sa charité incomparable: car elle les envoyoit visiter chaque jour, non pour sçavoir simplement l'estat de leur pauvreté, mais pour secourir leur misere par les aumosnes et largesses, fournissant non seulement les vivres pour la nourriture des pauvres et des malades, mais les linges, les vestemens, et l'argent pour les habiller et les nourrir et ayder à l'entretenement des officiers et charges des maisons.
Les pauvres non seulement des villes où elle faisoit sa demeure, mais principalement de la campagne, qui sont plus dignes de compassion, publieront tous à haute voix qu'ils doivent une bonne partie de leur vie à la charité de cette grande Princesse: si bien que celuy s'estimoit assez aise, et comme asseuré de sa vie qui pouvoit luy faire entendre son besoin; et ses vassaux servoient d'objet d'envie aux autres, parce que l'ayant pour maistresse ils l'avoient quant et quant pour mere nourrice de leurs familles, et pour asyle de leurs necessitez. Encore sa charité s'estendoit-elle bien davantage qu'à l'endroit de ses vassaux, parce qu'elle l'exerçoit sur toutes sortes de personnes pourveu qu'il luy apparust de leurs necessitez: sur tout se monstroit-elle liberale à l'endroit des personnes affligées, ausquelles elle ne se contentoit pas de faire de grandes aumosnes journellement, mais elle les dégageoit bien souvent de la prison, principalement aux bonnes Festes: elle en a fait sortir jusques à sept pour une fois. Sa maison et sa bourse ont tousjours servy de refuse à la Noblesse affligée de pauvreté, en leur faisant bailler de grandes sommes, et souvent jusques à mille escus à de pauvres Demoiselles pour aider à les marier.
[594] Si Marie de Luxembourg Duchesse de Mercoeur a esté grandement charitable et liberale, elle n'a pas moins esté modeste et humble; car dans l'opulence de ses grands biens et revenus, elle avoit sagement retranché tous les excez dont les Dames de moindre condition font parade: ses habits et ceux de ses filles estoient simples et modestes; on ne voyoit point sur elle et sur sa suite, comme aux autres maisons des grands de sa qualité, éclater le clinquant et la broderie; les diamants ne brilloient point ny à ses cheveux ny à ses oreilles: elle abhorroit tous ces noeurds, ces chaisnes, ces brasselets, et autres vanitez dont les Dames ont de coustume de se parer; elle se contentoit d'estre habillée simplement et nettement, et son habit plus ordinaire estoit de serge ou d'étamine, sans artifice ny en sa teste ny en son corps, pour faire rougir de honte les simples Demoiselles et Bourgeoises, qui gesnent leurs pauvres maris, et estreoignent leurs bourses pour estre braves et vestues richement; aimant mieux voir un bissac sur les espaules de leurs enfans, que de n'estre pas couvertes d'or ou de soye. Pour sa table elle la tenoit honorable, mais sans artifice; pour la refection, non pour l'ostentation; pour la necessité du corps, non pour la vanité de l'esprit; c'estoit une honneste frugalité, non pas une dissipation gloutonne: bref comme il n'y avoit rien à desirer pour la nourriture, aussi n'y avoit-il rien à retrancher pour la superfluité.
Il ne faut pas s'estonner si cette Princesse a esté modeste, puis qu'elle a esté si humble. De grace, quelle plus grande humilité, qu'encore que par la condition de sa naissance, et par la qualité de feu Monsieur de Mercoeur son mary, elle tinst rang d'une des plus illustres Dames et des plus grandes Princesses en ce Royaume, neantmoins oublieuse de toutes ces grandeurs, dont la pluspart du monde d'aujourd'huy, et particulierement les femmes, font gloire pour s'élever dessus les autres, et leur donner la loy; elle paroissoit modeste en ses regards, retenue en ses paroles, moderée en ses actions, simple en ses habits, accostable à tous, familiere avec les siens, debonnaire aux plus petits sans affectation ny artifice, par une singuliere modestie, laquelle outre qu'elle luy acque-[595]roit les coeurs de tout le monde, découvroit autant sa grandeur entre celles de sa qualité, qu'elle taschoit de la couvrir en s'abaissant elle mesme. Combien de fois la France, et en particulier la ville de Paris, l'a-t'elle veue en la pratique de cette excellente vertu, simplement vestue, sans artifice ny affectation, jamais de fard ny de vermillon dessus ses joues, mais une nue et douce simplicité, une facilité à se laisser aborder à toutes sortes de personnes, autant les petites que les grandes, qui avoient quelques affaires à traiter avec elle? Combien de fois l'a-t'on trouvée aux Eglises parmy la foule du peuple, pressée d'une indiscrete populace, sans murmurer ny se donner à connoistre, de peur d'estre honorée comme une Princesse de sa qualité? Combien de fois les siens ont-ils esté ravis de la voir se ravaler si bas, que de les assister et servir en leurs maladies; je dis mesme jusques aux choses les plus viles et les plus basses? Combien de fois les filles de la Passion ont-elles admiré cette grande Princesse leur Fondatrice, issue des Maisons de Luxembourg, de Savoye, de Bretagne, et de la Royale Maison de France par la branche de Valois, se ranger souvent auprés d'elles pour pratiquer en sa personne toutes les austeritez et mortifications de la Religion, voire les derniers offices de la maison, jusques à descendre à la cuisine, habiller le poisson, laver les escuelles, les servir à la table, et les traiter en leurs maladies; faisant gloire de s'abaisser, et de servir à la maison de Dieu, plustost que de recevoir le service et l'obeissance de ses Officiers et domestiques; et disant avec le plus humble des Roys: J'ay choisi d'estre abjecte en la maison de Dieu, plustost que d'estre grande en la demeure des pecheurs.
