Claude-Catherine de Clermont/Hilarion de Coste
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[I,328] CLAUDE-CATERINE DE CLERMONT DE VIVONNE, DUCHESSE DE RAIZ (1).
LES tres-illustres Maisons de Clermont et de Vivonne sont des plus nobles et des plus anciennes de nostre France: celle-cy en Poitou, Maison fertile en braves Heros et parfaicts Cavaliers qui ont paru à la Cour de nos Rois, comme des Astres qui sortans du sein de l'onde, se monstrent tous couverts de flammes et de rayons: aussi ont-ils esté pour leur valeur, leur courage, leur gentillesse, et leur fidelité, cheris et aimez de nos Monarques: celle-là de Daufiné, laquelle n'est pas seulement illustre dans la France, mais aussi en Italie et en l'une et l'autre Sicile, où on a veu deux Reines de Naples de cette Maison: Izabelle premiere femme du Roy Ferdinand d'Aragon, estoit alliée à la Maison de Clermont, et Constance la gloire et l'honneur de cette noble race, premiere femme de Ladislas Roy de Hierusalem, de Sicile, de Dalmatie, de Hongrie, et d'autres Royaumes, lequel voyant la forte guerre que luy faisoit Louis d'Anjou, eut recours à Mainfroy de Clermont Amiral de Sicile, pere de cette belle et vertueuse Princesse, par lequel il fut maintenu en son Estat; lors que Mainfroy fut decedé, Ladislas par le mauvais conseil de sa mere Marguerite la repudia, et la maria à André de Capoue fils du Comte de Hauteville. Constance porta cette disgrace si constamment, qu'elle monstra que veritablement elle portoit et meritoit le nom de Constance, estant la mesme vertu et la mesme constance; aussi est-elle louée par tous les Historiens de Naples, entre autres par Thomas de Coste, Simonte, Mazzella, et sur tous par Jules Cesar Capacio, Secretaire de la ville de Naples, lequel pour ses perfections et ses merites, luy a consacré un bel Eloge en ses Eloges Latins des femmes Illustres.
[329] Ces deux illustres Maisons de Clermont et de Vivonne, furent alliées par le mariage de Claude de Clermont, Baron de Dampierre, qui épousa Jeanne de Vivonne, fille d'André de Vivonne, Seigneur de la Chasteigneraye, et de Louyse de Daillon de la Maison du Lude. Ce brave Seigneur qui fut tué en la guerre contre les Anglois, n'eut de sa femme le parangon des sages et des vertueuses Dames de son temps, qu'une seule fille Claude-Caterine de Clermont de Vivonne, à laquelle dés sa naissance les Muses et les Graces firent un favorable accueil, cette Heroïne ayant esté une des plus sçavantes Dames de la France, ainsi que la Duchesse de Camerin, de la Maison de Cibo l'a esté des Dames de l'Italie. On pouvoit dire de ces deux doctes Caterines, l'ornement et la gloire de leur sexe pour le sçavoir, qu'elles passoient les jours et les nuits en l'estude des bonnes lettres, et que la lecture des Ecrivains plus celebres, tant anciens que modernes, estoit leur entretien plus ordinaire. Car la principale occupation de Caterine Cibo en Italie, et de Caterine de Clermont en nostre France, estoit de faire leur profit de leurs lectures, et de feuilleter les bons Autheurs.
On les voyoit sur un tome (2),
ou de saint Jean Chrysostome,
Ou bien de saint Augustin,
Passant et soir et matin
Dessus la sainte Escriture,
En priere ou en lecture:
Puis extraire de Platon,
De Plutarque et de Caton,
De Tulle, et des deux Seneques
Les fleurs Latines et Grecques,
Meslant d'un soin curieux
Le plaisant au serieux:
De là leur esprit agile
S'esgayoit dans le Virgile,
Dont la pure netteté
Ne sent que la chasteté.
François de la Croix du Maine écrit en sa Bibliotheque que Caterine de Clermont merite d'estre mise au rang des Da-[330]mes les plus doctes et les mieux versées, tant en la poësie et art d'oratoire, qu'en la Philosophie et Mathematique, Histoire et autres sciences, desquelles elle sçavoit bien faire son profit entre tous ceux qu'elle jugeoit dignes de ces doctes discours: Louys Jacob Religieux Carme en parle dans sa Bibliotheque des Femmes Illustres par leurs écrits.