Nous avons desja remarqué quelques traits de sa prudence au commencement de cet Eloge. Elle a fait paroistre cette vertu au soin particulier qu'elle a eu d'entretenir la paix en sa maison: car cette sage Princesse ne pouvoit souffrir les querelles et riottes entre ses domestiques, sçachant bien que Dieu ne se rencontre point en la division, et qu'il ne peut demeurer qu'en la paix: pour cela aussi tost qu'elle entendoit parler que quelques petites dissensions s'estoient émeues entre quelques-uns des siens (comme en effet il est fort difficile [596] qu'en une si grande famille, et dans un si grand nombre de serviteurs, il n'arrive quelques dispute) elle-mesme prenoit la peine de les reconcilier, reprenant aigrement et d'un visage fort severe, celuy qui estoit convaincu d'avoir esté l'autheur de la querelle. Sur tout elle avoit en singuliere recommandation la pureté, et n'eust pas souffert la moindre impudicité du monde en sa maison, et quiconque glissoit seulement en ce pas, pouvoit fort bien faire son conte de conter avec elle pour jamais.
Sa principale action estoit de n'estre jamais sans action, et d'obliger les autres à travailler à son imitation, et fuir l'oisiveté: aussi estoit-elle douée d'un corps fort et robuste pour soustenir le travail, auquel de bonne heure elle l'avoit habitué: d'un esprit vif, actif, prompt, vigilant et present en toutes choses, si bien qu'aux affaires les plus difficiles où les autres se trouvoient d'ordinaire embarassez, elle estoit la premiere à rencontrer les moyens et les expediens d'en sortir, et de les faire heureusement reussir, faisant par ce moyen également admirer la force de son corps, et la vigueur de son esprit, la fatigue de l'un et l'activité de l'autre, tous deux ne se lassans jamais de travailler. Mais ce qui releve de prix cette assiduité au travail, c'est que cette sage et prudente Princesse se portoit avec regle et avec ordre à ses ouvrages: car ses actions estoient si bien compassées, que se rendant fort assidue au service de Dieu, elle n'obmettoit rien du soin qu'elle devoit au gouvernement et à la conduite de sa famille.
Sa devotion et sa pieté n'a pas esté moindre que ses autres vertus. Dés le matin elle faisoit son oraison dans son Cabinet ou Oratoire, ayant premierement occupé son esprit un quart d'heure devant que se lever à la meditation de quelque saint mystere de nostre Foy, principalement de la Vie, Mort et Passion de JESUS-CHRIST. Elle presentoit les primices de la journée à la divine Majesté; elle assistoit tous les jours aux Eglises aux divins offices, et sur tout à la sainte Messe: sa conversation la plus ordinaire estoit avec des Religieuses et des filles consacrées au service de Dieu: ses jeusnes estoient frequents, car outre ceux qui nous sont commandez par l'Eglise, elle jeusnoit encore avec la permission [597] de ses peres spirituels les veilles de toutes les Festes de la Vierge, et toutes celles qui sont celebrées en toutes les maisons reformées de saint Benoist, de saint François, et de sainte Claire. Elle ne laissoit passer aucunes de ces Festes ny aucun Dimanche sans approcher de la sainte Table, avec des sentimens incroyables de la bonté de Dieu qui luy tiroient souvent de joye et de ravissement les larmes des yeux. La devotion particuliere qu'elle avoit à Jesus et à Marie, faisoit que tous les jours elle disoit le Chapelet ou la Couronne de Nostre Seigneur et celle de Nostre-Dame. Comme elle avoit commencé la journée ainsi elle la finissoit, car devant que de se mettre au lict pour prendre son sommeil, elle prenoit une heure pour faire une reveue sur les actions de chaque jour, et voir si elle avoit suivy les resolutions du matin, si parmy les occupations temporelles elle n'avoit point un peu attaché son affection à la terre, si elle avoit tousjours donné bon exemple à ses domestiques, si elle n'avoit point obmis quelque occasion de prier Dieu, et de faire quelque action vertueuse, si elle avoit recherché sur toutes choses la gloire de la divine Mahesté. Si par ce saint examen (negligé et mesprisé par la pluspart des Chrestiens) elle reconnoissoit avoir fait quelque bien, elle prenoit de là occasion de s'humilier, rapportant tout au secours de la grace, dont elle faisoit mille remerciemens à l'autheur pour l'obliger à luy en continuer les biens: si au contraire elle remarquoit quelque defaut aux actions de la journée, se confondant encore davantage en ses infirmitez, aprés en avoir humblement demandé pardon à Dieu, elle redoubloit ses voeux pour obtenir la grace de n'y plus retomber, et de mieux faire à l'advenir.
Telle qu'est nostre vie, tel est pour l'ordinaire nostre depart de ce monde, c'est à dire que ceux qui ont vécu et mené une vie vrayment Chrestienne, laissent ce contentement à leur mort à leurs proches, et à leurs amis d'avoir à leur decez donné des marques et des témoignages qu'ils sont morts en la crainte et en l'amour de Dieu. Cette grande Princesse qui s'estoit retirée à son Chasteau d'Annet à cause de la maladie contagieuse dont la grande ville de Paris fut affligée l'an 1623. tomba malade d'une maladie qui la porta au tom-[598]beau au mois de Septembre de la mesme année, aprés avoir receu avec ferveur et devotion les Sacremens de l'Eglise en presence de Monsieur et de Madame de Vendosme, de ses petits enfans Messieurs de Mercoeur et de Martigues, de Mademoielle de Vendosme à present Duchesse de Nemours, aprés leur avoir fait de belles et saintes instructions dignes d'une si sage et si vertueuse Princesse.
L'année suivante son corps fut apporté de la Chapelle du Chasteau d'Annet dans l'Eglise des Filles de la Passion, où il a esté inhumé prés de celuy de la Reyne Louise dans la cave qui est sous le choeur, et sert de sepulture aux Religieuses Capucines, où l'on voit une simple croix de bronze sur une baze de marbre noir, avec cette Inscription:
Cy gist Marie de Luxembourg Duchesse de Mercoeur, Fondatrice avec la Reyne Louise sa belle soeur. Elle mourut en son Chasteau d'Anet le sixiéme de Septembre mil six cens vingt-trois.
Son coeur est enchassé avec celuy de feu Monsieur de Mercoeur son mary, à main droite de la grille qui sert de separation de l'Eglise des Religieuses d'avec les seculiers, sous un marbre noir où l'on voit cette Inscription:
Cy gisent les coeurs de Philippe Emanuel de Lorraine Duc de Mercoeur frere de la Reyne Louise et Lieutenant general de l'Empereur en ses armées de Hongrie, qui deceda en Alemagne l'an mil six cens deux, et de Marie de Luxembourg son épouse qui a fait bastir ce Convent, et qui a esté enterrée le sixiéme de Septembre mil six cens vingt-quatre.
Madame de Vendosme luy a fait faire ses obseques et pompes funebres. Monsieur Cospean Evéque de Nantes prononça l'Oraison funebre de cette Princesse; et sa vie a esté écrite amplement par François d'Abra-de-Raconis (5) Docteur en Theologie de la Faculté de Paris, Predicateur ordinaire du Roy, à present Evéque de la Vaur, renommé pour ses doctes predications et ses écrits tant de Theologie Scolastique, que contre les Ministres et sectaires de Calvin. Nous nous en sommes servis et aidez pour faire cet Eloge, ayant creu qu'il seroit bon de le suivre, comme ayant esté témoin oculaire des genereuses actions de cette grande Princesse de la Maison de Luxembourg, de laquelle il ne faut pas [599] s'étonner si les Princesses sont si pieuses et si vertueuses, puis qu'elle a donné à la Chrestienté plusieurs Princes illustres en sainteté, entre autres Pierre Cardinal de Luxembourg, le Thaumaturge, c'est à dire le Faiseur de miracles, Patron de la ville d'Avignon, appelléSaint par la voix du peuple pour les innombrables miracles qui se font à son tombeau, et nommé Bien-heureux par le Pape Clement VII. de la Maison de Medicis l'an 1527. avec le Bien-heureux Louis Allemand, Cardinal et Archevéque d'Arles.
(1) Luxembourg Martigues, escartelé au I. et 4. de Luxembourg au 2. de Savoye, au 3. de Bretagne, ou de Brosse.
(2) MM. le Duc de Nevers et le Prince de Joinville (à present Duc de Chevreuse) ont esté en Hongrie faire la guerre aux Infideles, à l'exemple de Monsieur le Duc de Mercoeur.
(3) François de Sales Evéque de Geneve.
(4) Monsieur Draconis en la vie de Madame de Mercoeur.
(5) D'Abra, d'argent, au fer de moulin de sable. De Raconis, de sinople à six bezans d'or 3. 2. et I.