La Noblesse, la bonne grace, le sçavoir et les autres perfections et vertus de cette Dame la firent rechercher par plusieurs Seigneurs. Ce fut le genereux Jean d'Annebaud, Baron de Raiz et de la Hunaudaie, et Seigneur de Saint Pierre (digne fils de Claude, Seigneur d'Annebaud Amiral de France, lequel n'a point degeneré de la valeur et des vertus de son pere, l'amour et les delices du Roy François I. son maistre, et de Françoise de Tournemine) qui eut ce bonheur d'épouser la belle et sçavante Claude-Caterine: le choix en fut aisé, car il avoit en gros ce que tous ses Competiteurs ne possedoient qu'en détail, effaçant comme un grand astre la lueur de ces moindres estoilles; tout ainsi que Caterine de Clermont devançoit ses compagnes, autant qu'un croissant qui parfait sa rondeur, surpasse les flambeaux de la nuit. Chacun benit ce mariage, et l'envie méme mourant dans la vertu, comme l'escargot dans la rose, sema de la joye sur les fronts, dont les coeurs estoient trahis par les paroles: pas un des autres Seigneurs, qui eurent le vent que cette Dame avoit de l'affection pour Monsieur d'Annebaud (3) (qui pour lors estoit veuf d'Antoinette de la Baume Comtesse de Chasteauvillain) ne voulut contester un tel prix avec luy, car il n'y avoit point de honte de luy ceder; estre devancé de luy estoit une espece d'avantage, et estre vaincu une sorte de victoire. Aussi ce Jean d'Annebaud a esté un des vaillans et braves guerriers de nostre France, lequel acquit beaucoup d'honneur et de gloire à Cerizoles et à Graveline: de sorte que selon le témoignage de Ronsard,
Les ennemis luy portoient reverence,
Et les François estimoient sa prudence,
Ayant tousjours tout le cours de sa vie
Toute vertu pour sa guide suivie.
Ce mariage ne dura gueres, car les Huguenots ayans trou-[331]blé la Religion et l'Estat, durant la minorité du Roy Charles IX. ce jeune Achille et Alexandre, fidele serviteur de Dieu et de son Prince (qui durant les guerres étrangeres avoit esté la terreur des Espagnols, des Flamans, et des Anglois) s'opposa aux efforts des rebelles, contre lesquels combattant genereusement, il fut tué à la Journée de Dreux, au grand regret du Roy et de la France, ce Seigneur genereux estant un brave Capitaine, et non pas un mol et effeminé courtizan.
Caterine de Clermont estant veuve de cet Achille, qui fut heureux pour avoir eu un Homere pour chantre de sa valeur et de son courage, épousa en secondes noces Albert de Gondy, fils d'Antoine de Gondy (4), Seigneur du Peron, Maistre d'Hostel du Roy Henry II. Gentil-homme de la noble et ancienne Maison des Gondis de Florence, laquelle du temps que l'Estat de la Toscane se gouvernoit en Republique, y a tousjours tenu les premieres et principales dignitez, et entre autres celle de Gonfalonnier, qui alors estoit la premiere et la plus auguste de tout cet Estat là, et de Caterine de Pierrevive sa femme, de l'illustre et ancienne famille de Pierre-vive de Quiers (5) en Piémont: Dame qui pour ses merites et ses rares et grandes vertus, eut l'honneur d'estre Gouvernante du Roy Charles IX. et d'Elizabet de France sa soeur, depuis Reine d'Espagne, laquelle s'acquitta si bien de cette grande et honorable charge, qu'aux effets elle monstra qu'elle la meritoit, et comme il parut encores au gré que luy en sceut son Royal nourrisson Charles IX. et au cas qu'il fit de tous ceux qui luy appartenoient, sur tous de son fils aisné, Albert mary de Caterine de Clermont de Vivonne, qu'il honora de la dignité de Conseiller d'Estat, de premier Gentil-homme de la Chambre, et de celle de Capitaine de cent Gentils-hommes, puis de Mareschal de France: et quand sa Majesté épousa Elizabet d'Austriche fille de l'Empereur, ce fut luy qui en traita le mariage, lequel estant de retour du voyage d'Alemagne, ce grand Monarque l'envoya en ambassade vers la Reine d'Angleterre, et le fit Gouverneur de Mets et du pays Messin. Depuis Henry III. le fit son Gouverneur et Lieutenant general en Provence, General des galeres, puis son [332] Lieutenant au Marquisat de Saluces, puis Duc et Pair, et Gouverneur de la ville et Chasteau de Nantes.
Caterine de Clermont eut de ce Seigneur là son second mary (qui a esté chery et aymé de nos Rois Charles IX. Henry III. et IV. pour les services qu'il leur a rendus, et pour son zele au bien de l'Estat, honoré de tant de belles charges par leurs Majestez) un bon nombre d'enfans, quatre fils, et six filles. L'aisné des fils fut Charles Marquis de Belle-isle, qui a eu d'Antoinette d'Orleans sa femme Henry de Gondy Duc de Raiz et de Beaupreau. Le second fut Henry Cardinal de Raiz Evéque de Paris, Commandeur de l'Ordre du saint Esprit, sage et vertueux Prelat, duquel la memoire est et sera en benediction, pour les services qu'il a rendus à la Religion et à l'Estat. Les deux autres sont Jean-François de Gondy premier Archevéque de Paris, et Philippe Emanuel de Gondy Comte de Joigny, Chevalier des deux Ordres du Roy, et General des galeres. L'aisnée des filles est Madame la Marquise de Megnelets mere de feu Madame la Duchesse d'Halluin, mariée à Charles de Schomberg Mareschal de France. Les autres sont Mesdames de Vassé, et d'Escri et de Ragni, mere d'Anne de la Magdelaine, Marquise de Ragni, femme de François de Bonne de Crequi Duc de Lesdiguieres, Comte de Sault, et Gouverneur de Daufiné, dont elle a un fils. Et les deux autres ont pris le voile de Religieuse à la Royale Maison de Poissy. Si jamais mere eut sujet de s'estimer heureuse et favorisée du Ciel, ç'a esté la Duchesse de Raiz, laquelle durant sa vie se pouvoit vanter à bonnes enseignes, d'estre mere de plusieurs vertueuses et sages Dames, recommandables à la posterité pour leurs perfections, leurs merites, et leurs vertus.
Caterine de Clermont leur mere n'est pas seulement recommandable pour la singuliere cognoissance qu'elle a eu des bonnes lettres, et des langues, entendant et parlant tres-bien la Grecque et la Latine, ny pour estre imbue de la bonne teinture des sciences et des arts liberaux, mais aussi comme remarquent les Ecrivains Italiens (qui dés son vivant luy ont consacré des Eloges en leurs livres des Dames Illustres) pour estre née au gouvernement des Estats et choses civiles [333] et politiques, qu'elle manioit avec une merveilleuse prudence et dexterité, dont entre autres exemples ils rapportent celui-cy (6), sçavoir que pendant les troubles et les guerres plus que civiles de nostre France, le Duc Albert son mary estant allé en Italie aux bains de Lucques, pour quelques infirmitez qu'il avoit, Charles Marquis de Belle-isle leur fils se rangea du costé des ennemis du Roy, dont ses terres coururent grand risque, n'eust esté le bon ordre qu'elle y mit, assemblant avec un courage vrayment masle, un bon nombre de soldats pour garder et defendre ses terres et Seigneuries de l'injure des gens de guerre, et empescher que ceux du party contraire ne s'en saisissent, si bien qu'elle maintint ses sujets en paix, et les garda du pillage aussi bien qu'eust peu faire son mary s'il eust esté present, dequoy le Roy l'eut en grande estime, et se servit de son conseil en des affaires de grande consequence.
La Duchesse de Raiz ne fut pas seulement cherie et estimée pour son sçavoir, et son esprit incomparable par le Roy Henry le Grand, mais aussi par les Rois ses predecesseurs Henry III. et Charles IX. et la Reine Caterine leur mere.
Quand l'Evéque de Posna, et les premiers, les plus illustres, et les plus excellens Palatins et Seigneurs du Royaume de Pologne, et du Duché de Lituanie, arriverent à Paris, et à la Cour du Roy Charles, pour saluer ce grand Monarque, et demander par leur legation aussi excellente, belle et honorable que nouvelle aux yeux des François, Henry de France Duc d'Anjou qu'ils avoient esleu pour leur Roy; et que ces braves Palatins et Chastellains furent par plusieurs fois receus dans le Louvre par le Roy Charles, la Reine Mere, Henry Roy de Pologne, avec toutes les caresses et les honneurs que l'on pouvoit recevoir de l'honneur et de la generosité mesme: Caterine de Clermont (lors seulement Comtesse de Raiz) servit le plus souvent d'Interprete à leurs Majestez: de sorte que ce docte Prelat, les Princes, les Seigneurs, et tous les autres Polonois estans de retour en leur pays, ne furent pas si satisfaits et si contens de tant de faveurs et de caresses qu'ils avoient receues en France (le moindre d'eux ayant eu chacun une chaisne de trois cens escus, et les Grands [334] des dons de prix inestimables) qu'estonnez du sçavoir, de la capacité et de la gentillesse d'esprit de cette tres-sçavante Heroïne, laquelle parloit avec eux les langues Grecque et Latine, avec autant de perfection, de pureté et de netteté, que les premiers et les plus eloquens Orateurs d'Athenes et de Rome.
Adam Conarski Evéque de Posna, et tous ces Ambassadeurs, et la Noblesse Polonoise admirerent autant le sçavoir de Caterine de Clermont, qu'ils furent estonnez la pluspart de ce que nostre Noblesse Françoise ne parloit ny n'entendoit la langue Latine. Certes la Noblesse d'Allemagne, de Pologne, de Hongrie, de Flandre, d'Escosse, d'Angleterre, de Dannemarc, de Suede, et des autres pays que nous estimons demy Barbares, excelle pourtant sur la nostre en ce qu'elle estudie les bonnes lettres, pour le moins jusques à la cognoissance de la langue Latine, qui leur sert pour converser et traiter avec les nations étrangeres. Je n'ignore pas qu'à la Cour de France à l'arrivée de Polonois il n'y eust grand nombre de personnes qui entendissent le Latin: mais il s'en trouva peu qui en eussent un familier usage: entre les Prelats excelloit l'Evéque de Valence de la Maison de Monluc, entre les Cavaliers Messieurs de Mauvisiere et de Milau, entre les Conseillers d'Estat de robbe longue, Messieurs de Mesmes, et de Pibrac.
Claude-Caterine de Clermont Duchesse de Raiz vesquit 36. ans en grande paix, concorde et amitié, avec le Duc Albert son second mary. Ils fonderent, et firent bastir à Noysi une Eglise, et une belle Maison de l'Ordre des Peres Cordeliers, pour marque à la posterité de leur pieuse liberalité. Ce Seigneur estant decedé l'an mil six cens deux, l'année suivante Caterine sa veuve mourut à Paris au mois de Fevrier, estant âgée de soixante ans, et fut inhumée dans une Chapelle de l'Eglise des filles de Sainte Claire, dites de l'Ave Maria, proche de Madame de Dampierre sa mere, qui pour sa vertu fut Dame d'atour de la Reine Elizabet, et Dame d'honneur de la Reine Louyse. On a dressé un riche monument de marbre et de bronze à cette sçavante Heroïne, sur lequel son effigie est eslevée sur quatre belles colomnes, et diverses inscriptions (7) [335] Latines, tant en poësie qu'en prose, se lisent aux deux faces de son sepulchre.
(1) Clermont, de gueules à deux clefs d'argent passées en sautoir. Vivonne d'Hermines, au chef de gueules.
(2) Rapin.
(3) Annebaud de gueules à la Croix de vair ou vairée d'argent et d'azur.
(4) Gondy d'or à deux masses d'armes de sable, posées en sautoir, liées de gueules par le bas.
(5) Pierre-vive palé d'or et de gueules de VI. pieces, à trois pierrevives ou diamans d'argent sur la gueule vers le chef.
(6) Fran. Serdonati delle Donne illustre.
(7) L'Autheur ne met pas icy les epitaphes de Madame de Raiz, qui sont couchez au long dans les Antiquitez de Paris du Père du Breuil. Il a mis en ce livre ceux qui ne se trouvent chez aucun Autheur, et qu'il a recherchez luy-méme.